2.2 Les défis auxquels la politique de
conservation est confrontée
En dehors des problèmes liés au braconnage ou
à la dégradation de l'environnement à l'intérieur
des parcs suite au tourisme de masse dans certains espaces
protégés de l'Afrique de l'Est, le grand défi actuel
auquel sont confrontés les gestionnaires des zones
protégées de cette partie de l'Afrique et ceux qui sont
chargés de leur apporter un appui au niveau international, tant
technique que financier, est de jongler entre les conflits pour la terre autour
et dans les aires protégées de telle manière à
satisfaire et les besoins humains, et les besoins animaux.
En effet, les problèmes liés à la
création des aires protégées découlent non
seulement de la pression démographique qui remet en cause leur existence
comme c'est le cas au Rwanda et au Burundi, mais aussi de l'expropriation des
terres touchées par ces classements à l'instar de ce qui se passe
au Kenya, en Tanzanie ou en Ouganda, voire au Rwanda et au Burundi.
2.2.1 La pression démographique comme menace
potentielle pour la protection de la nature au Rwanda et au Burundi.
Illustration par l'étude des cas.
La partie septentrionale de la région des Grands Lacs
(Burundi, Rwanda et Kivu montagneux) enregistre des densités humaines
qui atteignent aujourd'hui des seuils asiatiques, la raison pour laquelle C.
Thibon (1992) souligne que « cette zone serait à l'Afrique,
toutes propositions gardées, ce que le Golfe du Bengale est au
sous-continent indien. » Les densités rurales au Rwanda et au
Burundi sont élevées puisqu'elles ont dépassé la
moyenne nationale (mi-1993) de 214habitants/ km2 (100 en 1960, 124
en 1970) au Burundi, allant, au niveau communal, de 50 à
900habitants/km2 (Thibon C., 1992; May J., 1996; Cochet H.,
2001).
Au Rwanda, la pression démographique est plus forte
encore, la densité physique nationale atteignant 307
habitants/km2 au début d'avril 1994 (143 en 1970, 188 en
1978, 272 en 1991), avec des densités communales du plateau central
dépassant les 1000 habitants/km2
Carte n° 7: Evolution de la forêt
d'altitude sur la Crête Congo-Nil et dans le Nord-Ouest du
Rwanda
(Twarabamenye E. et Karibana M., 1997; Imbs F., 1997). En
excluant les parcs naturels et les forêts, la densité
physiologique atteint 378 habitants/km2. Entre fin avril 1994
jusqu'à nos jours, période du génocide et les
conséquences qui l'ont suivi, le pays n'a connu qu'un
dépeuplement partiel parce que le nombre des morts et des départs
a été vite rattrapé dès fin juin 1997, suite au
retour des anciens et nouveaux réfugiés qui, pour la
majorité, étaient dans les pays limitrophes. A l'heure actuelle,
la population rwandaise s'élève à 8.109.754, soit une
densité physique de 308 habitants/km2 (MINIFINECO: Direction
des Statistiques, 2001).
Cependant, même s'il existe en Afrique d'autres
régions où les densités physiques sont aussi très
élevées, à l'instar des pays Ibo et Kano au Nigeria, le
Fouta Djalon en Guinée Conakry ou le Pays Bamiléké ou
Monts du Mandara au Cameroun, l'Afrique des Grands Lacs constitue un cas
particulier dans la mesure où ces fortes densités se sont
construites en l'absence totale de ville, et que l'urbanisation de la
région est restée l'une des plus basses du monde (Bidou J. E.,
op. cit.).
Ces fortes densités ont un impact assez important dans
des pays essentiellement agricoles comme le Rwanda et le Burundi (94% de la
population totale) puisqu'une augmentation de la densité signifie une
réduction de la superficie cultivée par habitant ou encore celle
des Exploitations Agricoles Familiales (EAF) car le nombre de ménages ne
cesse d'augmenter.
Au Rwanda par exemple, J. D. Nduwayezu estimait à 0,91
ha (1990) la taille moyenne d'une Exploitation Agricole Familiale. Au rythme de
la croissance démographique actuelle (3,1 % en 1997), cette taille sera
inférieure à 60 ares en l'an 2013 et chaque habitant ne disposera
que de 15 ares de terre arable (Voir Tableau n° VI).
Tableau n° VI: Comparaison entre
densités de population et terre arable par habitant au Rwanda (de 1950
à 2013)
Année
|
Population
|
Densité physiologique
(18.740km2)
|
Terre arable par habitant en are
|
1950
|
1.954.870
|
104
|
-
|
1960
|
2.694.990
|
144
|
-
|
1964
|
-
|
-
|
54
|
1970
|
3.756.607
|
200
|
47
|
1976
|
-
|
-
|
39
|
1978
|
4.831.522
|
263
|
37
|
1982
|
-
|
-
|
34
|
1987
|
-
|
-
|
28
|
1991
|
7.155.391
|
382
|
-
|
2000
|
8.109.754
|
433
|
-
|
2002
|
-
|
-
|
23
|
2005
|
9.446.559
|
504
|
-
|
2013
|
12.059.889
|
644
|
15
|
Source: - Nduwayezu, J. D. (op. cit.)
- MINEFINECO: Direction des statistiques (2001) - Projections
En ce qui concerne le Burundi, la situation est presque
semblable à celle du Rwanda car, selon J. E. Bidou (op. cit.), le paysan
burundais vivait, en 1988, sur une Exploitation Agricole Familiale de O, 71
ares, soit cinq fois plus petite que le minimum vital de 1952,
c'est-à-dire 3,5ha. Avec un taux de croissance qui se stabilise autour
de 3% depuis 1990 (Thibon C, op. cit.), la taille moyenne de l'Exploitation
Agricole Familiale sera encore plus petite dans les années à
venir.
Cette situation reste préoccupante de telle
manière qu'en l'absence de mouvements d'émigration de grande
envergure ou des processus d'urbanisation1 ou tout simplement
l'ouverture à d'autres activités (non agricoles bien sûr),
le doublement de la population aura pour corollaire une densification
extrême du milieu rural qui, à son tour, engendrera de fortes
perturbations sur l'environnement et le mode d'organisation de l'espace.
En vue de satisfaire à ses besoins, la population
procède à l'intensification de l'agriculture. L'utilisation du
sol et sa conservation, l'activité agricole, base de l'économie
des deux pays sont grandement affectés. Les exploitations agricoles
familiales sont devenues de plus en plus petites. La pression sur les parcs
nationaux, les réserves naturelles, les milieux marécageux ou les
espaces boisés est très grande.
Face à cette forte demande de nouvelles terres à
cultiver, une conclusion peut être tirée: la logique de la «
bonne adéquation ressources-populations » qui est
recherchée dans tous les plans de développement est remise en
cause dans les deux pays. Ceci a (ou aura) sans doute un impact sur la
politique de conservation dans les deux pays étant donné qu'il
sera finalement impossible de continuer à geler de grands espaces
destinés à la protection de la nature alors que les populations
riveraines de ces espaces n'ont pas de terres à exploiter.
Le Rwanda, avec sa densité moyenne dépassant 300
habitants/ km2 et où toutes les collines sont
cultivées jusqu'au sommet, est l'exemple typique de ce qui risque
d'être la situation de plusieurs régions d'Afrique dans les
années à venir.
Pour bien analyser cette problématique, nous avons
préféré étudier deux types de cas, l'un ancien,
l'autre nouveau, afin de mieux cerner l'emprise de la pression
démographique sur la souveraineté des aires
protégées dans un pays densément peuplé de cette
partie de l'Afrique, c'est-à-dire le Rwanda.
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