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Se vouer à l'autre - L'aventure éthique avec Emmanuel Levinas

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par Grégoire Jalenques
Institut Catholique de Paris - Master 1 2006
  

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C) La lecture de la responsabilité levinassienne dans Soi-même comme un autre

Ce n'est pas seulement le concept de responsabilité que Ricoeur va venir revisiter mais également le concept même d'altérité et de la position levinassienne. Comme on l'a vu, la divergence entre Levinas et Ricoeur implique bien le lien entre le fait de savoir l'origine de notre responsabilité, ce qui nous y assigne et ce qu'est la responsabilité. Ricoeur situe sa réflexion par rapport à deux conceptions diamétralement opposées. La phénoménologie husserlienne dérive l'alter ego de l'ego. Husserl ne pense l'altérité que comme inter subjectivité. L'altérité pensée par Husserl est soumis à la sphère du propre. Tout ce qui n'est pas propre n'a pas la capacité de résister pour Husserl au statut de préjugé. Husserl part du propre et , dans un vocabulaire levinassien, du même et de la totalité. Cette assimilation sera remise en cause par Ricoeur. Le propre qui se fonde dans l'évidence apodictique qu'a la conscience d'elle-même est premier, il est le lieu ou se fonde la subjectivité. Le rapport à autrui est soumis à ce schème. « La seule voie qui reste dès lors ouverte est de constituer le sens autrui `dans' et `à partir' du sens moi. »133(*)

Pourtant il y a un paradoxe déjà présent chez Husserl dans sa notion d'altérité pour Ricoeur. La sphère du propre constituée à partir de l'évidence de la conscience et de la constitution égologique du corps, sur laquelle s'appuie l'intersubjectivité, s'édifie elle-même avec « le secours de l'autre qui m'aide à me rassembler, à m'affermir, à me maintenir dans mon identité »134(*), nous dit Ricoeur, reprenant les propos de Didier Franck.

Il y a un lien profond entre l'altérité d'autrui et la constitution égologique du sujet chez Husserl qui conduit à un paradoxe. Le rapport à autrui reste une visée intentionnelle de la conscience, mais qui vise autrui en tant qu'étranger. Husserl parle d'apresentation pour distinguer de deux autres rapports de l'objet à la conscience. Ce sont la représentation par signe ou par image qui caractérise le mode de donation des objets de connaissance et la donation originaire, immédiate, de la chair. Ce qui est intéressant est que chez Husserl est déjà souligné le caractère inconvertible en présentation objective d'autrui. Pourtant le passage qu'opère Levinas de l'éthique à la philosophie première ne trouve pas de possibilité dans la philosophie de Husserl. Sa philosophie maintient le primat de la conscience dans le rapport à autrui à travers une saisie analogisante d'autrui comme corps propre sur le mode d'un alter ego. Ricoeur précise que la merveille du transfert analogisante de Husserl est qu'il introduit dans la dissymétrie manifeste d'autrui la possibilité d'une ressemblance. En ce sens, ce transfert est à l'origine du sens ego d'autrui mais non du sens alter

On voit bien alors l'apport singulier de Levinas pour qui l'altérité ne se fonde pas à partir du sens égologique du moi mais au contraire lui donne son sens. Levinas situe l'altérité radicale diamétralement opposée à une constitution égologique. Le projet de Levinas est asymétrique de celui d'Husserl ici. Il ne s'agit plus de dessiner la constitution égologique d'autrui mais son altérité. Levinas prend un chemin inverse à Husserl pour deux raisons: d'abord au sens ou, chez Husserl, la transcendance d'autrui n'est pas préservée mais également au sens ou le sujet constitué exclusivement égologiquement sombrerait dans la solitude de l'être, dans la neutralité de l`il y a ou le malheur de la vie adamique, niant le désir d`infini, ce qui ampute sa subjectivité du sens qu'il doit prendre. Le désir d'autrui exploré dans Totalité et infini est le sens profonde de l'humain contre une réduction du sujet à un sujet englobant. La conception de l'altérité comme soumise à la conscience de soi vue comme compréhension, comme englobant est tronquée. Le fait est que la phénoménologie husserlienne fait peu de cas de ce désir d'autrui inscrit dans la constitution primaire de la subjectivité. Le sens éthique tel que Levinas le met en lumière n'a pas de correspondant dans la constitution husserlienne de la subjectivité et de l'intersubjectivité. L'altérité n'est pas le corrélat d'une conscience de soi mais il est le lieu de la passivité constitutive du sujet. Nourrie du privilège néo-platonicien accordé au bien plus qu'à l'être, le rapport à autrui tel que le conçoit Levinas précède l'être. Le propos de Ricoeur dans ce passage de Soi-même comme un autre n'est pas d'opposer deux auteurs mais de présenter la nécessité de maintenir ensemble la primauté gnoséologique ou égologique du sujet et la primauté éthique du sujet, dans la compréhension que l'on se donne de la relation éthique. Ce lien que Ricoeur cherche à maintenir constitue pour nous la porte d'entrée à la question de la réciprocité entre le sujet et autrui.

Il s'agit maintenant de suivre Ricoeur dans son étude de la pensée de Levinas telle qu'elle se déploie dans Soi-même comme un autre.

Ce qui caractérise d'abord Ricoeur au seuil de ce texte est le fait de son détachement vis-a-vis du lien chez Levinas entre le Même et une ontologie de la totalité qu'il déclare ne jamais avoir assumé. Tout le projet de Soi-même comme un autre est nourri d'une distinction pour Ricoeur fondamentale entre deux modes d'identité du même, ipse et idem, que l'on ne peut ici présenter que brièvement . L'identité idem renverrait à la mêmeté du sujet, du Soi, l'identité ipse renverrait non à l'identité du soi comme telle au sens ou identité a pour corollaires mêmeté, unicité et identification135(*) mais à une identité narrative comprise comme désignation par soi d'un sujet de discours, d'action de récit, d'engagement éthique, désignation de soi qu'a constitué Ricoeur tout au long de son ouvrage. C'est le premier lieu ou Ricoeur critique Levinas. Aux yeux de Ricoeur - mais cela apparaît effectif dans la pensée de Levinas - la lecture du sujet par Levinas porte une prétention « plus radicale que celle qui anime l'ambition fichtéenne, puis husserlienne, de constitution universelle et d'autofondation radicale » et qui exprime « une volonté de fermeture, plus exactement une séparation, qui fait que l'altérité devra s'égaler à l'extériorité radicale. »136(*) La question se pose alors, qui avait déjà été évoquée plus haut, de savoir la légitimité de l'assimilation des philosophies de l'être et de la phénoménologie husserlienne à une ontologie de la séparation. Ricoeur montre bien le mouvement de rupture qu'accomplit Levinas envers les philosophies de la représentation. Si effectivement l'être et la subjectivité comporte cette volonté de fermeture alors l'altérité est radicale ment extérieure. La transcendance d'autrui devient alors similaire à la transcendance du Tout-Autre. « C'est donc sous un régime de pensée non gnoséologique que l'autre s'atteste. »137(*) On peut penser aujourd'hui que la représentation n'est pas nécessairement le corollaire de la séparation et que la constitution égologique de Husserl n'est pas strictement une constitution égotiste du sujet. De là même la question du rapport nécessaire entre altérité et extériorité.

Mais , partant de la lecture levinassienne, le rapport avec autrui devient irrelation, ou relation asymétrique, autrui étant la source de son appel comme de ma réponse à laquelle il m'oblige. C'est bien la question que l'on peut poser à la suite de Ricoeur dans l'entretien cité plus haut: seul un sujet constitué dans la possibilité de la responsabilité peut répondre de... Mettant cela en parallèle avec un article de Roger Burggraeve qui développe l'éthique comme voie de salut pour le sujet138(*), nous nous demandons à la suite de Ricoeur si d'une part une éthique sans ontologie , sans penchant gnoséologique du rapport à autrui, est possible et, d'autre part, si dans ce cas-là, il ne demeure pas un problème irrésolu dans le fait d'extraire le champ éthique du domaine de la relation. La relation entre deux êtres n'est plus éthique, elle demeure une relation d'économie et de compréhension mutuelle. Quand Ricoeur souligne cette idée d'irrelation, il explicite le fait que pour Levinas le rapport à autrui, dans son sens de visage, est un rapport exclusivement éthique. Cette absence de mutualité et de réciprocité se trouve face aux analyses aristotéliciennes de Ricoeur dans la septième étude lors de son étude sur le genre de l'amitié comme modèle du `vivre avec et pour l'autre'139(*). Nous allons revenir bientôt à ce passage.

Auparavant il convient de présenter cette idée qui va traverser la lecture de Levinas par Ricoeur dans la dixième étude, lorsqu'il relève dans la philosophie de Levinas un usage quasi constant de l'hyperbole -opposition excessive et dialectique fondée sur la dialectique entre les genres du Même et de l`Autre « digne du doute hyperbolique cartésien et diamétralement opposé à l'hyperbole »140(*) de la réduction husserlienne à la sphère du propre. Cet usage constant de l'hyperbole est aussi exploré dans Autrement ou Ricoeur présente comment les notions principales développées par Levinas relèvent à la fois d'un ton kerygmatique et d'un « usage insistant du trope de l'hyperbole. Nous passerons d'une étude à l'autre pour essayer de mieux présenter cette mise en lumière des hyperboles de Levinas par Ricoeur.

Cet usage de l'hyperbole atteint les thèmes à la fois du Même et de l'Autre. C'est d'abord l'hyperbole de la séparation du Moi à laquelle répond l'épiphanie, la manifestation du visage, hyperbole de la Hauteur et de l'Extériorité. Hyperbole du Dire contre le Dit. La parole d'autrui devient non pas d'abord un Dit qui ne viendrait pas de moi mais un Dédire de mon propre Dit, ou l'assignation à la responsabilité que requiert autrui se soustrait à mon dit et à ma liberté séparatrice. Cette liberté séparatrice est mis à défaut par le caractère an-archique, sans commencement, encore une fois relevant d'un usage hyperbolique de l'assignation et de l'injonction d'autrui. Cette radicalité des hyperboles va alors jusqu'à la mise en otage du sujet et la substitution du moi à l'Autre, éliminant la possibilité de penser le « me voici » comme un acte d'offrande, ce qui renverrait à une emprise du sujet sur lui-même141(*). Levinas va jusqu'à parler de la responsabilité comme expiation. L'autre ne m'amène plus seulement à une proximité mais réellement une substitution. Levinas va encore plus loin: « c'est de par la condition d'otage qu'il peut y avoir dans le monde pitié, compassion, pardon et proximité. Ce caractère hyperbolique de Levinas mène Ricoeur à mettre en lumière plusieurs paradoxes en même temps qu'il formules des réponses. Nous allons essayer de leur donne un tour concis.

* 133 op.cit., p.383

* 134 ibid., p.384

* 135 ibid., p.140

* 136 ibid., p.387

* 137 ibid., p.388

* 138 Roger Burggraeve, « Un roi déposé », dans Joëlle Hansel, Levinas, de l'être à l'autre, Débats philosophiques PUF, 2006, pp.55-74

* 139 ibid., p.211-226

* 140 ibid., p.388-389

* 141 Ricoeur, Autrement, PUF, 1997, p.24

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci