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Action directe et groupe de contrats internationaux

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par Pikol SIENG
Université Lyon 2 - Master 1 droit 2006
  

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INTRODUCTION

Le commerce international a une importance stratégique dans le fonctionnement de l'économie mondiale et porte sur un volume de transactions de plus en plus élevé. Selon le rapport sur « le commerce mondial » de l'Organisation Mondiale du Commerce, la valeur des échanges internationaux de marchandises dans le monde en 2002 atteignait 6 240 milliards de dollars pour les exportations1.

Lorsque les relations d'affaires internationales sont coûteuses et aléatoires, il y aura certainement des litiges naissant de leur rapport contractuel. Si le conflit ne met en cause que deux partenaires commerciaux, il paraît assez simple pour le juge saisi de trancher l'affaire en cause. Mais, en réalité, sur la scène internationale, plusieurs opérateurs économiques, souvent, coopèrent entre eux pour réaliser une opération économique internationale. Tant que chacun est lié par un contrat, cette coopération forme un groupe ou une chaîne de contrats qui sert à atteindre un objectif économique déterminé. A titre d'exemple, dans l'opération de sous-traitance internationale, le groupe de contrats se compose de deux contrats : l'un passé par le maître d'ouvrage et l'entrepreneur principal et l'autre conclu par ce dernier et le sous-traitant. Supposons que le sous-traitant n'a pas bien exécuté ses obligations, et que le maître d'ouvrage intentait une action en responsabilité contre celui-ci, le juge saisi face à des difficultés quant à la détermination des régimes applicables à une telle action directe. A priori, il doit qualifier si cette action est contractuelle ou délictuelle.

Les groupes de contrats internationaux peuvent être analysés comme une succession de contrats débordant le cadre des frontières nationales. La plupart des droits, trop attachés au principe de l'effet relatif des contrats, refusent d'admettre la réalité de groupes de contrats. Notons qu'il n'y a que le droit français, belge et luxembourgeois qui reconnaît une chaîne de contrat. En droit français, une action directe d'un sous-acquéreur contre un fabricant est qualifiée de contractuelle. Pourtant, les autres systèmes juridiques dans la communauté internationale

1 OMC, Rapport sur le commerce mondial, 2003, p. 13

qualifient une telle action de délictuelle.

En l'absence de reconnaissance d'une chaîne de contrats, le sous-acquéreur agit contre le cocontractant immédiat, c'est-à-dire le vendeur intermédiaire. Le vendeur fabricant n'échappe pas à toute responsabilité, puisqu'il fera, le plus souvent, l'objet d'une action récursoire ou d'une demande en intervention de la part du débiteur intermédiaire. Ces actions contractuelles ne suscitent pas de difficultés particulières en droit international : l'action contre le vendeur intermédiaire relève de la loi du contrat conclu entre ce dernier et le sous-acquéreur ; l'action récursoire relève de la loi du contrat qui lie le vendeur intermédiaire au fabricant2.

Si l'on reconnaît, au contraire, l'existence d'une chaîne de contrats, le sous- acquéreur peut exercer une action directe à l'encontre du fabricant, contractant extrême de la chaîne. Une telle action donne au demandeur un intérêt majeur de pouvoir engager la responsabilité du défendeur sur le plan contractuel et non sur le plan délictuel. Ces deux qualifications produisent des conséquences juridiques importantes puisque la responsabilité contractuelle peut être engagée du seul fait de l'inexécution d'une obligation contractuelle, alors que la responsabilité délictuelle suppose, en principe, l'existence et la preuve d'une faute. D'ailleurs, les clauses limitatives de responsabilité ou attributives de juridiction ne sont opposables que dans le cadre d'une action contractuelle. Ainsi, par cette extension du contrat initial de la chaîne en faveur du titulaire de l'action, on confère à ce dernier la possibilité d'agir contre le contractant responsable, et parfois le plus solvable.

Lorsque le juge français est saisi par une action directe à caractère international, il devra alors, afin de vérifier s'il est compétent pour connaître l'affaire, déterminer la juridiction compétente (chapitre I) en l'espèce. S'il se déclare compétent, il doit ensuite déterminer le système juridique applicable à cette action directe (chapitre II).

2 Cass. 1ère civ, 4 oct. 1989 : D. 1990, p. 266, obs. B. Audit; Rev. crit. DIP 1990, p. 316, note P. Lagarde

CHAPITRE I

LA DETERMINATION DE LA COMPETENCE INTERNATIONALE JUDICIAIRE EN CAS D'ACTION DIRECTE

Pour vérifier sa compétence, au cas où il y a une action directe, le juge saisi peut le faire selon deux possibilités : soit il utilise, pour ce faire, sa propre règle conflictuelle de juridiction (section I), soit il se réfère aux règles conventionnelles de compétence judicaire (section II).

Section I. - La compétence internationale judiciaire à l'épreuve des règles conflictuelles de juridictions compétentes

Il convient de distinguer deux cas : le premier concernant l'hypothèse où il n'y a aucune clause attributive de compétence dans la chaîne de contrats (§1.) et le second concernant l'hypothèse où il y a une ou plusieurs clauses attributives de compétence insérées à la chaîne de contrats (§2.).

§ 1. - Au cas où il n'y aucune clause attributive de compétence dans la chaîne de contrats

La juridiction compétente en cas de l'action directe varie selon qu'il s'agit d'une chaîne de contrats translative de propriété (A.) ou d'une chaîne de contrats non translative de propriété (B.).

A. - L'hypothèse de la chaîne de contrats translative de propriété

Un contrat est qualifié de translatif lorsqu'il procure un effet translatif de propriété de la chose objet de contrat. Autrement dit, il a pour effet de transférer la

propriété d'une chose. C'est bien le cas du contrat de vente. En effet, le vendeur doit transmettre sa propriété sur le bien vendu à son acquéreur. Mais, il faut noter aussi qu'il peut retarder la date du transfert de propriété, par le biais de la clause de réserve de propriété qui permet au vendeur de conserver son titre de propriétaire du bien jusqu'au paiement complet du prix par l'acheteur.

Quant à la chaîne composant des contrats translatifs de propriété, cela suppose tout d'abord de comprendre ce qu'est la chaîne de contrats. Elle est un ensemble ou un groupe de contrats qui sont faits par des différentes parties contractantes. En commerce international, les opérateurs économiques, afin de réaliser une opération économique assez importante, contractent avec beaucoup d'autres opérateurs. Plusieurs contrats sont donc formés au tour de cette opération. Ces conventions servent toutes pour achever un objectif économique donné. Et ils constituent alors un groupe de contrats. Il n'est pas nécessaire que chacun de ces contrats ait la même nature juridique. Une chaîne de contrat ne se compose pas forcément de tous les contrats de vente. En revanche, si la chaîne contient tous les contrats de vente successive, elle est donc appelée la chaîne translative de propriété.

Dans l'hypothèse où le juge français est saisi par une action de sous acquéreur contre le fabricant vendeur initial, il va a priori examiner si cette action relève de la matière contractuelle ou pas, afin de mettre en oeuvre ses règles conflictuelles de juridiction compétente.

Le plus souvent, l'action du sous-acquéreur est une action en garantie, en cas de non conformité de la chose vendue. Elle peut être aussi une action en responsabilité en cas de défectuosité du produit vendu. Ici, on n'aborde que la première catégorie d'actions, alors que l'on étudiera ultérieurement la deuxième catégorie d'actions.

Par l'arrêt de principe de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 12 juillet 1991, le juge revient à la solution antérieure retenue par l'Assemblée plénière du 7 février 1986 qui a admis la qualification contractuelle de l'action directe existant dans toutes les chaînes de contrats translatives de propriété. En effet, l'action contractuelle est, selon la Haute juridiction, transmise accessoirement à la chose. Les juges ont retenu que le sous-acquéreur jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur. Le vendeur intermédiaire a une action de nature contractuelle contre le fabricant. En effet, le sous-acquéreur bénéficie de même cette action contre le fabricant.

Cette solution devenait le droit positif français. Ainsi, lorsque le juge français opère la qualification lege fori de l'action directe, il va la qualifier selon les conceptions retenues en son propre droit.

Lorsque l'action directe du sous-acquéreur est de nature contractuelle, il a certains choix en ce qui concerne la compétence du juge qui va connaître son action. Qualifié de contractuelle par le juge français (juge du for), l'action directe exercée au sein d'un groupe de contrats sera soumise à l'article 46 du Nouveau Code de Procédure Civile (NCPC), selon lequel « le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service ».

Si le premier choix de compétence - la compétence du tribunal de domicile du défendeur - ne suscite aucune difficulté dans la mesure où la personne du défendeur (le fabricant vendeur initial) reste identique, quelle que soit la personne du demandeur, il n'en va pas de même pour deux autres alternatives juridictionnelles offertes à ce dernier.

Si l'on est dans l'hypothèse classique d'un contrat de vente, il n'y a pas de difficulté particulière quant à la mise en oeuvre de choix de compétence du juge. Ici, la difficulté de la mise en oeuvre de l'option juridictionnelle repose sur la

présence de deux (au moins) contrats de vente. En effet, le choix est double, c'est-à- dire que les deux lieux différents de la livraison effective ou les deux lieux de l'exécution de prestation caractéristique peuvent être mise en cause. On peut se demander lequel sera pris en considération. Va-t-on tenir compte du lieu de la livraison effective par le fabricant vendeur originel ou celui de la livraison effective par le vendeur intermédiaire?

La considération que le « qualificatif effectif » traduit la volonté du législateur de retenir comme critère de compétence territoriale, le lieu de livraison où le demandeur a pu effectivement se rendre compte des malfaçons dont le produit en cause est affecté, pourrait conduire l'observateur à opter pour le lieu de la seconde livraison, c'est-à-dire le lieu où la livraison résultant du second contrat est intervenue.

La solution ne semble, cependant, pas devoir être retenue. Outre le fait que l'appel à la volonté du législateur n'a pas de grande signification dans l'hypothèse considérée, la solution méconnaît le fondement juridique de la nature contractuelle de l'action directe reconnue dans cette hypothèse. La notion d'accessoire, énoncée comme le fondement explicatif de la nature contractuelle de l'action, implique en effet que celle-ci doit être analysée comme mettant en oeuvre un droit dérivé. Le droit substantiel que vise à mettre en oeuvre l'action est celui là. Il pénètre dans le patrimoine du sous-acquéreur tel qu'il est juridiquement et judiciairement organisé par la convention initiale. Appliquée à la question particulière de la compétence territoriale, l'observation invite à considérer que l'action contractuelle du sous- acquéreur contre le fabricant doit être intentée, en application de l'article 46 du NCPC, devant le tribunal du lieu où le défendeur devait exécuter son obligation à l'égard de l'acquéreur originel (vendeur intermédiaire). Ce n'est en conséquence, que dans l'hypothèse où le fabricant se serait engagé envers l'acquéreur originel à livrer le produit directement chez le sous-acquéreur, que le tribunal du domicile de ce dernier pourrait être compétent. Dans les autres cas, la transmission implique que le sous-acquéreur peut seulement saisir, au lieu du tribunal du domicile du fabricant,

celui du domicile de l'acquéreur originel, si la livraison s'est effectivement exécutée chez celui-ci, et non pas chez le fabricant.

B. - L'hypothèse de la chaîne de contrats non translative de propriété

Contrairement à la chaîne translative de propriété, la chaîne non translative ne comporte aucun contrat translatif, c'est-à-dire aucun contrat de vente dans la chaîne.

Qualifiée par le juge français saisi de délictuelle, c'est-à-dire exercée au sein de la chaîne non translative de propriété, l'action en responsabilité du créancier final contre le débiteur de son débiteur relèvera, aux termes de l'article 46, alinéas 1 et 3 du NCPC, au choix du demandeur, soit de la juridiction du lieu où demeure le défendeur, soit de la juridiction dans le ressort de laquelle le dommage a été subi. L'application de l'option juridictionnelle à l'hypothèse des groupes de contrats suppose d'abord que soient précisés les termes de l'option.

Après l'entrée en vigueur du NCPC, l'article 46, alinéa 3, dans sa rédaction originelle, permettait au demandeur de saisir, outre le tribunal du domicile du défendeur, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage est subi.

Si la localisation du lieu du domicile du défendeur ne pose pas de problème particulier, il n'en va pas de même pour les deux derniers chefs de compétence énoncés, à savoir le tribunal du lieu de réalisation du dommage et le tribunal du lieu du fait dommageable. La détermination du lieu de réalisation du dommage est en effet susceptible de causer quelques difficultés, que le dommage invoqué au soutien de l'action soit authentiquement délictuel, ou au contraire purement contractuel.

Dans cette dernière hypothèse où le préjudice subi s'identifie uniquement à la perte financière dont le bien (ou le service) non conforme ou vicié est frappé, le tribunal du lieu du domicile de la victime, qui est pris en qualité de lieu fictif de situation du patrimoine de celle-ci, semblerait compétent.

Lorsque le dommage invoqué est délictuel, c'est-à-dire s'identifie à une atteinte effective à la sécurité des personnes ou des biens, on peut considérer que le tribunal du lieu de réalisation du dommage est celui du lieu où la sécurité de la personne, ou de ses biens, s'est trouvée effectivement atteinte. S'agissant d'une atteinte à la sécurité d'un bien, le tribunal internationalement compétent pour connaître de l'action, au titre du tribunal du lieu de survenance du dommage, sera celui du lieu où le bien a été endommagé.

S'agissant, en revanche, d'une atteinte à la sécurité de personne, le tribunal du lieu où cette personne est décédée ou a été blessée sera compétent. À ce titre, s'il est aisé de déterminer le lieu du décès de la victime, le lieu où elle est blessée est, en revanche, plus difficile à localiser, lorsque le dommage est cumulatif, c'est-à-dire qu'il se déploie sur plusieurs États. Par exemple, la victime commence à se sentir malade dans un pays X et tombe définitivement malade dans un pays Y.

De plus, les difficultés suscitées par la détermination du lieu du fait dommageable ne sont pas moins importantes. La faute invoquée au soutien d'une action en responsabilité délictuelle exercée au sein d'un groupe de contrats, peut en effet correspondre, soit à la violation par le défendeur du devoir général de ne pas fabriquer ou de ne pas commercialiser un produit dangereux, soit à la méconnaissance de l'obligation purement contractuelle de délivrer un produit conforme ou non vicié.

On peut donc estimer que le lieu de la commission de faute ayant entraîné le

dommage 3 est celui où le produit en cause a été fabriqué. Le fait dommageable n'est pas, à proprement parler, la fourniture d'un produit ou d'une absence d'information (par exemple, le manquement d'information sur le mode d'utilisation). D'ailleurs, elle s'avère délicate à mettre en oeuvre en raison de l'internationalisation fréquente du processus de fabrication. Si on reprend, par exemple, les faits ayant donné lieu à la décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 21 juin 19 884, la vanne dont la défectuosité a été à l'origine du dommage subi par l'avion peut être composée de plusieurs éléments, dont l'un est fabriqué dans un pays X et l'autre dans un pays Y. Faudrait-il retenir, au titre de tribunal du lieu du fait dommageable, le tribunal de l'Etat X et le tribunal de l'Etat Y? On multiplierait de la sorte les juridictions compétentes. Mais à l'inverse, la détermination de l'élément défectueux qui se situe véritablement à l'origine du dommage, dont le lieu de fabrication, indiquerait le tribunal du lieu du fait dommageable, soulèvera des difficultés importantes, voire inextricables, de preuve.

Sur le fondement de la formulation anglaise traditionnelle qui se demande « où en substance, la cause de l'action délictuelle se produit, ou quel est le lieu avec lequel le délit est le plus étroitement lié », M. FANCETT a proposé de retenir, du titre du fait dommageable, le lieu de la mise en circulation du produit. Encore faut-il noter que ce lieu n'est pas toujours fait à déterminer lorsque le produit litigieux ayant fait l'objet par hypothèse, de plusieurs transactions avant de causer un dommage.

La juridiction compétente pour connaître l'action directe en cause peut être différente de celle que l'on a invoqué ci-dessus au cas où les parties contractantes prévoient des clauses attributives de compétence pour régir des litiges éventuels et potentiels qui naîtront de leur contrat.

3Cass., 2 civ, 24 fév. 1982 : Gaz. Pal. 1982.2.374 note J. VIATTE

ème

4 Cass., 1ère civ, 21 juin 1988 : D. 1989.5.5 note C. LARROUMET; JCP 1988. II. 21125 note P. JOURDAIN

Lorsqu'il y a une clause attributive de compétence insérée dans la chaîne de contrats, le juge saisi va vérifier sa compétence sous l'empire de cette clause.

§ 2. - Au cas où il y a une ou plusieurs clauses attributives de compétence dans la chaîne de contrats

On se trouve bien dans l'hypothèse où le sous-acquéreur, plus généralement le dernier maillon d'un groupe de contrats, décide d'exercer une action directe contre le fabricant, le premier maillon, et saisit pour ce faire, sur le fondement d'une règle de compétence internationale légale, les tribunaux français. Le défendeur oppose alors à cette compétence l'existence d'une clause attributive de compétence (A) - une clause attributive de juridiction ou une clause compromissoire. Il peut aussi arriver, dans une autre situation, que le maillon intermédiaire et le dernier maillon prévoient une clause attributive de compétence (B). Que se passe-t-il lorsque le dernier maillon assigne directement contre le maillon initial?

La première situation est beaucoup plus fréquente. Dans cette circonstance, si l'opposabilité de la clause dans le cadre d'une chaîne non translative de propriété semble être écartée, il ne paraît pas en revanche devoir éliminer le jeu de cette clause, lorsque la chaîne considérée est translative de propriété. Dans ce dernier cas, le demandeur, lorsqu'il agit en responsabilité contre le défendeur, met en oeuvre un droit dérivé. L'insertion d'une clause attributive de compétence de juridiction ou d'une clause compromissoire dans le contrat initial, paraît en effet devoir être prise en compte et exercer une influence sur la compétence internationale judiciaire.

A. L'insertion de la clause attributive de compétence dans le rapport contractuel initial

La clause de compétence semble devoir rayonner sans trop de difficultés vers l'aval de la chaîne de contrats. Rien ne s'oppose a priori à ce que cette clause puisse

être transmise au gré d'opérations successives, que ce soit par l'effet de la loi ou de la convention des parties. La jurisprudence en atteste d'ailleurs suffisamment. Parmi de nombreux exemples, notons que la clause attributive de compétence figurant sur le connaissement est réputée transmise au tiers porteur de ce document5, que le cessionnaire d'un contrat ou d'une simple créance est lié par la clause compromissoire qui y est attaché6, et plus intéressant encore, que la clause attributive de compétence stipulée dans le contrat de vente passé entre le fabricant et le vendeur intermédiaire est opposable au maître de l'ouvrage7. Mais ce ne sont là que les solutions du droit français, lesquelles ne s'imposeront pas forcément dans le contexte d'une chaîne internationale de contrats, où la concurrence d'autres normes peut se manifester. Il importe donc d'identifier parmi les ordres juridiques en concours, celui dont la compétence s'impose pour décider de l'éventuel rayonnement de la clause de compétence.

Une distinction doit ici être marquée entre les clauses d'élection de for (clause attributive de juridiction) et les clauses compromissoires (clause d'arbitrage).

1° Le cas de la clause attributive de juridiction

La clause attributive de juridiction est considérée comme étant transmise au contrat final, à condition que l'action directe en cause soit de nature contractuelle.

Selon la conception française, l'action du sous-acquéreur contre le fabricant est qualifiée de contractuelle. En effet, la clause attributive de juridiction attachée au contrat entre le fabricant et l'acquéreur intermédiaire est transmise au contrat du sous-acquéreur. Cette transmission est justifiée par le principe d'accessoire.

5CJCE, 19 juin 1984 : JDI 1985, p.159 obs. M. J-M. Bischoff

6« Le droit des contrats », l'arbitre et les tiers : Rev. Arb. 1988, p. 429 7Cass. 3ème civ, 30 oct. 1991: Bull. Civ. III, n°251, p. 148

En revanche, selon la conception communautaire, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) n'a pas voulu qualifier, dans l'arrêt Jakob Handte du 17 juin 19928, l'action du sous-acquéreur contre le fabricant, de contractuelle. Il en résulte que la clause attributive de juridiction insérée dans le contrat initial ne s'oppose pas au sous-acquéreur, tiers du contrat. La faculté pour le fabricant d'opposer au sous-acquéreur cette clause est exclue si, du moins la clause est antérieure à la naissance du litige entre le sous-acquéreur et le fabricant. Une telle clause ne devrait pouvoir lier d'autres que les parties qui en sont convenues. Or, la Cour de justice a jugé exactement le contraire dans son arrêt Tilly Rüss du 19 juin 19849 lorsqu'elle a admis la possibilité qu'une clause contenue dans un connaissement soit opposable au tiers porteur du connaissement.

2° Le cas de la clause d'arbitrage (clause compromissoire)

Le régime de la transmission d'une telle clause ne peut qu'être calqué sur celui de la clause d'élection du for. Telle est l'impression qui se dégage à la lumière de l'identité d'origine et de finalité unissant les deux catégories de clauses. En conséquence, la loi régissant le problème d'effet relatif de contrats sera, en principe, la loi qui régit la convention contenant la clause compromissoire. Selon une opinion doctrinale unanime10, la loi du contrat doit être compétente pour décider à quelles personnes s'appliquent les effets de ce contrat ou des clauses qu'il renferme. Tout comme la clause attributive de juridiction, la clause d'arbitrage suivra en cas de reventes successives de la chose, le sort des autres droits et obligations énoncés par le contra principal dans lequel elle s'insère.

Mais, certains auteurs se sont interrogés sur le bien-fondé de cette solution11 en invoquant deux défauts qui entacheraient le principe d'intégration de la convention d'arbitrage aux autres clauses du contrat. D'une part, cette solution

8 CJCE, 17 juin 1992, aff. C-26/91, Jakob Handte : Rev. crit. DIP 1992, p. 730, note H. Gaudemet-Tallon

9 CJCE, 19 juin 1984, Aff. 71/83 : JDI 1985, 159 obs. J-M. Bischoff

10 F. Leborgne, « L'action directe en responsabilité dans le groupe de contrats », thèse Renne I, 1995

11 Ibid.

méconnaît le fait que la clause compromissoire est un contrat dans le contrat et irait, par conséquent, à l'encontre de sa large autonomie juridique. De l'autre, cette utilisation d'une loi nationale porterait en elle-même ses limites car que faire quand la clause d'arbitrage échappe à toute loi étatique.

Cependant, ces reproches ne semblent pas bien fondés. S'agissant du premier, il est vrai qu'invoquer l'intégration de la clause au contra principal pour justifier qu'elle en épouse les évolutions, peut sembler paradoxal, alors que son autonomie est mise en évidence12. Mais, ce n'est là qu'un paradoxe apparent qui suppose que l'on se concentre sur le terme « autonomie » en le détachant artificiellement de ses objectifs. Sans entrer dans le détail du principe d'autonomie de la convention d'arbitrage, il convient simplement ici, de se souvenir qu'il revêt tout d'abord un aspect matériel, en ce que le maintien en vigueur de la clause ne dépend pas du sort du contrat principal, mais aussi un aspect juridique permettant que la convention d'arbitrage soit, le cas échéant, régie par une loi différente de celle qui s'applique au contrat principal. S'agissant du second, le principe d'autonomie aurait pour corollaire, la validité de principe de la clause, sans référence à aucune loi étatique.

On notera ensuite deux points. En premier lieu, aucune atteinte à l'autonomie juridique ne paraît devoir résulter du recours à la loi du contrat principal, tant il est vrai que celle-ci s'évincera si la clause relève d'une loi propre. Seule cette dernière sera naturellement compétente pour décider de la transmissibilité.

En second lieu, personne ne disconviendra que le but du principe d'autonomie ne soit autre que d'assurer la pleine efficacité de la clause, de faire en sorte qu'elle déploie pleinement ses effets. Or, l'intégration et l'autonomie oeuvrent, chacune en son domaine, pour la même cause : le plein effet de la convention d'arbitrage. Aussi bien discerne-t-on mal en quoi l'autonomie de la clause compromissoire justifierait que son sort soit dissocié des autres clauses du contrat principal et que cette question échappe à la loi gouvernant ce contrat.

12H. Gaudemet-Tallon : note sous CA Paris, 26 masr 1991 : Rev. Arb. 1991, p. 456

A cet égard, il pourra être rétorqué que les parties à la convention d'arbitrage ont fort bien pu considérer celle-ci comme étant intuitus personnae et la restreindre à leurs rapports respectifs. La pratique arbitrale internationale révèle une prise en compte certaine de l'intuitus personnae. La Cour d'appel de Paris en date du 20 avril 198813 vient attester que la clause compromissoire insérée dans un contrat international a une validité et une efficacité propres, qui commandent d'en étendre l'application à la partie venant même partiellement aux droits de l'un des contractants, à condition que le litige entre dans les prévisions de la convention d'arbitrage. L'intérêt de cette décision est double. Outre qu'elle marque la nécessité de respecter la volonté des parties avant d'admettre la transmission de la clause, sa référence à la validité et l'efficacité propres de la clause, afin de justifier cette transmission paraît bien faire découler celle-ci d'une règle matérielle de droit international privé.

En bref, et sous réserve de la volonté des parties, le principe de validité se doublerait d'un principe de transmissibilité en droit de l'arbitrage international, sans aucune référence à une loi étatique.

Cette solution a été renforcée par l'arrêt Dalico14 de la Cour de cassation. D'après un commentaire sous cet arrêt par M. E. Gaillard, cette jurisprudence marque un abandon de la méthode conflictuelle dans l'appréciation de l'existence et de la validité d'une convention d'arbitrage international. Pourquoi ne pas décider de même à propos de sa transmissibilité? Car du même coup, se trouverait réglée la difficulté liée à la transmission de la clause compromissoire qui n'est soumise à aucune loi particulière. Que faire lorsque la loi du contrat où s'insère la convention d'arbitrage permet sa transmission, tandis que la loi régissant la vente conclue par le sous-acquéreur s'oppose, comme le droit français, à une telle transmission? Normalement, la logique propre aux chaînes de contrats, qui veut que chacun des

13Rev. Arb. 1988, p. 570

14Cass. 1ère civ, 20 déc. 1993 : JDI 1994, 432 note E. Gaillard

maillons de contrats serve de relais à la transmission des droits et actions attachés à la chose, devrait à la façon d'un filtre, faire obstacle à ce que la clause soit acceptée sans réserves, dans la mesure où il porterait une atteinte supplémentaire à la prévisibilité juridique du fabricant en même temps qu'il placerait le titulaire de l'action dans une situation préférentielle par rapport à celle de son auteur. Dès lors, plutôt que d'avoir à trancher entre ces impératifs contradictoires, il serait préférable de pouvoir recourir à une règle matérielle de droit international privé admettant, sous réserve de la volonté contraire des parties, la transmission de la convention d'arbitrage.

Si le maillon initial semble pouvoir apposer la clause attributive de compétence insérée dans son contrat, à l'encontre du maillon final, demandeur de l'action directe, celui-ci peut-il, en revanche, se prévaut d'une telle clause insérée dans son contrat ?

B. - L'insertion de la clause attributive de compétence dans le rapport contractuel final

La question se pose, à savoir si le maillon final de la chaîne pourrait invoquer une telle clause de compétence envers le maillon initial lorsque ce dernier n'est pas a priori lié par cette clause.

A priori, si on raisonne, pour répondre à cette question, selon la logique de la chaîne de contrats, la réponse semble négative. Le concept de chaîne de contrats, comme on le sait, repose sur une extension du lien contractuel, rendue elle-même possible par la circulation des droits et actions attachés à la chose qui passent d'un maillon initial au maillon final de la chaîne, au gré des contrats translatifs de propriété. Cette transmission se fait de la même manière que le courant de la rivière. Il est, en effet, impossible que celle-ci se fasse de la manière inverse, ce qui signifie que le maillon final ne peut pas faire jouer la clause de compétence insérée dans son

contrat, à l'encontre du maillon initial. Les clauses insérées aux contrats composant l'aval de la chaîne, ne semblent donc pas pouvoir gagner l'amont de celle-ci.

Mais, le phénomène naturel pourrait connaître une résurgence. Inspirées par cette idée, les clauses de compétence inclues dans le contrat passé par le sous-acquéreur pourraient être opposées au fabricant à l'occasion de l'exercice d'une action intentée contre lui, en même temps que contre le débiteur intermédiaire15. Par le jeu des règles de compétence, propre à la pluralité de défendeurs, le sous- acquéreur pourrait prétendre attraire le fabricant devant le tribunal élu ayant à connaître d'une action dirigée contre le vendeur intermédiaire. Admettre cette résurgence à l'hypothèse de la clause d'élection de for, semble contraire tant au droit conventionnel, qu'au droit commun de la compétence internationale, selon lesquels la juridiction désignée par les parties à un contrat ne peut connaître d'une demande contre des codébiteurs, tiers à ce contrat, à moins que cette juridiction ne soit en même temps celle du lieu du domicile de l'un d'eux. En revanche, en ce qui concerne la clause d'arbitrage, le droit français semble admettre que la clause compromissoire liant un débiteur étende ses effets aux codébiteurs de celui-ci. Cette position se base sur l'idée de représentation mutuelle entre codébiteurs16.

Après avoir examiné la compétence de juridiction selon les règles de droit commun, nous allons poursuivre, dans le même cadre de la détermination de la juridiction compétente, notre deuxième section, consacrée à la détermination de la juridiction compétente selon les règles conventionnelles de compétences.

15 Frédéric Leclerc, « Les chaînes de contrats en droit international privé », JDI 1995, p. 267

16 Ibid.

Section II. - La compétence internationale judiciaire à l'épreuve des règles conventionnelles

La convention de Bruxelles du 27 septembre 196817 portant sur « la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale » prévoit la compétence judiciaire dans certaines matières (§1.). En matière d'action directe, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a élaboré une jurisprudence abondante qui a refusé la qualification contractuelle de l'action directe (§2.).

§ 1. - La compétence internationale retenue par la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et l'action directe

Notons que la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 est d'origine communautaire. Elle a été modifiée par le règlement (CE) n°44/2001 du 22 décembre 2000 (dit aussi règlement de Bruxelles 1 ou B1) sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale18. Ce règlement a succédé en partie à la convention de Bruxelles dont l'objet était identique. Il est entré en vigueur le 1er mars 2002, à l'égard des 15 Etats membres, à l'exception du Danemark et le 1er mai 2004, à l'égard des 10 nouveaux Etats membres. Les dispositions de ce règlement s'appliquent aux actions judiciaires intentées avant son entrée en vigueur et aux actes authentiques reçus postérieurement à celle-ci.

Le texte de la convention a prévu son domaine d'application (A.) et les compétences spéciales (B.)

17 H. Gaudemet-Tallon, « Les conventions de Bruxelles et de Lugano », LGDJ, 1993

18 « Droit du commerce international », Litec, 2005 (auteurs collectifs)

A. - Le domaine d'application

Si le domaine d'application matériel (2°) du règlement B 1est identique à celui de la convention de Bruxelles à laquelle il succède, le champ d'application dans l'espace est différent (1°).

1° Le champ d'application spatial

Le champ d'application spatial du règlement B1 doit être combiné avec celui de la convention de Bruxelles, qui survit à l'égard des Etats membres et des territoires qui ne sont pas soumis au règlement. Ainsi, le Danemark n'ayant pas ratifié le traité d'Amsterdam, lui a été reconnue par un protocole annexé au traité CE, la faculté de ne pas adopter les instruments pris sur la base des articles 61 c à 67 du traité CE, tel que le règlement B 1. En conséquence, le règlement B 1 lie tous les Etats membres à l'exception du Danemark. Concrètement, il en résulte que chaque fois que le défendeur a son domicile au Danemark ou qu'un juge danois est saisi, y compris au moyen d'une clause d'élection de for, même pour un litige dans lequel le défendeur a son domicile dans un autre Etat membre, la convention de Bruxelles s'applique au litige. Dans les autres cas, la convention de Bruxelles reçoit l'application. De même, sont exclus du champ d'application du règlement B1, les territoires des Etats membres qui ne font pas partie du « territoire communautaire », déterminé par chaque Etat de l'Union européenne, sur lequel le droit communautaire est applicable en vertu de l'article 299 du traité CE.

2° Le champ d'application matériel

Le champ d'application matériel suppose en premier lieu, de cerner la notion de matière civile et commerciale. Si la nature administrative, civile, commerciale ou répressive de la juridiction est indifférente, le règlement Bruxelles 1, pas davantage que la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, ne concerne les matières

fiscales, douanières ou administratives et ne s'applique pas, lorsqu'une autorité publique agit dans l'existence de la puissance publique19. Cette notion de matière civile et commerciale est considérée par la CJCE comme une notion autonome qui ne doit pas être interprétée par référence aux droits nationaux. En second lieu, il faut tenir compte des exclusions expresses de l'article 1 alinéa 2 du règlement B1. Sont ainsi exclus du champ d'application du règlement B1, l'Etat et la capacité des personnes physiques ainsi que le droit patrimonial de la famille, les faillites, concordats et autres procédures analogues, la sécurité sociale et l'arbitrage.

B. - Les compétences spéciales retenues par la convention de Bruxelles (en matière d'action directe)

L'article 5 de la convention de Bruxelles offre le choix au demandeur, entre le tribunal de l'Etat du domicile du défendeur et un tribunal spécialement déterminé d'un autre Etat. Il n'y a pas, ici attribution d'une compétence générale aux juridictions d'un Etat membre, le tribunal précisément compétent étant désigné par les règles internes de l'Etat membre en cause, mais bien directement désignation dans la convention du tribunal compétent, d'où la dénomination de « compétence spéciale ».

Une action directe, dans une chaîne internationale de contrats, si elle n'est pas qualifiée de contractuelle, est de nature délictuelle. Pour déterminer la compétence du juge international pour connaître cette action, la convention de Bruxelles propose deux solutions différentes, suivant que la matière soit contractuelle ou délictuelle.

19 CJCE, 14 oct. 1976, aff. 29/76, LTU c/ Eurocontrol : Rev. crit. DIP 1977, p. 772, note G.A.L. Droz

1° La compétence en matière contractuelle

La compétence en matière contractuelle est régie par l'article 5-1° de la convention de Bruxelles. Cette disposition ne peut recevoir l'application que si le litige concerne la matière contractuelle. En revanche, la notion « contractuelle » n'est pas définie dans la convention elle-même, ce qui donne lieu à de grandes difficultés d'interprétation et d'application. C'est la raison pour laquelle la jurisprudence de la CJCE et celle de la Cour de cassation sont riches en la matière. Il appartenait à la CJCE de déterminer cette notion, ce qu'elle a fait, après avoir constaté la divergence des droits nationaux, de manière autonome, par une interprétation assurant pleine efficacité à la convention20. Elle a ainsi dégagé le critère de « l'engagement librement assumé d'une partie envers l'autre »21. Quant à la Cour de cassation, elle a admis que l'article 5-1° s'appliquait aux actions en nullité du contrat22 , mais la CJCE ne s'est prononcée qu'indirectement sur cette question, bien qu'elle ait affirmé que l'applicabilité de cet article paraît acceptable23.En revanche, la CJCE a très clairement pris position à l'égard des chaînes de contrats pour refuser de leur appliquer l'article 5-1°, considérant que l'action directe du sous-acquéreur contre le fabricant était de nature délictuelle24.

L'article 5-1° attribue au demandeur, une option de compétence en faveur du « tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ». Mais, l'application de cette règle de compétence a soulevé deux problèmes : quelle est l'obligation visée ? Comment déterminer le lieu d'exécution de cette obligation ? Pour déterminer l'obligation concernée, l'arrêt De Bloo s25 a précisé que celle-ci est celle qui sert de base à l'action judiciaire. En présence de

20 CJCE, 22 mars 1983, aff. 34/82, Martin Peters : Rev. Crit. DIP 1983, p. 667, note H. GaudemetTALLON

21 CJCE, 17 juin 1992, aff. C-26/91, Jakob Handte : Rev. Crit. DIP 1992, p. 730, note H. GaudemetTALLON

22 Cass. 1ère civ. 27 juin 2000 : JDI 2001, p. 137, obs. A. Huet

23 CJCE, 4 mars 1982, aff. 38/81, Effer c/ Kantner : Rev. Crit. DIP 1982, p. 573, note H. GaudemetTALLON

24 CJCE, 17 juin 1992, arrêt préc.

25 CJCE, 6 oct. 1976 : Rev. Crit. DIP 1977, p.756, note Gothot et Holleaux

plusieurs obligations litigieuses, la CJCE a indiqué, dans l'arrêt Shenavaï26, qu'il faut prendre en considération l'obligation principale, celle-ci déterminant la juridiction compétente pour l'ensemble des obligations en vertu du principe selon lequel l'accessoire suit le principal.

Quant au lieu d'exécution de l'obligation servant de base à la demande, la CJCE n'a pas donné de définition autonome de cette notion. Elle n'a pas tranché cette question dans l'affaire Tessili27 et a refusé que le juge saisi ne le détermine lege fori. Elle a, en revanche, précisé que ce lieu est déterminé par le droit applicable à l'obligation qui sert de base à l'action judiciaire, en vertu des règles de conflits du juge saisi. Le problème se complique lorsque le lieu d'exécution de l'obligation servant de base à la demande se multiplie, notamment le cas de pluralité de lieux de livraison dans le contrat de vente.

2° La compétence en matière délictuelle

L'article 5-3° de la convention de Bruxelles accorde au demandeur une option de compétence lui permettant d'assigner le défendeur, non seulement devant le tribunal de son domicile, mais aussi devant le « tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ».

La CJCE interprète, comme ce qu'il fait pour la notion contractuelle précédemment invoquée, de manière autonome la notion délictuelle. Elle a estimé, dans l'arrêt Kelfelis du 27 septembre 198828, qu'elle visait « toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d'un défendeur et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle au sens de l'article 5-1°.

26 CJCE, 15 jan. 1987 : JDI 1987, p. 465, obs. J-M Bischoff et A. Huet

27 JDI 1977, p. 702, obs. J-M Bischoff et A. Huet

28 CJCE, 27 sept. 1988 : aff. 189/87 : Rev. crit. DIP 1989, p. 117 ; JDI 1989, p. 457, obs. A. Huet.

Par la suite, la précision apportée par l'arrêt Jakob Handte du 17 juin 199229 sur la matière contractuelle, notamment dans notre hypothèse intéressée de la chaîne de contrats, permet de cerner la notion de matière délictuelle.

Les difficultés soulèvent lorsque le lieu du fait dommageable diffère de celui où le dommage a été subi. Sur cette question, la CJCE a conféré une option de compétence au demandeur en lui permettant d'attraire le défendeur « devant le tribunal de l'événement causal qui est à l'origine de ce dommage »30.

§ 2. - La mise en oeuvre de la convention de Bruxelles et le groupe de contrats internationaux : le refus par la CJCE du caractère contractuel de l'action directe

A priori, on peut se demander si la Convention de Bruxelles s'applique à l'action directe qui pourrait être née d'une chaîne internationale de contrats.

La convention elle-même, semble ne pas avoir prévu la réponse dans son champ d'application à une telle action. Mais, on sait bien que la convention s'applique notamment à la matière contractuelle et délictuelle. Or, une action directe, qui serait née d'une chaîne internationale de contrats, pourrait être qualifiée soit de contractuelle, soit de délictuelle. En principe, une action directe contractuelle n'existe, comme on le sait, que dans la chaîne translative de propriété, ce qui est bien le cas du droit français. Alors que la plupart des pays dans la communauté internationale ne reconnaît pas la qualification contractuelle de l'action directe. Ces pays tiennent au « principe de l'effet relatif des contrats », ce qui veut dire que toute action exercée par le maillon final de la chaîne de contrats à l'encontre du maillon initial sera qualifiée de délictuelle, parce que le demandeur n'a pas de qualité de partie à un contrat passé par le maillon initial.

29 Arrêt préc.

30 CJCE, 30 nov. 1976, aff. 21/76, Mines de potasse d'Alsace : Rev. crit. DIP 1977, p. 563, note P. Bourel

Si l'application de la convention de Bruxelles à l'action directe internationale serait ambiguë, la Cour de justice des communautés européennes, dans son arrêt en date du 17 juin 199231, Affaire Jakob Handte, a très clairement pris position à l'égard des chaînes de contrats pour refuser de leur appliquer l'article 5-1° de la convention, considérant que l'action directe du sous-acquéreur contre le vendeur initial était de nature délictuelle.

Il en résulte que la convention de Bruxelles, plus particulièrement son article 5-1° n'a nullement, selon la CJCE, vocation à s'appliquer aux hypothèses de groupe de contrats internationaux.

Cette affaire précitée a été beaucoup étudiée, commentée et critiquée par des auteurs français puisqu'elle bouleversait la conception française quant à la qualification contractuelle de l'action du sous-acquéreur contre le vendeur fabricant. Cette jurisprudence mérite, en effet, d'être étudiée dans ce propos.

Sans entrer dans le détail, ici, on n'évoque que la position de la CJCE (A.) et les incertitudes de l'arrêt (B.).

A. - La position de la CJCE

Nous examinerons, dans un premier temps, la qualification (1°) opérée par les juges communautaires de l'action directe, avant de cerner les justifications (2°) du refus de la qualification contractuelle de l'action directe.

31 Arrêt préc.

1° Quant à la qualification communautaire de l'action directe

La question est de savoir comment le juge communautaire qualifie l'action du sous-acquéreur.

Une convention internationale doit, autant que possible, être interprétée uniformément, ce qui implique que chacun de ses termes mérite, en principe, d'être compris dans son sens conventionnel. En effet, le texte conventionnel ne peut quant à son interprétation, que se dégager des systèmes nationaux des États membres.

L'objet de la convention de Bruxelles légitime l'interprétation communautaire des règles qu'elle édicte. La qualification ne saurait en effet être recherchée sans illogisme à l'extérieur de l'ordre juridique auquel appartient la règle de compétence qu'il s'agit de faire fonctionner. Les règles de compétence n'émanant pas de l'ordre juridique interne des États contractants, mais de celui formé par la convention elle- même, et plus généralement par le droit communautaire. La lex fori du juge saisi n'est plus sa loi interne, mais la convention qui a seule vocation à lui fournir la qualification dont il a besoin, indépendamment de toute autres données.

Ces considérations semblent être impérieuses lorsque les droits nationaux sont divergents, ce qui est précisément le cas à propos de la notion de la matière contractuelle.

S'agissant plus précisément du concept de la matière contractuelle employé par l'article 5-1° de la convention de Bruxelles, les juges communautaires ont explicitement et à plusieurs reprises pris position en faveur de l'élaboration d'une notion autonome de la matière contractuelle, excluant le renvoi au droit interne de

l'un ou l'autre des États concernés32.

On a pu critiquer l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 28 octobre 198633, dans lequel le juge, considérant l'action en responsabilité intentée par un sous-acquéreur contre le fabricant de marchandises défectueuses comme étant de nature nécessairement contractuelle, approuve la Cour d'appel d'avoir appliqué l'article 5-1° de la convention de Bruxelles à la cause. Si la qualification contractuelle de l'action en cause est certes de droit positif français, est- il pour autant possible d'affirmer que le système et les objectifs de la convention impliquent nécessairement une qualification semblable au plan de la compétence internationale? L'hésitation et les controverses des législations nationales incitent à la prudence et justifient sans aucun doute, par application des articles 2 et 3 de la convention de Bruxelles, un renvoi préjudiciel devant la CJCE.

2° Quant à la justification du refus de qualification contractuelle par la CJCE

Si on examine les motifs précédant la décision de la CJCE dans l'affaire Jakob Handte34, deux arguments paraissent avoir emporté la conviction des juges communautaires.

Premièrement, la notion de matière contractuelle doit être interprétée de façon autonome en se référant principalement au système et aux objectifs de la convention de Bruxelles en vue d'assurer l'application uniforme de celui-ci dans les États contractants, ce qui prohibe une qualification lege fori de la matière pour déterminer si elle est contractuelle. Dans ce cas, la qualification communautaire uniforme conduit à retenir la qualification délictuelle, la position adoptée par le droit français étant, on le sait, relativement isolée.

32 CJCE, 22 mars 1983, aff. 34/82, Peters c/ ZNA V, (point 9 de l'arrêt) : Rev. Crit. DIP 1983, p. 667

33 Cass. 1ère Civ. 28 oct. 1986 : Rev. Crit. DIP 1987, 612 note H. Gaudemet-TALLON

34 Arrêt préc.

Deuxièmement, la CJCE a affirmé que l'application de l'article 5-1° au litige opposant le sous-acquéreur d'une chose au fabricant n'est pas prévisible pour ce dernier. En réalité, le motif ne peut se comprendre qu'au regard de l'observation que « dans la grande majorité des États contractants, la responsabilité du fabricant à l'égard du sous-acquéreur pour vice de la chose vendue est considérée comme n'étant pas de nature contractuelle ». L'imprévisibilité pour ces États, plus exactement pour les défendeurs à l'action domiciliés dans ces États, de l'application en la matière de l'article 5-1° est réelle.

Mais, cet argument paraît réversible puisque l'article 5-1° n'apparaissait pas de nature à déjouer les prévisions du fabricant. Dans ce contexte de chaîne de contrats, l'objet qui sert de base à la demande et dont le lieu d'exécution fonde les compétences du forum contractus ne pouvait s'entendre que de l'obligation assumée par le fabricant envers son propre acheteur, et non d'une obligation de ce fabricant vis-à-vis d'un sous-acquéreur. Deux motifs peuvent justifier cette conclusion. La première résulte du caractère essentiellement dérivé du droit dont dispose le titulaire de l'action directe. Selon la formule de la Cour de cassation35, « l'action exercée par l'acquéreur est celle de son auteur ». Ce caractère a pour corollaire nécessaire que même exercée par le sous-acquéreur, l'action directe contractuelle doit s'articuler dans sa mise en oeuvre autour du contrat passé par le fabricant et prendre appui sur les obligations générées par ce contrat. La seconde raison découle de la technique même de la mise en oeuvre de l'article 5-1°. On sait, en effet, que depuis l'arrêt Tessili du 6 octobre 197636, la détermination du lieu de l'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande s'opère conformément « à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de juridiction saisie ». Appliquée aux chaînes de contrats, la méthode ne peut conduire qu'à la loi régissant l'obligation du fabricant envers son contractant immédiat. Et l'on ne saurait naturellement demander à cette loi de déterminer le lieu d'exécution d'une prétendue obligation qu'assumerait le fabricant vis-à-vis du sous-acquéreur car il se peut fort bien que cette loi demeure

35 Cass. 1ère Civ. 27 juin 1993 « Société Métrologie » : Bull. civ I, n° 45, p. 10

36 JDI 1977, p. 702, obs. J-M Bischoff et A. Huet

attachée au principe de l'effet relatif des contrats et exclue que le fabricant puisse être tenu d'une obligation contractuelle à l'égard de quelqu'un d'autre que son propre acquéreur.

Rappelons que l'article 5-1° prévoit que « le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut être attrait dans un autre Etat contractant (...) » , ce qui exclut donc la compétence, à ce titre, de tout tribunal de l'Etat du défendeur, ici le fabricant. Mais en pratique, il semble que le jeu de cette disposition aurait presque inévitablement conduit au tribunal du lieu du domicile du vendeur intermédiaire. L'argument tiré d'un défaut de prévisibilité perd donc, de ce fait, une partie de sa crédibilité.

Si la CJCE avait insisté sur l'objectif de proximité des juges avec le litige ou sur celui de la concentration des compétences pour une même affaire, l'objectif de « protection juridique des personnes établies dans la communauté », figurant dans le préambule de la convention de Bruxelles, apparaissait davantage en retrait.

B. - L'incertitude de l'arrêt Jakob Handte

La mise à l'écart de l'article 5-1° par la CJCE aurait dû se traduire normalement par la compétence de l'article 5-3°. N'a-t-elle pas dans son arrêt Kelfelis37 affirmé , qu'est délictuelle « toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d'un défendeur, et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle » au sens de l'article 5-1° ? De plus, on peut être surpris que la Cour de justice n'ait pas adopté en leur totalité les conclusions de son Avocat général et ne se soit pas prononcée sur l'article 5-3°.

Le mutisme de la CJCE paraît pouvoir s'interpréter de deux façons : soit les magistrats, se bornant à répondre littéralement à la question posée, ont

37 CJCE, 27 sept. 1988, aff. 189/87, arrêt préc.

implicitement fait référence à la jurisprudence Kelfelis38, auquel cas l'interprète est en droit de déduire l'applicabilité de l'article 5-3° à la cause (1°), soit au contraire, la CJCE a voulu corriger ce que la formule de l'arrêt Kelfelis a de trop catégorique et voulu signifier qu'il fallait en l'espèce, revenir à la règle de principe de l'article 2 de la convention de Bruxelles (2°).

1° L'applicabilité de l'article 5-3°

Rappelons que l'article 5-3° dispose que « le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant (...) en matière délictuelle ou quasi-délictuelle peut être attrait devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ».

Chacun connaît les difficultés auxquelles l'application de cette disposition a donné lieu, dans le cas où l'événement générateur du dommage et le dommage sont survenus dans des endroits différents. Les signataires de la convention n'ayant pas, en effet, cru devoir préciser la notion de « fait dommageable » se sont naturellement posés la question de savoir s'il convient de retenir comme compétent, le tribunal du lieu de l'acte illicite ou au contraire celui du lieu de réalisation du dommage. Les éléments de réponses avancés par des auteurs français ne permettaient pas de répondre avec certitude à l'interrogation. Selon M. HUET, tous les arguments susceptibles d'être présentés en faveur de l'un des éléments de rattachement (lieu de réalisation du dommage ou lieu de survenance du délit) peuvent être retournés et servir d'appui à l'autre. C'est la raison pour laquelle seul un système de cumul des facteurs de rattachement apparaissait juridiquement concevable. La CJCE a, dans son arrêt du 30 novembre 197639, confirmé ce système d'option cumulative. Or, où localiser, en l'espèce, l'un et l'autre événement ?

Dans l'hypothèse de l'action du sous-acquéreur contre le fabricant, si l'on voit le fait générateur dans le manquement à son obligation de fournir des biens de

38 Ibid.

39 Rev. Crit. DIP 1977, p. 568, note P. Bourel

qualité convenue, ce fait générateur sera réputé comme survenu sur le lieu d'exécution de l'obligation de fourniture. Sa localisation obligera donc à un recours à la méthode du conflit de lois.

Quant au lieu de réalisation du dommage, dans des conclusions inspirées de l'arrêt Dumez40, l'Avocat général a situé le dommage non au siège du sous- acquéreur, mais au lieu où le vendeur intermédiaire avait reçu la marchandise. A son avis, seul ce dernier devrait pouvoir être considéré comme la victime immédiate du fait dommageable. Le sous-acquéreur ne serait qu'une victime par ricochet insusceptible à ce titre d'entrer en ligne de compte pour la localisation du dommage. Cette opinion semble, cependant, ne pas convaincre. En effet, en aucune façon, le sous-acquéreur ne paraît devoir être assimilé à une victime souffrant par ricochet du préjudice subi à titre principal et de manière immédiate par un autre que lui. Car, s'interroge-t-on de quel préjudice souffre donc le vendeur intermédiaire ?

La mise en oeuvre de l'article 5-3° ne serait pas exempte de toute hésitation, ce qui fournit sans doute une raison de plus de ne pas recourir à cette disposition.

Pour tout cela, il paraît raisonnable d'attribuer au silence de la CJCE la volonté d'une retraite pure et simple en ce domaine vers l'article 2 de la convention disposant que « sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État. Les personnes qui ne possèdent pas la nationalité de l'État dans lequel elles sont domiciliées y sont soumises aux règles de compétence applicables aux nationaux ».

40 CJCE, 11 janv. 1990 : aff. C 220/88 : JDI 1990, p. 503, obs. J-M. Bischoff ; Rev. crit. DIP 1991, p. 154, note B. Ancel. Par cet arrêt, la Cour de justice a jugé que « le lieu où le fait dommageable s'est produit », au sens de l'article 5-3°, doit s'entendre du lieu où le dommage initial s'est produit à l'exclusion donc de toute prise en considération du préjudice propre subi par la victime par ricochet.

2° L'applicabilité de l'article 2

La solution autoriserait à considérer que la seule juridiction compétente pour connaître l'action directe du demandeur dans l'affaire Jakob Handte41 serait le tribunal allemand du domicile de la société défenderesse (Handte Allemagne).

La solution, qui présente l'avantage appréciable de laisser en quelque sorte en suspens la question du type de responsabilité supportée par le vendeur fabricant à l'égard du sous-acquéreur, et donc de ne pas conventionnellement préjudicier de la nature au fond de cette responsabilité, est certes contradictoire au vue de la logique qui guidait la définition de la matière délictuelle énoncée dans l'arrêt Kelfelis42.

Le domaine d'application de l'article 2 paraît imprécis. La critique est fondée si l'on considère que « le retour pur et simple » à l'article 2 doit intervenir lorsque la nature de la responsabilité est incertaine. L'incertitude varie selon la nationalité du juge saisi. Celui-ci serait-il anglais, ou allemand que l'action du sous-acquéreur contre le fabricant serait pour lui sans aucun doute une action en responsabilité délictuelle entraînant l'applicabilité certaine de l'article 5-3°, tandis qu'il appartiendrait à l'ordre juridictionnel français que la nature de la responsabilité pourrait être considérée comme incertaine, rendant donc l'article 2 seul applicable. De tels résultats seraient évidemment bien peu satisfaisants. Ils ne se produiraient contre le vendeur fabricant initial, lorsque le dommage invoqué est purement économique, relève nécessairement de l'article 2.

Supposons que la solution soit retenue par la CJCE, elle est de nature à placer au premier rang la considération de la nature du groupe de contrats au regard de la compétence conventionnelle. Mais, ce critère de la nature du groupe de contrats n'est pas le critère idéal pour l'applicabilité de l'article 2. En revanche, c'est la nature controversée de la responsabilité en cause qui mérite de l'être. Cette

41 Arrêt préc.

42 Arrêt préc.

responsabilité est, en droit matériel français, certainement contractuelle, alors qu'elle est, dans les droits matériels des autres Etats, certainement délictuelle.

Après avoir examiné le premier chapitre consacré à la détermination de la juridiction compétente, nous allons ensuite développer le second chapitre concernant la détermination de la compétence législative.

CHAPITRE II

LA DETERMINATION DE LA COMPETENCE LEGISLATIVE APPLICABLE

La loi applicable à l'action directe varie selon qu'il s'agit d'une action résultant d'une chaîne de contrats translative (section I) ou d'une action résultant d'une chaîne de contrats non translative (section II).

Section I. - La loi applicable et la chaîne de contrats translative de propriété

Nous discuterons, dans un premier temps, la détermination du rattachement (§1.) de l'action directe contractuelle avant de déterminer par la suite la loi applicable au contrat initial en tant que point de rattachement de l'action directe (§2.).

§ 1. - La détermination du point de rattachement de l'action directe : le contrat initial

Le problème se pose évidemment lorsqu'il y a deux ou plusieurs contrats dans une chaîne internationale de contrats. Deux systèmes juridiques au moins ont vocation à s'appliquer à une action directe d'un maillon final de la chaîne. Dans la chaîne de ventes, quelle est la loi qui doit s'appliquer à l'action du sous-acquéreur contre le fabricant-la loi qui régit le contrat du fabricant et le vendeur intermédiaire ou celle qui régit la convention du vendeur intermédiaire et le sous-acquéreur ?

Selon la logique propre aux chaînes de contrats, le sous-acquéreur ne fait qu'agir sur le fondement du contrat originel et invoque contre le fabricant les droits initialement nés dans le patrimoine du premier acquéreur qui lui revend ensuite la marchandise43. Le débat se concentre donc sur le contrat originel sans qu'interfère le

43 Ass. Plén. 7 fév. 1986 « le maître d'ouvrage comme le sous-acquéreur jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur ».

contrat passé par le sous-acquéreur, ni d'ailleurs un quelque autre contrat dans la chaîne.

En particulier, le fabricant ne pourra se prévaloir de l'ancienne règle de la « double limite » consacrée par la Cour de cassation dans l'hypothèse du groupe de contrats, selon laquelle le titulaire de l'action de ses droits (tels que résultant de son propre contrat) et de l'étendue de l'engagement du débiteur substitué (telle que découlant du contrat passé par celui-ci). Cette règle était transposée en droit international privé. En effet, elle devrait normalement aboutir à soumettre l'action contractuelle directe à la loi du contrat initial.

Si la détermination de la loi applicable à l'action contractuelle directe dépend du contrat initial comme étant point de rattachement, la doctrine n'est pas unanime sur l'admissibilité de ce rattachement de l'action directe. D'après Frédéric Leclerc, préférant une application cumulative des lois régissant les contrats de la chaîne, l'action directe devrait être vouée à l'échec dès lors que la lex contractus d'un des contrats de la chaîne ne l'admet pas44. Or, cette proposition paraît critiquable car elle risque d'aboutir à des résultats peu convaincants en pratique. En effet, dans l'hypothèse d'une chaîne comprenant plis de deux contrats, nous ne voyons pas en vertu de quelle considération, une loi étrangère régissant le contrat intermédiaire qui n'a été conclu ni par le sous-acquéreur (demandeur), ni par le fabricant (défendeur) serait en mesure d'entraver l'admissibilité de l'action directe.

Toutefois, il nous paraît incontestable que le rattachement de l'action directe, quant à son admissibilité dans une chaîne internationale de contrats, dépend exclusivement du mécanisme fonctionnel de l'action directe en droit interne. Transposé en droit international privé, ce mécanisme doit se traduire par le rattachement à la lex contractus du lieu contractuel qui a fait l'objet de l'extension

44 Frédéric Leclerc, « la chaîne de contrats en droit international privé », JDI 1995, p. 310

envers le titulaire. C'est ainsi que seule la loi du contrat conclu par le défendeur de l'action directe a vocation à s'appliquer.

Vincent Heuzé veut également reconnaître au contrat initial de la chaîne une compétence de principe45. En effet, l'action directe contractuelle exercée par le sous- acquéreur à l'encontre du vendeur initial ne pourra être recueillie que si la loi du contrat initial conclu par le fabricant admet le mécanisme de l'extension du lieu contractuel. Notons à ce titre qu'il n'y a que les droits français, belge, et luxembourgeois qui admettent une telle action.

§ 2. - La détermination de la loi applicable au contrat initial en tant que point de rattachement de l'action directe

Si l'action directe contractuelle, quant à la détermination de la loi applicable, dépend du contrat initial, il n'est pas moins important de distinguer deux hypothèses, suivant lesquelles à savoir si le contrat initial est un contrat interne (A) ou un contrat international (B), afin de déterminer la loi applicable au contrat initial.

A. - Le contrat initial à caractère interne

Supposons qu'un individu italien achète, auprès d'un concessionnaire italien installé en Italie, un véhicule automobile. Cet acheteur revend ensuite son véhicule à un Français. Sachant que ce véhicule est atteint d'un vice caché lors de la première vente. L'acheteur final français souhaite porter plainte contre le vendeur initial italien. Quelle est donc la loi compétente pour gouverner le contrat initial en tant que point de rattachement ? La loi italienne est-elle forcément compétente ? D'ailleurs, le vendeur et l'acheteur qui ont la même nationalité italienne peuvent-ils, par leur commun accord, s'entendre de désigner une loi étrangère autre que leur loi nationale ? Le juge saisi doit-il recourir au mécanisme de conflits de lois ?

45 Vincent Heuzé, « la loi applicable aux actions directes dans les groupes de contras », Rev. Crit. DIP 1996, p. 243

Selon Frédéric Leclerc46, si le contrat initial présente un caractère interne (absence d'élément d'extranéité), nul recours au mécanisme de conflits de lois ne s'impose et l'on peut noter avec intérêt que pour une fois, un litige de nature internationale échappe aux mécanismes du droit international privé. De même,

M. JACQUET plaidait dans sa thèse que les contrats internes à rattachements homogènes doivent être soumis à « la loi dans la sphère d'influence naturelle dans laquelle ils se situent et qui est applicable sans intermédiaire d'aucune règle de conflit, car il n'y a, en réalité, pas de conflit ». Mais, cette opinion a été contestée par

M. HEUZE qui affirme que « le jeu de la règle bilatérale de conflit n'est habituellement pas subordonné à la condition que la situation à régir présente un caractère international, qui n'a, au contraire, aucun sens puisque c'est la règle de conflit elle-même qui permet de décider si cette situation doit être réglementée par le droit interne, ou par celui d'un Etat étranger qu'elle détermine précisément »47.

Le même auteur, M. JACQUET, exclut du domaine du principe d'autonomie les situations contractuelles à rattachement homogènes. En effet, le contrat initial se soumet directement, c'est-à-dire sans l'intermédiaire d'une règle de conflit, au droit du pays dont les parties ont la nationalité. En revanche, une règle de rattachement n'a de sens que si, la possibilité d'un rattachement du rapport litigieux à plus d'un système juridique étatique, est constatée. Le contrat interne, qu'il soit du for ou étranger, ne relève ni du principe d'autonomie, ni d'une autre règle de conflits, parce qu'il n'y a pas lieu à son propos de désigner ou de choisir une loi étatique parmi celles qui apparaissent avoir vocation à s'appliquer.

En matière contractuelle, la convention de Rome du 19 juin 1980 dispose dans le paragraphe 3 de l'article 3, consacrant au principe d'autonomie que « le choix par les parties d'une loi étrangère, assorti ou non de celui d'un tribunal étranger, ne peut, lorsque tous les autres éléments de la situation sont localisés au moment de ce choix dans un seul pays, porter atteinte aux dispositions auxquelles la loi de ce pays

46 F. Leclerc, « les chaînes de contrats en droit international privé », JDI 1995, p.243

47 F. Leborgne, L'action en responsabilité dans le groupe de contrats, Renne I, 1995

ne permet pas de déroger par contrat ». En s'appuyant sur cette disposition, la convention de Rome n'autorise-t-elle pas les parties à un contrat interne à effectuer un choix de droit international privé, c'est-à-dire choisir la loi qui régira leur contrat ? M. LAGARDE apporte, très clairement, une réponse affirmative48.

Si la détermination de la loi applicable au contrat initial à caractère interne n'est pas très compliquée, le contrat initial à caractère international, en revanche, rend la situation plus délicate puisque le juge saisi doit recourir, à défaut de choix par les parties, aux mécanismes de droit international privé quant à la détermination de la loi applicable.

B. - Le contrat initial à caractère international

Rappelons que nous sommes dans l'hypothèse de la chaîne translative de propriété et donc l'action contractuelle directe. Le contrat initial est évidemment un contrat de vente. Un contrat international de vente pourrait être régi nécessairement par la convention de la Haye (1°) du 15 juin 1955, portant sur « la loi applicable aux ventes internationales d'objets mobiliers corporels » et par la convention de Viennes (2°) du 11 avril 1980 sur « la vente internationale des marchandises ». Notons que la première convention n'est qu'une convention de droit international privé, c'est-àdire qu'elle sert à déterminer tel ou tel système juridique en cause a vocation à s'appliquer au litige. Alors que la seconde constitue véritablement un droit matériel international qui a vocation à s'appliquer directement au litige.

1° La détermination de la loi applicable au contrat initial international et la convention de la Haye du 15 juin 1995

Dans le cas où le contrat initial de la chaîne est une vente internationale d'un objet mobilier, c'est la convention de la Haye qui, en tant que lex specialis par rapport

48 F. Leborgne, thèse préc.

à la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, a vocation à désigner la loi applicable au contrat initial. A défaut de choix exprimé par les parties de la loi applicable, la convention de la Haye désigne la loi de la résidence habituelle du vendeur au moment où il reçoit la commande (article 3). Par exception, la convention retient la loi de la résidence habituelle de l'acheteur comme étant applicable si la commande y a été reçue par le vendeur ou son représentant. Dans l'esprit des rédacteurs de la convention, le choix de la loi de la résidence a été dicté avant tout par le souci d'éviter les difficultés que fait naître la détermination du lieu de conclusion lorsque, hypothèse très fréquente dans les relation du commerce international, le contrat a été passé entre absents. Le rattachement au lieu d'exécution du contrat est implicitement écarté. Notons également que la notion de la commande est une notion plutôt vague, se situant entre l'entrée en pourparler et l'acceptation ferme et définitive, avec le lieu de déclaration de l'acceptation.

Quant à l'applicabilité de cette convention aux hypothèses de l'action directe, une partie de la doctrine notamment M. VAREILLES-SOMMIERES49 doute que cette convention puisse s' y appliquer, en faisant valoir l'article 5, n°4 selon lequel « la convention ne s'applique pas aux effets de la vente à l'égard de toutes personnes autres que les parties ». Mais, cette idée ne nous semble pas devoir être suivie puisque si la convention n'oblige pas les tribunaux ou l'acheteur à des tiers par application de la lex contractus conventionnelle, elle n'entend pas davantage les en empêcher. Tout dépend, à ce titre, des conceptions nationales. Si l'on prend le cas du droit français, il estime que l'action en responsabilité engagée par le sous-acquéreur contre le vendeur initial est de nature nécessairement contractuelle, déterminée quant à ses conditions d'exercice au fond par la loi régissant le contrat de vente initial. Dans ce cas, l'application du régime de la lex contractus désignée par la convention de la Haye paraît s'imposer.

49 Pascal de Vareilles-Sommières, note sous CJCE, 17 juin 1992 : Rev. Trim. Dr. Eur. 1992, p.709

2° Le droit matériel applicable au contrat initial à caractère international et la convention de Vienne du 11 avril 1980

En parallèle au développement du commerce international, la convention sur la vente internationale de marchandises (CVIM) a vu le jour, dans le but de faciliter le règlement des litiges nés des ventes internationales, en leur apportant une solution plus complète. Elle connaît un succès très important dont témoigne le grand nombre de ratifications50 : près de soixante Etats l'ont ratifiée dont les plus importants.

Si la convention de Vienne s'applique aux contrats de vente internationale tant dans la formation de contrats, que dans leur exécution, un sous-acquéreur peut- il directement agir, sur le fondement contractuel, contre le vendeur initial, lorsque la vente originaire est régie par cette convention ?

Examinant le domaine d'application de la convention de Vienne, on trouve certaines exclusions auxquelles la convention ne s'applique pas. Parmi celles-ci, on retrouve l'exclusion en matière de l'action directe.

L'article 4 de la convention prévoit que ses dispositions ne régissent que « la formation du contrat de vente et les droits et obligations qu'un tel contrat fait naître entre le vendeur et l'acheteur ». La CVIM ne concerne donc pas les relations juridiques qui peuvent être réalisées à l'égard des tiers, mais uniquement les relations inter partes. Cet article est dans le même chemin que l'article 1165 du Code civil français. Il en résulte donc que les tiers ne peuvent invoquer à leur profit les dispositions de la CVIM et, inversement, que les parties ne peuvent non plus envisager son application à des relations engagées avec des tiers. Plus concrètement, dans notre hypothèse, le sous-acquéreur ne peut intenter une action contractuelle

50 « Droit du commerce international », préc.

directe à l'encontre du vendeur fabricant initial si le contrat initial est régi par la convention de Vienne.

Le problème s'est présenté devant la Cour de cassation le 5 janvier 199951, à propos de dommages subis par l'acheteur français d'un produit revendu par l'acquéreur français d'un fournisseur américain. Dans cette affaire, la Haute juridiction a explicitement refusé l'applicabilité de la convention de Vienne à l'action intentée par le sous-acquéreur français contre le fabricant américain sur le fondement d'une garantie contractuelle. La décision de la Cour avait été diversement interprétée. Selon les uns, la Cour de cassation aurait implicitement condamné l'action directe du sous-acquéreur contre le vendeur initial sous l'empire de la convention de Vienne. Selon une seconde analyse, la portée de l'arrêt est strictement limitée à l'hypothèse de la garantie contractuelle qui, en tant que telle, ne relève pas de la convention. La question n'aurait pas été tranchée par la Cour alors que les autres estiment que la convention de Vienne sonne le glas de l'action directe dans la chaîne internationale de contrats. Un autre courant estime que l'action directe est hors du champ d'application de la convention et que rien ne s'opposerait, dans l'hypothèse où le droit national applicable à la vente initiale pour les questions non couvertes par la CVIM, autorisait le sous-acquéreur à agir directement contre le vendeur initial sur un fondement contractuel, à ce que le juge applique la convention de Vienne à cette action.

Après avoir déterminé la loi applicable à l'action directe dans une chaîne de contrats translative, nous allons, ultérieurement, essayer d'en déterminer pour une chaîne de contrats non translative.

51 Cass. 1ère civ, 5 jan. 1999 : Contrats, conc., consom. 1999, n°53, obs. L. Leveneur ; D.1999, 383, note Cl. WITZ ; Rev. Crit. DIP 1999, p.519, note V. Heuzé

Section II. - La loi applicable et la chaîne de contrats non translative de propriété

Dans la chaîne non translative de propriété, l'action directe du maillon final de la chaîne à l'encontre du maillon initial est nécessairement de nature délictuelle. Le juge français, lorsqu'il est saisi d'une action directe, qualifiera de délictuelle l'action d'un demandeur qui ne pourrait pas démontrer qu'il est partie à un contrat passé par le défendeur, duquel découle le litige. Tel est, par exemple, dans l'opération de sous-traitance internationale, l'action en responsabilité du maître d'ouvrage contre le sous-traitant.

Ici, il nous convient d'aborder deux paragraphes : l'un consacré à la détermination de la loi applicable et la considération générale et l'autre consacré à la détermination de la loi applicable et la considération hypothétique.

§ 1. - La détermination de la loi applicable et la considération générale

Si, en droit positif, la responsabilité délictuelle se rattache à la loi du lieu où le délit a été commis (A), la mise en oeuvre de cette loi connaît des difficultés particulières (B).

A. - La détermination du rattachement : compétence de la lex loci delicti

En matière délictuelle, on se dégage en faveur de l'application de la loi du lieu où le délit a été commis (lex loci delicti) ou la loi du lieu de survenance, ce qui correspond à la solution traditionnelle en jurisprudence et en doctrine depuis le

Moyen Age. La solution a été consacrée par l'arrêt Lautour52 de la Cour de cassation. La Haute juridiction a décidé que « en droit international privé, la loi territoriale compétente pour régir la responsabilité civile extra-contractuelle de la personne qui a l'usage, le contrôle et la direction d'une chose, est la loi du lieu où la délit a été commis ».

La référence faite par la jurisprudence française à la lex loci delicti n'empêche pas qu'un certain rôle soit dévolu à la volonté privée en matière de responsabilité civile. Le caractère traditionnellement impératif des règles internes relatives à la responsabilité délictuelle, exclusif de toute convention entre les parties, ne concerne que « les accords qui interviennent en vue d'une responsabilité extra-contractuelle à venir »53 , et non pas ceux qui seraient conclus postérieurement à l'événement dommageable.

La lex loci delicti est le seul rattachement neutre, en l'absence de raison déterminante de choisir la loi de la victime plutôt que celle de l'auteur, ou l'inverse. Les conséquences des délits et quasi-délits intéressent l'Etat sur le territoire duquel ils sont commis. Le rattachement des délits à la loi du lieu de leur survenance répond à l'intérêt de l'Etat, qui est de préserver le bon ordre sur leur territoire.

Si le rattachement à la lex loci delicti qui est compétente en matière de responsabilité délictuelle, devient le principe en droit positif, sa mise en oeuvre connaît des difficultés particulières.

B. - La mise en oeuvre de la lex loci delicti

Des problèmes de la mise en oeuvre de la lex loci delicti se dédoublent : celui de l'ineffectivité du rattachement (1°), et celui de la dissociation géographique des éléments matériels du délit (2°).

52 Cass. civ, 25 mai 1984 : Rev. Crit. DIP 1949, p.89, note H. Batiffol ;

53 H. Batiffol, note sous Cass. 1ère civ, 19 avril 1988, Rev. Crit. DIP 1989, p.68

1° Le premier problème : l'ineffectivité du rattachement

L'essence de la règle de conflit est de cristalliser, dans le rattachement choisi, l'élément propre à désigner dans tous les cas la loi à laquelle la situation est reliée par les liens les plus étroits ou significatifs. Or, le locus delicti ne satisfait pas toujours cet objectif : alors même que les éléments matériels du délit sont situés dans le ressort d'une loi donnée, il arrive que la localisation qui en résulte n'apparaisse pas convaincante au regard de l'ensemble des circonstances. C'est la raison pour laquelle cette règle de conflit traditionnelle est critiquée, notamment, par la doctrine anglo-saxonne.

Au fur à mesure, cette méthode du rattachement a vocation à être abandonnée, au profit du principe de proximité, qui vient de la conception américaine « méthode de proper law ». L'idée est de chercher une loi étatique, qui est estimée la plus étroitement liée à la cause. On va prendre en considération des rattachements personnels communs des parties, notamment le rattachement de domicile habituel.

2° Le seconde problème : la dissociation géographique des éléments matériels du délit

En justifiant le rattachement à la lex loci delicti par l'attente des intéressés, on considère implicitement que tous les éléments matériels du délit sont situés dans un même ressort unique. Or, tel n'est pas nécessairement le cas. Il peut bien arriver que le dommage et le fait générateur puissent survenir dans des ressorts des Etats différents.

Cette hypothèse a longtemps pu être considérée comme exceptionnelle, parce que dans les cas traditionnels de responsabilité civile, le fait générateur et le dommage immédiat étaient localisés dans le ressort d'une même loi. Dans cette

hypothèse, va-t-on retenir la loi du lieu où le fait dommageable s'est produit ou celle du lieu où le dommage a été survenu ?

La méthode de la règle de conflit veut que la difficulté présentée soit résolue en précisant le rattachement retenu dans l'hypothèse complexe. Pour s'en tenir d'abord au cas tranché où le dommage, d'une part, l'acte générateur, de l'autre, sont intervenus chacun dans des Etats différents, il y aurait lieu de choisir à titre général l'un de ces deux rattachements. Notons à cet égard qu'en cas de dommage unique même, il peut y avoir hésitation sur la définition du lieu du dommage lorsque celui-ci se prolonge : subi en un lieu donné, ses conséquences se font sentir en un ou d'autres lieux.

En faveur du fait générateur, c'est-à-dire du lieu où le défendeur agissait, on fait valoir l'injustice qu'il y aurait de faire peser sur lui une responsabilité qu'il n'avait pas de raison d'envisager, ainsi que le caractère préventif, parfois même encore punitif, de la responsabilité civile. Mais, en adoptant ce rattachement, on permet à une personne de placer délibérément ses activités en un lieu dont la législation lui est favorable, sachant que celle-ci sont destinées à produire effet ailleurs.

En faveur du lieu du dommage, on fait valoir qu'une personne doit normalement pouvoir compter sur la protection en vigueur dans le lieu où elle se trouve lorsqu'elle est atteinte, que la responsabilité civile a en droit moderne une fonction avant tout réparatrice et que c'est par le dommage qu'est constitué le droit à réparation. Mais aussi, il peut paraître anormal que le défendeur soit tenu en application de la loi du milieu de la victime dans des cas où il n'avait aucune raison de prévoir l'intervention de cette loi.

En fait, les deux rattachements envisagés opposent l'attente respective des parties en présence. Un moyen de satisfaire l'une et l'autre serait l'application cumulative des deux lois. Mais, elle fait sans doute la part trop belle à l'auteur de l'acte. On a plus souvent proposé l'application alternative de l'une et de l'autre loi,

cela constitue inversement pour lui une faveur discutable. Il conviendrait plutôt dans ce cas que le choix soit opéré par le juge, notamment en fonction de la légitimité respective des attentes des parties.

L'extrême difficulté d'un choix général se traduit dans la diversité des législations qui ont envisagé la question : la loi de l'acte générateur54 , la loi du dommage55. D'autres placent les deux rattachements sur le même pied56 ou offrent le choix au demandeur57 ou désignent la loi la plus favorable à la personne lésée58. Ces facteurs peuvent encore être combinés de différentes manières59.

Face à ces difficultés de choisir un rattachement prédéterminé valable pour tous les cas complexes, une résolution de l'Institut de droit international adoptée en 1969, après avoir posé le principe du rattachement des délits à la lex loci delicti, ajoutait que « un délit est considéré avoir été commis dans le lieu auquel la situation est la plus étroitement liée, eu égard à tous les faits reliant le délit à un lieu donné, depuis le commencement du comportement délictuel jusqu'à la réalisation du préjudice »60. Mais, une telle formule ne fait que réénoncer la directive qui préside à la solution de tout conflit de lois. Elle n'est pas propre à assurer la prévisibilité que l'on attend d'une règle de conflit.

54 Code civil portugais de 1966, art. 45.1 ; loi autrichienne du 15 juin 1978, art. 48

55 Loi turque de 1982, art. 25.2 ; loi du Royaume-Uni de 1955 ; loi néerlandaise sur le conflit de lois en matière d'acte illicite.

56 Loi tchécoslovaque de 1963, art. 15

57 Loi italienne de 1955, art. 62 ; loi allemande de 1999, art. 40 EGBGB.

58 Décret-loi hongrois de 1979, art. 32 ; loi yougoslave de 1982, art. 28

59 La loi suisse de 1987 (art. 133.2) et le Code civil du Québec (art. 3126) désignent la loi du fait générateur ; mais la loi du dommage s'applique si l'auteur devait prévoir l'effet produit ; V. aussi la loi péruvienne (Code civil de 1984, art. 2079)

60 RC 1970.152. La loi du Royaume-Uni de 1955 désigne, lorsque les événements constituant le délit se sont produits en différents pays (et tout en formulant certaines règles plus précisés), la loi du pays où les éléments les plus significatifs se sont produits (sec. 11, 2, c.).

§ 2. - La détermination de la loi applicable et la considération

hypothétique : l'exemple de sous-traitance internationale

On prend le cas de l'action directe en responsabilité exercée par le maître d'ouvrage à l'encontre du sous-traitant.

La question se pose à savoir si la demande doit être placée sur le terrain délictuel ou contractuel. Pour en savoir, on revient donc à la lex fori, loi de la qualification. Il est certain que quelle que soit l'identité du demandeur, l'action ne peut être qualifiée que de contractuelle, dès lors qu'elle tend à la sanction d'un manquement du défendeur aux obligations nées pour lui d'un contrat. Et cette conclusion est d'autant plus assurée que se rallier ici aux critères du droit civil français et, en conséquence, décider que les recours des tiers sont de nature délictuelle pourrait parfois conduire à des résultats aberrants puisque l'on aboutirait à apprécier la responsabilité du défendeur par application d'une loi, la lex loci delicti, qui pourrait concevoir les obligations de celui-ci d'une manière très différente de celle qui régit le contrat conclu par lui.

On sait que l'article 14-1 de la loi française du 31 décembre 1975 impose au maître d'ouvrage qui a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant, de mettre en demeure l'entrepreneur principal, de soumettre les conditions de paiement de celui-ci à son agrément et, aucun contrat n'unissant à ce sous-traitant le maître d'ouvrage. La jurisprudence qualifie de délictuelle la violation, par ce dernier, d'une telle obligation, lorsqu'elle est invoquée par le second.

Mais, il est évident que retenir la même analyse pour la mise en oeuvre des règles de droit international privé serait une absurdité : elle aboutirait à refuser, par application de la loi étrangère du lieu du délit, toute indemnisation pour la perte du bénéfice de l'action directe que la loi française du contrat principal, compétente pour régir celle-ci, offrait au sous-traitant, tant dis qu'inversement, elle conduirait à

condamner, en vertu de la loi française du délit, un maître d'ouvrage que la loi étrangère du contrat principal n'obligerait en rien à faire agréer le sous-traitant, faute d'accorder une quelconque action directe à celui-ci. Aussi bien, il ne paraît pas douteux que quelle que soit l'identité de la victime, la responsabilité doit être qualifiée de contractuelle, au sens du droit international privé, lorsqu'elle tend à la réparation d'un dommage résultant de la violation d'une obligation contractuelle et que la loi applicable à cette responsabilité est celle qui régit le contrat duquel découle l'obligation en question. Il faut en déduire que toutes les actions directes en indemnisation exercée entre le maître d'ouvrage et le sous-traitant, dès lors qu'elles sont fondées sur la violation des obligations nées du contrat auquel le défendeur est partie, relèvent de la seule compétence de la loi gouvernant ce contrat.

CONCLUSION

Après avoir évoqué, tout au long du développement de ce mémoire, l'explication sur la détermination du régime juridique de l'action directe, contractuelle ou délictuelle, il est démontré que l'admissibilité ou la reconnaissance de la part des différents systèmes juridiques étatiques, de l'action directe contractuelle est très controversée, ce qui suscite des difficultés et conduit à des obstacles pour déterminer les régimes juridiques applicables ( la loi applicable et la juridiction compétente) à une telle action. Est admise en droit français, une action en responsabilité contractuelle (d'un sous-acquéreur à l'encontre d'un fabricant) n'a pas son champ d'application, notamment, en droit italien.

Il est bien dommage qu'au prétexte d'une pareille lecture du principe de l'effet relatif des contrats, les groupes de contrats puissent être niés alors qu'ils correspondent, dans chaque Etat et au-delà de chacun d'entre eux , à une réalité économique qui mérite d'être connue.

De façon plus pragmatique, il est logique que la victime puisse agir contre son débiteur immédiat, mais aussi contre celui par la faute duquel elle a subi un préjudice. Il faut garder à l'esprit que la victime n'éprouve un dommage qu'en raison de l'inexécution par le débiteur de son débiteur de son obligation contractuelle. Il serait d'autant plus anormal de lui interdire l'action directe que le fabricant initial est parfois plus solvable que le vendeur intermédiaire.

D'un point de vue pratique, la qualification contractuelle de l'action directe permettrait d'éviter la cascade de recours en garantie sans intérêt pour les vendeurs intermédiaires et de nature à encombrer inutilement les juridictions.

Pour toutes ces raisons présentées, et afin d'éviter toute difficulté quant à la détermination de la loi applicable et la juridiction internationalement compétente, nous proposons, à l'avenir, à la communauté internationale, d'harmoniser leurs

systèmes juridiques, et d'adopter une « loi uniforme à dimension mondiale » sur les régimes juridiques de l'action directe contractuelle, en reconnaissant la notion de chaîne ou de groupe de contrats internationaux, qui est une réalité pratique économique des opérateurs du commerce international.

Pourtant, le travail d'harmonisation des systèmes juridiques est une tâche tellement lourde et compliquée, parce qu'il demande aux Etats concernés de réformer leur règle juridique et d'abandonner une partie de leur souveraineté. De plus, il est difficile de concilier ces systèmes juridiques si ces Etats ont des cultures juridiques différentes. De même, l'obstacle qui pèse sur le développement de loi uniforme, concerne le problème linguistique : quelle langue doit être choisie pour la rédaction de loi uniforme ?

Si la loi uniforme est nécessaire, son importance se voit réduite lorsqu'elle est élaborée pour une matière déterminée ; cela a pour effet de ralentir le développement de loi uniforme.

L'avenir de loi uniforme, notamment celle consacrée aux régimes applicables au groupe de contrats, dépend de la volonté de tous les Etats qui se présentent sur la scène du commerce internationale, de bien vouloir mettre fin à tous les obstacles présentés.






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