CONCLUSION GENERALE
128. La possession d'état s'entend
comme une situation de fait constituée par la possession
prolongée d'une qualité juridique déterminée,
c'est-à-dire ouvrant droit à un statut d'égalité
civile que le législateur présume parfois à titre
irréfragable, être conforme à la réalité dans
le but d'assurer la stabilité de l'état et le respect de la
situation établie et consacrée par l'opinion publique. C'est
l'apparence d'un état. C'est une vraisemblance à laquelle le
législateur attache parfois des effets de droit. Prosaïquement, la
notion de possession d'état se définit par
référence aux trois notions latines consacrées : le
nomen, le tractatus et la fama. Posséder un état c'est au moins
en général porter le nom correspondant à l'état que
l'on prétend avoir. C'est se comporter comme le véritable
titulaire de l'état. C'est aussi le fait d'avoir été
considéré par la société, par l'entourage et
même par les autorités publiques comme ayant l'état que
l'on prétend avoir.
129. La possession d'état produit ou
pourrait produire des effets importants en droit. Elle est notamment
dotée d'un effet probatoire et d'un effet consolidateur. C'est un mode
subsidiaire de preuve de la filiation légitime. A défaut d'acte
de naissance, la preuve de la filiation de l'enfant conçu ou né
dans le mariage peut être rapportée par la possession
d'état d'enfant légitime. Il s'agira notamment d'établir
que l'enfant a toujours porté le nom de ceux dont on le dit issu, qu'il
les a traité comme ses père et mère légitimes, que
les prétendus parents légitimes l'ont traité comme leur
fils ou leur fille, que la famille et la société l'ont
constamment reconnu comme un enfant légitime.
130. Si dans l'Avant-projet de code la
possession d'état est un mode de preuve de la filiation légitime,
il n'en est pas de même de la filiation hors mariage. Le futur code a en
effet gardé le silence sur l'effet probatoire de la possession
d'état d'enfant naturel. L'enfant né hors mariage ne peut pas
comme l'enfant légitime invoquer le cas échéant la
possession d'état pour établir son lien de filiation. Rien ne
justifie pourtant pas la limitation de l'effet probatoire de la possession
d'état d'enfant à la filiation légitime. Fort de ce
constat, nous avons développé un plaidoyer en faveur de
l'établissement de la filiation naturelle par la possession
d'état. Ce plaidoyer s'est articulé autour de la convention de
New York de 1989 relative aux droits de l'enfant qui proscrit toute forme de
discrimination et prône l'égalité entre enfants. Nous nous
sommes également appuyés sur l'état du droit de la
filiation de certains pays à l'instar de la France, de l'Espagne, du
Sénégal et du Gabon, qui considèrent la possession
d'état comme un mode de preuve de la filiation naturelle.
131. La possession d'état est encore,
sous certaines conditions, un mode de preuve du mariage. L'effet probatoire de
la possession d'état d'époux peut être invoqué par
les enfants en mal de légitimité pour prouver le mariage de leurs
auteurs. Lorsque le caractère légitime de la filiation d'un
enfant est contesté et qu'il est dans l'impossibilité de produire
l'acte de célébration du mariage de ses parents, il serait
injuste de soumettre ce dernier à toute la rigueur du système de
la preuve préconstituée. On admet de façon exceptionnelle
que cet enfant puisse se prévaloir de l'effet probatoire de la
possession d'état matrimonial.
132. La possession d'état n'est pas
qu'un mode subsidiaire de preuve de la filiation ou du mariage. Lorsqu'elle est
constituée, elle permet également de consolider, de renforcer une
situation préalablement établie. Son effet consolidateur permet
de renforcer une filiation préconstituée en la mettant à
l'abri des contestations et des réclamations. C'est ainsi que nul ne
peut réclamer un état contraire à celui que lui donne son
acte de naissance et la possession d'état conforme à cet acte. De
même que nul ne peut contester l'état de celui qui a une
possession d'état conforme à son titre de naissance. L'effet
consolidateur de la possession d'état ne peut cependant pas être
invoqué dans deux hypothèses : la substitution et la
supposition d'enfant. Dans ces deux cas, la filiation est mensongère et,
prive la possession d'état constituée de tout effet
consolidateur. La filiation ainsi construite sur le mensonge peut être
attaquée et détruite par tout ceux qui y ont
intérêt.
133. L'effet consolidateur de la possession
d'état s'étend aussi au mariage. La possession d'état
d'époux peut couvrir les irrégularités formelles affectant
l'acte de célébration du mariage et empêcher la
nullité de celui-ci. Le Code civil a en effet érigé en fin
de non-recevoir l'action que pourrait intenter l'un des conjoints pour annuler
l'acte de mariage, lorsqu'ils auront la possession d'état. Cette fin de
non-recevoir se limite à l'action d'un des conjoints contre l'autre. Les
époux ne peuvent se prévaloir de cette fin de non-recevoir
à l'encontre d'un tiers agissant en nullité. L'effet
consolidateur de la possession d'état a un objectif : c'est de
préserver la stabilité et la paix des familles. Cet objectif sera
pleinement atteint si le mariage n'a pas été
célébré clandestinement. C'est dire que la
clandestinité du mariage enlève tout effet consolidateur à
la possession d'état matrimonial.
134. Dans le cadre de ce travail, nous nous
sommes également intéressés au Droit international
privé. Il fallait en effet réfléchir sur
l'éventualité de la preuve de la nationalité camerounaise
par la possession d'état et procéder à l'identification de
la loi applicable aux conséquences découlant de la possession
d'état d'enfant.
Sur le premier point, il nous a été donné
de constater qu'en partant des conditions générales de la
possession d'état, on pouvait procéder à
l'énoncé du principe de la preuve de la nationalité
camerounaise par la possession d'état. Nous avons été
conforté dans notre analyse par des exemples tirés des droits
étrangers notamment, le droit algérien de la nationalité,
le droit belge de la nationalité et le droit français de la
nationalité. Ces illustrations nous ont permis de progresser prudemment
dans la réflexion en ayant conscience que la démarche
adoptée n'était pas hasardeuse.
Sur le second point, on peut retenir que la loi applicable aux
effets découlant de la possession d'état d'enfant en droit
international privé de la filiation est la loi camerounaise lorsque
l'enfant et ses père et mère ou l'un de ses père et
mère sont camerounais ou résident au Cameroun. Lorsque l'enfant
et ses parents ou l'un de ses parents ne sont ni camerounais, ni
résidants au Cameroun, la loi applicable doit être
identifiée en distinguant la filiation naturelle de la filiation
légitime. Nous avons par conséquent rattaché les
conséquences découlant de la possession d'état d'enfant
légitime à la loi gouvernant les effets du mariage ou à la
loi personnelle de l'enfant. Les conséquences découlant de la
possession d'état d'enfant naturel ont été quant à
elles rattachées à la loi nationale de la mère ou à
la loi nationale du père, selon qu'il s'agit de la possession
d'état d'enfant naturel maternel et selon qu'il s'agit de la possession
d'état d'enfant naturel paternel.
Ces propos nous révèlent que les effets de la
possession d'état ne se limitent pas à l'établissement de
la filiation, encore moins au droit interne de la famille. Ils
s'intègrent dans un ensemble plus vaste englobant la nationalité,
le mariage et même le droit international privé de la famille.
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