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Se vouer à l'autre - L'aventure éthique avec Emmanuel Levinas

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par Grégoire Jalenques
Institut Catholique de Paris - Master 1 2006
  

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D) L'alternative de Ricoeur

Tout d'abord, une telle conception de la « relation » éthique mène à l'impasse pour Ricoeur en ce sens que l'hyperbole de la séparation rend impensable la distinction entre soi et moi et la formation d'un concept d'ipséité défini par son ouverture et sa fonction découvrante »142(*) que nous avons déjà présenté plus haut.

Cette distinction soulignée entre soi et moi qui soutient la distinction entre idem et ipse, Ricoeur la maintient et la déploie tout au long de l'ouvrage. « Dire soi n'est pas dire moi. »143(*) Cette distinction que Levinas lui-même signifie dans Autrement qu'être144(*) et qui implique la primauté de l'analyse réflexive sur la position initiale du sujet n'est pas ce qui est fondamental ici. Ce qui est important est qu'il fonde un sujet dont la constitution comprend déjà l'engagement éthique.

L'argument qui va ensuite se déployer pour éviter cette impasse de la séparation est de penser le sujet non plus seulement séparé mais préparé à la responsabilité, cependant d`une manière autre que dans le Désir d`infini qui habite le sujet levinassien. L'extériorité et la hauteur d'autrui qui, chez Levinas, est le fondement de l'éthique, s'achève dans la réponse du sujet. Or pour Ricoeur, cette réponse présuppose « une capacité d'accueil, de discrimination et de reconnaissance, qui relève à mon sens d'une autre philosophie du Même que celle à laquelle réplique la philosophie »145(*) de Levinas. Cette capacité pour Ricoeur implique une structure réflexive et un rapport gnoséologique à autrui. Ricoeur souligne également la nécessité que cette capacité soit aussi une capacité de discernement, du fait que la figure d'autrui pour lui ne se réduit pas uniquement à celle du maître qui formule un commandement. « Que dire de l'autre quand il est le bourreau? »146(*) C'est bien ici un des apports paradoxaux de la philosophie de Levinas que nous n'avions pas soulevé jusqu'alors. Le visage d'autrui, bien que Levinas le singularise, est en fait le visage de tout autre personne humaine ( la question de savoir si la transcendance éthique apparaît dans d'autres réalités a été questionnée par Adrian Peperzak147(*) )ce qui permet de reconnaître en tout homme la trace du commandement « tu ne tueras pas », quel que soit son comportement. L'apparition de la justice et du droit apparaît à partir de là comme un autre point de divergence entre Levinas et Ricoeur.

Ricoeur soutient ensuite la nécessité qui incombe à « l'intériorisation de la voix de l'Autre par le Même » du langage et du fait que celui-ci apporte ses ressources de communication, donc de réciprocité? Ricoeur réintroduit ici la nécessité de la relation. Pour qu'un commandement soit entendu, il faut une base de compréhension mutuelle, un terrain dialogique.

Enfin Ricoeur conclut cette lecture critique de Levinas en soulevant l'idée que c'est dans la substitution que l'on voit le mieux le sujet éthique. La substitution qui jaillit de l'assignation à responsabilité fait passer le sujet « de la passivité la plus totale [...] à un élan d'abnégation ou le soi s'atteste par un mouvement en lequel il se démet. »148(*) Ricoeur ramène alors ( non seulement dans Soi-même dans un autre mais aussi dans une lettre qu'il écrit peu après à Emmanuel Levinas, lui-même faisant le lien ) ce thème de la substitution à l'attestation de soi, qu'il déclare être « la clé de voûte de son entreprise »149(*) dans un lien que développera Marc Faessler, dans un article ou il rapproche l'attestation de l'un de l'élection de l'autre.

Toutes ces remarques que Ricoeur superpose à sa lecture de Levinas ne sont cependant pas suffisantes pour comprendre une alternative à l'éthique de la responsabilité de Levinas.

C'est, comme nous l'avions déjà annoncé, dans la septième étude que Ricoeur, en se situant encore par rapport à Levinas, pose une réflexion éthique ou est réintroduite les notions de réciprocité et d'amitié. Pour lui l'injonction à la responsabilité que propose Levinas n'est pas antinomique d'une estime de soi qui soit première.

Ricoeur appelle Aristote pour fonder sur sa pensée une éthique de la mutualité et de l'amitié ou la relation à autrui est comprise comme amitié réciproque. L'amitié chez Aristote a ceci d'intéressant qu'elle implique une égalité mais également un désintéressement. Il y a cette mutualité de l'amitié qui fait que chaque ami « aime l'autre en tant que ce qu'il est. »150(*)

Cela est entendu au sens ou l'amitié n'est pas fondée sur le plaisir ou l'utilité de l'autre - auquel cas il s'agirait de cette économie totalisante de Totalité et infini - mais fondé sur le bon.

Ce qui est le plus fondamental pour nous dans cette analyse et que nous croyons être un appui fort pour questionner des aspects peut-être flous chez Levinas, est cette première discussion avec Levinas que produit Ricoeur suite à son analyse aristotélicienne. Ricoeur questionne plus en avant ce point que nous avons évoqué tout à l'heure, à savoir le fait de réduire le visage au maître de justice. Ce point de discussion se trouve justifié dans le sens ou il implique l'appel d'autrui comme un injonction qui nous oblige à l'obéissance. La première chose que note Ricoeur est que de fait « l'assignation à responsabilité n'a pour vis-à-vis que la passivité d'un moi convoqué »151(*).

Tout d'abord pour Ricoeur signifier l'éthique de cette façon revient à fonder la responsabilité dans une injustice. Le soi est obligé par l'autre de se trouver coupable. Cela n'est pas pour Ricoeur légitime dans le sens ou la compassion et le pardon ont ici précisément ce paradoxe de ne jamais rétablir l'égalité et la commensurabilité. Face à cela la question se pose de la valeur de la naissance du politique par la présence du tiers. Étant donné que le face à face n'amène aucune égalité et possibilité de vivre-ensemble, compris comme une communauté égale, nous trouvons face à un paradoxe. Le fait du tiers implique bien une nécessité de remettre en selle l'égalité et l'équité. Mais en même temps il semble que de fait éthique et politique demeures à jamais séparés. On ne voit pas comment peut se produire une quelconque incidence du domaine éthique sur le domaine politique.

En second lieu, Ricoeur revient à une distinction faite auparavant entre éthique et morale, soulignant que le registre de l'injonction et de l'obéissance au devoir est moral plus qu'éthique. Il appartient plus à la norme qu'à la visée éthique152(*). Or c'est bien ici, dans notre travail sur la responsabilité, la visée qui est questionnée plus que les normes et les procédures morales.

Pour Ricoeur, « il importe de donner à la sollicitude un statut plus fondamental que l'obéissance au devoir. »153(*)

Ricoeur substitue à l'injonction et au commandement du visage une « spontanéité bienveillante » qui serait intimement liée à l'estime de soi, mais cependant impliquant un réel « pour l'autre » du soi dans l'action. Le fait est que la démarche diffère de celle de Levinas au sens ou le sujet n'est plus seulement marqué par sa passivité face à autrui mais également par une capacité de reconnaissance que l'on a déjà évoquée. Là ou Levinas faisait jaillir la bonté du sujet de sa condition d`otage et de persécuté, il semble que Ricoeur mette mieux en lumière la dynamique du sujet disant: Me voici. La responsabilité n'est plus d'abord « irrécusable », donnant à l'intériorité du sujet une vacuité insoutenable. Ricoeur permet ainsi que «  du fond de cette spontanéité bienveillante [...] le recevoir s'égale au donner de l'assignation à responsabilité, sous la guise de la reconnaissance par le soi de la supériorité de l'autorité qui lui enjoint d'agir selon la justice. »154(*)

Ce qui semblait flou chez Levinas était la réponse du sujet à cet appel du fait même de la passivité du sujet. Cette spontanéité mise en avant par Ricoeur a le mérite de compenser la dissymétrie initiale, résultant du primat de l'autre, par le mouvement en retour de la reconnaissance. »155(*)

* 142 ibid., p.391

* 143 ibid., p.212

* 144 TI, p.188

* 145 SA, p.391

* 146 op.cit., p.391

* 147 Joëlle Hansel, op.cit.,pp.99-123

* 148 ibid., p.392

* 149 Ricoeur, Éthique et responsabilité, p.37

* 150 SA, p.215

* 151 op.cit., p.221

* 152 Il apparaît ici ce que l'on retrouve à d'autres moments de l'oeuvre de Ricoeur, à savoir la présentation d'une similitude entre Kant et Levinas, ces deux auteurs se distinguant dans le fait que l'un universalise le commandement dans l'impératif catégorique là ou l'autre le singularise dans le visage d'autrui.

* 153 ibid., p.222

* 154 ibid., p.222

* 155 ibid., p.222

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry