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Se vouer à l'autre - L'aventure éthique avec Emmanuel Levinas

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par Grégoire Jalenques
Institut Catholique de Paris - Master 1 2006
  

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B) Répondre de...

1) Passivité du sujet

La réponse du sujet à autrui est d'abord l'expérience de sa passivité fondamentale. Il n' y a plus d'initiative du sujet agissant. Il n'y plus non plus la violence du même qui possède et prend en niant l'existence indépendante. Le sujet se retrouve en deçà de çà, dans ce que Fevre nomme le commencement de l'humain. Ce dernier met en lumière que « la priorité du pour l'autre par rapport à l'être ( et sa satisfaction) ne consiste pas à faire place à l'altruisme à coté d'un égoïsme naturel et acceptable. »113(*) Pour Levinas, le « pour l'autre » est plus naturel que l'égoïsme, on l'a déjà vu, il est premier. Le pour l'autre est le sens ultime de l'humain, son commencement. Levinas emplois souvent ce mot d'humain contre l'être du même pour montrer que l'être humain est précisément celui qui s'enquiert d'autrui et est pour autrui. Le fond de l'homme, son sens profond est responsabilité, intérêt pour l'autre plus que pour soi.

Il y a dans la relation éthique un primat de l'autre sur le moi et, de fait, une obligation.

Pour Levinas cette passivité qui est le commencement de l'humain signifie ce lieu « ou la vitalité, en apparence innocente mais virtuellement meurtrière, est maîtrisée par des interdits »

Or pour Levinas, le lieu de cette maîtrise est foncièrement éthique; ni la loi, ni la volonté de se soumettre à des principes moraux n'ont la force nécessaire pour venir a bout de l'égoïsme. C'est la rencontre avec la fragilité d'autrui, en même temps que sa transcendance qui nous ouvre à une passivité éthique, à une obligation à l'égard de l'autre. Zielinski écrit que « ce n'est jamais ni pour moi ni à partir de moi que je serais responsable. Je ne suis responsable que pour autrui et à cause d'autrui. » L'acte éthique est le primat de l'autre n'est pas seulement le but que se donne le sujet, il est la cause même de la vie éthique du sujet.

Ce qui implique aussi une dissymétrie que Levinas défendra toujours, en particulier face aux critiques de Ricoeur qui, sur ce point, ne le rejoindra pas et même le critiquera.

La relation éthique, ou l'autre se trouve engagé dans une passivité radicale à l'égard d'autrui, est dissymétrique. En ce sens, et cela aide à mieux le comprendre, elle se distingue d'une relation d'amitié ou même de pitié ou l'autre serait l'objet de notre compassion. La relation éthique qui se baserait sur la pitié serait un relation ou le sujet a l'initiative. De même dans l'amitié ou il y'aurait égalité et réciprocité. Aristote parle d'une certaine connaturalité des amis qui les conduit dans l'amitié » à un vivre-ensemble et un réciprocité. Pour Levinas, qui ici, se situe plutôt dans une lignée platonicienne dialectique, « la démesure d'autrui est première est irréductible, la relation éthique que soit sauvegardée la `disproportion' ou `asymétrie' entre autrui et moi. »114(*) On parle ici d'un fond platonicien de démesure mais il ne doit pas occulter la racine hébraïque de la pensée de Levinas qui lui fait voir la découverte d'autrui dans sa nudité comme trace de l'infini, expression d'un commandement divin: « tu ne tueras pas. » C'est ainsi la hauteur d'autrui qui donne au sujet sa passivité et l'emporte sur toute égalité. La question de savoir ce que devient la réciprocité et quel statut éthique donner alors à l'amitié et à la pitié se posera alors avec Ricoeur.

2) La réponse ou responsabilité

« Imputer une action à quelqu'un, c'est la lui attribuer comme à son véritable auteur, la mettre pour ainsi parler su son compte et l'en rendre responsable. »115(*)

Le sujet est pleinement sujet pour Levinas non plus lorsqu'il répond de ses actes mais lorsqu'il répond à autrui. « Être sujet c'est répondre à autrui. »116(*) Levinas déploie le concept de responsabilité d'une façon différente de la conception juridique, nous dit Zielinski. La responsabilité n'est pas envers quelque chose mais envers quelqu'un. En ce sens on rejoint la profondeur éthique du concept de responsabilité chez Levinas qui n'est pas premièrement le fait du sujet par rapport à quelque chose mais le fait de quelqu'un qui rend le sujet responsable. La responsabilité trouve sa source dans l'appel que lance autrui, se présentant nu, faible et exprimant pourtant au sujet l'obligation, l'ordre de prendre soin de lui. « La personne dont il s'agit d'abord dans la responsabilité, c'est la personne d'autrui, c'est à dire de celui dont je suis responsable. Le concept juridique de responsabilité pensait d'abord le concept en termes d'imputations, sur le modèle d'une causalité agent-effet. Le sujet est tenu responsables des actions dont il est la cause. Pour Levinas, la responsabilité ne dépend pas des actes de la personne-sujet, du je. La responsabilité provient du tu, d'autrui en face de moi qui appelle. Cet appel, face auquel j'expérimente ma passivité, se substitue à l'imputabilité des actions que j'aurais pu commettre. Mieux il m'impute le sort de l'autre dont, pourtant je ne suis ni la source ni la fin. Autrui m'apparaissant me somme de rendre des comptes, de prendre en main son existence potentiellement en danger. Un décentrage réel se produit pour Levinas. Levinas ne dit pas seulement que le visage m'oblige potentiellement, que cette « imputabilité » - terme que Levinas sort de son sens juridique, il ne faut pas s'y méprendre- trouve en face de lui une liberté. « La responsabilité est irrécusable. Le visage ouvre le discours originel dont le premier mot est obligation, qu'aucune intériorité ne permet d'éviter. »117(*) Ainsi la responsabilité n'est pas d'abord le fait de la liberté de la personne. La liberté telle que Levinas l'entend ne porte pas le sujet à être responsable d'autrui. Ici il y a une obéissance que requiert l'appel de l'autre et à laquelle le sujet doit se soumettre. Levinas parle de cette obligation extrême à l'égard de l'autre comme charité. « Nous devons accepter d'être pris en otage par ce qu'il y a de plus menacé, avant même que notre liberté n'intervienne118(*) » nous dit R. Simon; auteur d'une étude sur Hans Jonas et Emmanuel Levinas. A lire cela avec des lunettes philosophiques vulgaires, on ne voit qu'un immense paradoxe, une évacuation de la consistance du sujet qui pourtant se retrouve couvert de responsabilité. Le souci de l'autre paraît sans cause, la responsabilité immotivée, sans pourquoi. Face à Kant qui conçoit le sujet comme l'auteur, l'initiative, la cause libre de ses actions, Levinas semble éteindre le sujet et on se demande quel rôle celui-ci à jouer dans cette histoire. Un sujet sommé de répondre, hormis toute conscience de sa liberté. Isaïe disant: « Me voici », à la simple vue de la majesté de Dieu, qui pour nous laisse sa trace dans la nudité et la faiblesse de l'humain, d'autrui, notre prochain pourtant si extérieur à notre monde qu'il en demeure étranger. Ce sera la critique de Michel Haar que l'on a déjà évoqué Levinas semble balayer l'ontologie d'une façon telle face à l'éthique que le sujet semble vidé de soi-même. Pour Levinas cela est exact. Il veut balayer la primauté de l'ontologie pour remettre à jour la passivité du sujet commandé par la faiblesse de l'autre. Et, si Levinas ne bascule jamais en théologie, il semble parfois apparaître comme finalement un prédicateur de ce « me voici », Dernièrement discutant avec A.Assaf, professeur à l`Université du Milieu de la Vie, je l'entendais me dire de Levinas qu`il était en quelque sorte un rabbin déguisé. Il importe par là de comprendre que le soucie de Levinas n'est pas strictement philosophique au sens classique, il est éthique. Boissinot souligne ce que l'on a voulu mettre en lumière au début de ce travail, à savoir « que toute la philosophie de Levinas est traversée et portée par le souvenir d'Auschwitz, sorte de rejeton de la tradition philosophique pour qui toute altérité se réduit nécessairement au même et se dépouille de son étrangeté »119(*) . Cela est la première chose. Levinas ne s'enquiert pas seulement de spéculations philosophiques; il travaille à une réhabilitation de la responsabilité face à une histoire philosophique qui connaît trop le primat du sujet, et cela par ce devoir de mémoire qui constitue même la dédicace de Totalité et infini. De même, Boissinot souligne également que « Levinas emprunte à l'Écriture et à la tradition rabbinique le concept d'une responsabilité originaire constitutive de la subjectivité, mais sans jamais se placer dans ses écrits philosophiques sur le terrain de la théologie. »120(*)

En résumé, cette réponse du sujet est pour Levinas la source de sa constitution subjective. Je suis sujet parce que je suis responsable. Je ne suis pas responsable parce que je le veux. Ce qui prime n'est pas la liberté du sujet mais sa justice. Ce que Levinas ne dit cependant pas et qui nous permet d'apercevoir qu'il ne vide pas le sujet de sa consistance comme on pourrait le croire est que le sujet n'est pas juste dans sa responsabilité. Au contraire le sujet responsable est un sujet vivant dans la justice. Ce que Levinas dit c'est que toute l'existence du sujet devient éthique, obsession de l'autre dont il ne peut se défaire. Le sujet responsable d'autrui est un sujet obsédé par ce qui peut arriver à autrui, par la possibilité de sa disparition. Être le gardien de son frère voilà, pour Levinas l'authentique substance du sujet, contre toutes les philosophies ne pensant le souci du sujet que comme souci de soi.

Permettons ici de citer David Brezis qui souligne le rapport entre autrui et le Bien:

Le sujet humain est soumis à cette « radicale antécédence de l'Autre qui s'offre comme aussi comme radicale antériorité du Bien, m'obligeant à répondre de plus que mon propre être, s'imposant à moi avant ma liberté, me choisissant ou m'aimant avant que je l'ai jamais choisi ou aimé. »121(*)

Ce rapport entre le Bien et autrui n'est pas à concevoir sur le modèle d'une nourriture terrestre. Il demeure soumis à la pensée que, si « l'existence ne commence pas dans le bonheur »122(*) des nourritures terrestres, il ne peut s'y accomplir. Là ou l'humain est étouffé par l'irrémissibilité de son être-solitude, là ou il ne trouve dans l'économie et la jouissance qu'un monde qu'il connaît, la responsabilité (qui est amour) est voie d'évasion de l'être et de la totalité.

C'est dans un entretien avec Christoph Von Wolzogen, que Levinas souligne ce rapport entre responsabilité et amour, autrui et Bien:

« Ce qui est vraiment humain[...] c'est l'amour. L'amour avec toute la charge de ce terme -ou mieux encore la responsabilité[...] Il s'agit avant tout d'accéder à la singularité. L'amour ou la responsabilité sont la donation du sens de la singularité »123(*)

On en revient de fait à ce sens d'échapper à l'uniformisation des rapports humains qui tuent autrui et le privent de son sens. La pensée de Levinas amène à penser qu'autrui n'est pas un objet dont le sujet dispose. Sa singularité perçue dans le Visage; singularité de sa faiblesse, singularité qui nous commande est aussi le fait de ce qu'il est unique.

En ce sens, il ne suffit pas juste de dire que nous sommes responsables parce que l'autre nous le commande. Si autrui est l'unique, nous sommes élus à la responsabilité. L'obligation n'est donc pas un esclavage, ce qui avait été soulevé plus haut. Elle est une élection, un appel auquel nous sommes sommés de répondre: « me voici ». Levinas n'est pas naïf: les hommes peuvent se dérober et privilégier la totalité du même. Mais rester dans la totalité équivaut à manquer le sens et le laisser s'effondrer. L'absence de responsabilité est la porte ouverte à la barbarie. De même, Jeffrey Kosky a émis récemment l'idée que la responsabilité éthique comme obéissance et obligation n'est pas une aliénation mais une évasion. Ainsi on rapporte ce propose de Levinas qui nous dit que la responsabilité répond à « l'exigence d'une tentative pour fuir [...] par la délivrance éthique du Soi par la substitution à l'autre »124(*), une délivrance dans laquelle « le soi éthiquement se libère. »125(*) On reviendra à cette étude de Kosky un peu plus loin.

* 113 Fevre, p.127

* 114 Zielinski, op.cit., p.113

* 115 Dictionnaire de Trévoux cité dans P. Ricoeur, Le Juste, p. 44, éditions Esprit, Le Seuil

* 116 Zielinski, op.cit., p.117

* 117 Fevre, p.130

* 118 R.Simon, Éthique de la responsabilité, Cerf, 1993, p.171

* 119 C. Boissinot, «  la réception française de l'oeuvre de Hans Jonas », Revue d'éthique et de théologie morale, « Le supplément » , n°194, sept 1995, p.190

* 120 op.cit., p.191

* 121 D. Brezis, « L'intériorité en question. Regards croisés sur Kierkegaard et Levinas », Revue Rue Descartes, n°43, p.27

* 122 C. Chalier, « Le bonheur ajourné », Revue Rue Descartes, n°19, p.27

* 123 « L'intention, l'évènement et l'autre. Entretien avec Christoph von Wolzogen », Revue Philosophie, n°93, p.15

* 124 AE, p.256

* 125 AE, p.181

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand