Chapitre V. Sur la pensée libérale de J.
LOCKE
V.1. Les fondements de la politique libérale
V.1.1. La loi naturelle et ses différentes
obligations
La pensée libérale de J. LOCKE prend ses racines
dans la théorie de la loi naturelle. A l'instar de ses
pairs110 qu'il cite abondamment, J. LOCKE dans ses Essais sur la
loi de nature (1664) et dans son T.G.C., admet l'existence de la
loi naturelle. A la différence de ces derniers, il va plus loin en
donnant à celle-ci, sa construction théorique définitive,
certainement aussi, la plus systématisée.
La loi naturelle est fondamentalement une norme
éthique, c'est-à-dire, une détermination du bien et du
mal. Elle nous est donnée par Dieu, créateur de l'univers et des
hommes111. A travers elle, Dieu a prescrit aux unes et aux autres
espèces de la nature, son oeuvre, une téléologie
appropriée à la nature de chacun. Ainsi, la loi de nature propre
à l'homme s'insère-t-elle aussi dans l'ordre logique,
téléologique du monde créé par Dieu, et revêt
du même coup cette signification naturelle. On peut ici,
reconnaître l'influence de la tradition judéo-chrétienne,
dont saint THOMAS se présente comme l'illustre légataire au Moyen
Age, et de celui que J. LOCKE nomme le « Judicieux HOOKER
».
Pour J. LOCKE, la loi naturelle est la volonté de Dieu
appliquée à l'humanité et inscrite dans l'ordre
téléologique de son oeuvre112. Elle s'impose sous la
forme d'une obligation convenable aux êtres humains, c'est-à-dire,
aux êtres doués de raison, afin de parfaire la volonté du
créateur selon laquelle « toute son oeuvre doit être
conservée et soignée suivant son bon plaisir
». Cette loi est ici assimilée à la loi
divine. Elle est la mesure du bien en général du genre humain
mankind113. Parce que cette loi existe, désormais il
est possible au genre
110Il s'agit de GROTIUS et de PUFENDORF.
111J. LOCKE, T.G.C., Chapitre II : De
l'état de nature, § 12, p. 150.
112Idem, Chapitre II : De l'état de
nature § 06, pp. 144-146 ; Chapitre V : De la propriété de
choses, § 26, p. 163, § 29, pp. 164-165 ; Chapitre VI : Du pouvoir
paternel, § 56, pp. 183-184 ; enfin, Chapitre VII : De la
société politique ou civile, § 77, p. 200.
113J. LOCKE, E.P.C.E.H., Livre II : Des
idées, Chapitre 28 : De quelques autres relations, et surtout des
relations morales, Vrin, 1998, pp. 277-288.
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114On peut noter la similitude avec saint THOMAS
d'Aquin, Somme théologique, II, II, 94-2, Edition de la revue
des jeunes, 1935.
115J. LOCKE, T.G.C., GF-Flammarion, 1992,
Chapitre II : De l'état de nature, § 06, pp. 144-145.
116Idem, Chapitre II : De l'état de
nature, § 06, pp. 144-145. Chapitre III : De l'état de guerre,
§ 16, pp. 154-155. Enfin, Chapitre XI : De l'étendu du pouvoir
législatif, § 135, pp. 243-244.
117Idem, Chapitre II : De l'état de
nature, § 04, p. 143.
118Idem, Chapitre II : De l'état de
nature § 07, p. 146.
119Idem, chapitre XI : De l'étendue du
pouvoir législatif, §§ : 134-135, pp. 242-243. Chapitre XVI :
Du pouvoir paternel, du pouvoir politique et du pouvoir despotique
considérés ensemble, § 195, p. 287.
120R. POLIN, La Politique morale de J. LOCKE,
P.U.F., 1960 p.1 14.
121E.B.J., Op. Cit., Genèse I. 26
& 28 ; J. LOCKE cite ce passage Op. Cit., Chapitre V : De la
propriété des choses, § 25, p. 162. On peut également
noter la similitude avec saint THOMAS d'Aquin, Op. Cit., II, II, 66-1
; II, II, 66-2 et II, II, 66-5. C'est nous qui soulignons.
