I.2.3. La pensée chrétienne
médiévale
Préoccupés par un souci d'ordre
apologétique imprégné d'une volonté de
prédication et par le problème des relations entre le pouvoir
spirituel et le pouvoir temporel, les penseurs chrétiens du Moyen Age
n'ont pas vraiment proposé de théorie du contrat social. C'est
l'opinion qu'il est possible de se faire, à l'examen des travaux de
saint AUGUSTIN (354-430) et de saint THOMAS d'Aquin (1225-1274). Avec eux, la
philosophie est plutôt animée par une immense espérance
eschatologique. Si bien que l'organisation de la cité humaine vise
à exprimer le mieux qu'il est possible la beauté de la
Cité de Dieu, qui a valeur de paradigme ontologique éthique et
politique. Comparée à cette thèse, l'idée de
« contrat social », dont le ressort réside
dans l'initiative des individus et suppose
l'indépendance des volontés et des personnes est nulle. Elle
manque de consubstantialité à l'Etre et est beaucoup trop
fragile, pour s'insérer dans le cosmos chrétien où
d'ailleurs elle sonne faux. Cette idée, génératrice de
souveraineté voue les hommes au pluralisme politique et à la
relativité des ordres de droit positif.
A la suite d'ARISTOTE, saint THOMAS pense que l'Etat est une
communauté naturelle qui se réalise en vertu de la
sociabilité que Dieu a inscrite dans l'ontologie même de l'homme.
L'autorité du prince ne se comprend dans cette optique qu'en rapport
avec Dieu, qui seul, peut la déléguer. L'idée de
« contrat social », qu'il soit un contrat de
société ou de souveraineté, apparaît ici comme
complètement inutile. L'autorité politique légitime,
fondée en Dieu, doit être guidée par la Foi et s'exercer
sous l'égide de l'Eglise. La notion d'Etat est effacée en tant
qu'entité juridique, même en tant que réalité
politique. Il ne reste que l'Institution Pontificale. C'est un
avatar27 de la théorie du contrat social. L'intuition
contractualiste dont les sophistes avaient pourtant compris qu'elle traduisait
la maîtrise de l'homme dans la construction de sa propre cité, ne
peut plus au Moyen Age trouver de place. Elle se dilue dans le non-sens. Saint
AUGUSTIN et saint THOMAS, sans s'y appesantir, laissent clairement entendre que
les exigences de leurs philosophies sont ailleurs, que toute convention humaine
est frappée de finitude et marquée du sceau de la
négation. Simone GOYARD-FABRE souligne dans cette optique :
« A cette époque, la vie politique n'est pas
comprise dans l'horizontalité d'une théorie contractualiste
demeurant au niveau de la «terra humana» qui porte
l'empreinte de la faillibilité de l'homme ; elle a besoin d'une relation
verticale, d'une relation de transcendance qui l'unisse à
l'au-delà et à l'absolu »28.
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