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Populations et aires protégées en Afrique de l'Est

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par Gaspard RWANYIZIRI
Université Michel de Montaigne-Bordeaux III - DEA Géographie 2002
  

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2.1.2 L'exclusion comme fondement de la politique britannique de conservation

A la veille de l'arrivée des premiers européens sur la côte est-africaine, la majeure partie de la région était occupée par les populations presque exclusivement pastorales (les Maasai du Kenya et de la Tanzanie en particulier) qui vivaient en symbiose avec les animaux sauvages. Selon les auteurs qui ont travaillé sur l'Afrique orientale anglaise, le mode de vie de ces pasteurs favorisait la multiplication de ces animaux pour deux raisons: d'une part ces éleveurs entretenaient les pâturages des herbivores à cause de leur nomadisme saisonnier; et d'autre part ils repoussaient les agriculteurs (nuisibles à la vie des animaux) vers les zones des hautes terres. De surcroît, leur chasse était considérée comme sans conséquences graves pour ces animaux. C`est donc, selon F. Grignon et G. Prunier (1998), un « véritable jardin d'Eden » que découvrent les premiers Européens qui s'installent dans la région.

Face à cette découverte, le comportement de ces nouveaux venus devient différent suivant l'intérêt présenté par chaque colonie. Au Kenya par exemple, cette attitude devient double. D'une part, ce nouveau territoire devient l'un des terrains de chasse les plus célèbres au monde par la mise en place de la réglementation de chasse sportive depuis le premier décret de 1897. C'est ainsi que les animaux sauvages commencent à faire objet d'une rentabilisation progressive à travers le commerce de l'ivoire et la chasse sportive. Tout cela était en faveur des populations blanches alors que les populations autochtones étaient écartées de leurs terres, ce qui les pousse à organiser de temps en temps des actes de vengeance comme le braconnage ou les feux de brousse.

D'autre part, les Anglais jugent nécessaire de mettre en valeur les bonnes terres du rift valley et des hautes terres au profit de l'agriculture commerciale et de l'élevage moderne. Un processus qui passe par la destruction d'un certain nombre d'animaux sauvages dont la présence sur le territoire est considéré comme incompatible avec l'agriculture et/ou l'élevage. Pour y arriver, ils procèdent à la mise en place d'un Département des Chasses (Game Department) dont la tâche principale consistait à éradiquer certains animaux herbivores qui pouvaient détruire les cultures, et certains prédateurs qui pouvaient attaquer les fermes laitières.

Selon toujours F. Grignon et G. Prunier (idem), ce processus est rendu possible aussi par l'expulsion par force des populations autochtones: d'abord les agriculteurs d'ethnies Kikuyu et Kamba qui occupaient les piedmonts des hautes montagnes très propices à l'agriculture; puis les pasteurs Maasai qui occupaient en général les plaines mais également les piedmonts pendant la saison sèche. Parmi toutes les populations expulsées, ce sont les

Carte n° 2: Distribution des principales aires protégées en Afrique orientale coloniale

pasteurs Maasai qui posaient le plus de problème à cause de leur mode de vie mais surtout à cause de leur nombre de bétail. Face à ce problème, les Anglais décidèrent de créer des réserves à part pour eux.

Les autorités britanniques font alors correspondre, en 1901, la Réserve Indigène Maasai à l'un des territoires choisis comme Réserve de Gibier ( la Southern Game Reserve) dans l'idée que ces populations sauront vivre en « bonne intelligence » avec la faune ! Très vite, ce type de réserve est jugé insuffisant pour protéger les espèces animales « dans la mesure surtout où, valant à la fois pour les animaux et les humains, elle aurait tôt fait privilégier les intérêts des seconds au détriment des premiers ! » (Constantin F., 1989). Un rapport de 1927 à ce sujet faisait état d'une incapacité des peuples Maasai à se défendre contre certains fauves (le lion et le léopard en général) qui attaquaient fréquemment leur bétail, tout en mettant un accent particulier sur le nombre d'animaux abattus par les Maassai ( 80 lions et 10 léopards au sein de toute la réserve).

Face à cette inquiétude, les autorités de la métropole autorisèrent en 1945, par une ordonnance de création des parcs nationaux, le pouvoir de Nairobi à définir des zones exclusivement réservées à l'usage des animaux sauvages. Dans cette perspective, un conseil d'administration fut créé afin de gérer les territoires assignés à définir les futurs parcs et réserves. L'arrivée de l'ordonnance accorda ainsi à l'Etat un territoire de 117 km2 avec la création en 1946 du premier parc national du Kenya, le « Nairobi National Park. » Deux ans plus tard, en 1948, on procède à la création du « Tsavo West National Park: 21.000 km2 » dont les terres appartenaient en grande partie aux Maasai. Dès lors, l'administration coloniale annule des droits d'usage que les Maasai y avaient depuis conservés. La même année, Amboseli (348 km2) est officiellement délimitée en tant que réserve nationale (Péron X., 1994)

En 1949, l'Etat crée, pour protéger les animaux du Parc de Nairobi, la « Ngong National Reserve: 512km2. » Enfin, les Chyulu Hills prennent la même année le statut de « West Chyulu Game Conservation Area: 3 68km2. » Dans la même année toujours, l'ordonnance de 1945 fut remplacée par celle des Parcs Nationaux Royaux (Dufour C., 2001). Cette nouvelle ordonnance sera suivie par la création du Parc du Mont Kenya en 1949, celui de l' « Aberdare National Park » en 1950 et la « Marsabit National Reserve » en 1962.

Après la création de tous ces sanctuaires, le Kenya était considéré, à la veille de son indépendance (obtenue en 1963), comme le pays phare de la politique de conservation coloniale en Afrique de l'Est. Mais cette politique restait seulement en faveur des colons anglais parce que les peuples autochtones, surtout les Maasai chassés de leurs terres, menaient une vie indésirable.

Il faut noter que deux institutions étaient en place juste après la deuxième guerre mondiale afin d'aider l'autorité coloniale à bien gérer les ressources naturelles kenyanes. D'abord, la « Kenya National Parks Organization: KNPO », une unité qui était chargée d'administrer les réserves et les parcs nationaux. En même temps, elle avait comme objectif de développer les infrastructures touristiques et des lieux récréatifs pour le plaisir du public. Puis, il y avait le « Game Department », une unité qui était chargée d'administrer et de contrôler toute faune sauvage en dehors des parcs y compris celle évoluant sur des terrains privés (Dufour C., op. cit.; Grignon F. et Prunier G., op. cit.).

A part le Kenya, l'autre colonie anglaise de l'Afrique orientale était la Tanzanie (le Tanganyika de l'époque), un pays très connu dans le monde entier pour ses potentialités touristiques (faune sauvage) assez exceptionnelles. Comme le Kenya voisin, la politique de conservation en Tanzanie remonte du temps de la colonisation. De ce fait, on constate que la plupart des aires protégées qui abritent les animaux sauvages existent depuis cette époque, c'est-à-dire avant l'indépendance du Tanganyika en 1961. Avant l'arrivée des Européens, les écrits historiques sur le pays révèlent que ces sanctuaires étaient gérés traditionnellement par les populations autochtones agriculteurs ou éleveurs. A cette époque, les populations (en particulier les pasteurs Maasai) et les animaux vivaient sur un même territoire dans une parfaite harmonie. Toutes les activités de chasse, de cueillette, de coupes du bois étaient réglementées et ne pouvaient, en aucun cas, entraîner la dégradation des ressources.

A l'arrivée des Allemands, à la fin du 19ème siècle, ce mode de gestion traditionnel céda la place à celui des nouveaux venus. Ainsi, les lois de chasse furent mises en place dès 1896, suivies quelques années plus tard par la création des premières réserves de faune sauvage dont la célèbre Réserve de Selous en 1905. Lorsque les Britanniques débarquèrent dans le pays après l'échec des Allemands lors de la première guerre mondiale, les mesures de protection furent renforcées, et pire encore, les populations indigènes furent, dès 1933, exclues de certaines régions suivant le modèle qui était en vigueur au Kenya voisin.

A la même époque, les mouvements écologistes de la métropole commencèrent à faire pression sur leurs dirigeants afin que ces derniers puissent créer dans la colonie des zones exclusivement réservées à la faune (free from human rights). Au départ, les autorités sur place (en Tanganyika) restèrent d'abord très prudents en vue d'éviter les problèmes avec populations locales étant donné que la création des zones protégées signifiait automatiquement leur exclusion, mais finalement ces fonctionnaires cédèrent aux pressions de la métropole et décidèrent d'être l'instrument de la création du ?Jardin d'Eden?, longtemps rêvé par les défenseurs anglais de la nature (Kjekshus H., 1977 repris par C. Baroin et F. Constantin, op. cit.).

Pour y arriver, les autorités anglaises créèrent des « groupements des populations en foyers de développement » selon la logique qu'il était impossible de pouvoir éradiquer la mouche tsé-tsé dans une région où les populations vivaient encore avec les animaux sauvages, d'où il fallait, selon elles, regrouper les animaux d'un côté et les hommes de l'autre. Mais la réalité était telle que ces regroupements avaient l'ultime objectif de libérer beaucoup d'espaces en vue d'agrandir les réserves de faune sauvage. C'est d'ailleurs dans cette logique qu'en 1945, des populations autochtones du District de Liwale furent déplacées sous le prétexte que la région était infectée par la mouche tsé-tsé. Dans la suite, ce regroupement avait permis aux colons d'agrandir la Réserve de Selous.

Dans les années qui suivirent, un conflit s'écarta entre les autorités du parc et les populations autochtones que le problème de manque de terres poussait en direction des périphéries du parc de Serengeti. Mais il s'acheva en faveur des conservationnistes tel le professeur Bernard Grzimek qui oeuvrait sans relâche pour que, selon lui, « Serengeti ne meure pas. » Tel sera d'ailleurs, quelques années plus tard, le titre du livre et du film écrit et réalisé par ledit professeur avec lesquels il réussit à convaincre l'opinion internationale de faire pression pour faire du Serengeti un parc exclusivement réservé à la faune. C'est ainsi que sous l'effet de cette pression les autorités en place entamèrent dès 1954 le processus

d'expulsion de quelques familles qui pratiquaient l'agriculture à l'intérieur du parc mais en tolérant quand même quelques activités des pasteurs Maasai.

Ces pasteurs seront finalement aussi expulsés en 1959 au moment où un amendement faisait le Parc national de Serengeti un espace dans lequel toute exploitation agricole et pastorale était désormais interdite. C'est ainsi que les Maasai perdirent de vastes pâturages de transhumance dans la plaine de Serengeti, d'où le commencement de leur calvaire sur le territoire tanzanien jusqu'à nos jours. Cependant, ils ont pu conserver quelques droits d'usage dans le massif de Ngorongoro.

Enfin, la 3ème colonie britannique de l'Afrique orientale était l'Ouganda, un pays dont l'historique de la création des zones protégées fut dominé par le drame des peuples « Iks » au début des années 60. A l'origine chasseurs-cueilleurs, les Iks ont été en effet privés, par l'administration coloniale, de leurs sources d'approvisionnement en gibier par la création du Parc National de Kidepo. Ils ont été ensuite transformés par force en agriculteurs sédentaires par décret gouvernemental et l'adaptation à ce niveau mode de vie, dans un environnement peu adapté ( sécheresses fréquentes), a été extrêmement délicate ( Tamisier J.C., 1998).

Les Iks occupent la pointe Nord-Est de l'Ouganda, à proximité immédiate des frontières soudanaise et kenyane. Environ 2000 en 1972, ils doivent leur célébrité à l'ethnologue anglais Colin Turnbull, qui les rencontre en 1962 et tente d'étudier leur culture pendant deux ans. A cette époque, la famine régnait et la société que ce chercheur découvrait paraissait être en pleine disparition. A l'instar des Maasai du Kenya et de la Tanzanie ou les Batwa forestiers du Rwanda et du Burundi, les Iks ont été victimes de la politique de conservation menée par la société occidentale dans les pays du Sud à travers la colonisation.

A part la création du Parc de Kidepo, à la veille de l'indépendance ougandaise, l'administration coloniale avait procédé, un peu avant, à la création de trois grands parcs nationaux à savoir le Parc National de la Reine Elisabeth ou « Queen Elisabeth National Park » au Sud-Ouest, à la frontière rwando-congolaise, le Parc National des Chutes de Murchison ou « Murchison Falls National Park » au Centre-ouest du pays, à la frontière avec le Congo-Kinshasa et le Parc du Mont Ruwenzori ou « Ruwenzori Mountain National Park » situé à l'Ouest du pays à la frontière aussi avec la République Démocratique du Congo.

Au final, on ne peut pas mettre fin à cette étude historique des aires protégées en Afrique orientale anglophone sans dire un mot de ce qui s'est passé dans l'ancienne Rhodésie (Rhodésie du Nord et celle du Sud) où est née, depuis les années 1980, une politique participative de conservation de la nature (surtout la faune sauvage) sur une partie significative des deux nouveaux Etats indépendants, à savoir la Zambie (ancienne Rhodésie du Nord) et le Zimbabwe (ancienne Rhodésie du Sud).

En Rhodésie du Nord comme dans celle du Sud, « la préservation de la faune a pris un caractère particulièrement exacerbé durant la période coloniale avec l'implantation des communautés blanches et l'organisation spatiale qu'elles ont instaurée: la logique de mise en réserve de la faune au sens classique du terme, c'est-à-dire l'interdiction pour la grande majorité des habitants d'utiliser les territoires dévoués aux grands mammifères, s'est couplée à une organisation spatiale dichotomique entre population blanche et population noire. » (Rodary, E., 1998)

En effet, il faut préciser qu'à côté de grands espaces qui étaient voués à une agriculture commerciale contrôlée par les colons anglais, une grande partie des deux pays conservaient une agriculture de subsistance autochtone et des aires naturelles protégées de taille importante. Ainsi, après l'indépendance zambienne obtenue en 1964, les autorités de l'Etat nouvellement indépendant n'ont pas pu trancher ce problème de dichotomie territoriale; au contraire, elles continuaient à privilégier les parcs nationaux sans toutefois engager des réformes agricoles qui pouvaient atténuer l'opposition entre agriculture commerciale et agriculture de subsistance. Avec 20 parcs nationaux et 36 réserves de faune, soit à peu près 30 % de la superficie totale du pays, la Zambie est aujourd'hui l'un des grands pays africains pour la qualité et la quantité de sa biodiversité.

En Rhodésie du Sud, cette ségrégation spatiale a été renforcée jusqu'en 1980 (date de l'indépendance zimbabwéenne) par un système d'Apartheid qui avait établi une répartition de l'espace national selon un gradient blancs/noirs/aires protégées, « où les Blancs ( et les Noirs travaillant pour eux) occupaient des zones d'agriculture intensive, et où les aires naturelles protégées, en périphérie du pays, étaient entourées par des aires communales réservées aux populations noires. » (Mutwira, 1989; repris par E. Rotary, op. cit.) Là aussi, aucune réforme foncière n'a été faite après l'indépendance sauf la récente campagne menée par le Président Robert Mugabe contre les fermiers blancs, même si ces événements ont une signification plutôt politique que la simple réforme foncière.

Comme nous le verrons plus tard lors de l'étude des programmes CAMPFIRE1 et ADMADE2 de conservation des ressources naturelles basées sur la participation des populations locales, la situation actuelle des aires protégées dans ces pays découle directement de cette géographie historique.

En définitive, il faut dire que la politique coloniale de conservation en Afrique Orientale (et australe) s'est développée dans un esprit de la pensée occidentale avec toutes les justifications de création des aires protégées que nous avons vues dans les paragraphes précédents. Mais au-delà de ces justifications assez claires (pour les colonisateurs), il faut remarquer que la mise en pratique de cette politique s'est fait dans un double contexte de développement des aires protégées et de fracture socio-spatiale. Autour d'immenses espaces protégés en effet, se trouvaient des populations qui, soit avaient été chassées de leurs terres, soit étaient à la recherche de nouvelles terres à exploiter; d'où il est nécessaire de mener une étude géographique de ces espaces dans toute la région afin de disséquer l'ampleur de ce problème.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote