Chapitre IX. Les droits de l'homme, un long processus
historique
La D.U.D.H., n'est pas une invention abrupte,
c'est-à-dire une création ex- nihilo. Elle est une
formulation systématisée et formalisée d'un acquis par
processus de la conscience historique. Nous allons essayer d'en faire
l'histoire. Celle-ci remonte aux périodes historiques les plus
lointaines : textes des grandes religions judéo-chrétiens et
arabo-musulman ; textes babyloniens d'HAMOURABI et égyptiens ; textes
gréco-latins. Même chez les peuples sans écriture, les
principes relatifs au respect des personnes sont présents dans les
traditions de pensées, de religions, des arrêts de tribunaux
coutumiers, etc. Essayons d'examiner la quintessence de ces cultures en
matière des droits de l'homme.
IX.1. L'expérience des grandes religions
IX.1.1. Le message judéo-chrétien
La finalité de la D. U.D.H., coïncide
avec le précepte judéo-chrétien du respect de la personne
et de « l'amour du prochain ». Cette doctrine, les
éléments historiques nous le montrent, est formulée
dès le premier livre de l'Ancien Testament, la
Genèse, qui déclare l'homme fait à l'image de
Dieu 143 . D'où sa participation au projet
général de ce dernier. Ce rattachement et cette participation (de
l'homme) au projet général de Dieu, est le fondement de la
dignité inhérente à l'homme, et la source des droits de
l'homme.
Le Nouveau Testament ne s'éloigne pas de cette
vision : « JESUS Christ est venu sur terre pour l'homme, pour
réaliser son salut ». En effet, devenu le principe universel
de salut, il obtient pour chaque homme de devenir fils de Dieu 144. En
d'autres termes, chaque homme est devenu une nouvelle créature,
née par le Saint-Esprit. Tous ceux qui adhèrent à
lui par la foi et le baptême, constituent la famille de Dieu. Dans cette
famille, il n'y a « ni juif, ni grec, ni femme, ni homme, ni esclave,
ni homme libre ; tous ne font qu'un dans le Christ JESUS
»145. Tout homme est l'image du DIEU invisible et, le
frère du Christ146.
Ainsi, le juif, le chrétien trouvent en chaque homme
Dieu lui-même, avec son exigence absolue de justice et d'amour. Le
précepte de « l'amour du prochain » trouve ici toute
sa signification et se traduit aussi bien en commandement de Dieu qu'en celui
de l'Eglise. Sur le plan des rapports inter humains, il inspire le principe de
l'existence en l'homme, du droit au respect. C'est sur cet aspect qu'à
la suite de l'Ancien Testament, le christianisme fonde la
reconnaissance, le respect de la dignité humaine et tout ce qui en
découle. C'est également sur ce même principe que les
rédacteurs de la Déclaration américaine des
droits de 1776 s'appuyèrent pour justifier leur entreprise de
sécession vis-à-vis de l'empire britannique et du roi de
Grande-Bretagne : « Nous tenons ces vérités pour
évidentes par elles-mêmes que tous les hommes naissent
égaux, que leur créateur les a dotés de certains droits
inaliénables, parmi lesquels la vie, la liberté et la recherche
du bonheur »147 . Enfin, nous remarquons que, c'est sur ce
même aspect que l'Eglise Catholique, une spécificité du
Christianisme, fonde sa doctrine sur les droits de l'homme148.
C'est en reprenant à son propre compte
l'expérience de la Bible, des Pères de l'Eglise, des
membres de l'Ecole juridique et de l'école théologique espagnoles
du XVIème siècle (VITORIA, SUAREZ, LAS CASAS), que
l'Eglise catholique fonde sa doctrine actuelle en matière des droits de
l'homme. Habituellement, celle-ci admet le fondement des droits de l'homme
déjà dans la loi naturelle. Ses prémisses : l'ordre social
est orienté vers le bien des personnes, chaque personne est dotée
de l'intelligence et de liberté, la personne humaine est et doit
être le sujet, le principe et la fin de toutes institutions sociales.
Sur ces prémisses, le magistère fonde et affirme
les grandes libertés et droits fondamentaux149 :
égalité, dignité en nature sans distinction de race, de
147C. BECKER, Op. cit., p. 263. Presque
toutes les déclarations des droits de l'homme proclament les droits sous
les auspices de l'Être Suprême. Cf. Les préambules de la
Déclaration française de 1789, de la constitution
américaine de 1791 et même de la Déclaration
universelle des droits de l'homme de 1948.
148La doctrine de l'Eglise catholique sur les
droits de l'homme est résumée dans COMMISSION PONTIFICALE JUSTICE
ET PAIX, L'Eglise et les droits de l'homme document de travail
n°1, Librairie Editrice Vaticane, 1975. Sur le même chapitre,
nous renvoyons aux excellentes contributions de monseigneur TSHIBANGOU
THISHIKU, «L'Eglise et les droits de l'homme», in
Philosophie et droits de l'homme, Actes de la 5ème semaine
philosophique de Kinshasa, du 26 avril au 1er mai 1981, pp. 17-31 et
de G. THILIS, «Droits de l'homme et théologie catholique», in
Revue théologique de Louvain, 1980, n° 03, pp. 352-361.
149Une liste exhaustive des grandes libertés
et droits fondamentaux est dressée dans COMMISSION PONTIFICALE JUSTICE
ET PAIX, L'Eglise et les droits de l'homme, document de travail
n°1, Librairie Editrice Vaticane, 1975, pp. 22-24.
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150 Idem. pp. 24-28.
151Comme la déclaration Dignitas humanae
personae sur la liberté religieuse et Gaudium et spes, sur
l'Eglise dans le monde contemporain.
152 Sur cette polémique, nous renvoyons à S.
LAGHMANI, «Pensées musulmanes et théorie des droits de
l'homme», in Y-J. MORIN (dir.), Op. Cit., pp. 147-149. Du
même auteur, «Islam et droits de l'homme», in G. COGNAC &
A. ABDELFATAH (dir.), Islam et droits de l'homme, Economica, 1994, pp.
:42-46. Egalement, P. TAVERNIER, «Les Etats arabes, l'O.N.U. et les droits
de l'homme. La déclaration universelle des droits de l'homme et les
pactes de 1966», in G. COGNAC & A. ABDELFATAH (dir.), Op.
Cit., p. 57, Note 1. Egalement S. DIOP, «Islam et droits de l'homme,
une problématique actuelle, un impacte certain», in G. COGNAC &
A. ABDELFATAH (dir.), Op. Cit., pp. 73-83. Enfin, Y. BEN ACHOUR,
«Nature, raison et révélation dans la philosophie du droit
des auteurs sunnites», in Y-J. MORIN (dir.), Op. Cit., pp.1
59-160.
153S. LAGHMANI, «Islam et droits de l'homme»
in G. COGNAC & A. ABDELFATAH (dir.), Op. Cit., pp. 51-52; Y. BEN
ACHOUR, Article cité, in Y-J. MORIN (dir.), Op., Cit., pp.1
66-167.
154Cf., ci-dessous pages : 111-113.
155Sourate des Croyants, 115; Sourate Sâd, 17 ;
Sourate de la Fumée, 38,39.
religion ; droit à la vie, intégrité
physique et morale, etc. Le magistère a également mis en
lumière plusieurs libertés ou droits fondamentaux150,
notamment dans le domaine des droits civils, politiques, économiques,
sociaux et culturels qui ont pour objet : l'association, le mariage, la
famille, la participation à la vie politique de son pays, le travail, la
propriété privée, la liberté dans le choix de son
état vie, l'éducation, la liberté de mouvement et de
résidence à l'intérieur du pays où l'on est
résident, etc., qui tous, constituent des secteurs clés de toutes
activités individuelles ou collectives.
Un moment décisif, dans l'élaboration de cette
doctrine est l'oeuvre du pape LEON XIII. Trois grandes encycliques sont
à mettre en exergue : Immortale dei, Sapientia
christianae et Libertas praestantissima. Dans ces encycliques, ce
pape traite des constitutions des Etats modernes et de leurs relations avec
l'Eglise. Il reconnaît à celle-ci une perfection propre dans son
ordre et une indépendance légitime dans son domaine. En
même temps, il y affirme les droits fondamentaux de l'homme, en
particulier celui des citoyens dans la vie politique des Etats. Par ailleurs,
il situe le rôle du jugement normatif que l'Eglise a le droit d'exercer
vis-à- vis des Etats. Sur le plan social, la célèbre
encyclique Rerum novarum, 1891 (Les choses nouvelles) traite
des droits de l'homme dans le domaine social. Elle appelle les Etats et les
employeurs à reconnaître le droit des travailleurs à la
justice, précisément dans les relations travailleurs/employeurs.
Un accent particulier est mis sur la rémunération, qui doit
être en mesure de couvrir les besoins du travailleur.
Au XXème siècle, les
différents papes de PIE XI à JEAN PAUL II, ainsi que certaines
déclarations151 du Concile Vatican II et du Synode Episcopal
de 1971 relatif à la paix dans le monde, soulignent la signification et
la portée des droits de l'homme. Par exemple, PIE XI (1922-1939) dans
Quadragesimo anno (1931), urge les exigences générales
du bien commun et le devoir de l'autorité publique de veiller à
l'établissement des conditions économiques et sociales
indispensables à l'exercice concret des droits au travail. Dans
Divini redemptoris (1937), il oppose la doctrine des droits de la
personne aux principes et à la pratique du totalitarisme communiste
(LENINE) avant de s'enflammer dans d'autres textes analogues
contre les fascismes et le nazisme.
Dans le Synode Episcopale de 1971, les Évêques
déclarent « le combat pour la justice et la participation
à la transformation du monde ». Ce combat apparaît comme
une dimension constitutive de la prédication de l'Evangile,
laquelle est la mission de l'Eglise pour la rédemption de
l'humanité et sa libération de toute situation oppressive.
Dorénavant, la défense des droits de la personne humaine est
poursuivie par les conférences épiscopales ou par les
évêques individuellement et par toute la communauté
chrétienne. Elle est étudiée et animée par les
commissions nationales Justice et Paix, elles-mêmes, calquées sur
la grande Commission Pontificale du Saint Office.
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