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Se vouer à l'autre - L'aventure éthique avec Emmanuel Levinas

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par Grégoire Jalenques
Institut Catholique de Paris - Master 1 2006
  

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B) Levinas face à Heidegger

1) Le projet heideggerien

Pour Heidegger, la question fondamentale est celle du sens de l'être. Or cette question exige une ontologie d'une genre nouveau; une ontologie fondamentale; c'est tout le projet du Dasein analytique. Cependant il n'a s'agit pas d'une démarche métaphysique au sens classique. La question de l'être doit demeurer une question concrète; c'est sur un arrière-fond existential c'est à dire à travers une étude analytique de l'existentialité du Dasein que doit se comprendre le sens de l'être. Ce travail analytique consiste à passer en revue les structures fondamentales de l'existence que Heidegger nomme des existentiaux.

2) Le Dasein et le souci

C'est dans l'oeuvre centrale de son parcours philosophique qui paradoxalement est demeurée inachevée, Sein und Zeit, que Heidegger pose les bases anthropologiques du Dasein. Le but est pour Heidegger, à travers une refondation anthropologique de répondre à la question de Kant; qu'est-ce que l'homme? L'homme est le seul étant pour Heidegger qui doit se poser la question de l'être, pour qui être ne va pas de soi. C'est de là que vient cette réflexion que l'on retrouve dans l'Introduction à la métaphysique; la question centrale de la philosophie est de s'interroger sur le sens de l'être.

L'homme s'interroge et doit s'interroger sur le sens de l'être; c'est ce caractère particulier du Dasein qui fonde le souci et sa tonalité affective l'angoisse. Il est la capacité de se poser des questions existentielles ( et non existentiales: existentiel renvoie juste à la compréhension que le Dasein a de lui-même. Cependant l'existentialité du Dasein la compréhension du sens de son être se fonde dans un sol existentiel ) mais il va également de pair avec une manière de sentir, de ressentir notre présence au monde. La contrepartie affective du souci est l'angoisse, qui n'est pas un affect parmi d'autres mais le fédérateur de tous les autres affects. Le souci est ce rapport préoccupée de l'homme au monde qui peut, tourné vers le monde commun des autres hommes, devenir sollicitude. En un mot c'est chez Heidegger le souci qui constitue la source de la philosophie ainsi que du rapport au monde.

3) Être au monde

C'est la caractéristique fondamentale du Dasein. Le Dasein est une être jeté dans le monde. Il est un étant en rapport avec le monde.

Ce rapport au monde, que nous avons comme souci, s'établit sur plusieurs existentiaux:

-l'affection qui est la manière affective d'entrer en relation avec le monde. Cette affection fait de nous des êtres jetés dans le sens ou l'on n'est pas maître de nos affects. On ne peut que les éprouver. Ces affections sont la peur, la joie par exemple

- Le `comprendre' qui n'est plus juste une manière de connaître mais aussi une façon d'exister dans le monde. Ce comprendre est une façon de dépasser la facticité actuelle du monde par le fait d'être en projet dans le monde.

-La parole: Être au monde signifie aussi parler du monde. Le langage n'est pas seulement un instrument dont on peut ou non se servir; il nous jète dans le monde. Même si nous faisons silence, nous disons encore quelque chose de notre rapport au monde.

-la déchéance du Dasein. Ce passage de Être et Temps montre la perdition du sens authentique de l'homme quand celui-ci vit sans souci, ou plutôt avec comme seul souci celui de la vie quotidienne. C'est cette déchéance qui conduit l'homme à la perte du sens de l'être.

La déchéance est d'une certaine manière à part puisqu'elle est le « mode selon lequel le Dasein est quotidiennement au monde. »35(*)

4) La temporalité du Dasein

Le Dasein a une structure temporelle fondamentale en tant qu'être dans le monde. L'analyse temporelle qui constitue la seconde partie de Être et Temps permet de dégager de nouveaux existentiaux tel que

-l'être pour la mort, qui est ce mode d'être que le Dasein doit assumer des sa naissance et jusque sa mort, comme possibilité de l'impossibilité de son être.

-l'appel de la conscience qui tient le rôle de fondement pour une morale et qui dit simplement « tu n'es pas aussi authentique que tu devrais l'être » comme un impératif catégorique sans contenu.

Cet appel constitue d'une certaine façon une démoralisation de la conscience morale. Heidegger évacue l'instance de la loi pour la remplacer par le souci de l'authenticité.

Ce n'est pas la conscience morale de Levinas qui ne cesse de me confronter à ma responsabilité pour autrui. Pour Heidegger, cette responsabilité n'est qu'une manifestation de l'authenticité.

- la résolution qui est comme le visage heideggerien de la liberté et de

l'autodétermination. Mais il ne se réduit pas à un volontarisme psychologique, il est une manière d'être.

La temporalité qui entoure l'être subit également une analyse de Heidegger. Heidegger ne conçoit pas ici seulement le temps objectif mais également ce qui définit notre être même.

-L'avenir, temporalité fondamentale du Dasein habité par le souci.

-Le passé. C'est dans le futur que le passé acquiert un sens existential profond. Notre passé nous marque continûment de souvenirs ayant un héritage concret, une réserve de sens qui nous habite constamment

-le présent qui est le présent du souci face au monde et de la résolution face à ce souci

-le dernier existential qui nous met en rapport avec le temps et notre vécu temporel dans le monde est l'historialité; il est notre manière de comprendre notre rapport temporel au monde et de nous comprendre dans ce temps imparti entre la naissance et la mort.

Le Dasein heideggerien est en résumé un être inachevé qui a à être. Ce pouvoir être qui revêt les différente structures abordées plus haut constitue en quelque sorte un essai pour sortir de la métaphysique classique qui s'est fourvoyé en substantialisant l'étant, en comprenant l'être comme une notion alors qu'il est d'abord un verbe. Heidegger a en quelque sorte vidé l'homme, le Dasein de son dedans. Il en fait un être à réaliser et qui doit se comprendre, parler, se résoudre, quitter le souci quotidien pour retrouver une authenticité. Levinas se situera en opposition avec cela, y voyant un primat du même. De plus pour Levinas, le fondement de la subjectivité est manqué ici, la subjectivité étant maintenu dans un pour elle-même.

Le mouvement qu'accomplit Heidegger dans le concept du Dasein est de sortir de la distinction classique de la métaphysique entre sujet et objet. Contre les philosophies de la représentation, et même d'une certaine façon contre l'ego husserlienne, la conscience intentionnelle qui demeure dans ce clivage, Heidegger pense l'être-là, le Dasein comme un être projeté dans le monde, un « ex-istens ». Il n' y a plus de dedans. L'homme est jeté. L'homme n'est pas au sens propre un être achevé mais un pouvoir être. Heidegger critiquera beaucoup la métaphysique dans ce sens qu'elle s'est fourvoyé en substantialisant l`étant, en pensant l'être comme une notion. Être est d'abord un verbe. L'être humain, le dasein est précisément un pouvoir être.

Dans l'analyse que Heidegger fait du rapport du Dasein avec sa condition temporelle, cela a son importance. « L'homme vivant et les objets concrets ne sont pas définis par une abstraction, mais, actifs ou passifs, ils vivent, ou du moins, ils ont une consistance temporelle »36(*) nous dit Louis Févre qui nous dit encore que « le temps consiste pour chacun à déployer sa condition. »37(*) L'homme a devant lui du vide à remplir, pensée fondamentale dans tout l'existentialisme. Cette créativité que l'homme peut donner à sa vie a aussi un penchant tragique dans l'inéluctabilité de la mort.

Face à cela, la plupart des hommes pour Heidegger se laisse absorber par le quotidien (précisément la déchéance) . Pour Heidegger, c'est justement la particularité de l'homme authentique de ne pas se laisser absorber et de regarder sa condition en face.

En résumé, le Dasein a en lui une part fondamentale d'inachèvement autrement dit de liberté qu'il est appelé à assumer par son existence. Heidegger rajoute à cela une aversion pour la technique et le monde moderne qui veut depuis Descartes s'approprier la nature et en devenir le maître. Heidegger voit ici la racine du mal moderne, la corruption du rapport que le Dasein entretien avec le monde. « exister c'est être dans le monde »38(*)

Heidegger cherche à travers l'analyse du Dasein à renouer contact entre le Dasein et l'Être. La technique est une façon d'être au monde qui n'est plus fondée que sur l'utilité. Heidegger prône d'une certain manière un primat de la perception dans le rapport au monde. L'homme doit découvrir l'être et l `éclaircir.

5) Levinas face à Heidegger

Louis Févre souligne que « Levinas a toujours subi une sorte de fascination pour Heidegger »39(*) fascination qui a toujours été contrebalancée par sa judaïté et son pressentiment de l'horreur nazie. Levinas lui-même l'exprime; « Malgré toute l'horreur qui vint un jour s'associer au nom de Heidegger - et que rien n'arrivera à dissiper - rien n'a pus défaire dans mon esprit la conviction que Sein und Zeit de 1927 est imprescriptible, au même titre que les quelques autres livres éternels de l'histoire de la philosophie. »40(*)

Si Levinas ne suit pas Heidegger dans sa philosophie qu'il considère pourtant comme cruciale, il va même se situer contre cette philosophie

Plus encore que contre Husserl, c'est contre Heidegger ou plutôt pour sortir de Heidegger que Levinas va penser et approfondir ses intuitions premières. Si Levinas conçoit comme Heidegger le mal du monde moderne, il n'en suit pas du tout les explications de ce dernier.

La distance philosophique qui sépare ces deux auteurs est fondamentale car , là ou Heidegger cherche à éclaircir l'Être voilé par la métaphysique, Levinas produit un véritable renversement: il veut s'évader de l'être, sortir hors de l'ontologie qu'il considère non comme la science de l'être mais la science du « je » et donner la priorité à l'éthique. L'ontologie de par sa nature même pour Levinas porte à un oubli de l'autre. Heidegger voulait dénoncer l'oubli de l'être par la philosophie moderne et la métaphysique, Levinas dénonce la philosophie moderne, Heidegger compris, comme un oubli de l'Autre dans sa transcendance.

Levinas de même critique la conception d'un retour de l'homme au monde qu'il a perdu par la technique et la vie quotidienne. Or pour Levinas, ce retour au monde constitue encore un palliatif à la question de l'autre. Levinas identifie la notion d'être-là, et d'être au monde chez Heidegger à une évacuation de la présence de l'autre. Chez Heidegger, « aucune extériorité n'est alors possible pour le sujet. »41(*)

La neutralité du monde heideggerien, la neutralité de l'être constitue pour Levinas un danger dans le sens ou elle ouvre à une sacralisation du monde. Une telle pensée pour Levinas est la théorie concomitante d'un exister païen. Or cela dissimule potentialité un monde inhumain parce que privé de l'autre, fondement de la morale et même du sujet levinassien.

Levinas analyse ainsi la philosophie de Heidegger: « l'ontologie heideggerienne subordonne le rapport avec l'Autre à la relation avec le Neutre qu'est l'Être et, par là, elle continue à exalter la volonté de la puissance dont Autrui seul peut ébranler la légitimité et troubler la bonne conscience [...] L'Être l'ordonne ( le Dasein) bâtisseur et cultivateur, au sein d'un paysage familier, sur une terre maternelle. Anonyme, Neutre, il l'ordonne éthiquement indifférent et comme une liberté héroïque, étrangère à toute culpabilité à l'égard d'autrui. »42(*)

On voit bien ici ce qui creuse un gouffre entre Levinas et Heidegger. Heidegger nie l'existence éthique de l'homme en le posant comme un être-là destiné exclusivement au rapport avec le monde et le vidant de toute préoccupation de l'autre. L'indifférence que Levinas voit chez Heidegger est le contraire du mouvement éthique du sujet chez Levinas. Pour Levinas, une telle pensée est un soubassement philosophique de la guerre tel qu'il l'analyse dans la première partie de Totalité et Infini. Le refus de l'Autre tel qu'il se manifeste dans cette « maternité de la Terre » chez Heidegger est synonyme de violence et « détermine toute la civilisation occidentale de propriété, d'exploitation, de tyrannie politique et de guerre »43(*)

Le rapport au monde est un axe fondamental de la pensée de Heidegger. Or pour Levinas cette préoccupation du monde est un axe non fondamental parce qu'il trompe la philosophie et dénature le sens de l'être. « Pour Levinas, le monde sera toujours plus ou moins perçu comme le lieu d'absorption par le Même. »44(*) L'Autre est précisément cet étranger que je rencontre dans le monde mais qui n'est pas du monde. La ou Heidegger pense la familiarité du Dasein avec le monde, Levinas pense l'étrangeté du sujet et d'autrui par rapport au monde. Cependant il conviendra de voir qu'il y a bien un rapport au monde chez Levinas mais qui est soumis au rapport éthique avec autrui.

Nous avons commencé à apercevoir l'arrière-fond hébraïque de la pensée de Levinas. Si l'on ne peut tout en dire, le sujet n'étant pas ici d`étudier la philosophie juive de Levinas mais bien son éthique, il convient cependant d'en établir une perspective générale du rapport entre sa philosophie et sa judaïté parce que cela est fondamental au même titre que les autres sources pour comprendre l'inspiration éthique de Levinas.

* 35 J.M Vaysse, Le vocabulaire de Heidegger, Ellipses, 2000, p.13

* 36 Louis Fevre, Penser avec Levinas, Chronique sociale, 2006. p.34

* 37 op.cit. p. 34

* 38 op.cit. p. 34

* 39 EDE, p.96

* 40 Fevre, op.cit. p. 35

* 41 Zielinski, op.cit. p.24

* 42 EDE, p.236

* 43 EDE, p.237

* 44 Zielinski, p.30

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry