VIII.2. L'aspect théorique des traités
politiques de J. LOCKE
L'oeuvre politique de J. LOCKE, dont la plus grande partie est
exposée dans la L.T. et le T.G.C., constitue un
ensemble d'essais de philosophie politique. C'est là, ce qui nous
autorise à affirmer qu'elle est un simple modèle d'analyse et
d'interprétation philosophique du fait politique et juridique. Cette
anthropologie politique et la théorie des droits qui en découle
présente une valeur d'ordre épistémologique, en
enrichissant la connaissance spéculative.
S'inspirant de la réalité politique et juridique
de son époque, irrationnelle, J. LOCKE s'en démarque et essaie
d'en projeter une autre, qui augure de meilleurs lendemains pour
l'espèce humaine. Il conçoit qu'il est absurde pour des
êtres doués de raison, c'est-à-dire pour l'humanité
et pour des Etats, de continuer à vivre dans un monde où leurs
relations réciproques ne sont pas régies par un système
juridique dans lequel, les droits des citoyens sont conçus comme la
contrepartie de leurs devoirs vis-à-vis de l'Etat. Ceci, pour le bien de
tous et de chacun, pour la survie de la communauté politique et la
continuité de l'Etat.
J. LOCKE essaie de donner à l'humanité un
nouveau dessein moral. Son système n'a aucune valeur, au sens strict,
sur le plan juridique. Autrement dit, il n'a aucune valeur contraignante, il
n'a pas force de loi. Les résolutions qui y sont indiquées
n'obligent pas les hommes et les Etats. Elles sont une contribution
théorique, à l'amendement de la condition politique et juridique
de l'humanité. Les contributions de LOCKE ont eu non seulement une
influence considérable sur la
141J. LOCKE, T.G.C., chapitre V : De la
propriété des choses, § 41, p. 174. 142 Cf., ci-dessus,
pages : 54-55 ; pages : 57-59.
renaissance du droit au milieu du XXème
siècle, mais aussi sur la formalisation juridique des droits de l'homme,
y compris dans le droit international.
VIII.3. Manque de taxinomie des droits dans les
traités de J. LOCKE
Répétons que la théorie lockienne des
droits ne présente pas une systématisation et une
spécification des droits de l'homme qu'elle énonce. Elle les
englobe tous, sans toutefois les spécifier, dans des concepts
génériques « moyens nécessaires à la
conservation » ou à la « subsistance », ou
encore « droits fondamentaux ». Rares sont les moments
où elle essaie d'être un peu plus explicite. Quand cet effort est
fait, l'indication reste sommaire et vague : « un droit d'user des
biens du monde dont il (Dieu) les a doté si
généreusement pourvu pour qu'ils en tirent leur nourriture, leurs
vêtements et tout ce qui sert de confort à la vie
»141. Les droits sont énoncés de
façon lacunaire et approximative, comme des principes
généraux, ils sont d'une tonalité hautement
philosophique.
Faute de taxinomie et de systématisation hautement
élaborées, les droits de l'homme dans la théorie des
droits de LOCKE sont encore embrigadés dans des catégories
conceptuelles génériques. Il revient au lecteur de déduire
à l'issue d'un effort personnel, quels sont les droits de l'homme
correspondants ou quels sont leurs répondants dans la philosophie
contemporaine des droits de l'homme. Peut-être, à travers cet
acte, LOCKE veut-il nous faire croire qu'une liste exhaustive des droits de
l'homme n'est pas de mise. C'est donc peine perdue, que de vouloir en dresser
une à tout prix. La D. U.D.H. elle-même semble consacrer
cet aspect. N'est-elle pas sans cesse complétée par de multiples
pactes régionaux et internationaux142 ?
Néanmoins, la théorie lockienne à un
mérite : elle a non seulement su poser ces droits comme fondamentaux,
mais aussi, elle a su les présenter comme une obligation à
l'humanité. Dans ce sens, les idées de J. LOCKE ont
été à l'origine de
Du reste, le silence sur l'origine sémitique,
bouddhiste, hindouiste de la spiritualité chrétienne, matrice des
valeurs qui ont façonné l'Occident, comme les droits de l'homme,
et qui sont en train de façonner le monde, nous paraît suspect. Il
est grand temps de réhabiliter la mémoire de ces pensées
fondatrices qui ont posé
la Déclaration anglaise des droits de 1689, en
marge de la Glorious Revolution et à la base de celle à
partir de laquelle les Américains se constituèrent peuple en
1776. C'est encore elle qui sous-tend la Déclaration
française des droits de 1789 ; aussi, la philosophie des droits de
l'homme, telle que nous la connaissons aujourd'hui, y est plus ou moins
explicitement formulée.
Comme nous pouvons le constater, la pensée politique de
J. LOCKE est à l'avant-garde de tous les mouvements des droits de
l'homme, depuis la fin du XVIIème siècle et durant
tout le XVIIIème siècle. Elle a su tracer
l'épure des régimes démocratiques modernes, dont nous
sommes aujourd'hui les plus grands héritiers. Elle est le terreau sur
lequel la plupart des démocraties contemporaines trouvent inspiration et
se formalisent. Elle pose le régime démocratique comme le
meilleur, en comparaison de tous les autres régimes politiques. C'est le
seul, selon J. LOCKE, qui puisse, sans se contredire conjuguer
simultanément la liberté des membres de la communauté
politique et l'autorité des gouvernants. On ne se trompe pas en
soutenant, que c'est la pensée de LOCKE que l'on retrouve dans les
présupposés c'est- à-dire, les sous-entendus, de la D.
U.D.H. C'est dans ce sens qu'il est un ancêtre lointain de la
dynamique contemporaine des droits de l'homme, dont il serait cependant peu
raisonnable de lui attribuer la paternité exclusive.
Cette attitude pécherai par l'ignorance de l'histoire
des idées, car il n'existe pas de pensée sans mémoire, et
l'anthropologie politique de J. LOCKE ne sort pas de ce cadre. Elle est
tributaire de la morale judéo-chrétienne et de la pensée
grecque classique, lesquelles s'étaient alliées en Occident
à un riche développement spéculatif ultérieur venu
de l'Orient. Ainsi de la même manière que saint THOMAS s'incline
devant PLATON et ARISTOTE comme pères de la pensée et
légataires universels de ses instruments formels, de même, il
apparaît sensé de soutenir que la pensée de J. LOCKE
s'enracine aussi dans un fond culturel préalable venu de l'Inde, de la
Chine et de l'Egypte.
les jalons et tracé la voie de la réflexion
philosophico-scientifique dont le génie occidental a su tirer parti pour
son propre compte. Ce silence risque de véhiculer une idéologie
qui évoque en philosophie un débat devenu classique : la
suprématie de la culture occidentale, l'inutilité ou
l'infériorité de toutes les autres cultures qui
n'intègrent pas ce modèle.
Affirmer le rattachement exclusif du mouvement contemporain
des droits de l'homme à l'anthropologie politique de J. LOCKE,
équivaudrait d'ailleurs à concevoir les droits de l'homme comme
fondamentalement au service d'une catégorie bien précise
d'individus, les puritains ou la bourgeoisie (cf., ci-dessous page 91). Enfin,
pareille attitude tendrait à légitimer les droits de l'homme sur
le seul versant de la rationalité de l'homme. De là, peuvent de
sérieuses atteintes au mouvement des droits de l'homme qui, de nos
jours, se veut mondial. L'enjeu ici est que cette attitude empêche tous
les individus ne se réclamant pas de la culture occidentale de se
reconnaître dans les valeurs incarnées par le paradigme des droits
de l'homme. Ces valeurs ne représentant aucun idéal social
sérieux pour eux. Ou encore pour ceux qui s'y reconnaissent, une
occasion d'exclure tout ceux qui ne s'y reconnaissent pas. Enfin, pour cette
catégorie bien précise d'individus dont nous parlions plus haut,
la bourgeoisie montante, d'exclure tous ceux qui ne font pas partie de leur
caste de l'exercice et des avantages réels résultants de ce
paradigme.
Par ailleurs, cette attitude fonde également les droits
de l'homme sur la rationalité humaine. Donc tous les hommes devraient
non seulement les reconnaître, mais aussi, les respecter automatiquement.
Or, la vie quotidienne dément formellement cette thèse, car les
droits de l'homme sont partout bafoués. En dernière analyse,
l'anthropologie politique de J. LOCKE présente quelque difficulté
à fonder de façon apodictique la D. U.D.H. et la
nécessité à l'universalité des droits fondamentaux.
Il faut ici reconnaître sa contingence. A cet effet, nous estimons qu'il
apparaît beaucoup plus judicieux de soutenir que les droits de l'homme ne
sont pas du seul ressort de l'anthropologie politique de J. LOCKE. Il convient
donc de chercher d'autres anthropologies.
143E. B. J., Op. Cit., Genèse I,
26-27. 144Idem, Jean I. 12-13.
145Idem, Ephésiens IV, 23-24.
146Idem, Galates III, 28.
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