Chapitre II. L'anthropologie politique de J. LOCKE
II.1. Les trois moments du contrat social
II.1.1. L'état de nature
Cet extrait du T.G.C. décrit les
caractéristiques et la logique du fonctionnement de l'état de
nature :
« [...] un état de parfaite
«liberté», un état dans lequel, sans
demander la permission à personne, et sans dépendre de la
volonté d'aucun autre homme, ils (les hommes) peuvent faire ce
qu'il leur plaît, et disposer de ce qu'ils possèdent et de leurs
personnes, comme ils jugent
à propos, «pourvu qu'ils se tiennent
dans les bornes de la loi de nature» »34.
Dans cet état, Dieu a originellement mis les hommes et
prescrit la loi naturelle. Celle-ci inspire la paix et la bienveillance
réciproques entre eux. Bien que l'état de nature indique aux
hommes les desseins moraux de l'humanité, il ne comporte pas cependant
les moyens d'en assurer avec certitude l'accomplissement. Car, la nature
humaine étant fragile, chacun peut céder à la passion,
à l'intérêt, à la corruption et à la
vengeance ; se détournant ainsi, de cette loi d'obligation qu'est la loi
de nature voulue par Dieu. Alors, les différends éclatent entre
les individus, et il n'y a aucun juge commun pour trancher. Le droit naturel de
chacun est dépourvu de toute dimension juridique.
Voilà pourquoi LOCKE, contrairement à HOBBES,
refuse d'assimiler l'état de nature à un état de guerre.
Il admet tout de même que les individus y sont exposés à
beaucoup d'inconvénients et d'incertitudes. C'est pour cette raison
qu'ils aspirent à un autre état qui puisse leur donner la
sécurité et les garanties que réclame une raison
raisonnable. Autrement dit, les hommes ont besoin d'une société
civile, dans laquelle une législation et un système judiciaire et
juridique communs, protègent leurs « personnes »,
leurs « libertés » et leurs « biens
». Au besoin, en sanctionnant ceux qui violent la loi
universelle de nature sur la base des normes stables et connues de tous.
35J. LOCKE Op. Cit., Chapitre XI : De
l'étendue du pouvoir législatif, §§: 124, 125 &
126, pp. 237-238.
Il ressort donc sous la plume de LOCKE que, l'état de
nature n'est pas essentiellement conflictuel. Il est dynamique. C'est ce
dynamisme qui prédispose les hommes à la bienveillance
réciproque. Mais, avec l'apparition de la propriété
privée, doublée du manque d'arbitre et des règles du jeu
approuvées par tous, cette bienveillance naturelle observable entre les
individus est susceptible d'être niée et contredite. Ce qui peut,
en dernier ressort, générer des conflits entre les particuliers.
Au bout du compte, l'état de nature apparaît comme conflictuel. Il
apparaît clairement que c'est un état défectueux.
D'où le recours à l'artifice des hommes afin de corriger ses
défauts qui sont : le manque des lois établies connues,
reçues et approuvées d'un commun consentement,
c'est-à-dire, de règles fixant la nature des châtiments
proportionnels à la nature des délits ou crimes commis ;
l'absence d'un juge commun, lequel est chargé par la communauté
d'évaluer les transgressions et de prononcer les châtiments,
enfin, une force publique, capable de faire que la sentence du juge et
l'intention de la loi deviennent réalité effective. Cet autre
extrait du T.G.C. condense non seulement l'idée de cette
défection de l'état de nature, mais aussi, énonce une
perspective pouvant conduire à son amélioration :
« C'est pourquoi, la plus grande et la principale fin
que se proposent les hommes, lorsqu'ils s'unissent en communauté et se
soumettent à un gouvernement, c'est de «conserver leurs
propriétés», pour la conservation desquelles bien
des choses manquent dans «l'état de nature».
«Premièrement», il y manque des lois
établies, connues, reçues et approuvées d'un commun
consentement, qui soient comme l'étendard du droit et du tort, de la
justice et de l'injustice, et comme une commune mesure capable de terminer les
différends qui s'élèveraient [...] «En
second lieu, dans l'état de nature», il manque un juge
reconnu, qui ne soit pas partial, et qui ait autorité de terminer tous
les différends, conformément aux lois établies [...]
«En troisième lieu, dans l'état de
nature» il manque ordinairement un pouvoir qui soit capable
d'appuyer et de soutenir une sentence donnée, et de l'exécuter
»35.
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