122C'est aussi l'avis de BARBEYRAC en marge du texte
de PUFENDORF, Droit de la nature et des gens, Livre IV, Chapitre IV,
3n, cité par J. TULLY, Op. Cit., p. 96.
123J. LOCKE, E.P.C.E.H., Vrin, 1998, Livre IV
: De la Connoissance, Chapitre XII : Des Moyens d'augmenter notre connoissance,
§ 11, pp. 533-541. (C'est la traduction de P. COSTE, 1700 ; donc l'ancien
français).
124J. TULLY, Op. Cit., pp. 89-90.
125J. LOCKE, L.T., P.U.F., 1993, p. 03.
126E.B.J., Op. Cit., Luc XX, 25.
humain de comprendre les jugements d'innocence et de
culpabilité que chacun, en son âme et conscience est en mesure de
porter sur lui-même ou sur les autres. Sans elle, il n'y aurait ni vice,
ni vertu, ni récompense, ni châtiment. Et la loi positive, qui
représente la loi en vigueur dans les sociétés civiles
particulières, n'est déduite qu'en fonction d'elle ; et n'est
dite bonne ou mauvaise qu'en se mesurant à elle. Enfin, la connaissance
du bien et du mal immanente à tout homme, est la grande preuve de son
existence.
Telle que présentée par J. LOCKE, la loi
naturelle exprime d'abord une nature humaine. C'est-à-dire, un pouvoir
parfaitement libre. Ensuite, et par voie de conséquence, les limites
appropriées à la conservation de cette nature humaine. Enfin, ces
limites qui sont traduites en forme de lois, visent la « parfaite
égalité » et la « parfaite liberté
», attitudes impossibles en dehors de la loi. Exception faite de
l'obligation classique qui consiste pour les créatures de louer leur
créateur, LOCKE adjoint trois autres prescriptions114
à ces limites.
La première prescription divine invite tous hommes
à glorifier et à agir selon les règles de Dieu, leur
créateur. En d'autres termes, elle invite tous ces derniers à
reconnaître Dieu comme étant leur créateur, à le
glorifier et à contempler sa majesté à travers l'ensemble
de son oeuvre dans toute sa splendeur, témoignage de sa puissance et de
sa sagesse incommensurables115. Les hommes étant l'oeuvre de
ce créateur infiniment puissant et sage, ils ont été
crée pour le servir et sont sa propriété. Voilà
pourquoi leurs vies ne leur appartiennent pas. Ils sont donc obligés
à ne pas porter atteinte volontairement à celles-ci.
La seconde prescription, équivaut à la fois
à l'obligation pour chaque homme de pourvoir à sa propre
conservation, et à celle de veiller à la conservation de
l'espèce humaine dans son ensemble116. Ce dernier aspect
montre que, les hommes appartiennent à une même famille,
mankind et sont doués des mêmes
facultés, la raison particulièrement. C'est pour
cette raison qu'aucun d'eux, n'est fondé à posséder (les
biens du monde) plus que les autres. Tous les pouvoirs dont dispose chacun sont
identiques à ceux détenus par tous les autres, et tous vivent
dans un état de « parfaite liberté » et de
« parfaite égalité »1
17.
Les hommes faits à la gloire de Dieu, sont ici des
êtres égaux, soumis à une loi de conservation personnelle
et collective. Ils sont fondés à sauvegarder mutuellement
« leurs personnes, leurs biens, leurs libertés et leurs vies
». Cet énoncé propre de la loi de nature les
oblige également à vivre dans un état social de paix et de
sécurité118. La formation et la conservation de
celui-ci sont subordonnées à cette loi de nature. C'est d'ici que
découle la troisième et dernière obligation naturelle,
intimant aux hommes l'ordre de respecter et de perpétuer la vie sociale.
Dans cette optique, J. LOCKE pense à juste titre, et ceci, à la
suite d'ARISTOTE que, l'usage de la parole et du langage, prédisposent
les hommes à la vie civile119. La vie en
société, est une obligation de la loi de nature, les hommes
disposent des potentialités à cet effet. Ils ont le devoir de
respecter la vie humaine. Pour nous résumer, la loi de nature chez J.
LOCKE renferme l'ensemble des devoirs de l'homme envers Dieu, envers
lui-même et envers les autres120.
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