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Se vouer à l'autre - L'aventure éthique avec Emmanuel Levinas

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par Grégoire Jalenques
Institut Catholique de Paris - Master 1 2006
  

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C) La sollicitude responsable: jusqu`à la sainteté?

Un tel titre ne signifie pas renoncer à penser que la relation éthique pourrait se passer de réciprocité. En effet la sollicitude que développe Ricoeur engage à une réciprocité de la relation. Le fait d'éprouver de la sollicitude est lié au fait de reconnaître qu'il est bon de la part de l'autre d'éprouver de la sollicitude pour que la relation entre deux personnes, entre un « je » et autrui se déploie et grandisse. Mais il s'agit de penser, parallèlement à la sainteté qui est un sacrifice de soi chez Levinas, la possibilité d'une sainteté qui soit un certain déploiement de cette sollicitude de façon exceptionnelle. La question est de savoir si parler de la sainteté comme structure achevée de l'éthique est légitime. Cette question est directement liée à la pensée de Levinas et à sa lecture éthique de Isaïe 6, « me voici, envoie-moi ». Il semble évident que la réponse du sujet est un sacrifice de soi devant le Seigneur. La question se pose de la légitimité de déplacer cette parole qui dit: « qui marchera pour nous? » dans le visage d'autrui. C'est toute la question de la trace de l'infini dans le visage d'autrui qui se présente ici. Autrui est-il trace de Dieu? Autrui a-t-il ce droit d'être appelé Seigneur par le sujet qui entend sa parole, son appel? Le sujet levinassien témoigne de l'infini en ce sens que, pour Levinas, il figure la transcendance qui nous commande à la responsabilité. Ce que dit Levinas n'est pas que autrui témoigne de l'infini parce qu'il nous commande. Un témoignage, une attestation de l'infini apparaît dans autrui parce que c'est face à autrui que le sujet, pour Levinas, se trouve obligé et dit « me voici ». Le sujet ne s'engage à la responsabilité devant aucun autre objet, il ne fait que le connaître. Suivant les développements de nos questionnements ultérieurs, il se trouve qu'effectivement autrui dans sa personne nous engage à une position différente de toute position que nous pourrions avoir face aux objets du monde. Mais reconnaître en autrui quelque chose d'unique n'implique pas nécessairement que nous soyons placés en face d'autrui de la même façon qu'Isaïe est en face du Seigneur. Dire que la majesté de l'infini ( Dieu )et sa hauteur transparaissent dans le visage faible et nu d'autrui n'est pas une assertion incessible. Autrui n'est-il pas d'abord mon semblable avant d'être figure de Dieu, trace de l'infini? Penser cela est-il nécessairement accorder au sujet la possibilité de dénigrer autrui et de ne pas reconnaître une valeur irréductible à ma volonté propre?

La transcendance d'autrui et l'amour que nous éprouvons pour autrui n'est pas nécessairement similaire à cet agenouillement à laquelle la sainteté de Dieu pousse tant de personnages bibliques. La question ici est encore de bien comprendre le commandement divin auquel levinas lui-même fait référence: aimer son prochain. Cette charité n'est pas nécessairement à penser sur le mode du devoir, voie que privilégie Levinas. Le prophète osée rapporte lui-même cette distinction venant de Dieu: « c'est l'amour que je désire et non le sacrifice »165(*)

Même si le sacrifice ainsi dénoncé ici renvoie plutôt à ce que Levinas nommerait le sacré, il demeure que la sainteté n'est peut-être pas nécessairement à penser sur le mode du devoir. La discussion qui s'amorce ici nous emporterait trop loin dans débats non seulement entre diverses écoles rabbiniques mais encore plus dans un échange inter religieux trop intense de bout en bout.

Ce qui apparaît sans doute primordial dans cette notion de responsabilité et qui conduit à reconnaître malgré tout nos essais d'une voie alternative à celle de Levinas est que l'on doit reconnaître que la notion de responsabilité telle qu'elle a été mise en branle par ce dernier ouvre à la notion de sainteté non comme un déni de l'action humaine mais comme une potentialité extrême qu'il met à l'honneur. Si nous pouvons prendre du recul par rapport à cette radicalité de Levinas qui lui fait écarter la notion de choix et de dimension effective du sujet, il semble que la notion de responsabilité telle qu'on la développé et qui recoupe l'idée de sollicitude ou d'amour trouve une forme extrême dans le sacrifice de soi que Levinas nomme sainteté. La figure de cette sainteté est le fait pour le sujet de rejoindre l'infini du commandement par l'infini de sa réponse. En ce sens, il y a bien un dépassement de l'éthique proprement humaine à nos yeux. La justice humaine n'implique pas un sacrifice infini de soi. Là ou Levinas déclare qu'on n'est « jamais quitte à l'égard d'autrui »166(*), nous opposons que l'on ne doit pas tout à autrui. D'un point de vue religieux, il est clair que l'on doit tout à Dieu. Aime-t-on autrui comme on aime Dieu? La question reste ouverte ainsi que celle de la possibilité d'une telle affirmation d'un point de vue strictement humain. D'un point de vue chrétien, nous rapporterions ce commandement du christ de nous aimer comme lui nous a aimé, lui qui est vrai Dieu dans la révélation chrétienne. Mais le cadre n'est ici plus le même, la vie chrétienne n'étant plus esclave du péché mais habité par la volonté même de Dieu.

D'un point de vue humain, il semble que la sainteté du sacrifice parfait pose question. Cependant, si nous avions évoqué plus haut cette possibilité de la rencontre d'autrui trouer en violence, il apparaît aussi dans l'histoire de l'humanité des hommes qui ont donné, à proprement parler leur vie jusqu'à leur mort pour soulager les opprimés, et assumer une responsabilité qui dépasse la responsabilité humaine telle que celle que nous avons essayé de penser. Cette question est délicate. Peut-on accomplir cette sainteté dont parle Levinas? Nous hésitons à creuser plus loin la question d'un point de vue strictement humain tant il nous semble que d'un point de vue humain, cela semble impossible. Cette folie dont parle Saint Paul a-t-elle quelconque valeur pour quelqu'un qui n'a de sens du transcendant qu'autrui? Peut-on mourir pour autrui si l'on se tient à attester que la responsabilité envers autrui et possiblement la substitution - car c'est bien de substitution qu'il s'agit, pensons à Maximilien Kolbe - trouve sa source dans un amour d'autrui qui n'est pas devoir, obéissance à un commandement qui se présenterait comme trace de la parole divine?

* 165 Osée 6, 6, Bible de Jérusalem, Desclée de Brouwer, 2000

* 166 EI, p.101

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand