INTRODUCTION
Le commerce international a une importance stratégique
dans le fonctionnement de l'économie mondiale et porte sur un volume de
transactions de plus en plus élevé. Selon le rapport sur «
le commerce mondial » de l'Organisation Mondiale du Commerce, la valeur
des échanges internationaux de marchandises dans le monde en 2002
atteignait 6 240 milliards de dollars pour les exportations1.
Lorsque les relations d'affaires internationales sont
coûteuses et aléatoires, il y aura certainement des litiges
naissant de leur rapport contractuel. Si le conflit ne met en cause que deux
partenaires commerciaux, il paraît assez simple pour le juge saisi de
trancher l'affaire en cause. Mais, en réalité, sur la
scène internationale, plusieurs opérateurs économiques,
souvent, coopèrent entre eux pour réaliser une opération
économique internationale. Tant que chacun est lié par un
contrat, cette coopération forme un groupe ou une chaîne de
contrats qui sert à atteindre un objectif économique
déterminé. A titre d'exemple, dans l'opération de
sous-traitance internationale, le groupe de contrats se compose de deux
contrats : l'un passé par le maître d'ouvrage et l'entrepreneur
principal et l'autre conclu par ce dernier et le sous-traitant. Supposons que
le sous-traitant n'a pas bien exécuté ses obligations, et que le
maître d'ouvrage intentait une action en responsabilité contre
celui-ci, le juge saisi face à des difficultés quant à la
détermination des régimes applicables à une telle action
directe. A priori, il doit qualifier si cette action est contractuelle ou
délictuelle.
Les groupes de contrats internationaux peuvent être
analysés comme une succession de contrats débordant le cadre des
frontières nationales. La plupart des droits, trop attachés au
principe de l'effet relatif des contrats, refusent d'admettre la
réalité de groupes de contrats. Notons qu'il n'y a que le droit
français, belge et luxembourgeois qui reconnaît une chaîne
de contrat. En droit français, une action directe d'un
sous-acquéreur contre un fabricant est qualifiée de
contractuelle. Pourtant, les autres systèmes juridiques dans la
communauté internationale
1 OMC, Rapport sur le commerce mondial, 2003,
p. 13
qualifient une telle action de délictuelle.
En l'absence de reconnaissance d'une chaîne de contrats,
le sous-acquéreur agit contre le cocontractant immédiat,
c'est-à-dire le vendeur intermédiaire. Le vendeur fabricant
n'échappe pas à toute responsabilité, puisqu'il fera, le
plus souvent, l'objet d'une action récursoire ou d'une demande en
intervention de la part du débiteur intermédiaire. Ces actions
contractuelles ne suscitent pas de difficultés particulières en
droit international : l'action contre le vendeur intermédiaire
relève de la loi du contrat conclu entre ce dernier et le
sous-acquéreur ; l'action récursoire relève de la loi du
contrat qui lie le vendeur intermédiaire au fabricant2.
Si l'on reconnaît, au contraire, l'existence d'une
chaîne de contrats, le sous- acquéreur peut exercer une action
directe à l'encontre du fabricant, contractant extrême de la
chaîne. Une telle action donne au demandeur un intérêt
majeur de pouvoir engager la responsabilité du défendeur sur le
plan contractuel et non sur le plan délictuel. Ces deux qualifications
produisent des conséquences juridiques importantes puisque la
responsabilité contractuelle peut être engagée du seul fait
de l'inexécution d'une obligation contractuelle, alors que la
responsabilité délictuelle suppose, en principe, l'existence et
la preuve d'une faute. D'ailleurs, les clauses limitatives de
responsabilité ou attributives de juridiction ne sont opposables que
dans le cadre d'une action contractuelle. Ainsi, par cette extension du contrat
initial de la chaîne en faveur du titulaire de l'action, on
confère à ce dernier la possibilité d'agir contre le
contractant responsable, et parfois le plus solvable.
Lorsque le juge français est saisi par une action
directe à caractère international, il devra alors, afin de
vérifier s'il est compétent pour connaître l'affaire,
déterminer la juridiction compétente (chapitre I) en
l'espèce. S'il se déclare compétent, il doit ensuite
déterminer le système juridique applicable à cette action
directe (chapitre II).
2 Cass. 1ère civ, 4 oct. 1989 : D.
1990, p. 266, obs. B. Audit; Rev. crit. DIP 1990, p. 316, note P.
Lagarde
CHAPITRE I
LA DETERMINATION DE LA COMPETENCE INTERNATIONALE
JUDICIAIRE EN CAS D'ACTION DIRECTE
Pour vérifier sa compétence, au cas où il
y a une action directe, le juge saisi peut le faire selon deux
possibilités : soit il utilise, pour ce faire, sa propre règle
conflictuelle de juridiction (section I), soit il se réfère aux
règles conventionnelles de compétence judicaire (section II).
Section I. - La compétence internationale
judiciaire à l'épreuve des règles conflictuelles de
juridictions compétentes
Il convient de distinguer deux cas : le premier concernant
l'hypothèse où il n'y a aucune clause attributive de
compétence dans la chaîne de contrats (§1.) et le second
concernant l'hypothèse où il y a une ou plusieurs clauses
attributives de compétence insérées à la
chaîne de contrats (§2.).
§ 1. - Au cas où il n'y aucune clause
attributive de compétence dans la chaîne de contrats
La juridiction compétente en cas de l'action directe
varie selon qu'il s'agit d'une chaîne de contrats translative de
propriété (A.) ou d'une chaîne de contrats non translative
de propriété (B.).
A. - L'hypothèse de la chaîne de contrats
translative de propriété
Un contrat est qualifié de translatif lorsqu'il procure un
effet translatif de propriété de la chose objet de contrat.
Autrement dit, il a pour effet de transférer la
propriété d'une chose. C'est bien le cas du
contrat de vente. En effet, le vendeur doit transmettre sa
propriété sur le bien vendu à son acquéreur. Mais,
il faut noter aussi qu'il peut retarder la date du transfert de
propriété, par le biais de la clause de réserve de
propriété qui permet au vendeur de conserver son titre de
propriétaire du bien jusqu'au paiement complet du prix par
l'acheteur.
Quant à la chaîne composant des contrats
translatifs de propriété, cela suppose tout d'abord de comprendre
ce qu'est la chaîne de contrats. Elle est un ensemble ou un groupe de
contrats qui sont faits par des différentes parties contractantes. En
commerce international, les opérateurs économiques, afin de
réaliser une opération économique assez importante,
contractent avec beaucoup d'autres opérateurs. Plusieurs contrats sont
donc formés au tour de cette opération. Ces conventions servent
toutes pour achever un objectif économique donné. Et ils
constituent alors un groupe de contrats. Il n'est pas nécessaire que
chacun de ces contrats ait la même nature juridique. Une chaîne de
contrat ne se compose pas forcément de tous les contrats de vente. En
revanche, si la chaîne contient tous les contrats de vente successive,
elle est donc appelée la chaîne translative de
propriété.
Dans l'hypothèse où le juge français est
saisi par une action de sous acquéreur contre le fabricant vendeur
initial, il va a priori examiner si cette action relève de la
matière contractuelle ou pas, afin de mettre en oeuvre ses règles
conflictuelles de juridiction compétente.
Le plus souvent, l'action du sous-acquéreur est une
action en garantie, en cas de non conformité de la chose vendue. Elle
peut être aussi une action en responsabilité en cas de
défectuosité du produit vendu. Ici, on n'aborde que la
première catégorie d'actions, alors que l'on étudiera
ultérieurement la deuxième catégorie d'actions.
Par l'arrêt de principe de l'Assemblée
plénière de la Cour de cassation du 12 juillet
1991, le juge revient à la solution antérieure retenue par
l'Assemblée plénière du 7 février 1986 qui a admis
la qualification contractuelle de l'action directe existant dans toutes les
chaînes de contrats translatives de propriété. En effet,
l'action contractuelle est, selon la Haute juridiction, transmise
accessoirement à la chose. Les juges ont retenu que le
sous-acquéreur jouit de tous les droits et actions attachés
à la chose qui appartenait à son auteur. Le vendeur
intermédiaire a une action de nature contractuelle contre le fabricant.
En effet, le sous-acquéreur bénéficie de même cette
action contre le fabricant.
Cette solution devenait le droit positif français.
Ainsi, lorsque le juge français opère la qualification lege
fori de l'action directe, il va la qualifier selon les conceptions
retenues en son propre droit.
Lorsque l'action directe du sous-acquéreur est de
nature contractuelle, il a certains choix en ce qui concerne la
compétence du juge qui va connaître son action. Qualifié de
contractuelle par le juge français (juge du for), l'action directe
exercée au sein d'un groupe de contrats sera soumise à l'article
46 du Nouveau Code de Procédure Civile (NCPC), selon lequel « le
demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu
où demeure le défendeur, la juridiction du lieu de la livraison
effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de
service ».
Si le premier choix de compétence - la
compétence du tribunal de domicile du défendeur - ne suscite
aucune difficulté dans la mesure où la personne du
défendeur (le fabricant vendeur initial) reste identique, quelle que
soit la personne du demandeur, il n'en va pas de même pour deux autres
alternatives juridictionnelles offertes à ce dernier.
Si l'on est dans l'hypothèse classique d'un contrat de
vente, il n'y a pas de difficulté particulière quant à la
mise en oeuvre de choix de compétence du juge. Ici, la difficulté
de la mise en oeuvre de l'option juridictionnelle repose sur la
présence de deux (au moins) contrats de vente. En
effet, le choix est double, c'est-à- dire que les deux lieux
différents de la livraison effective ou les deux lieux de
l'exécution de prestation caractéristique peuvent être mise
en cause. On peut se demander lequel sera pris en considération. Va-t-on
tenir compte du lieu de la livraison effective par le fabricant vendeur
originel ou celui de la livraison effective par le vendeur
intermédiaire?
La considération que le « qualificatif effectif
» traduit la volonté du législateur de retenir comme
critère de compétence territoriale, le lieu de livraison
où le demandeur a pu effectivement se rendre compte des malfaçons
dont le produit en cause est affecté, pourrait conduire l'observateur
à opter pour le lieu de la seconde livraison, c'est-à-dire le
lieu où la livraison résultant du second contrat est
intervenue.
La solution ne semble, cependant, pas devoir être
retenue. Outre le fait que l'appel à la volonté du
législateur n'a pas de grande signification dans l'hypothèse
considérée, la solution méconnaît le fondement
juridique de la nature contractuelle de l'action directe reconnue dans cette
hypothèse. La notion d'accessoire, énoncée comme le
fondement explicatif de la nature contractuelle de l'action, implique en effet
que celle-ci doit être analysée comme mettant en oeuvre un droit
dérivé. Le droit substantiel que vise à mettre en oeuvre
l'action est celui là. Il pénètre dans le patrimoine du
sous-acquéreur tel qu'il est juridiquement et judiciairement
organisé par la convention initiale. Appliquée à la
question particulière de la compétence territoriale,
l'observation invite à considérer que l'action contractuelle du
sous- acquéreur contre le fabricant doit être intentée, en
application de l'article 46 du NCPC, devant le tribunal du lieu où le
défendeur devait exécuter son obligation à l'égard
de l'acquéreur originel (vendeur intermédiaire). Ce n'est en
conséquence, que dans l'hypothèse où le fabricant se
serait engagé envers l'acquéreur originel à livrer le
produit directement chez le sous-acquéreur, que le tribunal du domicile
de ce dernier pourrait être compétent. Dans les autres cas, la
transmission implique que le sous-acquéreur peut seulement saisir, au
lieu du tribunal du domicile du fabricant,
celui du domicile de l'acquéreur originel, si la livraison
s'est effectivement exécutée chez celui-ci, et non pas chez le
fabricant.
B. - L'hypothèse de la chaîne de contrats non
translative de propriété
Contrairement à la chaîne translative de
propriété, la chaîne non translative ne comporte aucun
contrat translatif, c'est-à-dire aucun contrat de vente dans la
chaîne.
Qualifiée par le juge français saisi de
délictuelle, c'est-à-dire exercée au sein de la
chaîne non translative de propriété, l'action en
responsabilité du créancier final contre le débiteur de
son débiteur relèvera, aux termes de l'article 46, alinéas
1 et 3 du NCPC, au choix du demandeur, soit de la juridiction du lieu où
demeure le défendeur, soit de la juridiction dans le ressort de laquelle
le dommage a été subi. L'application de l'option juridictionnelle
à l'hypothèse des groupes de contrats suppose d'abord que soient
précisés les termes de l'option.
Après l'entrée en vigueur du NCPC, l'article 46,
alinéa 3, dans sa rédaction originelle, permettait au demandeur
de saisir, outre le tribunal du domicile du défendeur, la juridiction du
lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage est
subi.
Si la localisation du lieu du domicile du défendeur ne
pose pas de problème particulier, il n'en va pas de même pour les
deux derniers chefs de compétence énoncés, à savoir
le tribunal du lieu de réalisation du dommage et le tribunal du lieu du
fait dommageable. La détermination du lieu de réalisation du
dommage est en effet susceptible de causer quelques difficultés, que le
dommage invoqué au soutien de l'action soit authentiquement
délictuel, ou au contraire purement contractuel.
Dans cette dernière hypothèse où le
préjudice subi s'identifie uniquement à la perte
financière dont le bien (ou le service) non conforme ou vicié est
frappé, le tribunal du lieu du domicile de la victime, qui est pris en
qualité de lieu fictif de situation du patrimoine de celle-ci,
semblerait compétent.
Lorsque le dommage invoqué est délictuel,
c'est-à-dire s'identifie à une atteinte effective à la
sécurité des personnes ou des biens, on peut considérer
que le tribunal du lieu de réalisation du dommage est celui du lieu
où la sécurité de la personne, ou de ses biens, s'est
trouvée effectivement atteinte. S'agissant d'une atteinte à la
sécurité d'un bien, le tribunal internationalement
compétent pour connaître de l'action, au titre du tribunal du lieu
de survenance du dommage, sera celui du lieu où le bien a
été endommagé.
S'agissant, en revanche, d'une atteinte à la
sécurité de personne, le tribunal du lieu où cette
personne est décédée ou a été blessée
sera compétent. À ce titre, s'il est aisé de
déterminer le lieu du décès de la victime, le lieu
où elle est blessée est, en revanche, plus difficile à
localiser, lorsque le dommage est cumulatif, c'est-à-dire qu'il se
déploie sur plusieurs États. Par exemple, la victime commence
à se sentir malade dans un pays X et tombe définitivement malade
dans un pays Y.
De plus, les difficultés suscitées par la
détermination du lieu du fait dommageable ne sont pas moins importantes.
La faute invoquée au soutien d'une action en responsabilité
délictuelle exercée au sein d'un groupe de contrats, peut en
effet correspondre, soit à la violation par le défendeur du
devoir général de ne pas fabriquer ou de ne pas commercialiser un
produit dangereux, soit à la méconnaissance de l'obligation
purement contractuelle de délivrer un produit conforme ou non
vicié.
On peut donc estimer que le lieu de la commission de faute ayant
entraîné le
dommage 3 est celui où le produit en cause a
été fabriqué. Le fait dommageable n'est pas, à
proprement parler, la fourniture d'un produit ou d'une absence d'information
(par exemple, le manquement d'information sur le mode d'utilisation).
D'ailleurs, elle s'avère délicate à mettre en oeuvre en
raison de l'internationalisation fréquente du processus de fabrication.
Si on reprend, par exemple, les faits ayant donné lieu à la
décision rendue par la première chambre civile de la Cour de
cassation le 21 juin 19 884, la vanne dont la
défectuosité a été à l'origine du dommage
subi par l'avion peut être composée de plusieurs
éléments, dont l'un est fabriqué dans un pays X et l'autre
dans un pays Y. Faudrait-il retenir, au titre de tribunal du lieu du fait
dommageable, le tribunal de l'Etat X et le tribunal de l'Etat Y? On
multiplierait de la sorte les juridictions compétentes. Mais à
l'inverse, la détermination de l'élément défectueux
qui se situe véritablement à l'origine du dommage, dont le lieu
de fabrication, indiquerait le tribunal du lieu du fait dommageable,
soulèvera des difficultés importantes, voire inextricables, de
preuve.
Sur le fondement de la formulation anglaise traditionnelle qui
se demande « où en substance, la cause de l'action
délictuelle se produit, ou quel est le lieu avec lequel le délit
est le plus étroitement lié », M. FANCETT a proposé
de retenir, du titre du fait dommageable, le lieu de la mise en circulation du
produit. Encore faut-il noter que ce lieu n'est pas toujours fait à
déterminer lorsque le produit litigieux ayant fait l'objet par
hypothèse, de plusieurs transactions avant de causer un dommage.
La juridiction compétente pour connaître l'action
directe en cause peut être différente de celle que l'on a
invoqué ci-dessus au cas où les parties contractantes
prévoient des clauses attributives de compétence pour
régir des litiges éventuels et potentiels qui naîtront de
leur contrat.
3Cass., 2 civ, 24 fév. 1982 : Gaz.
Pal. 1982.2.374 note J. VIATTE
ème
4 Cass., 1ère civ, 21 juin 1988 : D.
1989.5.5 note C. LARROUMET; JCP 1988. II. 21125 note P.
JOURDAIN
Lorsqu'il y a une clause attributive de compétence
insérée dans la chaîne de contrats, le juge saisi va
vérifier sa compétence sous l'empire de cette clause.
§ 2. - Au cas où il y a une ou plusieurs clauses
attributives de compétence dans la chaîne de contrats
On se trouve bien dans l'hypothèse où le
sous-acquéreur, plus généralement le dernier maillon d'un
groupe de contrats, décide d'exercer une action directe contre le
fabricant, le premier maillon, et saisit pour ce faire, sur le fondement d'une
règle de compétence internationale légale, les tribunaux
français. Le défendeur oppose alors à cette
compétence l'existence d'une clause attributive de compétence (A)
- une clause attributive de juridiction ou une clause compromissoire. Il peut
aussi arriver, dans une autre situation, que le maillon intermédiaire et
le dernier maillon prévoient une clause attributive de compétence
(B). Que se passe-t-il lorsque le dernier maillon assigne directement contre le
maillon initial?
La première situation est beaucoup plus
fréquente. Dans cette circonstance, si l'opposabilité de la
clause dans le cadre d'une chaîne non translative de
propriété semble être écartée, il ne
paraît pas en revanche devoir éliminer le jeu de cette clause,
lorsque la chaîne considérée est translative de
propriété. Dans ce dernier cas, le demandeur, lorsqu'il agit en
responsabilité contre le défendeur, met en oeuvre un droit
dérivé. L'insertion d'une clause attributive de compétence
de juridiction ou d'une clause compromissoire dans le contrat initial,
paraît en effet devoir être prise en compte et exercer une
influence sur la compétence internationale judiciaire.
A. L'insertion de la clause attributive de compétence
dans le rapport contractuel initial
La clause de compétence semble devoir rayonner sans trop
de difficultés vers l'aval de la chaîne de contrats. Rien ne
s'oppose a priori à ce que cette clause puisse
être transmise au gré d'opérations
successives, que ce soit par l'effet de la loi ou de la convention des parties.
La jurisprudence en atteste d'ailleurs suffisamment. Parmi de nombreux
exemples, notons que la clause attributive de compétence figurant sur le
connaissement est réputée transmise au tiers porteur de ce
document5, que le cessionnaire d'un contrat ou d'une simple
créance est lié par la clause compromissoire qui y est
attaché6, et plus intéressant encore, que la clause
attributive de compétence stipulée dans le contrat de vente
passé entre le fabricant et le vendeur intermédiaire est
opposable au maître de l'ouvrage7. Mais ce ne sont là
que les solutions du droit français, lesquelles ne s'imposeront pas
forcément dans le contexte d'une chaîne internationale de
contrats, où la concurrence d'autres normes peut se manifester. Il
importe donc d'identifier parmi les ordres juridiques en concours, celui dont
la compétence s'impose pour décider de l'éventuel
rayonnement de la clause de compétence.
Une distinction doit ici être marquée entre les
clauses d'élection de for (clause attributive de juridiction) et les
clauses compromissoires (clause d'arbitrage).
1° Le cas de la clause attributive de juridiction
La clause attributive de juridiction est considérée
comme étant transmise au contrat final, à condition que l'action
directe en cause soit de nature contractuelle.
Selon la conception française, l'action du
sous-acquéreur contre le fabricant est qualifiée de
contractuelle. En effet, la clause attributive de juridiction attachée
au contrat entre le fabricant et l'acquéreur intermédiaire est
transmise au contrat du sous-acquéreur. Cette transmission est
justifiée par le principe d'accessoire.
5CJCE, 19 juin 1984 : JDI 1985, p.159 obs. M.
J-M. Bischoff
6« Le droit des contrats », l'arbitre et les tiers :
Rev. Arb. 1988, p. 429 7Cass. 3ème civ, 30 oct.
1991: Bull. Civ. III, n°251, p. 148
En revanche, selon la conception communautaire, la Cour de
justice des communautés européennes (CJCE) n'a pas voulu
qualifier, dans l'arrêt Jakob Handte du 17 juin 19928,
l'action du sous-acquéreur contre le fabricant, de contractuelle. Il en
résulte que la clause attributive de juridiction insérée
dans le contrat initial ne s'oppose pas au sous-acquéreur, tiers du
contrat. La faculté pour le fabricant d'opposer au sous-acquéreur
cette clause est exclue si, du moins la clause est antérieure à
la naissance du litige entre le sous-acquéreur et le fabricant. Une
telle clause ne devrait pouvoir lier d'autres que les parties qui en sont
convenues. Or, la Cour de justice a jugé exactement le contraire dans
son arrêt Tilly Rüss du 19 juin 19849 lorsqu'elle a admis
la possibilité qu'une clause contenue dans un connaissement soit
opposable au tiers porteur du connaissement.
2° Le cas de la clause d'arbitrage (clause
compromissoire)
Le régime de la transmission d'une telle clause ne peut
qu'être calqué sur celui de la clause d'élection du for.
Telle est l'impression qui se dégage à la lumière de
l'identité d'origine et de finalité unissant les deux
catégories de clauses. En conséquence, la loi régissant le
problème d'effet relatif de contrats sera, en principe, la loi qui
régit la convention contenant la clause compromissoire. Selon une
opinion doctrinale unanime10, la loi du contrat doit être
compétente pour décider à quelles personnes s'appliquent
les effets de ce contrat ou des clauses qu'il renferme. Tout comme la clause
attributive de juridiction, la clause d'arbitrage suivra en cas de reventes
successives de la chose, le sort des autres droits et obligations
énoncés par le contra principal dans lequel elle
s'insère.
Mais, certains auteurs se sont interrogés sur le
bien-fondé de cette solution11 en invoquant deux
défauts qui entacheraient le principe d'intégration de la
convention d'arbitrage aux autres clauses du contrat. D'une part, cette
solution
8 CJCE, 17 juin 1992, aff. C-26/91, Jakob
Handte : Rev. crit. DIP 1992, p. 730, note H. Gaudemet-Tallon
9 CJCE, 19 juin 1984, Aff. 71/83 : JDI 1985,
159 obs. J-M. Bischoff
10 F. Leborgne, « L'action directe en
responsabilité dans le groupe de contrats », thèse Renne I,
1995
11 Ibid.
méconnaît le fait que la clause compromissoire
est un contrat dans le contrat et irait, par conséquent, à
l'encontre de sa large autonomie juridique. De l'autre, cette utilisation d'une
loi nationale porterait en elle-même ses limites car que faire quand la
clause d'arbitrage échappe à toute loi étatique.
Cependant, ces reproches ne semblent pas bien fondés.
S'agissant du premier, il est vrai qu'invoquer l'intégration de la
clause au contra principal pour justifier qu'elle en épouse les
évolutions, peut sembler paradoxal, alors que son autonomie est mise en
évidence12. Mais, ce n'est là qu'un paradoxe apparent
qui suppose que l'on se concentre sur le terme « autonomie » en le
détachant artificiellement de ses objectifs. Sans entrer dans le
détail du principe d'autonomie de la convention d'arbitrage, il convient
simplement ici, de se souvenir qu'il revêt tout d'abord un aspect
matériel, en ce que le maintien en vigueur de la clause ne dépend
pas du sort du contrat principal, mais aussi un aspect juridique permettant que
la convention d'arbitrage soit, le cas échéant, régie par
une loi différente de celle qui s'applique au contrat principal.
S'agissant du second, le principe d'autonomie aurait pour corollaire, la
validité de principe de la clause, sans référence à
aucune loi étatique.
On notera ensuite deux points. En premier lieu, aucune
atteinte à l'autonomie juridique ne paraît devoir résulter
du recours à la loi du contrat principal, tant il est vrai que celle-ci
s'évincera si la clause relève d'une loi propre. Seule cette
dernière sera naturellement compétente pour décider de la
transmissibilité.
En second lieu, personne ne disconviendra que le but du
principe d'autonomie ne soit autre que d'assurer la pleine efficacité de
la clause, de faire en sorte qu'elle déploie pleinement ses effets. Or,
l'intégration et l'autonomie oeuvrent, chacune en son domaine, pour la
même cause : le plein effet de la convention d'arbitrage. Aussi bien
discerne-t-on mal en quoi l'autonomie de la clause compromissoire justifierait
que son sort soit dissocié des autres clauses du contrat principal et
que cette question échappe à la loi gouvernant ce contrat.
12H. Gaudemet-Tallon : note sous CA Paris, 26 masr
1991 : Rev. Arb. 1991, p. 456
A cet égard, il pourra être
rétorqué que les parties à la convention d'arbitrage ont
fort bien pu considérer celle-ci comme étant intuitus
personnae et la restreindre à leurs rapports respectifs. La
pratique arbitrale internationale révèle une prise en compte
certaine de l'intuitus personnae. La Cour d'appel de Paris en date du
20 avril 198813 vient attester que la clause compromissoire
insérée dans un contrat international a une validité et
une efficacité propres, qui commandent d'en étendre l'application
à la partie venant même partiellement aux droits de l'un des
contractants, à condition que le litige entre dans les prévisions
de la convention d'arbitrage. L'intérêt de cette décision
est double. Outre qu'elle marque la nécessité de respecter la
volonté des parties avant d'admettre la transmission de la clause, sa
référence à la validité et l'efficacité
propres de la clause, afin de justifier cette transmission paraît bien
faire découler celle-ci d'une règle matérielle de droit
international privé.
En bref, et sous réserve de la volonté des
parties, le principe de validité se doublerait d'un principe de
transmissibilité en droit de l'arbitrage international, sans aucune
référence à une loi étatique.
Cette solution a été renforcée par
l'arrêt Dalico14 de la Cour de cassation. D'après un
commentaire sous cet arrêt par M. E. Gaillard, cette jurisprudence marque
un abandon de la méthode conflictuelle dans l'appréciation de
l'existence et de la validité d'une convention d'arbitrage
international. Pourquoi ne pas décider de même à propos de
sa transmissibilité? Car du même coup, se trouverait
réglée la difficulté liée à la transmission
de la clause compromissoire qui n'est soumise à aucune loi
particulière. Que faire lorsque la loi du contrat où
s'insère la convention d'arbitrage permet sa transmission, tandis que la
loi régissant la vente conclue par le sous-acquéreur s'oppose,
comme le droit français, à une telle transmission? Normalement,
la logique propre aux chaînes de contrats, qui veut que chacun des
13Rev. Arb. 1988, p. 570
14Cass. 1ère civ, 20 déc. 1993 :
JDI 1994, 432 note E. Gaillard
maillons de contrats serve de relais à la transmission
des droits et actions attachés à la chose, devrait à la
façon d'un filtre, faire obstacle à ce que la clause soit
acceptée sans réserves, dans la mesure où il porterait une
atteinte supplémentaire à la prévisibilité
juridique du fabricant en même temps qu'il placerait le titulaire de
l'action dans une situation préférentielle par rapport à
celle de son auteur. Dès lors, plutôt que d'avoir à
trancher entre ces impératifs contradictoires, il serait
préférable de pouvoir recourir à une règle
matérielle de droit international privé admettant, sous
réserve de la volonté contraire des parties, la transmission de
la convention d'arbitrage.
Si le maillon initial semble pouvoir apposer la clause
attributive de compétence insérée dans son contrat,
à l'encontre du maillon final, demandeur de l'action directe, celui-ci
peut-il, en revanche, se prévaut d'une telle clause
insérée dans son contrat ?
B. - L'insertion de la clause attributive de
compétence dans le rapport contractuel final
La question se pose, à savoir si le maillon final de la
chaîne pourrait invoquer une telle clause de compétence envers le
maillon initial lorsque ce dernier n'est pas a priori lié par cette
clause.
A priori, si on raisonne, pour répondre à cette
question, selon la logique de la chaîne de contrats, la réponse
semble négative. Le concept de chaîne de contrats, comme on le
sait, repose sur une extension du lien contractuel, rendue elle-même
possible par la circulation des droits et actions attachés à la
chose qui passent d'un maillon initial au maillon final de la chaîne, au
gré des contrats translatifs de propriété. Cette
transmission se fait de la même manière que le courant de la
rivière. Il est, en effet, impossible que celle-ci se fasse de la
manière inverse, ce qui signifie que le maillon final ne peut pas faire
jouer la clause de compétence insérée dans son
contrat, à l'encontre du maillon initial. Les clauses
insérées aux contrats composant l'aval de la chaîne, ne
semblent donc pas pouvoir gagner l'amont de celle-ci.
Mais, le phénomène naturel pourrait
connaître une résurgence. Inspirées par cette idée,
les clauses de compétence inclues dans le contrat passé par le
sous-acquéreur pourraient être opposées au fabricant
à l'occasion de l'exercice d'une action intentée contre lui, en
même temps que contre le débiteur
intermédiaire15. Par le jeu des règles de
compétence, propre à la pluralité de défendeurs, le
sous- acquéreur pourrait prétendre attraire le fabricant devant
le tribunal élu ayant à connaître d'une action
dirigée contre le vendeur intermédiaire. Admettre cette
résurgence à l'hypothèse de la clause d'élection de
for, semble contraire tant au droit conventionnel, qu'au droit commun de la
compétence internationale, selon lesquels la juridiction
désignée par les parties à un contrat ne peut
connaître d'une demande contre des codébiteurs, tiers à ce
contrat, à moins que cette juridiction ne soit en même temps celle
du lieu du domicile de l'un d'eux. En revanche, en ce qui concerne la clause
d'arbitrage, le droit français semble admettre que la clause
compromissoire liant un débiteur étende ses effets aux
codébiteurs de celui-ci. Cette position se base sur l'idée de
représentation mutuelle entre codébiteurs16.
Après avoir examiné la compétence de
juridiction selon les règles de droit commun, nous allons poursuivre,
dans le même cadre de la détermination de la juridiction
compétente, notre deuxième section, consacrée à la
détermination de la juridiction compétente selon les
règles conventionnelles de compétences.
15 Frédéric Leclerc, « Les
chaînes de contrats en droit international privé »,
JDI 1995, p. 267
16 Ibid.
Section II. - La compétence internationale
judiciaire à l'épreuve des règles conventionnelles
La convention de Bruxelles du 27 septembre 196817
portant sur « la compétence judiciaire et l'exécution des
décisions en matière civile et commerciale » prévoit
la compétence judiciaire dans certaines matières (§1.). En
matière d'action directe, la Cour de justice des communautés
européennes (CJCE) a élaboré une jurisprudence abondante
qui a refusé la qualification contractuelle de l'action directe
(§2.).
§ 1. - La compétence internationale retenue par
la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et l'action directe
Notons que la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 est
d'origine communautaire. Elle a été modifiée par le
règlement (CE) n°44/2001 du 22 décembre 2000 (dit aussi
règlement de Bruxelles 1 ou B1) sur la compétence judiciaire, la
reconnaissance et l'exécution des décisions en matière
civile et commerciale18. Ce règlement a succédé
en partie à la convention de Bruxelles dont l'objet était
identique. Il est entré en vigueur le 1er mars 2002, à
l'égard des 15 Etats membres, à l'exception du Danemark et le
1er mai 2004, à l'égard des 10 nouveaux Etats membres.
Les dispositions de ce règlement s'appliquent aux actions judiciaires
intentées avant son entrée en vigueur et aux actes authentiques
reçus postérieurement à celle-ci.
Le texte de la convention a prévu son domaine
d'application (A.) et les compétences spéciales (B.)
17 H. Gaudemet-Tallon, « Les conventions de
Bruxelles et de Lugano », LGDJ, 1993
18 « Droit du commerce international », Litec, 2005
(auteurs collectifs)
A. - Le domaine d'application
Si le domaine d'application matériel (2°) du
règlement B 1est identique à celui de la convention de Bruxelles
à laquelle il succède, le champ d'application dans l'espace est
différent (1°).
1° Le champ d'application spatial
Le champ d'application spatial du règlement B1 doit
être combiné avec celui de la convention de Bruxelles, qui survit
à l'égard des Etats membres et des territoires qui ne sont pas
soumis au règlement. Ainsi, le Danemark n'ayant pas ratifié le
traité d'Amsterdam, lui a été reconnue par un protocole
annexé au traité CE, la faculté de ne pas adopter les
instruments pris sur la base des articles 61 c à 67 du traité CE,
tel que le règlement B 1. En conséquence, le règlement B 1
lie tous les Etats membres à l'exception du Danemark.
Concrètement, il en résulte que chaque fois que le
défendeur a son domicile au Danemark ou qu'un juge danois est saisi, y
compris au moyen d'une clause d'élection de for, même
pour un litige dans lequel le défendeur a son domicile dans un autre
Etat membre, la convention de Bruxelles s'applique au litige. Dans les autres
cas, la convention de Bruxelles reçoit l'application. De même,
sont exclus du champ d'application du règlement B1, les territoires des
Etats membres qui ne font pas partie du « territoire communautaire »,
déterminé par chaque Etat de l'Union européenne, sur
lequel le droit communautaire est applicable en vertu de l'article 299 du
traité CE.
2° Le champ d'application matériel
Le champ d'application matériel suppose en premier
lieu, de cerner la notion de matière civile et commerciale. Si la nature
administrative, civile, commerciale ou répressive de la juridiction est
indifférente, le règlement Bruxelles 1, pas davantage que la
convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, ne concerne les
matières
fiscales, douanières ou administratives et ne
s'applique pas, lorsqu'une autorité publique agit dans l'existence de la
puissance publique19. Cette notion de matière civile et
commerciale est considérée par la CJCE comme une notion autonome
qui ne doit pas être interprétée par
référence aux droits nationaux. En second lieu, il faut tenir
compte des exclusions expresses de l'article 1 alinéa 2 du
règlement B1. Sont ainsi exclus du champ d'application du
règlement B1, l'Etat et la capacité des personnes physiques ainsi
que le droit patrimonial de la famille, les faillites, concordats et autres
procédures analogues, la sécurité sociale et
l'arbitrage.
B. - Les compétences spéciales retenues par
la convention de Bruxelles (en matière d'action directe)
L'article 5 de la convention de Bruxelles offre le choix au
demandeur, entre le tribunal de l'Etat du domicile du défendeur et un
tribunal spécialement déterminé d'un autre Etat. Il n'y a
pas, ici attribution d'une compétence générale aux
juridictions d'un Etat membre, le tribunal précisément
compétent étant désigné par les règles
internes de l'Etat membre en cause, mais bien directement désignation
dans la convention du tribunal compétent, d'où la
dénomination de « compétence spéciale ».
Une action directe, dans une chaîne internationale de
contrats, si elle n'est pas qualifiée de contractuelle, est de nature
délictuelle. Pour déterminer la compétence du juge
international pour connaître cette action, la convention de Bruxelles
propose deux solutions différentes, suivant que la matière soit
contractuelle ou délictuelle.
19 CJCE, 14 oct. 1976, aff. 29/76, LTU c/
Eurocontrol : Rev. crit. DIP 1977, p. 772, note G.A.L. Droz
1° La compétence en matière
contractuelle
La compétence en matière contractuelle est
régie par l'article 5-1° de la convention de Bruxelles. Cette
disposition ne peut recevoir l'application que si le litige concerne la
matière contractuelle. En revanche, la notion « contractuelle
» n'est pas définie dans la convention elle-même, ce qui
donne lieu à de grandes difficultés d'interprétation et
d'application. C'est la raison pour laquelle la jurisprudence de la CJCE et
celle de la Cour de cassation sont riches en la matière. Il appartenait
à la CJCE de déterminer cette notion, ce qu'elle a fait,
après avoir constaté la divergence des droits nationaux, de
manière autonome, par une interprétation assurant pleine
efficacité à la convention20. Elle a ainsi
dégagé le critère de « l'engagement librement
assumé d'une partie envers l'autre »21. Quant à
la Cour de cassation, elle a admis que l'article 5-1° s'appliquait aux
actions en nullité du contrat22 , mais la CJCE ne s'est
prononcée qu'indirectement sur cette question, bien qu'elle ait
affirmé que l'applicabilité de cet article paraît
acceptable23.En revanche, la CJCE a très clairement pris
position à l'égard des chaînes de contrats pour refuser de
leur appliquer l'article 5-1°, considérant que l'action directe du
sous-acquéreur contre le fabricant était de nature
délictuelle24.
L'article 5-1° attribue au demandeur, une option de
compétence en faveur du « tribunal du lieu où l'obligation
qui sert de base à la demande a été ou doit être
exécutée ». Mais, l'application de cette règle de
compétence a soulevé deux problèmes : quelle est
l'obligation visée ? Comment déterminer le lieu
d'exécution de cette obligation ? Pour déterminer l'obligation
concernée, l'arrêt De Bloo s25 a précisé
que celle-ci est celle qui sert de base à l'action judiciaire. En
présence de
20 CJCE, 22 mars 1983, aff. 34/82, Martin
Peters : Rev. Crit. DIP 1983, p. 667, note H. GaudemetTALLON
21 CJCE, 17 juin 1992, aff. C-26/91, Jakob
Handte : Rev. Crit. DIP 1992, p. 730, note H. GaudemetTALLON
22 Cass. 1ère civ. 27 juin 2000 :
JDI 2001, p. 137, obs. A. Huet
23 CJCE, 4 mars 1982, aff. 38/81, Effer c/ Kantner
: Rev. Crit. DIP 1982, p. 573, note H. GaudemetTALLON
24 CJCE, 17 juin 1992, arrêt
préc.
25 CJCE, 6 oct. 1976 : Rev. Crit. DIP 1977,
p.756, note Gothot et Holleaux
plusieurs obligations litigieuses, la CJCE a indiqué,
dans l'arrêt Shenavaï26, qu'il faut prendre en
considération l'obligation principale, celle-ci déterminant la
juridiction compétente pour l'ensemble des obligations en vertu du
principe selon lequel l'accessoire suit le principal.
Quant au lieu d'exécution de l'obligation servant de
base à la demande, la CJCE n'a pas donné de définition
autonome de cette notion. Elle n'a pas tranché cette question dans
l'affaire Tessili27 et a refusé que le juge saisi ne le
détermine lege fori. Elle a, en revanche, précisé
que ce lieu est déterminé par le droit applicable à
l'obligation qui sert de base à l'action judiciaire, en vertu des
règles de conflits du juge saisi. Le problème se complique
lorsque le lieu d'exécution de l'obligation servant de base à la
demande se multiplie, notamment le cas de pluralité de lieux de
livraison dans le contrat de vente.
2° La compétence en matière
délictuelle
L'article 5-3° de la convention de Bruxelles accorde au
demandeur une option de compétence lui permettant d'assigner le
défendeur, non seulement devant le tribunal de son domicile, mais aussi
devant le « tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit
».
La CJCE interprète, comme ce qu'il fait pour la notion
contractuelle précédemment invoquée, de manière
autonome la notion délictuelle. Elle a estimé, dans l'arrêt
Kelfelis du 27 septembre 198828, qu'elle visait « toute demande
qui vise à mettre en jeu la responsabilité d'un défendeur
et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle au sens de
l'article 5-1°.
26 CJCE, 15 jan. 1987 : JDI 1987, p. 465,
obs. J-M Bischoff et A. Huet
27 JDI 1977, p. 702, obs. J-M Bischoff et A. Huet
28 CJCE, 27 sept. 1988 : aff. 189/87 : Rev. crit.
DIP 1989, p. 117 ; JDI 1989, p. 457, obs. A. Huet.
Par la suite, la précision apportée par
l'arrêt Jakob Handte du 17 juin 199229 sur la matière
contractuelle, notamment dans notre hypothèse intéressée
de la chaîne de contrats, permet de cerner la notion de matière
délictuelle.
Les difficultés soulèvent lorsque le lieu du
fait dommageable diffère de celui où le dommage a
été subi. Sur cette question, la CJCE a conféré une
option de compétence au demandeur en lui permettant d'attraire le
défendeur « devant le tribunal de l'événement causal
qui est à l'origine de ce dommage »30.
§ 2. - La mise en oeuvre de la convention de Bruxelles
et le groupe de contrats internationaux : le refus par la CJCE du
caractère contractuel de l'action directe
A priori, on peut se demander si la Convention de Bruxelles
s'applique à l'action directe qui pourrait être née d'une
chaîne internationale de contrats.
La convention elle-même, semble ne pas avoir
prévu la réponse dans son champ d'application à une telle
action. Mais, on sait bien que la convention s'applique notamment à la
matière contractuelle et délictuelle. Or, une action directe, qui
serait née d'une chaîne internationale de contrats, pourrait
être qualifiée soit de contractuelle, soit de délictuelle.
En principe, une action directe contractuelle n'existe, comme on le sait, que
dans la chaîne translative de propriété, ce qui est bien le
cas du droit français. Alors que la plupart des pays dans la
communauté internationale ne reconnaît pas la qualification
contractuelle de l'action directe. Ces pays tiennent au « principe de
l'effet relatif des contrats », ce qui veut dire que toute action
exercée par le maillon final de la chaîne de contrats à
l'encontre du maillon initial sera qualifiée de délictuelle,
parce que le demandeur n'a pas de qualité de partie à un contrat
passé par le maillon initial.
29 Arrêt préc.
30 CJCE, 30 nov. 1976, aff. 21/76, Mines de
potasse d'Alsace : Rev. crit. DIP 1977, p. 563, note P. Bourel
Si l'application de la convention de Bruxelles à
l'action directe internationale serait ambiguë, la Cour de justice des
communautés européennes, dans son arrêt en date du 17 juin
199231, Affaire Jakob Handte, a très clairement pris position
à l'égard des chaînes de contrats pour refuser de leur
appliquer l'article 5-1° de la convention, considérant que l'action
directe du sous-acquéreur contre le vendeur initial était de
nature délictuelle.
Il en résulte que la convention de Bruxelles, plus
particulièrement son article 5-1° n'a nullement, selon la CJCE,
vocation à s'appliquer aux hypothèses de groupe de contrats
internationaux.
Cette affaire précitée a été
beaucoup étudiée, commentée et critiquée par des
auteurs français puisqu'elle bouleversait la conception française
quant à la qualification contractuelle de l'action du
sous-acquéreur contre le vendeur fabricant. Cette jurisprudence
mérite, en effet, d'être étudiée dans ce propos.
Sans entrer dans le détail, ici, on n'évoque que la
position de la CJCE (A.) et les incertitudes de l'arrêt (B.).
A. - La position de la CJCE
Nous examinerons, dans un premier temps, la qualification
(1°) opérée par les juges communautaires de l'action
directe, avant de cerner les justifications (2°) du refus de la
qualification contractuelle de l'action directe.
31 Arrêt préc.
1° Quant à la qualification
communautaire de l'action directe
La question est de savoir comment le juge communautaire qualifie
l'action du sous-acquéreur.
Une convention internationale doit, autant que possible,
être interprétée uniformément, ce qui implique que
chacun de ses termes mérite, en principe, d'être compris dans son
sens conventionnel. En effet, le texte conventionnel ne peut quant à son
interprétation, que se dégager des systèmes nationaux des
États membres.
