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Se vouer à l'autre - L'aventure éthique avec Emmanuel Levinas

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par Grégoire Jalenques
Institut Catholique de Paris - Master 1 2006
  

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B) Responsabilité, réciprocité et différenciation.

Un autre point nous pousserait à questionner Levinas voire à tenter de le dépasser. La responsabilité telle que la présente Levinas, comme un se vouer à l'autre, apparaît dépourvu de toute notion de réciprocité. En ce sens, l'amitié est diamétralement autre que la responsabilité. Il semble que cela soit dû chez Levinas au fait de lier la réciprocité à l'intéressement. La réciprocité serait l'apanage de l'égalité et de l'équité, notions qui conviennent plus à une justice politique et de fait, comme cela est présenté dans Totalité et infini, à la guerre. Ce que je te donne, donne-le moi à ton tour, telle est l'intéressement que Levinas combat et qui semble bien être de l'ordre d'une réciprocité.

A cela, une autre question se superposera, à savoir la question du fait de la différenciation des rapports humains. Cette expérience, cette rencontre avec autrui a-t-elle les même modalités s'il s'agit du rapport entre l'enfant et le père que s'il s'agit du rapport entre deux frère ou deux époux? Ce que nous aurons vu de la question de la réciprocité jouera son rôle à plein par rapport à la question de la responsabilité que j'entretiens vis-à-vis de mon prochain et de ce qu'il est pour moi. Il semble ici qu'on ait affaire à ce que nous voulions éviter tout à l'heure, à savoir une réflexion pratique sur les modalités concrètes de la responsabilité, dans un étude normative de la moralité. Cependant l'étude de la différenciation des rapports humains semble impliquer plus que des questions de normativité. En effet la question est de savoir si la structure du face à face ou naît l'amour est tributaire de cette différenciatrice. Rencontre-t-on l'autre d'une façon indifférenciée, quel que soit son rapport à nous? Avons-nous la même responsabilité et plus profondément le même amour pour un frère que pour une épouse ou un salarié.

1) Responsabilité et réciprocité

Wojtyla écrit: « le désir de réciprocité n'exclut pas le caractère désintéressé de l'amour. »163(*)

Il semble pourtant bien que la réciprocité soit comme le signe d'une volonté de penser d'abord à soi et à fonder l'amour que nous portons à l'autre sur ce qu'il nous apporte et non sur ce qu'il est. En ce sens, la volonté d'une réciprocité serait donc parfaitement en contradiction avec l'idée d'une responsabilité qui nous détermine à nous soucier de l'autre de façon gratuite.

Le propos de Wojtyla apparaît donc comme contradictoire puisqu'il unit ensemble deux réalités qui en elle-mêmes s'opposent. Pour comprendre sa pensée, il faut tenter de mieux percer le rapport nécessaire entre amour et réciprocité. Nous parlions plus haut d'amour personnel. Nous devons aller plus loin en montrant l'aspect interpersonnel de l'amour et donc de la responsabilité. L'idée soutenue ici serait que la responsabilité trouverait sa forme la plus achevée dans l'amitié. Or pour Levinas la responsabilité serait achevée « dans la gratuité du hors-de-soi-pour-l'autre, dans le sacrifice ou la possibilité du sacrifice, dans la perspective de la sainteté »164(*). Si l'on maintient les développements opérés plus haut, il apparaît qu'un responsabilité ne prend tout son sens comme réponse qu'en tant qu'elle est exercé par le sujet sur la base d'un choix libre. Sans quoi cette relation ne demeure qu'une virtualité somnolente qui finirait par s'éteindre. De la même façon qu'un appel sans réponse demeure vide et finit par se perdre à la manière d'un écho sur des sommets isolés, l'amour éprouvé pour une personne doit amener à un choix libre pour être effectif du point de vue de la personne attirée. Cependant ce n'est pas suffisant. Ce qu'il faut reconnaître à la suite de Wojtyla est que non seulement l'amour mais également la responsabilité ne peut s'effectuer que s'il y a réciprocité. Du point de vue de l'amitié, la relation ne peut se développer que si non seulement une mais deux personnes posent le choix libre de faire de l'autre leur ami. Du point de vue de la responsabilité, la réciprocité semble nécessaire par le simple fait que notre responsabilité se situe toujours envers un ami.

Ici, une objection surgit qui déclare que l'on n'est pas responsable uniquement de ses amis. Je me sens également responsable ( voire coupable) de souffrances que pourtant je n'ai pas contribué à créer.

Une telle objection peut provenir de ce que l'on conçoit encore la responsabilité comme un devoir, une obéissance à ce qui, d'un point de vue strictement pratique, ne nous concerne pas.

Si tel est le cas, on répond que c'est une expérience de la bonté de l'autre qui nous fait désirer être responsable pour lui. Autrement dit, nous ne sommes pas obligé de nous sentir coupables des atrocités qui ont lieu de l'autre coté de la planète. Cependant il convient de savoir s'il est possible de faire procéder une responsabilité plus étendue de son fondement interpersonnel. L'enjeu ici est bien de pouvoir penser que des questions politiques dépassant le cadre interpersonnel peuvent se nourrir de la responsabilité éthique. Cela rejoint d'une certaine façon notre deuxième question sur la différenciation des rapports humains.

Pour en revenir à l'objection, il convient de préciser: la responsabilité s'exerce toujours par rapport à une personne que nous considérons comme bonne pour nous, en un mot, que nous aimons et que nous estimons. De fait la question n'est pas de savoir si, dans nos agissements éthiques étendus au-delà de la sphère interpersonnelle telles que l'action politique, sociale ou humanitaire, la noblesse de nos actes est entachée par une recherche d'intérêts qui s'octroieraient de façon abusive le nom de réciprocité. La question est de reconnaître qu'accepter que notre action en faveur de l'autre puisse recevoir d'autrui une action réciproque n'est pas foncièrement immoral, de même que de désirer cette réciprocité. Il y a ici une idée qui peut-être est à ,prendre plus en compte. L'acte éthique serait non pas seulement aussi fondé sur une reconnaissance de l'appel que nous fait l'autre de le servir mais également reconnaissance de la capacité d'autrui à devenir pour nous cette personne responsable que ce soit dans les relations interpersonnelles, sociales ou politiques.

2) Responsabilité et différenciation des rapports

Cette question, grâce aux développements qui viennent d'être accomplis, n'oblige pas à de longs développements ici. Cependant elle garde toute son acuité au sens ou elle déploie ce fondement interpersonnel de la responsabilité.

En un autre sens, elle garde aussi son sens interrogatif par rapport à la philosophie de Levinas et le lien qu'il déploie entre fraternité et et responsabilité. Autrui serait comme un frère pour qui je me sacrifie. Cette pensée de la fraternité que Catherine Chalier développe dans un de ses ouvrages a le mérite de penser le rapport à autrui sur le mode à la fois d'une différence radicale entre deux êtres et en même temps d'un lien éthique les unissant. Ce que l'on veut questionner ici est de savoir si ce modèle de la fraternité convient à tous les rapports humains pour penser la responsabilité. Ce qu'on a exploré de l'amitié réciproque nous pousse à penser que peut-être ce schème de la fraternité trouve une limite dans la responsabilité que par exemple un mari porte pour sa femme. Nous sommes poussés à évoquer Jacques et Raïssa Maritain qui avaient développé cette relation fraternelle au sein de leur couple. Nous pensons également aux belles analyses que fait C. Chalier du Cantique des Cantiques. Même nous partons de ses propos pour étudier ce rapport entre fraternité et amitié. Elle tire de la situation des premières communautés chrétiennes ce rapport entre amitié et fraternité, chacun des membres se voyant non seulement comme amis dans le Christ mais comme frères, par leur filiation commune au Père. Cette fraternité universelle repris en dehors-même d'un cadre chrétien ( nous pensons à Gandhi) est précieuse pour rehausser le respect humain dans des lieux ou il peut arriver que l'on ne considère les autres que comme des objets. Mais comme nous l'avons annoncé plus haut, la responsabilité qui lie deux ou même trois frères n'est peut-être pas universalisable à tout rapport de responsabilité.

Envisager une telle question implique que l'on trouve un caractère distinctif qui permette distinguer des modalités dans les rapports interpersonnels ou la responsabilité est engagée, que ce soit la filiation, la fraternité, la conjugalité, etc.

Revenant à une idée énoncée plus haut à partir de la pensée de Ricoeur qui fait appel à une capacité de discernement nécessaire face au visage d'autrui. Cette capacité de discernement n'est-elle pas justement liée au fait qu'il y'a un lien entre la relation entretenue avec l'autre et la façon dont doit se déployer dans cette situation précise notre responsabilité. C'est à partir du rapport nécessaire entre notre responsabilité envers autrui et les actes par laquelle nous l'exerçons que nous pouvons soutenir le fait d'une concaténation entre la relation singulière avec autrui et notre responsabilité. De fait, la responsabilité qu'exerce un époux envers sa femme est liée à la nature même de leur relation qui n'est pas semblable à celle qu'entretient le samaritain avec cet homme blessé sur le bord de la route. De même cela conditionne aussi les rapports appartenant plus au milieu politique. Le lien qui semblait difficile entre l'éthique et la politique chez Levinas semble ici possible. Si l'on pense que la relation interpersonnelle, sans être déterminée, demeure conditionnée par l'environnement et le conditionnement social, professionnel et même la modalité particulière qu`elle prend, alors il se trouve établi un lien entre le fait de reconnaître autrui comme bon et comme fin qui nous oriente et son rapport à nous qui peut n'être pas nécessairement fondé sur une amitié interpersonnelle. Sans doute le fait que Levinas ne se soit attelé qu'a penser la responsabilité sans ses implications pratiques concrètes ne signifie pas que son éthique au sens concret, sa vie éthique n'en ait été dépourvue de connaissances. Mais face à cela, il semblait important de reconnaître que les implications éthiques pratiques participent de la responsabilité et conditionnent de fait le projet de repenser l'éthique comme aventure du se vouer à l'autre.

* 163 Wojtyla, op.cit., p.77

* 164 Levinas, « de l'être à l'autre, notes » dans Le temps de la responsabilité, p.245

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