Chapitre I. Les fondements de l'anthropologie politique
de J. LOCKE
I.1. Les fondements historiques
I.1.1. Situation socio-politique de l'Angleterre à
l'époque de J. LOCKE
La vie6 de J. LOCKE coïncide avec un chapitre
important de l'histoire d'Angleterre. Son oeuvre exprime une double
évolution : historique et idéologique. Historiquement, il est
lié à GUILLAUME III d'Orange (1650-1702) et à la
Glorious revolution de 1688/89. Celle qui fait date dans l'histoire de
la liberté des peuples. Idéologiquement, il assiste à la
mise en place d'une monarchie constitutionnelle dont il est non seulement
l'admirateur, mais aussi le théoricien en plaidant pour le pluralisme
confessionnel et politique. A cette époque, la réflexion sociale
et politique n'est pas homogène. Cette diversité est la
traduction des besoins politiques, éthiques et religieux et est
dominée par l'opposition significative de deux grandes tendances : la
tendance des Tories et celle des Whigs.
I.1.2. La tendance Tory
Les Tories sont favorables à l'Eglise
anglicane, élevée au rang de religion officielle d'Etat par
l'Acte de Suprématie7, et à la Couronne dans
sa version absolutiste monarchique, creuset de l'arbitraire et des injustices.
C'est la tendance aristocratique. Elle représente l'idéologie
dominante. Soutenue dans une moindre mesure par T. HOBBES (1588-1679), dans son
oeuvre monumentale, le Léviathan, 1650. Mais son
défenseur le plus zélé reste R. FILMER, avec son
maître ouvrage, Patriarcha or natural power of kings, 1680
(Patriarche ou pouvoir naturel des rois).
Patriarcha or natural power of kings est un essai sur
l'obligation politique et l'origine historique du pouvoir qui légitimait
l'autorité de Charles Ier STUART (1600-1649) sous sa forme la plus
absolue au nom du droit divin des rois,
6Sur cette vie dont nous faisons ici
l'économie, nous renvoyons aux ouvrages suivants : P. KING, Life of
John LOCKE, 2 volumes, 1829 et 1830 ; H. R. FOX BOURNE, The life of
John LOCKE, 1876, 2 volumes, et enfin, M. CRANSTON, John LOCKE,
a biography, 1957.
7L'Acte de Suprématie scella la
rupture entre l'Eglise d'Angleterre et l'Eglise catholique romaine en
proclamant la primauté de la première sur la seconde. Il fut
signé en 1534. Nous renvoyons sur ce sujet à R. MARX,
Religion et société en Angleterre de la réforme
à nos jours, P.U.F., 1978, p. 13 & p. 34.
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8Jacques VI d'Ecosse, cité par R. MARX, Op.
Cit., pp. 16-17.
9Jacques II STUART, Instructions à son
fils, 1692, cité par R. MARX, Idem, p. 17.
fondé sur la puissance paternelle et la
primogéniture. Il met l'accent sur l'ordre social, et, le sanctifiant,
ordonne une identique soumission aux lois de Dieu et à celles des
hommes. Dans cette optique, toute une somme d'institutions et de coutumes
rappellent aux Anglais que pour être de bons sujets, ils doivent
accomplir leurs devoirs religieux, et que cela exige leur soumission à
l'ordre établi. Cette sacralisation de l'Etat et des institutions
s'opère à travers la personnalité même du prince.
Voici la quintessence de cette sacralisation que résume Jacques VI
d'Ecosse :
« Les rois ne sont pas seulement les lieutenants de
Dieu sur la terre, assis sur le trône divin lui-même, mais, bien
plus, Dieu en personne les a dénommés dieux [...] Les rois sont
la tête du microcosme humain [...] De même qu'il est
blasphématoire de mettre en question un acte de Dieu, de même il
serait séditieux pour des sujets de critiquer ce qu'un roi accomplit
dans la plénitude de son pouvoir »8.
De même, Jacques II STUART (1633-1701), après
avoir été privé de son trône par la
révolution de 1688/89, a lui aussi un discours analogue quand il dit
à son fils que « les rois ne sont comptables d'aucune de leurs
actions que devant Dieu et eux-mêmes »9. Il
apparaît clairement que l'ordre politique est déterminé par
le respect même de la loi divine ; et à la sacralisation des
institutions politiques correspond celle de l'ordre social. Rébellion et
péché ici sont indissolublement liés. Dans la mesure
où le conformisme religieux apparaît à la fois comme une
pente naturelle sur laquelle il faut se laisser glisser, tout comme il est un
comportement imposé par la loi sous peine de sanctions graves.
L'autorité civile est requise pour prêter main forte à
l'exécution des ordonnances ecclésiastiques.
C'est dans cette optique que, sous ELIZABETH
Ière (1553-1603), une Cour de Haute Commission fut mise sur
pied pour statuer sur les cas marginaux. A partir de 1660-1678, d'autres
raisons confirmèrent de cette orthodoxie : 1661, le Corporation Act
excluait des fonctions municipales toute personne ne communiant pas dans
l'Eglise officielle d'Angleterre ; 1673, le Test Act étendait
ces dispositions à l'ensemble des fonctions civiles et militaires.
Enfin, en 1678, le Second Test Act lui aussi, excluait du parlement,
toute personne qui ne pouvait pas faire preuve de
10Sur ces exclusions et répressions, cf. R.
MARX, Idem, pp. 30-80. Egalement VOLTAIRE, Lettres
philosophiques, Lettre sur la religion anglicane, GF-Flammarion,
1964, pp. 42-44.
11 Connue sous le nom de la Déclaration
des droits des citoyens. Elle fut lue et approuvée au parlement le,
13 février 1689 devant la nouvelle reine, Marie STUART et le nouveau
roi, GUILLAUME III d'Orange. Ce texte est donné en Appendice de : J.
LOCKE, T.G.C., GF-Flammarion, 1992, pp. 359-360. Voir ci-dessous
pp.57-58.
12S. E. BARKER, La Monarchie constitutionnelle
anglaise, Fosh & Cross Ltd, 1950, p. 05.
son orthodoxie. Dans ce dernier cas, l'administration adoptait
de plus en plus une législation soupçonneuse et
répressive. La fin étant de faire prendre conscience aux
personnes concernées de leur indignité, et les persuader de
renoncer à leurs errements10. De tels principes n'ont pas
manqué d'être remis en question au temps des deux grandes
révolutions du XVIIème siècle. C'est l'oeuvre
des Whigs.
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