III.2. Du gouvernement civil et de ses
finalités
Dans les temps les plus reculés, estime LOCKE, un homme
pouvait directement traiter avec un autre homme pour résoudre les
difficultés qui surgissaient entre eux. C'est ainsi qu'en Grèce
antique par exemple, les choses se passaient d'une manière directe.
Chaque citoyen pouvait faire connaître sa volonté au sein d'une
assemblée. Mais, l'avènement et la croissance des
collectivités modifia cette procédure, en exigeant une certaine
forme d'organisation sociale pour le règlement des différends.
Les citoyens durent déléguer à leurs représentants
la gestion des affaires communales. De nos jours, la plupart des nations sont
régies par l'une de ces formes quelconques de système
représentatif. C'est le degré de représentativité
qui, selon J. LOCKE, fait la différence entre les régimes
autoritaires et
les régimes démocratiques. C'est également
cette politique de représentativité qui est la raison
d'être des autorités ou du gouvernement civil.
On comprend que le rôle du gouvernement civil consiste
à représenter les citoyens dans leurs relations avec la
communauté. Sur un plan idéal, le gouvernement devrait
représenter la volonté de chaque membre de la communauté.
Ainsi, les divergences seraient aplanies par une liberté de choix
individuel maximale. Il est cependant évident que les relations au sein
de la communauté politique imposent l'octroi d'une priorité
à certaines prétentions par rapport à d'autres. Les
règles utilisées pour déterminer les priorités
reflètent la structure profonde de la société, ici le
principe de majorité. A la suite de J. LOCKE, J. J. ROUSSEAU dans son
article l'Economie politique (1754), s'exprimera lui aussi de la
même façon sur ce chapitre. Notamment quand il assimile le corps
politique à un être moral qui a une volonté. Celle-ci tend
toujours vers la conservation et le bien être du tout et de chaque
partie. Elle est la source des lois, et se présente pour tous
les membres de l'Etat et par rapport à l'Etat lui-même, comme la
règle du juste et de l'injustice. Mais c'est dans un autre
texte que le propos de J. J. ROUSSEAU paraît plus intéressant. Il
convient de lui laisser la parole :
« Tant que plusieurs hommes réunis se
considèrent comme un seul corps, ils n'ont qu'une seule volonté,
qui se rapporte à la commune conservation, et au bien-être
général. Alors tous les ressorts de l'Etat sont vigoureux et
simples, ses maximes sont claires et lumineuses, il n'a point
d'intérêts embrouillés, contradictoires, le bien commun se
montre partout avec évidence, et ne demande que du bon sens pour
être aperçu. La paix l'union l'égalité sont ennemies
des subtilités politiques »84.
Le gouvernement civil doit exprimer la volonté du
peuple sur la terre, car, tout homme et tout groupe d'hommes possèdent
le droit à l'autodétermination. Les personnes l'exercent par leur
volonté individuelle, les groupes de personnes par leur majorité.
La loi de la majorité apparaît ici comme la loi naturelle de toute
société civile. Le gouvernement est un instrument au service,
uniquement, de la communauté et chargé d'assurer sa protection.
C'est l'objet en vue duquel il a été établi. En aucun cas,
il ne doit être la négation de l'objet même en vue duquel il
a été institué. Le véritable rôle du
gouvernement est d'aplanir les divergences entre les
hommes de manière à permettre le maximum de
libertés et de bien-être au sein de la communauté
politique. Cela sous-entend aussi bien la protection de celle-ci contre les
attaques qui nuiraient à l'ordre social que la création de
certains services pouvant faciliter les relations en son sein, afin
d'atténuer les dangers du mauvais fonctionnement des mécanismes
sociaux.
En s'appuyant sur un examen minutieux des faits historiques,
J. LOCKE pense qu'il est nécessaire de soumettre le gouvernement
à un contrôle, pour veiller à ce que qu'il reste
fidèle à son objectif initial. Le gouvernement est investi de la
fonction légitime de diriger les différents groupes de la
société. Les personnes doivent être protégées
contre toute atteinte à leur droits. Tant de la part des groupes de
particuliers qui menacent l'ordre public, que de la part du gouvernement lui-
même. La règle de la majorité, en tenant compte des droits
des minorités et des individus, doit tendre à garantir un respect
accru de la volonté d'un plus grand nombre de citoyens, que la dictature
d'un groupe ou d'un seul homme.
Le but du gouvernement doit être compris en fonction des
intérêts de chaque citoyen pris individuellement. Ainsi, il est un
instrument de régulation soumis aux même garanties que les groupes
qu'il cherche à régir. En d'autres termes, les membres du
gouvernement sont soumis à un même contrôle que les autres
citoyens. Le gouvernement n'est pas au-dessus de la loi, il est placé au
même pied d'égalité que les autres groupes. La
décision finale reste ainsi entre les mains des citoyens. Dans le
même sens, il incombe à chaque citoyen de décider si le
gouvernement remplit ses obligations ou non.
Le rôle du gouvernement consiste donc à aider
chaque citoyen, pris individuellement, à mieux réaliser toutes
les possibilités de sa personnalité. Il dispose de puissants
moyens pour réduire les souffrances humaines et aider les hommes dans
leur recherche du bonheur. Sa structure doit permettre aux individus de faire
l'expérience des différentes normes à cette fin. Il ne
doit en aucun cas s'arroger le droit de les leur imposer quand il s'agit de
l'épanouissement de leur personnalité. Les dirigeants du
Commonwealth peuvent faire des recommandations, mais, en
dernière analyse, il revient à l'individu de décider de
concert avec les
autres, en toute conscience, de la voie à suivre pour y
parvenir. Ceux qui doutent de l'aptitude des divers membres de la
communauté politique à faire un choix personnel raisonnable,
n'ont pas encore compris que le gouvernement qui porte atteinte aux droits
fondamentaux de la personne, porte en lui-même le germe de sa propre
destruction. Ainsi, quels que soient selon J. LOCKE, les désastres que
peuvent causer les excès individuels, ils ne pourront jamais être
aussi graves que les atrocités provoquées par les dictatures.
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