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Populations et aires protégées en Afrique de l'Est

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par Gaspard RWANYIZIRI
Université Michel de Montaigne-Bordeaux III - DEA Géographie 2002
  

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Chapitre II

ELEMENTS DE LA POLITIQUE COLONIALE DE CONSERVATION EN AFRIQUE ORIENTALE

Introduction: relations colonisation/politique de conservation

L'histoire des aires protégées dans les pays du Sud en général et en Afrique orientale en particulier est indissociable avec celle de la colonisation européenne dans ces pays dès la fin du 19ème siècle-début du 20ème. En effet, motivés par leur idéologie de civilisation dans plusieurs domaines et par le désir de conquérir de nouvelles ressources dans les pays tropicaux (Busson F., op. cit.), les occidentaux ont pris le chemin du Sud vers les pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine pour enseigner aux « peuples arriérés » de ces régions les nouvelles technologies, la religion et l'écriture. En dehors de ces objectifs, ils en ont profité pour imposer aux populations indigènes les nouvelles lois de gestion des ressources naturelles au travers la création des aires protégées.

Dès lors, les rapports « homme/nature » sont dominés par une idéologie typiquement occidentale d'une « nature à protéger » c'est-à-dire à préserver contre l'action de l'homme, une doctrine qui remonte réellement à la fin du 19ème siècle aux Etats-Unis avec la création de Yellowstone en 1872. Pour le naturaliste américain John Muir (1838-1914), l'un des premiers pionniers de cette politique de protection de la nature sur le continent américain, « il était indispensable de garder en réserve de telles zones parce que de milliers de gens trop civilisés, épuisés et à bout de nerfs commencent à trouver qu'une promenade en montagne est salutaire, que la nature sauvage est une nécessité et que les parcs et les réserves de montagne sont utiles non seulement comme source de bois et d'eau, mais aussi comme source de vie. » ( cité dans F. Busson, idem)

L'apparition de ce concept de « protection de la nature » aux Etats-Unis a deux principales explications. La première c'est que pour les colons, d'origine européenne, ce continent était considéré comme le « nouveau monde » (ils ignoraient les Indiens qui étaient là depuis longtemps), et leur légitimité sur ce sol ne pouvaient venir que de leur action sur la nature en marquant leurs empreintes. L'exploitation massive des ressources qui était, au départ, leur premier objectif, entraîne un peu plus tard une prise de conscience de leur possible épuisement. Ce qui amena en effet les responsables à prendre des mesures pour leur protection. Aujourd'hui, Yellowstone est considéré comme un décor qui permet aux jeunes américains de rejouer les scènes de la « conquête de l'Ouest », un mythe qui symbolise la fondation de la nation américaine.

Dans ce mythe fondateur, malheureusement, on ignore catégoriquement la présence des « Indiens », les populations autochtones de ce territoire. Même s'ils sont évoqués, ils sont présentés comme des «individus agressifs, qui nécessitent une protection à l'intérieur d'espaces délimités par les colons. » Rappelons que lors de la création de Yellowstone, plus de 300 indiens Shoshone, Crow et Blackfoot (MacNeely J. A., 1994; Rossi G., op. cit.) ont perdu leur vie parce que l'un des principes fondamentaux du nouveau parc était que « personne, à l'exception du personnel du parc, ne pouvait y vivre en permanence », ce qui a motivé le processus d'expulsion des populations indigènes.

l'histoire commence toujours avec John Muir, précurseur de l'écologie profonde (deep ecology) s'opposant à l'écologie superficielle (shallow ecology), au moment où ce dernier « retrouve le sacré dans la nature sauvage californienne, qu'il parcourt en longues randonnées solitaires, un quignon de pain en poche, se réchauffant aux sources d'eau chaude dans les sierras. Cet immigrant écossais trouve dans la wilderness la présence d'un Dieu plus aimable que celui de la Bible de son père et renoue avec l'expérience très américaine d'une initiation de l'ordre religieux au sein de la nature. »

L'auteur ajoute que le compte rendu de ses excursions, dix volumes sans compter les articles pour les divers magazines, avaient reçu un accueil très favorable aux Etats-Unis. C'est ainsi que la nature commence à devenir un « temple » où peuvent se donner libres cours des sentiments imprégnés d'un vague mysticisme et de religiosité. Après cet exploit, John Muir milite pour la sauvegarde de Yosemite dont il réussit à faire un parc national en 1890 et fonde à San Francisco le « Sierra Club », la plus représentative des grandes organisations environnementales de nos jours aux Etats-Unis.

D'origine des Etats-Unis, cette idéologie de protection de la nature en mettant à l'écart les intérêts de l'homme sera très vite répandue dans le monde entier en commençant par le Canada, puis par les pays européens (France, Grande Bretagne, Belgique, etc.) qui avaient des colonies sous leur tutelle en Afrique, en Asie et en Amérique latine. A la fin de la colonisation, entre les années 50 et 60 en général, cette idéologie de conservation de la nature au détriment des populations autochtones n'a pas cessé d'exister; au contraire, les spécialistes en la matière affirment qu'elle a changé de forme. En effet, caractérisés par leur politique d'ingérence dans les affaires du Sud, les Etats du Nord continuent à faire pression sur ceux du Sud nouvellement indépendants afin que ces derniers puissent prendre des décisions qui leur sont favorables en matière d'environnement.

Un souhait que les Etats du Sud ne peuvent pas refuser puisqu'elle est souvent accompagnée par une aide au développement, permettant ainsi à ces pays d'équilibrer leur système budgétaire (souvent déficitaire) mais au prix des vies humaines qui, depuis plusieurs siècles, vivent de la forêt et/ou dans la forêt. Aux yeux de ces populations chassées de leurs terres, ces espaces nouvellement créés (tout comme les anciens) marquent les « vestiges de la colonisation » car ils leur font rappeler ce qui s'est passé au début du 20ème siècle lors de l'occupation européenne, et c'est la raison pour laquelle elles ne tardent pas à manifester leur colère quand une occasion de troubles se présente dans le pays.

2.1 L'étude historique des aires protégées en Afrique Orientale

La plupart des aires protégées qui abritent maintenant une faune et une flore assez exceptionnelles en Afrique Orientale virent le jour avant l'indépendance des Etats indépendants du Tanganyika (l'actuelle République Unie de Tanzanie, c'est-à-dire Tanganyika + les îles de Zanzibar et Pemba depuis 1964) en 1961, de l'Ouganda, du Rwanda et du Burundi en 1962, puis du Kenya en 1963. Comme le montrent les témoignages du 19ème siècle, ces espaces étaient souvent exploités par l'homme: agriculteur, pasteur ou chasseur.

Depuis l'implantation coloniale à la fin du 19ème , les Européens découvrirent dans cette partie de l'Afrique un vrai « jardin d'Eden » dont, selon eux, les ressources, en l'occurrence la faune sauvage, étaient menacées par la chasse indigène. Dès lors, des mesures restrictives de protection, à travers la création des premières aires protégées, ont été prises ici

et là, afin de lutter contre la dissipation de ces ressources et surtout de sauver les espèces animales et végétales qui étaient menacées de disparition.

Par ailleurs, si l'objectif principal de cette politique de création des aires protégées semble être le même sur le papier tout au début de la colonisation, il faut noter cependant que la réalité sur le terrain n'a pas été partout identique dans la suite. En effet, on constate des divergences entre les orientations politiques belges et britanniques en la matière.

2.1.1 L'implantation coloniale belge et la création des premiers parcs et réserves au Ruanda/Urundi

Comme nous venons de le voir en haut, l'un des objectifs de l'administration coloniale belge était de sauver les espèces animales et végétales qui étaient menacées d'extinction. En abondant dans le même sens, L. NZUZI (1999) le confirme en ces termes: « c'est sans doute à cause de la diversité exceptionnelle de sa richesse en écosystème (biotope) que le Prince Albert, de retour d'un voyage au Congo belge en 1909, projeta de créer à l'Est de ce pays des réserves naturelles pour conserver certaines espèces animales et végétales en voie de disparition. »

Selon le même auteur, c'est en 1913 que le naturaliste américain Carl Akiey (sponsorisé par le Roi Albert 1er ) qui visitait la chaîne des volcans, découvre les gorilles de montagne connus sous le nom de « Gorilla gorilla Berengui » sur les volcans Mikeno, Kalisimbi et Visoke. En 1925, suite à cette découverte, le Roi Albert 1er crée, en vertu du premier texte relatif à la mise en place des aires protégées, le premier parc national africain qui portait d'ailleurs son nom, c'est-à-dire le « Parc National Albert. »

Pour J.P. Harroy (1956), les autorités belges ont créé ce parc en vue de faire face à une déforestation active qui se développait sur les versants méridionaux ou orientaux d'une série de cinq volcans qui jalonnent la frontière Nord-Ouest du Territoire sous Tutelle, entraînant partout des menaces d'érosion et de déséquilibres hydriques.

En 1933, les dernières forêts du Ruanda/Urundi et du Congo-belge furent classées en réserves officielles. Par un décret du 26 novembre 1934 furent institués les deux parcs nationaux du Rwanda à savoir le Parc National de l'Akagera à l'Est et le Parc National des Volcans au Nord-ouest; ce même décret portait également création de l'Institut des Parcs Nationaux du Congo-belge. Pour le premier parc, J. P. Harroy explique les raisons de sa création: «...dans une région défavorable à l'occupation humaine, que les Belges trouvèrent fort peu peuplée à leur arrivée, et où, depuis 1934, purent être strictement protégées une flore et une faune extrêmement intéressantes,... ».

Enfin, il souligne que les habitants eurent accepté de quitter cette zone sans peine ! Ce qu'ont fermement démenti certains auteurs rwandais qui ont travaillé sur ce sujet. L'historien J. Rumiya (1992) précise par exemple que « la transformation des zones de marge en parcs nationaux s'est faite dans un contexte de coercition au détriment du bien-être de la population en leur privant de leur droit légitime de survie grâce aux ressources forestières, ce qui a donné aux Belges le pouvoir de confiscation des ressources et surtout de répression des populations qui étaient dans les forêts. » En effet, pendant la période coloniale, ces forêts constituaient le refuge des jeunes, des adultes et des Batwa forestiers qui résistaient aux

travaux forcés « Ishiku » de l'administration coloniale et qui, grâce à leurs stratégies de fuite dans la forêt, défiaient les colons en les rendant incapables de les y poursuivre.

L'auteur affirme que « l'innovation en parc national » fut importée par les colons belges vers le Rwanda comme la seule stratégie qui pouvait ramener lesdits rebelles à l'ordre! Ce qui s'explique d'ailleurs, pour certains, par le fait que le Rwanda se soit doté d'un premier parc national en 1925 avant certains pays développés, voire même plusieurs pays d'Afrique orientale et australe. Il faut noter que ces travaux forcés communautaires avaient comme objectifs de lutter contre les grandes famines qui ravageaient le pays dans les années 1930 et 1940.

Par ailleurs, J. B. Mbuzehose (1999) ajoute que deux prétextes furent avancés par les autorités belges en vue de légitimer la confiscation des espaces forestiers. Le premier est l' « action de lutte anti-érosive » dans les zones de marge en contrecarrant les défrichements de la forêt par les agriculteurs; et le second est la « lutte contre le surpâturage forestier » en expulsant les éleveurs qui faisaient paître leurs troupeaux dans la forêt. C'est ainsi que furent interdites, dans la forêt transformée en parc, plusieurs activités locales telles les activités artisanales de transformation du bois en meubles, en arcs ou en boucliers; les activités de recherche du miel, de ramassage des champignons et des fruits sauvages, etc.

Dans ce contexte, on remarque que le droit traditionnel d'usage forestier devient non droit; l'activité de survie des populations locales par le biais de l'exploitation des forêts devint illégale et passible d'amandes sévères. Cependant, suite au manque du personnel suffisant, les lisières des parcs restèrent perméables aux braconniers, charbonniers, éleveurs, apiculteurs, etc.

Tableau n° I: Superficie, année de mise en réserve, localisation et objectifs des aires protégées du Ruanda colonial

Désignation

Superficie (Km2)

Année de mise en réserve

Localisation

Objectifs

Forêt naturelle de Nyungwe

970

1933

Sud-ouest

Réserve forestière

Forêt de Gishwati

280

1933

Nord-Ouest

Réserve forestière

Forêt de Mukura

20

1933

Ouest

Réserve forestière

Parc National de l'Akagera

2500

1934

Est

Parc touristique

Domaine de chasse du Mutara

100

1934

Est

Chasse

Parc National des Volcans

150

1925

Nord-Ouest

Parc touristique

Total

4020

 
 
 

Source: Twarabamenye E.; Karibana M.(1997): Biodiversité au Rwanda, pp. 3

Le Burundi, quant à lui, est un des rares pays d'Afrique où aucun parc national n'a été établi durant l'époque coloniale comme ce fut le cas au Ruanda et au Congo belge alors que toutes les forêts sont devenues des réserves officielles, rappelons-le, en 1933. Ce fut le cas des deux grandes réserves forestières les plus connues à savoir la Réserve forestière de Kibira (43.000 ha) au Nord-Ouest du pays sur la Crête Congo-Nil et la Réserve forestière de Ruvubu (43.630 ha) au centre Nord-Est du pays, qui sont devenues en 1981 des parcs nationaux. Là

aussi, il sied de signaler que les Batwa forestiers ont dû quitter les forêts pour céder la place aux animaux.

En somme, il faut dire que la création des zones protégées en Afrique orientale ex- belge s'est faite durant les années où ces pays connaissaient des densités de population encore relativement faibles (moins de 100 habitants/km2 entre 1925-1934) par rapport à ce que nous vivons aujourd'hui (307 habitants/km2 au Rwanda en 2000 et 230 habitants/km2 au Burundi, chiffres 1995). En outre, cette confiscation des ressources marginales par l'administration coloniale a eu trois conséquences: d'abord la transformation des zones de marge en domaines étatiques; ensuite, la perte du réservoir des ressources forestières pour les populations locales; et enfin, l'expulsion des Batwa forestiers et autres acteurs locaux des terres ancestrales.

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