II.3. Les circonstances exceptionnelles de
résistance au souverain
Ici, la question qui se pose est de savoir si les citoyens ont
le droit de se révolter, d'abolir ou de changer le gouvernement, au cas
où celui-ci ne remplirait pas ses devoirs légitimes.
C'est-à-dire, s'il viole la propriété58 ou les
libertés fondamentales des citoyens qu'il est censé
protéger. Comme nous nous le voyons, ce problème renvoie aux
obligations ou aux devoirs des citoyens, d'après les fonctions du
gouvernement. Dans la mesure où ce dernier a besoin de la
coopération des citoyens pour s'acquitter de son rôle, chaque
citoyen peut se considérer comme obligé. Les devoirs des citoyens
découlent donc des besoins du gouvernement. Dans l'abstrait, il n'existe
pas d'obligation typique du citoyen envers le gouvernement. Les gouvernements
sont établis pour aider les hommes à atteindre leur objectif de
bonheur le plus grand et de plein épanouissement de leur
personnalité.
J. LOCKE estime que, lorsque le gouvernement cesse d'agir dans
cette direction, il revient de droit au peuple, garant de la
légalité et de la souveraineté, de le « modifier
» ou de « l'abolir ». La propriété
de l'individu revêt une importance capitale dans la communauté
politique. Elle constitue le fondement de l'action politique. Il ne peut y
avoir d'atteinte plus grave au droit, qu'une violation de la
propriété de l'individu. Lorsqu'un gouvernement va à
l'encontre du but pour lequel il a été institué,
c'est-à-dire, viole la propriété des particuliers, les
citoyens ont toute la latitude de le changer ou de le renverser.
56S. GOYARD-FABRE, «Le peuple et le droit
d'opposition», in Cahier de philosophie politique et juridique n°
02, 1982.
57Il s'agit de H. D. THOREAU, J. HABERMAS, J. RAWLS
et H. ARENDT. Une synthèse de leur doctrine sur le droit de
résistance est proposée par Y. SINTOMER, «Aux limites du
pouvoir démocratique : Désobéissance civile et droit
à la résistance», in Actuel Marx n°24 :
HABERMAS, une politique délibérative, 1998, pp.
85-104.
En d'autres termes, le peuple possède le droit de
porter au pouvoir un autre gouvernement pour remplacer celui qui ne remplit pas
ses fonctions. Le droit à la résistance est donc bien
affirmé. Le peuple doit se rebeller contre le gouvernement qui viole les
droits fondamentaux des citoyens. Il a ainsi le droit de s'opposer à
l'autorité du gouvernement et de désobéir aux lois qui ne
représentent pas un exercice légitime du pouvoir. Ces cas
d'exercices illégitimes sont clairement définis par J. LOCKE.
C'est par exemple lorsque règne l'arbitraire ou si ceux
qui font les lois n'ont pas été dûment mandatées
à cet effet par le peuple59. Il en va de même quand le
pays est conquis par un autre Etat. Ce fait supprime le devoir
d'obéissance à l'ordre légal en vigueur. Car un contrat ne
peut lier que s'il est passé librement, et l'invasion constitue par
conséquent, une cause de dissolution de la société
politique60. La rébellion est aussi justifiée, lorsque
le pouvoir législatif se trouve altéré par suite de
certains abus du pouvoir exécutif qui l'empêchent d'assumer les
tâches qui lui sont dévolues61. De même la
désobéissance civile devient légitime quand ces deux
pouvoirs rompent le trust que le peuple a placé en eux. Par
exemple, en utilisant les moyens puissants dont ils disposent pour satisfaire
d'autres intérêts que le Bien Commun62.
Les lois et règlements imposés par les
gouvernements en violation des droits fondamentaux de l'homme et des
libertés civiques n'ont pas force obligatoire. Pour présenter ce
caractère, la loi doit être juste. Les lois injustes sont
tyranniques, et l'on se doit, à juste titre, de s'opposer à la
tyrannie. Le droit à la résistance inclut le droit à la
révolution : « abolir » un gouvernement. Il peut
entraîner la mise à mort du tyran (tyrannicide), comme ce fut le
cas pour Charles Ier STUART, prince indigne, bien que cet acte soit
difficilement justifiable par des considérations éthiques.
Cependant, pour la stabilité de la communauté
politique, J. LOCKE admet qu'il est dangereux que les citoyens décident
qu'une loi ou un gouvernement est injuste. Ou encore, qu'un gouvernement rende
des comptes au peuple. Voilà
pourquoi, il exige que les menaces planant sur la
propriété doivent être substantielles et sérieuses.
Une violation occasionnelle, si lamentable qu'elle soit, ne constitue pas une
menace écrasante ni un danger évident pour le peuple. Le droit
à la révolution doit donc être bien établi, et les
violations du droit par les autorités gouvernementales absolument
manifestes, comme ce fut le cas pour les révolutionnaires
sécessionnistes américains de 1776 vis-à-vis de la
GrandeBretagne63.
Le droit à la résistance est donc ancré
dans une tradition humaine qui touche aux principes mêmes de l'existence
de l'homme. Partout où il se trouve, l'homme doit reconnaître de
telles violations comme d'odieuses atteintes à sa dignité et
à sa liberté de choix. On ne peut attendre de lui qu'il vive sous
de telles conditions. Le droit à la résistance devient
indispensable à sa survie, en qualité d'être humain.
Autrement, ce serait accepter volontairement la forme d'esclavage la plus
basse. Se faire le complice de tels actes, est une attitude
criminelle64, laquelle est également condamnée par la
Cour Internationale de Justice dans son statut fondateur65.
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