L'objet de la convention de Bruxelles légitime
l'interprétation communautaire des règles qu'elle édicte.
La qualification ne saurait en effet être recherchée sans
illogisme à l'extérieur de l'ordre juridique auquel appartient la
règle de compétence qu'il s'agit de faire fonctionner. Les
règles de compétence n'émanant pas de l'ordre juridique
interne des États contractants, mais de celui formé par la
convention elle- même, et plus généralement par le droit
communautaire. La lex fori du juge saisi n'est plus sa loi interne,
mais la convention qui a seule vocation à lui fournir la qualification
dont il a besoin, indépendamment de toute autres données.
Ces considérations semblent être
impérieuses lorsque les droits nationaux sont divergents, ce qui est
précisément le cas à propos de la notion de la
matière contractuelle.
S'agissant plus précisément du concept de la
matière contractuelle employé par l'article 5-1° de la
convention de Bruxelles, les juges communautaires ont explicitement et à
plusieurs reprises pris position en faveur de l'élaboration d'une notion
autonome de la matière contractuelle, excluant le renvoi au droit
interne de
l'un ou l'autre des États
concernés32.
On a pu critiquer l'arrêt rendu par la première
chambre civile de la Cour de cassation le 28 octobre 198633, dans
lequel le juge, considérant l'action en responsabilité
intentée par un sous-acquéreur contre le fabricant de
marchandises défectueuses comme étant de nature
nécessairement contractuelle, approuve la Cour d'appel d'avoir
appliqué l'article 5-1° de la convention de Bruxelles à la
cause. Si la qualification contractuelle de l'action en cause est certes de
droit positif français, est- il pour autant possible d'affirmer que le
système et les objectifs de la convention impliquent
nécessairement une qualification semblable au plan de la
compétence internationale? L'hésitation et les controverses des
législations nationales incitent à la prudence et justifient sans
aucun doute, par application des articles 2 et 3 de la convention de Bruxelles,
un renvoi préjudiciel devant la CJCE.
2° Quant à la justification du refus de
qualification contractuelle par la CJCE
Si on examine les motifs précédant la
décision de la CJCE dans l'affaire Jakob Handte34, deux
arguments paraissent avoir emporté la conviction des juges
communautaires.
Premièrement, la notion de matière contractuelle
doit être interprétée de façon autonome en se
référant principalement au système et aux objectifs de la
convention de Bruxelles en vue d'assurer l'application uniforme de celui-ci
dans les États contractants, ce qui prohibe une qualification lege
fori de la matière pour déterminer si elle est
contractuelle. Dans ce cas, la qualification communautaire uniforme conduit
à retenir la qualification délictuelle, la position
adoptée par le droit français étant, on le sait,
relativement isolée.
32 CJCE, 22 mars 1983, aff. 34/82, Peters c/ ZNA
V, (point 9 de l'arrêt) : Rev. Crit. DIP 1983, p. 667
33 Cass. 1ère Civ. 28 oct. 1986 :
Rev. Crit. DIP 1987, 612 note H. Gaudemet-TALLON
34 Arrêt préc.
Deuxièmement, la CJCE a affirmé que
l'application de l'article 5-1° au litige opposant le
sous-acquéreur d'une chose au fabricant n'est pas prévisible pour
ce dernier. En réalité, le motif ne peut se comprendre qu'au
regard de l'observation que « dans la grande majorité des
États contractants, la responsabilité du fabricant à
l'égard du sous-acquéreur pour vice de la chose vendue est
considérée comme n'étant pas de nature contractuelle
». L'imprévisibilité pour ces États, plus exactement
pour les défendeurs à l'action domiciliés dans ces
États, de l'application en la matière de l'article 5-1° est
réelle.
Mais, cet argument paraît réversible puisque
l'article 5-1° n'apparaissait pas de nature à déjouer les
prévisions du fabricant. Dans ce contexte de chaîne de contrats,
l'objet qui sert de base à la demande et dont le lieu d'exécution
fonde les compétences du forum contractus ne pouvait s'entendre
que de l'obligation assumée par le fabricant envers son propre acheteur,
et non d'une obligation de ce fabricant vis-à-vis d'un
sous-acquéreur. Deux motifs peuvent justifier cette conclusion. La
première résulte du caractère essentiellement
dérivé du droit dont dispose le titulaire de l'action directe.
Selon la formule de la Cour de cassation35, « l'action
exercée par l'acquéreur est celle de son auteur ». Ce
caractère a pour corollaire nécessaire que même
exercée par le sous-acquéreur, l'action directe contractuelle
doit s'articuler dans sa mise en oeuvre autour du contrat passé par le
fabricant et prendre appui sur les obligations générées
par ce contrat. La seconde raison découle de la technique même de
la mise en oeuvre de l'article 5-1°. On sait, en effet, que depuis
l'arrêt Tessili du 6 octobre 197636, la détermination
du lieu de l'exécution de l'obligation qui sert de base à la
demande s'opère conformément « à la loi qui
régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de
juridiction saisie ». Appliquée aux chaînes de contrats, la
méthode ne peut conduire qu'à la loi régissant
l'obligation du fabricant envers son contractant immédiat. Et l'on ne
saurait naturellement demander à cette loi de déterminer le lieu
d'exécution d'une prétendue obligation qu'assumerait le fabricant
vis-à-vis du sous-acquéreur car il se peut fort bien que cette
loi demeure
35 Cass. 1ère Civ. 27 juin 1993
« Société Métrologie » : Bull. civ
I, n° 45, p. 10
36 JDI 1977, p. 702, obs. J-M Bischoff et A.
Huet
attachée au principe de l'effet relatif des contrats et
exclue que le fabricant puisse être tenu d'une obligation contractuelle
à l'égard de quelqu'un d'autre que son propre
acquéreur.
Rappelons que l'article 5-1° prévoit que « le
défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut
être attrait dans un autre Etat contractant (...) » , ce qui exclut
donc la compétence, à ce titre, de tout tribunal de l'Etat du
défendeur, ici le fabricant. Mais en pratique, il semble que le jeu de
cette disposition aurait presque inévitablement conduit au tribunal du
lieu du domicile du vendeur intermédiaire. L'argument tiré d'un
défaut de prévisibilité perd donc, de ce fait, une partie
de sa crédibilité.
Si la CJCE avait insisté sur l'objectif de
proximité des juges avec le litige ou sur celui de la concentration des
compétences pour une même affaire, l'objectif de « protection
juridique des personnes établies dans la communauté »,
figurant dans le préambule de la convention de Bruxelles, apparaissait
davantage en retrait.
B. - L'incertitude de l'arrêt Jakob Handte
La mise à l'écart de l'article 5-1° par la
CJCE aurait dû se traduire normalement par la compétence de
l'article 5-3°. N'a-t-elle pas dans son arrêt Kelfelis37
affirmé , qu'est délictuelle « toute demande qui vise
à mettre en jeu la responsabilité d'un défendeur, et qui
ne se rattache pas à la matière contractuelle » au sens de
l'article 5-1° ? De plus, on peut être surpris que la Cour de
justice n'ait pas adopté en leur totalité les conclusions de son
Avocat général et ne se soit pas prononcée sur l'article
5-3°.
Le mutisme de la CJCE paraît pouvoir s'interpréter
de deux façons : soit les magistrats, se bornant à
répondre littéralement à la question posée, ont
37 CJCE, 27 sept. 1988, aff. 189/87, arrêt
préc.
implicitement fait référence à la
jurisprudence Kelfelis38, auquel cas l'interprète est en
droit de déduire l'applicabilité de l'article 5-3° à
la cause (1°), soit au contraire, la CJCE a voulu corriger ce que la
formule de l'arrêt Kelfelis a de trop catégorique et voulu
signifier qu'il fallait en l'espèce, revenir à la règle de
principe de l'article 2 de la convention de Bruxelles (2°).
1° L'applicabilité de l'article 5-3°
Rappelons que l'article 5-3° dispose que « le
défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant (...)
en matière délictuelle ou quasi-délictuelle peut
être attrait devant le tribunal du lieu où le fait dommageable
s'est produit ».
Chacun connaît les difficultés auxquelles
l'application de cette disposition a donné lieu, dans le cas où
l'événement générateur du dommage et le dommage
sont survenus dans des endroits différents. Les signataires de la
convention n'ayant pas, en effet, cru devoir préciser la notion de
« fait dommageable » se sont naturellement posés la question
de savoir s'il convient de retenir comme compétent, le tribunal du lieu
de l'acte illicite ou au contraire celui du lieu de réalisation du
dommage. Les éléments de réponses avancés par des
auteurs français ne permettaient pas de répondre avec certitude
à l'interrogation. Selon M. HUET, tous les arguments susceptibles
d'être présentés en faveur de l'un des
éléments de rattachement (lieu de réalisation du dommage
ou lieu de survenance du délit) peuvent être retournés et
servir d'appui à l'autre. C'est la raison pour laquelle seul un
système de cumul des facteurs de rattachement apparaissait juridiquement
concevable. La CJCE a, dans son arrêt du 30 novembre 197639,
confirmé ce système d'option cumulative. Or, où localiser,
en l'espèce, l'un et l'autre événement ?
Dans l'hypothèse de l'action du sous-acquéreur
contre le fabricant, si l'on voit le fait générateur dans le
manquement à son obligation de fournir des biens de
38 Ibid.
39 Rev. Crit. DIP 1977, p. 568, note P.
Bourel
qualité convenue, ce fait générateur sera
réputé comme survenu sur le lieu d'exécution de
l'obligation de fourniture. Sa localisation obligera donc à un recours
à la méthode du conflit de lois.
Quant au lieu de réalisation du dommage, dans des
conclusions inspirées de l'arrêt Dumez40, l'Avocat
général a situé le dommage non au siège du sous-
acquéreur, mais au lieu où le vendeur intermédiaire avait
reçu la marchandise. A son avis, seul ce dernier devrait pouvoir
être considéré comme la victime immédiate du fait
dommageable. Le sous-acquéreur ne serait qu'une victime par ricochet
insusceptible à ce titre d'entrer en ligne de compte pour la
localisation du dommage. Cette opinion semble, cependant, ne pas convaincre. En
effet, en aucune façon, le sous-acquéreur ne paraît devoir
être assimilé à une victime souffrant par ricochet du
préjudice subi à titre principal et de manière
immédiate par un autre que lui. Car, s'interroge-t-on de quel
préjudice souffre donc le vendeur intermédiaire ?
La mise en oeuvre de l'article 5-3° ne serait pas exempte de
toute hésitation, ce qui fournit sans doute une raison de plus de ne pas
recourir à cette disposition.
Pour tout cela, il paraît raisonnable d'attribuer au
silence de la CJCE la volonté d'une retraite pure et simple en ce
domaine vers l'article 2 de la convention disposant que « sous
réserve des dispositions de la présente convention, les personnes
domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont
attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de
cet État. Les personnes qui ne possèdent pas la
nationalité de l'État dans lequel elles sont domiciliées y
sont soumises aux règles de compétence applicables aux nationaux
».
