2. Les entités sub-étatiques : la logique des
appuis réciproques et la logique des affaires
L'intervention de ces entités obéit à
deux grandes trajectoires. Ces entités sont là, soit pour
épauler les belligérants dans l'aboutissement de leur cause tout
en entretenant l'espoir que ceux-ci les aideront par la suite à imposer
la leur, soit pour vendre leur savoir-faire guerrier aux protagonistes. Dans
l'une comme dans l'autre trajectoire, les hydrocarbones liquides et gazeux
occupent une fois de plus une place centrale. L'examen de chacune de ces
trajectoires s'impose.
a. La logique des appuis réciproques
Cette logique correspond à un système de troc.
En s'alliant chacun sert les autres et réalise en même temps ses
propres buts. Elle est manifeste avec les acteurs qui contestent le pouvoir en
place en Angola, à savoir le FLEC et l'UNITA. Par exemple, l'UNITA
avaient dépêché auprès du camp gouvernemental
congolais quelques-uns des ses Antonovs. En contrepartie, le
pouvoir de Brazzaville lui garantissait des possibilités
d'approvisionnement par les infrastructures congolaises de communication. Avec
l'effondrement du régime du Président MOBUTU au Zaïre, la
survie de ces deux mouvements était liée à ces
infrastructures. Pour l'UNITA et pour le FLEC, intervenir au Congo
apparaît d'abord comme une nécessité de
rééquilibrer les bases de la distribution de la puissance dans la
nouvelle configuration du rapport de force qui les oppose au gouvernement de
Luanda après l'effondrement du régime du Président MOBUTU.
Ces interventions s'expliquent ensuite par le poids de l'histoire
conjuguée à des intérêts pétroliers.
Historiquement, il faut y voir l'empreinte de l'ancien royaume
Kongo qui comportait au XVIème siècle des
régions situées dans le Congo actuel, l'ex-Zaïre et le Nord
de l'Angola. Dans certaines régions de l'Angola à l'instar de
Cabinda, la population est majoritairement Kongo. Celle-ci a fui la
colonisation portugaise et s'est installée dans les deux Congos dans les
années 1960, avant de tenter un retour sans succès en 1975,
surtout celle qui était installée en RDC, avec le FNLA battu
devant Luanda. Cette dernière vague a été
réactivée à la fin des années soixante dix par le
Zaïre. Pour cela l'Angola avait réactivé les
sécessionnistes katangais.
Or, une crainte analogue a de nouveau effleuré la
conscience du gouvernement angolais avec le régime du Président
LISSOUBA au Congo. Car, il voyait en lui un partenaire important de ce
mouvement, qui de plus est lui aussi d'origine Kongo. Autrement dit,
l'Angola craint toujours une sécession de cette région qui inclut
en partie le Cabinda, c'est-à-dire plus de 50 % de ses réserves
pétrolières. Il ressort que intervenir au Congo pour l'UNITA et
le FLEC apparaît également comme une façon de rester
solidaires aux leurs, malmenés par des usurpateurs venus du Nord (du
Congo), qui, depuis près de quarante ans profitent
énormément des hydrocarbones liquides et gazeux du Sud au
détriment des autochtones. Dans cette optique, les épauler
à conserver le contrôle des sources des hydrocarbones de l'empire
des «étrangers» venus du Nord s'impose comme un devoir
naturel. Cette même logique prévaut également en Angola
où une oligarchie métisse, s'est érigée depuis
l'indépendance en gestionnaire des richesses pétrolières
du Nord au détriment des autochtones. Ce constat de P. NGANDU NKASHAMA
est illustrateur de cet état de faits :
« Chez les messianistes, aussi dominent,
cette idée de la propriété de la terre et des richesses
qui doivent revenir aux populations héritières des anciens
royaumes et qui transcendent les frontières. Lorsque l'on
découvre le pétrole au Nigeria, le groupe sur le sol duquel il
est trouvé dit : ``il est à nous en tant que membre de l'ancien
royaume». Et si le filon traverse les frontières de l'Etat, ceux de
l'autre côté répondent : ``Nous sommes frères,
ça nous appartient aussi, donc associons-nous. Cette donnée
économique crée une idée nationale en contradiction avec
le pouvoir en place. D'où les guerres. Même raisonnement
pour le pétrole off shore de l'ancien royaume du Kongo (Angola,
Zaïre, Congo). D'où le conflit entre SASSOUNGUESSO et LISSOUBA, en
fonction du principe que ceux qui n'appartiennent pas
à ce royaume n'ont aucun droit sur le
pétrole. Et c'est pour cela que le Congo et
82
l'Angola s'entendent quand il s'agit de ce
problème-là ».
Vu sous ce prisme, il y a plusieurs dimensions qui justifient
ces intrusions réciproques de l'UNITA et du FLEC dans le conflit
congolais et vice-versa. Mais, ce qui est important et qui mérite
d'être signalé ici reste la maîtrise de la richesse
nationale matérialisée par les hydrocarbones liquides et gazeux.
Mais, le paradigme des appuis réciproques, seul, ne suffit pas pour
capter le sens de cet autre modèle d'alliance qui n'obéit plus
à la logique du troc. C'est pour cela que nous convoquons la logique des
affaires.
b. La logique des affaires
Elle correspond à la mise en place d'une nouvelle
économie désignée officiellement par le vocable
économie parallèle ou de guerre. Les entités qui
interviennent dans cette catégorie sont, soit des intermédiaires
des grandes multinationales de l'armement originaires des pays de l'ancien bloc
de l'Est et sont basées en Afrique du Sud, soit encore des agences
locales spécialisées dans le savoir-faire guerrier. En effet,
hors de tout cadre institutionnel, cette logique permet aux
belligérants, aidés par ces officines spécialisées,
de privatiser les ressources de l'économie officielle. Elle consacre
l'apparition d'intervenants nouveaux qui opèrent sur sollicitation et
suppléent les insuffisances des forces légitimes ou de celles qui
contestent l'Etat.
La particularité sur la scène congolaise c'est
que ces entités se comportent comme des entreprises ordinaires. Elles
proposent des offres, localisent les marchés sur lesquels on peut
trouver les produits demandés et ont des cahiers de charges (infra,
Annexes, série 3 : quelques documents administratifs, documents
n°S 01 et 02, pp. 124-125). Elles proposent un
ensemble de prestations : logistique, encadrement et fourniture d'armes. Selon
les mots de J.-F. BAYART, l'expression «mercenaire»
82P. NGANDU NKASHAMA, «Le Pouvoir en
Afrique », entretien, in GARAUD, Marie-France, (dir.), Afrique :
acteur ou enjeu ? Géopolitique, n°63, Paris, PUF,
octobre 1998, p. 36. On retrouve aussi un même argumentaire chez J.
SAVOYE, « Pétrole et la guerre d'Angola », in
BONIFACE, Pascal, (dir.), Energie et relations internationales :
Revue Internationale et Stratégique, n°29, Paris, Arlea,
Printemps 1998, pp : 176-177 ; 181 (le gras est de nous).
est proscrite ; dorénavant on parle de
«prestataires de services»83. Incontestablement, c'est
avec des sommes d'argents obtenues avec la privatisation des ressources
nationales que les belligérants se paient de tels services qui
reviennent excessivement onéreux (infra, Annexes, série 3 :
quelques documents administratifs, documents n°S 01 et
02, pp. 124-125). C'est toujours avec ces sommes d'argents que les
protagonistes ont pu se procurer des armes de guerres ultramodernes (infra,
Annexes, série 01 : les arsenaux des protagonistes, photos
n°s 01 à17, pp : 116-122). Ces ressources
permettent à tout mouvement qui le souhaite de s'équiper à
bon compte.
En effet, ce jeu des alliances dans la distribution de la
puissance, était-il valable uniquement à l'échelle
sous-régionale ou encore impliquait-il d'avantage d'autres
entités, fondamentalement celles qui ne relèvent plus
forcément de cet espace ? Sommes-nous autorisés à penser
que certaines grandes nations industrialisées, au travers de leurs
firmes multinationales, étaient-elles également engagées
dans ce jeu ?
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