PARTIE 3: L' UTILISATION DE L' ARTEFACT
Après ce tour d'horizon de différentes
implications de la technique d'un point de vue anthropologique, il convient
d'en préciser leurs utilisations. L'utilisation de l'artefact technique,
qui peut être physique ou cognitif, demande de se représenter la
situation d'application afin de parvenir au but fixé. Cette
représentation pour l'action est à l'origine de toutes
utilisations de la technique, elle guide et oriente le sujet lors de
l'action.
De l'artefact à l'instrument
La notion de représentations pour l'action
Nous utiliserons ici, en suivant la définition de
Rabardel, le terme d'instrument pour « désigner l'artefact en
situation, inscrit dans un usage, dans un rapport instrumental à
l'action du sujet, en tant que moyen de celle-ci » (Rabardel, 1995,
p49)
Les caractéristiques essentielles des
représentations opératives d'un artefact sont en premier lieu
leur finalisation par rapport à l'action et plus
généralement à l'activité du sujet. Elles ont des
fonctions d'orientation et de guidage de l'action. Leur caractère
laconique ne représente que certains aspects de la situation afin de
conserver un fonctionnement cognitif économe. Elle ne vise pas la
complétude, au contraire, elle propose une
« déformation fonctionnelle » (Rabardel, 1995,
p118). Le rôle de ses représentation n'est pas d'être
fidèle au représenté, mais de sélectionner les
points informant en fonction de la tâche.
La façon d'appréhender une tâches
impliquant un artefact dépend grandement de la conceptualisation de la
situation. En interagissant avec l'environnement et avec l'instrument, il se
forme chez l'utilisateur un modèle mental (Norman, 1983)
idiosyncrasique, c'est à dire, une représentation personnelle, de
lui même et de l'objet qu'il manipule. Ces modèles servent
à prévoir et à comprendre la situation.
Selon Norman (1983) ses modèles mentaux sont
évolutifs et sont construit lors de l'utilisation de l'artefact,
même si ils ne sont pas techniquement précis, la plupart du temps
ils doivent être fonctionnels. Au travers de l'interaction avec l'objet,
l'utilisateur se formule une représentation du système et la
modifie au cours des utilisations afin d'obtenir un résultat convenable
pour lui même. Ces modèles dépendent donc de la
connaissance du sujet sur le système, des expériences
préliminaires et de la structure cognitive du traitement de
l'information.
L'auteur précise quelques propriétés des
modèles mentaux. Il les présente comme étant incomplets et
instables de par les oublis des parties non utilisées
fréquemment, sans frontières fermes afin de permettre leur
utilisation pour des système jugés identiques et comportant
jusqu'à une part de superstition. Cette constitution non scientifique de
la représentation mentale du fonctionnement et de l'utilisation de
l'artefact permet à l'utilisateur une économie cognitive lors de
la réactualisation du modèle. Ces modèle sont simples,
courts et visent à réduire la complexité des situations et
à simplifier les règles de traitement.
Le plus souvent les utilisateurs se montrent incertains de
leurs connaissances du système si on leur demandes une explicitation,
même lorsqu'elles sont complètes et justes. Les modèles
mentaux comprennent aussi des aspects d'incertitudes de la connaissance qui
viennent d'être exprimés. Ainsi, une personne peut inclure dans
son modèle des connaissances à la validité douteuse.
Même si quelques unes de ses connaissances sont
caractérisées comme superstitieuses par un observateur
extérieur, elles font office de règle de procédure
fréquente malgré leur manque de rationalité.
Ces doutes et ces superstitions gouvernent en partie le
comportement du sujet. Ce phénomène est particulièrement
observé pour des personnes qui ont eu des expériences avec
nombres de systèmes très similaire, mais chacun comportant des
ensembles de principes de fonctionnement légèrement
différent. Lorsqu'un utilisateur attribue consciemment ses actions
à la superstition, il fait état des limitations de ses propres
représentations du système.
Cette dimension superstitieuse permet un
« état de calme et de satisfaction que l'on ne veux pas
abandonner ni changer » (P. Blackburn, 1992, p56). Elle servirait
à sortir du doute, qui procure irritation, malaise et
mécontentement, pour rentrer dans la croyance et la mise en
cohérence du monde non résolu.
L'examen critique de ces croyances reste difficile tant
certaines sont intégrées à nos mécanismes de
pensée (P. Blackburn, 1992) et font office d'heuristiques de jugement.
Cette dissimulation est uniquement possible pour les croyances de peu de
valeur. Rabardel fait « l'hypothèse que ces
caractéristiques tiennent aussi à ce que les
représentations, en tant que modèles mentaux, ne peuvent pas et
même ne doivent pas refléter toutes les propriétés
susceptibles d'être pertinentes pour l'action » (Rabardel 1995
p 128). La représentation en quelque sorte devrait être
incomplète, floue et incertaine pour laisser la place nécessaire
à la mise en oeuvre des mécanismes de gestion de la
singularité.
Rabardel (1995) rappelle que la construction de la
représentation participe de la genèse instrumentale, lors de
l'utilisation d'un artefact, il y a émergence de représentations
circonstancielles locales et particularisées.
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