40 CJCE, 11 janv. 1990 : aff. C 220/88 :
JDI 1990, p. 503, obs. J-M. Bischoff ; Rev. crit. DIP 1991,
p. 154, note B. Ancel. Par cet arrêt, la Cour de justice a jugé
que « le lieu où le fait dommageable s'est produit », au sens
de l'article 5-3°, doit s'entendre du lieu où le dommage initial
s'est produit à l'exclusion donc de toute prise en considération
du préjudice propre subi par la victime par ricochet.
2° L'applicabilité de l'article 2
La solution autoriserait à considérer que la
seule juridiction compétente pour connaître l'action directe du
demandeur dans l'affaire Jakob Handte41 serait le tribunal allemand
du domicile de la société défenderesse (Handte
Allemagne).
La solution, qui présente l'avantage appréciable
de laisser en quelque sorte en suspens la question du type de
responsabilité supportée par le vendeur fabricant à
l'égard du sous-acquéreur, et donc de ne pas conventionnellement
préjudicier de la nature au fond de cette responsabilité, est
certes contradictoire au vue de la logique qui guidait la définition de
la matière délictuelle énoncée dans l'arrêt
Kelfelis42.
Le domaine d'application de l'article 2 paraît
imprécis. La critique est fondée si l'on considère que
« le retour pur et simple » à l'article 2 doit intervenir
lorsque la nature de la responsabilité est incertaine. L'incertitude
varie selon la nationalité du juge saisi. Celui-ci serait-il anglais, ou
allemand que l'action du sous-acquéreur contre le fabricant serait pour
lui sans aucun doute une action en responsabilité délictuelle
entraînant l'applicabilité certaine de l'article 5-3°, tandis
qu'il appartiendrait à l'ordre juridictionnel français que la
nature de la responsabilité pourrait être considérée
comme incertaine, rendant donc l'article 2 seul applicable. De tels
résultats seraient évidemment bien peu satisfaisants. Ils ne se
produiraient contre le vendeur fabricant initial, lorsque le dommage
invoqué est purement économique, relève
nécessairement de l'article 2.
Supposons que la solution soit retenue par la CJCE, elle est
de nature à placer au premier rang la considération de la nature
du groupe de contrats au regard de la compétence conventionnelle. Mais,
ce critère de la nature du groupe de contrats n'est pas le
critère idéal pour l'applicabilité de l'article 2. En
revanche, c'est la nature controversée de la responsabilité en
cause qui mérite de l'être. Cette
41 Arrêt préc.
42 Arrêt préc.
responsabilité est, en droit matériel
français, certainement contractuelle, alors qu'elle est, dans les droits
matériels des autres Etats, certainement délictuelle.
Après avoir examiné le premier chapitre
consacré à la détermination de la juridiction
compétente, nous allons ensuite développer le second chapitre
concernant la détermination de la compétence
législative.
CHAPITRE II
LA DETERMINATION DE LA COMPETENCE LEGISLATIVE
APPLICABLE
La loi applicable à l'action directe varie selon qu'il
s'agit d'une action résultant d'une chaîne de contrats translative
(section I) ou d'une action résultant d'une chaîne de contrats non
translative (section II).
Section I. - La loi applicable et la chaîne de
contrats translative de propriété
Nous discuterons, dans un premier temps, la
détermination du rattachement (§1.) de l'action directe
contractuelle avant de déterminer par la suite la loi applicable au
contrat initial en tant que point de rattachement de l'action directe
(§2.).
§ 1. - La détermination du point de
rattachement de l'action directe : le contrat initial
Le problème se pose évidemment lorsqu'il y a
deux ou plusieurs contrats dans une chaîne internationale de contrats.
Deux systèmes juridiques au moins ont vocation à s'appliquer
à une action directe d'un maillon final de la chaîne. Dans la
chaîne de ventes, quelle est la loi qui doit s'appliquer à
l'action du sous-acquéreur contre le fabricant-la loi qui régit
le contrat du fabricant et le vendeur intermédiaire ou celle qui
régit la convention du vendeur intermédiaire et le
sous-acquéreur ?
Selon la logique propre aux chaînes de contrats, le
sous-acquéreur ne fait qu'agir sur le fondement du contrat originel et
invoque contre le fabricant les droits initialement nés dans le
patrimoine du premier acquéreur qui lui revend ensuite la
marchandise43. Le débat se concentre donc sur le contrat
originel sans qu'interfère le
43 Ass. Plén. 7 fév. 1986 « le
maître d'ouvrage comme le sous-acquéreur jouit de tous les droits
et actions attachés à la chose qui appartenait à son
auteur ».
contrat passé par le sous-acquéreur, ni d'ailleurs
un quelque autre contrat dans la chaîne.
En particulier, le fabricant ne pourra se prévaloir de
l'ancienne règle de la « double limite » consacrée par
la Cour de cassation dans l'hypothèse du groupe de contrats, selon
laquelle le titulaire de l'action de ses droits (tels que résultant de
son propre contrat) et de l'étendue de l'engagement du débiteur
substitué (telle que découlant du contrat passé par
celui-ci). Cette règle était transposée en droit
international privé. En effet, elle devrait normalement aboutir à
soumettre l'action contractuelle directe à la loi du contrat initial.
Si la détermination de la loi applicable à
l'action contractuelle directe dépend du contrat initial comme
étant point de rattachement, la doctrine n'est pas unanime sur
l'admissibilité de ce rattachement de l'action directe. D'après
Frédéric Leclerc, préférant une application
cumulative des lois régissant les contrats de la chaîne, l'action
directe devrait être vouée à l'échec dès lors
que la lex contractus d'un des contrats de la chaîne ne l'admet
pas44. Or, cette proposition paraît critiquable car elle
risque d'aboutir à des résultats peu convaincants en pratique. En
effet, dans l'hypothèse d'une chaîne comprenant plis de deux
contrats, nous ne voyons pas en vertu de quelle considération, une loi
étrangère régissant le contrat intermédiaire qui
n'a été conclu ni par le sous-acquéreur (demandeur), ni
par le fabricant (défendeur) serait en mesure d'entraver
l'admissibilité de l'action directe.
Toutefois, il nous paraît incontestable que le
rattachement de l'action directe, quant à son admissibilité dans
une chaîne internationale de contrats, dépend exclusivement du
mécanisme fonctionnel de l'action directe en droit interne.
Transposé en droit international privé, ce mécanisme doit
se traduire par le rattachement à la lex contractus du lieu
contractuel qui a fait l'objet de l'extension
44 Frédéric Leclerc, « la
chaîne de contrats en droit international privé »,
JDI 1995, p. 310
envers le titulaire. C'est ainsi que seule la loi du contrat
conclu par le défendeur de l'action directe a vocation à
s'appliquer.
Vincent Heuzé veut également reconnaître
au contrat initial de la chaîne une compétence de
principe45. En effet, l'action directe contractuelle exercée
par le sous- acquéreur à l'encontre du vendeur initial ne pourra
être recueillie que si la loi du contrat initial conclu par le fabricant
admet le mécanisme de l'extension du lieu contractuel. Notons à
ce titre qu'il n'y a que les droits français, belge, et luxembourgeois
qui admettent une telle action.
§ 2. - La détermination de la loi applicable au
contrat initial en tant que point de rattachement de l'action directe
Si l'action directe contractuelle, quant à la
détermination de la loi applicable, dépend du contrat initial, il
n'est pas moins important de distinguer deux hypothèses, suivant
lesquelles à savoir si le contrat initial est un contrat interne (A) ou
un contrat international (B), afin de déterminer la loi applicable au
contrat initial.
A. - Le contrat initial à caractère
interne
Supposons qu'un individu italien achète, auprès
d'un concessionnaire italien installé en Italie, un véhicule
automobile. Cet acheteur revend ensuite son véhicule à un
Français. Sachant que ce véhicule est atteint d'un vice
caché lors de la première vente. L'acheteur final français
souhaite porter plainte contre le vendeur initial italien. Quelle est donc la
loi compétente pour gouverner le contrat initial en tant que point de
rattachement ? La loi italienne est-elle forcément compétente ?
D'ailleurs, le vendeur et l'acheteur qui ont la même nationalité
italienne peuvent-ils, par leur commun accord, s'entendre de désigner
une loi étrangère autre que leur loi nationale ? Le juge saisi
doit-il recourir au mécanisme de conflits de lois ?
45 Vincent Heuzé, « la loi applicable aux
actions directes dans les groupes de contras », Rev. Crit. DIP
1996, p. 243
Selon Frédéric Leclerc46, si le
contrat initial présente un caractère interne (absence
d'élément d'extranéité), nul recours au
mécanisme de conflits de lois ne s'impose et l'on peut noter avec
intérêt que pour une fois, un litige de nature internationale
échappe aux mécanismes du droit international privé. De
même,
M. JACQUET plaidait dans sa thèse que les contrats
internes à rattachements homogènes doivent être soumis
à « la loi dans la sphère d'influence naturelle dans
laquelle ils se situent et qui est applicable sans intermédiaire
d'aucune règle de conflit, car il n'y a, en réalité, pas
de conflit ». Mais, cette opinion a été contestée
par
M. HEUZE qui affirme que « le jeu de la règle
bilatérale de conflit n'est habituellement pas subordonné
à la condition que la situation à régir présente un
caractère international, qui n'a, au contraire, aucun sens puisque c'est
la règle de conflit elle-même qui permet de décider si
cette situation doit être réglementée par le droit interne,
ou par celui d'un Etat étranger qu'elle détermine
précisément »47.
Le même auteur, M. JACQUET, exclut du domaine du
principe d'autonomie les situations contractuelles à rattachement
homogènes. En effet, le contrat initial se soumet directement,
c'est-à-dire sans l'intermédiaire d'une règle de conflit,
au droit du pays dont les parties ont la nationalité. En revanche, une
règle de rattachement n'a de sens que si, la possibilité d'un
rattachement du rapport litigieux à plus d'un système juridique
étatique, est constatée. Le contrat interne, qu'il soit du for ou
étranger, ne relève ni du principe d'autonomie, ni d'une autre
règle de conflits, parce qu'il n'y a pas lieu à son propos de
désigner ou de choisir une loi étatique parmi celles qui
apparaissent avoir vocation à s'appliquer.
En matière contractuelle, la convention de Rome du 19
juin 1980 dispose dans le paragraphe 3 de l'article 3, consacrant au principe
d'autonomie que « le choix par les parties d'une loi
étrangère, assorti ou non de celui d'un tribunal étranger,
ne peut, lorsque tous les autres éléments de la situation sont
localisés au moment de ce choix dans un seul pays, porter atteinte aux
dispositions auxquelles la loi de ce pays
46 F. Leclerc, « les chaînes de contrats en
droit international privé », JDI 1995, p.243
47 F. Leborgne, L'action en responsabilité
dans le groupe de contrats, Renne I, 1995
ne permet pas de déroger par contrat ». En
s'appuyant sur cette disposition, la convention de Rome n'autorise-t-elle pas
les parties à un contrat interne à effectuer un choix de droit
international privé, c'est-à-dire choisir la loi qui
régira leur contrat ? M. LAGARDE apporte, très clairement, une
réponse affirmative48.
Si la détermination de la loi applicable au contrat
initial à caractère interne n'est pas très
compliquée, le contrat initial à caractère international,
en revanche, rend la situation plus délicate puisque le juge saisi doit
recourir, à défaut de choix par les parties, aux
mécanismes de droit international privé quant à la
détermination de la loi applicable.
B. - Le contrat initial à caractère
international
Rappelons que nous sommes dans l'hypothèse de la
chaîne translative de propriété et donc l'action
contractuelle directe. Le contrat initial est évidemment un contrat de
vente. Un contrat international de vente pourrait être régi
nécessairement par la convention de la Haye (1°) du 15 juin 1955,
portant sur « la loi applicable aux ventes internationales d'objets
mobiliers corporels » et par la convention de Viennes (2°) du 11
avril 1980 sur « la vente internationale des marchandises ». Notons
que la première convention n'est qu'une convention de droit
international privé, c'est-àdire qu'elle sert à
déterminer tel ou tel système juridique en cause a vocation
à s'appliquer au litige. Alors que la seconde constitue
véritablement un droit matériel international qui a vocation
à s'appliquer directement au litige.
1° La détermination de la loi applicable au
contrat initial international et la convention de la Haye du 15 juin 1995
Dans le cas où le contrat initial de la chaîne est
une vente internationale d'un objet mobilier, c'est la convention de la Haye
qui, en tant que lex specialis par rapport
48 F. Leborgne, thèse préc.
à la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles, a vocation à désigner
la loi applicable au contrat initial. A défaut de choix exprimé
par les parties de la loi applicable, la convention de la Haye désigne
la loi de la résidence habituelle du vendeur au moment où il
reçoit la commande (article 3). Par exception, la convention retient la
loi de la résidence habituelle de l'acheteur comme étant
applicable si la commande y a été reçue par le vendeur ou
son représentant. Dans l'esprit des rédacteurs de la convention,
le choix de la loi de la résidence a été dicté
avant tout par le souci d'éviter les difficultés que fait
naître la détermination du lieu de conclusion lorsque,
hypothèse très fréquente dans les relation du commerce
international, le contrat a été passé entre absents. Le
rattachement au lieu d'exécution du contrat est implicitement
écarté. Notons également que la notion de la commande est
une notion plutôt vague, se situant entre l'entrée en pourparler
et l'acceptation ferme et définitive, avec le lieu de déclaration
de l'acceptation.
Quant à l'applicabilité de cette convention aux
hypothèses de l'action directe, une partie de la doctrine notamment M.
VAREILLES-SOMMIERES49 doute que cette convention puisse s' y
appliquer, en faisant valoir l'article 5, n°4 selon lequel « la
convention ne s'applique pas aux effets de la vente à l'égard de
toutes personnes autres que les parties ». Mais, cette idée ne nous
semble pas devoir être suivie puisque si la convention n'oblige pas les
tribunaux ou l'acheteur à des tiers par application de la lex
contractus conventionnelle, elle n'entend pas davantage les en
empêcher. Tout dépend, à ce titre, des conceptions
nationales. Si l'on prend le cas du droit français, il estime que
l'action en responsabilité engagée par le sous-acquéreur
contre le vendeur initial est de nature nécessairement contractuelle,
déterminée quant à ses conditions d'exercice au fond par
la loi régissant le contrat de vente initial. Dans ce cas, l'application
du régime de la lex contractus désignée par la
convention de la Haye paraît s'imposer.
49 Pascal de Vareilles-Sommières, note sous
CJCE, 17 juin 1992 : Rev. Trim. Dr. Eur. 1992, p.709
2° Le droit matériel applicable au contrat
initial à caractère international et la convention de Vienne du
11 avril 1980
En parallèle au développement du commerce
international, la convention sur la vente internationale de marchandises (CVIM)
a vu le jour, dans le but de faciliter le règlement des litiges
nés des ventes internationales, en leur apportant une solution plus
complète. Elle connaît un succès très important dont
témoigne le grand nombre de ratifications50 : près de
soixante Etats l'ont ratifiée dont les plus importants.
Si la convention de Vienne s'applique aux contrats de vente
internationale tant dans la formation de contrats, que dans leur
exécution, un sous-acquéreur peut- il directement agir, sur le
fondement contractuel, contre le vendeur initial, lorsque la vente originaire
est régie par cette convention ?
Examinant le domaine d'application de la convention de Vienne,
on trouve certaines exclusions auxquelles la convention ne s'applique pas.
Parmi celles-ci, on retrouve l'exclusion en matière de l'action
directe.
L'article 4 de la convention prévoit que ses
dispositions ne régissent que « la formation du contrat de vente et
les droits et obligations qu'un tel contrat fait naître entre le vendeur
et l'acheteur ». La CVIM ne concerne donc pas les relations juridiques qui
peuvent être réalisées à l'égard des tiers,
mais uniquement les relations inter partes. Cet article est dans le
même chemin que l'article 1165 du Code civil français. Il en
résulte donc que les tiers ne peuvent invoquer à leur profit les
dispositions de la CVIM et, inversement, que les parties ne peuvent non plus
envisager son application à des relations engagées avec des
tiers. Plus concrètement, dans notre hypothèse, le
sous-acquéreur ne peut intenter une action contractuelle
50 « Droit du commerce international », préc.
directe à l'encontre du vendeur fabricant initial si le
contrat initial est régi par la convention de Vienne.
Le problème s'est présenté devant la Cour
de cassation le 5 janvier 199951, à propos de dommages subis
par l'acheteur français d'un produit revendu par l'acquéreur
français d'un fournisseur américain. Dans cette affaire, la Haute
juridiction a explicitement refusé l'applicabilité de la
convention de Vienne à l'action intentée par le
sous-acquéreur français contre le fabricant américain sur
le fondement d'une garantie contractuelle. La décision de la Cour avait
été diversement interprétée. Selon les uns, la Cour
de cassation aurait implicitement condamné l'action directe du
sous-acquéreur contre le vendeur initial sous l'empire de la convention
de Vienne. Selon une seconde analyse, la portée de l'arrêt est
strictement limitée à l'hypothèse de la garantie
contractuelle qui, en tant que telle, ne relève pas de la convention. La
question n'aurait pas été tranchée par la Cour alors que
les autres estiment que la convention de Vienne sonne le glas de l'action
directe dans la chaîne internationale de contrats. Un autre courant
estime que l'action directe est hors du champ d'application de la convention et
que rien ne s'opposerait, dans l'hypothèse où le droit national
applicable à la vente initiale pour les questions non couvertes par la
CVIM, autorisait le sous-acquéreur à agir directement contre le
vendeur initial sur un fondement contractuel, à ce que le juge applique
la convention de Vienne à cette action.
Après avoir déterminé la loi applicable
à l'action directe dans une chaîne de contrats translative, nous
allons, ultérieurement, essayer d'en déterminer pour une
chaîne de contrats non translative.
51 Cass. 1ère civ, 5 jan. 1999 :
Contrats, conc., consom. 1999, n°53, obs. L. Leveneur ; D.1999,
383, note Cl. WITZ ; Rev. Crit. DIP 1999, p.519, note V.
Heuzé
Section II. - La loi applicable et la chaîne de
contrats non translative de propriété
Dans la chaîne non translative de
propriété, l'action directe du maillon final de la chaîne
à l'encontre du maillon initial est nécessairement de nature
délictuelle. Le juge français, lorsqu'il est saisi d'une action
directe, qualifiera de délictuelle l'action d'un demandeur qui ne
pourrait pas démontrer qu'il est partie à un contrat passé
par le défendeur, duquel découle le litige. Tel est, par exemple,
dans l'opération de sous-traitance internationale, l'action en
responsabilité du maître d'ouvrage contre le sous-traitant.
Ici, il nous convient d'aborder deux paragraphes : l'un
consacré à la détermination de la loi applicable et la
considération générale et l'autre consacré à
la détermination de la loi applicable et la considération
hypothétique.
§ 1. - La détermination de la loi applicable et
la considération générale
Si, en droit positif, la responsabilité
délictuelle se rattache à la loi du lieu où le
délit a été commis (A), la mise en oeuvre de cette loi
connaît des difficultés particulières (B).
A. - La détermination du rattachement :
compétence de la lex loci delicti
En matière délictuelle, on se dégage en
faveur de l'application de la loi du lieu où le délit a
été commis (lex loci delicti) ou la loi du lieu de survenance, ce
qui correspond à la solution traditionnelle en jurisprudence et en
doctrine depuis le
Moyen Age. La solution a été consacrée
par l'arrêt Lautour52 de la Cour de cassation. La Haute
juridiction a décidé que « en droit international
privé, la loi territoriale compétente pour régir la
responsabilité civile extra-contractuelle de la personne qui a l'usage,
le contrôle et la direction d'une chose, est la loi du lieu où la
délit a été commis ».
La référence faite par la jurisprudence
française à la lex loci delicti n'empêche pas qu'un certain
rôle soit dévolu à la volonté privée en
matière de responsabilité civile. Le caractère
traditionnellement impératif des règles internes relatives
à la responsabilité délictuelle, exclusif de toute
convention entre les parties, ne concerne que « les accords qui
interviennent en vue d'une responsabilité extra-contractuelle à
venir »53 , et non pas ceux qui seraient conclus
postérieurement à l'événement dommageable.
La lex loci delicti est le seul rattachement neutre, en
l'absence de raison déterminante de choisir la loi de la victime
plutôt que celle de l'auteur, ou l'inverse. Les conséquences des
délits et quasi-délits intéressent l'Etat sur le
territoire duquel ils sont commis. Le rattachement des délits à
la loi du lieu de leur survenance répond à l'intérêt
de l'Etat, qui est de préserver le bon ordre sur leur territoire.
Si le rattachement à la lex loci delicti qui est
compétente en matière de responsabilité
délictuelle, devient le principe en droit positif, sa mise en oeuvre
connaît des difficultés particulières.
B. - La mise en oeuvre de la lex loci delicti
Des problèmes de la mise en oeuvre de la lex loci
delicti se dédoublent : celui de l'ineffectivité du rattachement
(1°), et celui de la dissociation géographique des
éléments matériels du délit (2°).
52 Cass. civ, 25 mai 1984 : Rev. Crit. DIP
1949, p.89, note H. Batiffol ;
53 H. Batiffol, note sous Cass. 1ère
civ, 19 avril 1988, Rev. Crit. DIP 1989, p.68
1° Le premier problème :
l'ineffectivité du rattachement
L'essence de la règle de conflit est de cristalliser,
dans le rattachement choisi, l'élément propre à
désigner dans tous les cas la loi à laquelle la situation est
reliée par les liens les plus étroits ou significatifs. Or, le
locus delicti ne satisfait pas toujours cet objectif : alors
même que les éléments matériels du délit sont
situés dans le ressort d'une loi donnée, il arrive que la
localisation qui en résulte n'apparaisse pas convaincante au regard de
l'ensemble des circonstances. C'est la raison pour laquelle cette règle
de conflit traditionnelle est critiquée, notamment, par la doctrine
anglo-saxonne.
Au fur à mesure, cette méthode du rattachement a
vocation à être abandonnée, au profit du principe de
proximité, qui vient de la conception américaine «
méthode de proper law ». L'idée est de chercher une
loi étatique, qui est estimée la plus étroitement
liée à la cause. On va prendre en considération des
rattachements personnels communs des parties, notamment le rattachement de
domicile habituel.
2° Le seconde problème : la
dissociation géographique des éléments matériels du
délit
En justifiant le rattachement à la lex loci delicti par
l'attente des intéressés, on considère implicitement que
tous les éléments matériels du délit sont
situés dans un même ressort unique. Or, tel n'est pas
nécessairement le cas. Il peut bien arriver que le dommage et le fait
générateur puissent survenir dans des ressorts des Etats
différents.
Cette hypothèse a longtemps pu être
considérée comme exceptionnelle, parce que dans les cas
traditionnels de responsabilité civile, le fait générateur
et le dommage immédiat étaient localisés dans le ressort
d'une même loi. Dans cette
hypothèse, va-t-on retenir la loi du lieu où le
fait dommageable s'est produit ou celle du lieu où le dommage a
été survenu ?
La méthode de la règle de conflit veut que la
difficulté présentée soit résolue en
précisant le rattachement retenu dans l'hypothèse complexe. Pour
s'en tenir d'abord au cas tranché où le dommage, d'une part,
l'acte générateur, de l'autre, sont intervenus chacun dans des
Etats différents, il y aurait lieu de choisir à titre
général l'un de ces deux rattachements. Notons à cet
égard qu'en cas de dommage unique même, il peut y avoir
hésitation sur la définition du lieu du dommage lorsque celui-ci
se prolonge : subi en un lieu donné, ses conséquences se font
sentir en un ou d'autres lieux.
En faveur du fait générateur,
c'est-à-dire du lieu où le défendeur agissait, on fait
valoir l'injustice qu'il y aurait de faire peser sur lui une
responsabilité qu'il n'avait pas de raison d'envisager, ainsi que le
caractère préventif, parfois même encore punitif, de la
responsabilité civile. Mais, en adoptant ce rattachement, on permet
à une personne de placer délibérément ses
activités en un lieu dont la législation lui est favorable,
sachant que celle-ci sont destinées à produire effet ailleurs.
En faveur du lieu du dommage, on fait valoir qu'une personne
doit normalement pouvoir compter sur la protection en vigueur dans le lieu
où elle se trouve lorsqu'elle est atteinte, que la responsabilité
civile a en droit moderne une fonction avant tout réparatrice et que
c'est par le dommage qu'est constitué le droit à
réparation. Mais aussi, il peut paraître anormal que le
défendeur soit tenu en application de la loi du milieu de la victime
dans des cas où il n'avait aucune raison de prévoir
l'intervention de cette loi.
En fait, les deux rattachements envisagés opposent
l'attente respective des parties en présence. Un moyen de satisfaire
l'une et l'autre serait l'application cumulative des deux lois. Mais, elle fait
sans doute la part trop belle à l'auteur de l'acte. On a plus souvent
proposé l'application alternative de l'une et de l'autre loi,
cela constitue inversement pour lui une faveur discutable. Il
conviendrait plutôt dans ce cas que le choix soit opéré par
le juge, notamment en fonction de la légitimité respective des
attentes des parties.
L'extrême difficulté d'un choix
général se traduit dans la diversité des
législations qui ont envisagé la question : la loi de l'acte
générateur54 , la loi du dommage55.
D'autres placent les deux rattachements sur le même pied56 ou
offrent le choix au demandeur57 ou désignent la loi la plus
favorable à la personne lésée58. Ces facteurs
peuvent encore être combinés de différentes
manières59.
Face à ces difficultés de choisir un
rattachement prédéterminé valable pour tous les cas
complexes, une résolution de l'Institut de droit international
adoptée en 1969, après avoir posé le principe du
rattachement des délits à la lex loci delicti, ajoutait que
« un délit est considéré avoir été
commis dans le lieu auquel la situation est la plus étroitement
liée, eu égard à tous les faits reliant le délit
à un lieu donné, depuis le commencement du comportement
délictuel jusqu'à la réalisation du préjudice
»60. Mais, une telle formule ne fait que
réénoncer la directive qui préside à la solution de
tout conflit de lois. Elle n'est pas propre à assurer la
prévisibilité que l'on attend d'une règle de conflit.
54 Code civil portugais de 1966, art. 45.1 ; loi
autrichienne du 15 juin 1978, art. 48
55 Loi turque de 1982, art. 25.2 ; loi du Royaume-Uni
de 1955 ; loi néerlandaise sur le conflit de lois en matière
d'acte illicite.
56 Loi tchécoslovaque de 1963, art. 15
57 Loi italienne de 1955, art. 62 ; loi allemande de
1999, art. 40 EGBGB.
58 Décret-loi hongrois de 1979, art. 32 ; loi
yougoslave de 1982, art. 28
59 La loi suisse de 1987 (art. 133.2) et le Code civil
du Québec (art. 3126) désignent la loi du fait
générateur ; mais la loi du dommage s'applique si l'auteur devait
prévoir l'effet produit ; V. aussi la loi péruvienne (Code civil
de 1984, art. 2079)
60 RC 1970.152. La loi du Royaume-Uni de 1955
désigne, lorsque les événements constituant le
délit se sont produits en différents pays (et tout en formulant
certaines règles plus précisés), la loi du pays où
les éléments les plus significatifs se sont produits (sec. 11, 2,
c.).
§ 2. - La détermination de la loi applicable et
la considération
hypothétique : l'exemple de sous-traitance
internationale
On prend le cas de l'action directe en responsabilité
exercée par le maître d'ouvrage à l'encontre du
sous-traitant.
La question se pose à savoir si la demande doit
être placée sur le terrain délictuel ou contractuel. Pour
en savoir, on revient donc à la lex fori, loi de la
qualification. Il est certain que quelle que soit l'identité du
demandeur, l'action ne peut être qualifiée que de contractuelle,
dès lors qu'elle tend à la sanction d'un manquement du
défendeur aux obligations nées pour lui d'un contrat. Et cette
conclusion est d'autant plus assurée que se rallier ici aux
critères du droit civil français et, en conséquence,
décider que les recours des tiers sont de nature délictuelle
pourrait parfois conduire à des résultats aberrants puisque l'on
aboutirait à apprécier la responsabilité du
défendeur par application d'une loi, la lex loci delicti, qui
pourrait concevoir les obligations de celui-ci d'une manière très
différente de celle qui régit le contrat conclu par lui.
On sait que l'article 14-1 de la loi française du 31
décembre 1975 impose au maître d'ouvrage qui a connaissance de la
présence sur le chantier d'un sous-traitant, de mettre en demeure
l'entrepreneur principal, de soumettre les conditions de paiement de celui-ci
à son agrément et, aucun contrat n'unissant à ce
sous-traitant le maître d'ouvrage. La jurisprudence qualifie de
délictuelle la violation, par ce dernier, d'une telle obligation,
lorsqu'elle est invoquée par le second.
Mais, il est évident que retenir la même analyse
pour la mise en oeuvre des règles de droit international privé
serait une absurdité : elle aboutirait à refuser, par application
de la loi étrangère du lieu du délit, toute indemnisation
pour la perte du bénéfice de l'action directe que la loi
française du contrat principal, compétente pour régir
celle-ci, offrait au sous-traitant, tant dis qu'inversement, elle conduirait
à
condamner, en vertu de la loi française du
délit, un maître d'ouvrage que la loi étrangère du
contrat principal n'obligerait en rien à faire agréer le
sous-traitant, faute d'accorder une quelconque action directe à
celui-ci. Aussi bien, il ne paraît pas douteux que quelle que soit
l'identité de la victime, la responsabilité doit être
qualifiée de contractuelle, au sens du droit international privé,
lorsqu'elle tend à la réparation d'un dommage résultant de
la violation d'une obligation contractuelle et que la loi applicable à
cette responsabilité est celle qui régit le contrat duquel
découle l'obligation en question. Il faut en déduire que toutes
les actions directes en indemnisation exercée entre le maître
d'ouvrage et le sous-traitant, dès lors qu'elles sont fondées sur
la violation des obligations nées du contrat auquel le défendeur
est partie, relèvent de la seule compétence de la loi gouvernant
ce contrat.
CONCLUSION
Après avoir évoqué, tout au long du
développement de ce mémoire, l'explication sur la
détermination du régime juridique de l'action directe,
contractuelle ou délictuelle, il est démontré que
l'admissibilité ou la reconnaissance de la part des différents
systèmes juridiques étatiques, de l'action directe contractuelle
est très controversée, ce qui suscite des difficultés et
conduit à des obstacles pour déterminer les régimes
juridiques applicables ( la loi applicable et la juridiction compétente)
à une telle action. Est admise en droit français, une action en
responsabilité contractuelle (d'un sous-acquéreur à
l'encontre d'un fabricant) n'a pas son champ d'application, notamment, en droit
italien.
Il est bien dommage qu'au prétexte d'une pareille
lecture du principe de l'effet relatif des contrats, les groupes de contrats
puissent être niés alors qu'ils correspondent, dans chaque Etat et
au-delà de chacun d'entre eux , à une réalité
économique qui mérite d'être connue.
De façon plus pragmatique, il est logique que la
victime puisse agir contre son débiteur immédiat, mais aussi
contre celui par la faute duquel elle a subi un préjudice. Il faut
garder à l'esprit que la victime n'éprouve un dommage qu'en
raison de l'inexécution par le débiteur de son débiteur de
son obligation contractuelle. Il serait d'autant plus anormal de lui interdire
l'action directe que le fabricant initial est parfois plus solvable que le
vendeur intermédiaire.
D'un point de vue pratique, la qualification contractuelle de
l'action directe permettrait d'éviter la cascade de recours en garantie
sans intérêt pour les vendeurs intermédiaires et de nature
à encombrer inutilement les juridictions.
Pour toutes ces raisons présentées, et afin
d'éviter toute difficulté quant à la détermination
de la loi applicable et la juridiction internationalement compétente,
nous proposons, à l'avenir, à la communauté
internationale, d'harmoniser leurs
systèmes juridiques, et d'adopter une « loi
uniforme à dimension mondiale » sur les régimes juridiques
de l'action directe contractuelle, en reconnaissant la notion de chaîne
ou de groupe de contrats internationaux, qui est une réalité
pratique économique des opérateurs du commerce international.
Pourtant, le travail d'harmonisation des systèmes
juridiques est une tâche tellement lourde et compliquée, parce
qu'il demande aux Etats concernés de réformer leur règle
juridique et d'abandonner une partie de leur souveraineté. De plus, il
est difficile de concilier ces systèmes juridiques si ces Etats ont des
cultures juridiques différentes. De même, l'obstacle qui
pèse sur le développement de loi uniforme, concerne le
problème linguistique : quelle langue doit être choisie pour la
rédaction de loi uniforme ?
Si la loi uniforme est nécessaire, son importance se
voit réduite lorsqu'elle est élaborée pour une
matière déterminée ; cela a pour effet de ralentir le
développement de loi uniforme.
L'avenir de loi uniforme, notamment celle consacrée aux
régimes applicables au groupe de contrats, dépend de la
volonté de tous les Etats qui se présentent sur la scène
du commerce internationale, de bien vouloir mettre fin à tous les
obstacles présentés.
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