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Populations et aires protégées en Afrique de l'Est

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par Gaspard RWANYIZIRI
Université Michel de Montaigne-Bordeaux III - DEA Géographie 2002
  

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2.2.2 La survie des populations victimes de la création des parcs et réserves. Illustration par l'étude des cas.

Parmi les plus grands défis auxquels les gestionnaires des espaces protégés tropicaux sont (ou seront) obligés à relever, celui de la survie des populations victimes de la création de ces espaces figure sans doute au premier plan. En ce qui concerne l'Afrique orientale, le cas des peuples Maasai du Kenya et/ou de la Tanzanie, celui des Batwa forestiers du Rwanda et du Burundi ou celui des Iks du Nord de l'Ouganda sont des « cas d'école » et de bons exemples de ce qui est l'une des conséquences dramatiques de la politique coloniale et post- coloniale de protection de la faune sauvage dans ces pays.

2.2.2.1 Dépossession politique, territoriale, économique et culturelle des

peuples Maasai du Kenya et/ou de la Tanzanie

Pour G. Sournia (op. cit.), on parle de sentiment de dépossession politique au moment où « les intérêts et les aspirations de toute une partie de la société ne sont pas pris en compte, dans la mesure où les espaces protégés ont été mis en place de façon de plus ou moins autoritaire, tant au cours de la période coloniale qu'au cours de la période post-coloniale et souvent avec l'intervention des forces armées ou des autorités assimilées. »

C'est exactement ce qui se passe durant plus d'un siècle sur les territoires kenyans et tanzaniens occupés par les Maasai. En effet, depuis la veille du 20ème siècle jusqu'à nos jours, les Maasai sont passés d'une situation de « culturellement dominants à celle moins enviable de dominés » (Péron X., 1994), par le fait qu'ils soient privés de leurs terres, donc atteints dans leur mode de vie.

Dans cette logique d'exclusion au Kenya, les autorités coloniales ont donné la priorité à la création des grandes concessions de terres destinées d'abord aux colons anglais, puis à la création et à l'extension des espacés protégés. Ce qui est pire c'est que le gouvernement indépendant n'a fait que maintenir, voire renforcer ces décisions, de telle sorte que les forces de l'ordre étaient (sont) de temps en temps utilisés en vue de déloger les pasteurs Maasai.

Sur le territoire tanzanien, la politique d'exclusion a été bien exécutée mais quelques années plus tard par rapport au Kenya voisin. En effet, il faudra attendre la fin de la première guerre mondiale pour voir s'installer les premières grandes concessions européennes (constituées au détriment des terres de parcours Maasai) aux pieds du Kilimandjaro et du Mont Méru. Ce qu'il faut signaler c'est que toutes les politiques de réforme foncière dans ces deux pays ont été prises unilatéralement par les autorités politiques sans tenir compte des intérêts du peuple Maasai.

Pour ce qui est du sentiment de dépossession territoriale, il faut dire que ce dernier constitue une conséquence directe du précédent. En effet, il est manifesté par « les déguerpissements des populations qui, là aussi, se sont pratiqué de façon violente; départ compliqué par le fait qu'il s'agit pour ces habitants d'un déracinement, d'une coupure définitive avec leur milieu socio-économique et écologique dans lequel ils vivaient. » (Sournia G., op. cit.)

C'est aussi ce que représente exactement l'histoire de la dépossession territoriale du peuple Maasai au Kenya et en Tanzanie. En réalité, selon S., Pomel (2001)1, le territoire occupé par les Maasai (ou « Maasailand ») aurait connu son agrandissement dans les années 1880 avant d'être divisé en deux territoires par la frontière entre l'Afrique orientale dominée par les Allemands et l'Afrique orientale des Britanniques. Depuis l'arrivée des Européens jusqu'à nos jours, ce peuple n'a pas cessé d'être victime des différentes politiques appliquées à leur égard.

Coté kenyan, il faut rappeler que l'histoire commence très tôt au moment où les Maasai commençaient, dès les années 1908, à se heurter sur les haies des grandes plantations de sisal (au pied du Kilimanjaro) appartenant aux européens. Ils étaient soumis également, depuis 1906, aux restrictions des droits de résidence et d'usage suite à la création de la première réserve de faune du territoire, la Southern Game Reserve.

Dans les années qui ont suivi l'indépendance, les autorités nouvelles kenyanes ont encouragé la délimitation de propriétés foncières privées, ce qui est en opposition totale avec la conception Maasai qui dit que « nul n'est propriétaire de l'herbe », et le développement d'une politique d'intensification et de commercialisation du bétail. De nombreuses propriétés (d'environ 10km) furent dès lors enregistrées au nom de Maasai, mais elles étaient hostiles à l'élevage traditionnel. Un grand nombre de ces Maasai passèrent leurs propriétés à des cultivateurs venus d'autres régions, acceptant ainsi de perdre leurs droits permanents sur leurs meilleures terres de pâturages de saison sèche. Mais le pire leur arriva quelques années plus tard au moment où il y a eu l'émergence du système de Group- Ranches dans le pays. Dès lors, la parcellisation de ces derniers a eu comme conséquences le contrôle et la limitation de l'activité pastorale des Maasai (qualifiée par les autorités d'inefficace) sur le territoire kenyan.

Coté tanzanien, il faut dire que juste après la première guerre mondiale, au pied du Kilimandjaro tout comme autour du Meru, existaient déjà de grands domaines européens constitués au détriment des aires de parcours Maasai dans la plaine ou sur la frontière entre les deux massifs montagneux. En 1929, la zone de Serengeti-Ngorongoro devenait une réserve de chasse sur 22.860 km, puis un parc en 1951.

Ce grignotage du territoire septentrional a eu une influence jusqu'au Kilimandjaro où, en même temps, à cause des estates du versant Ouest, leurs possibilités de transhumance vers les pâturages de haute montagne étaient bloquées. Cette tendance s'est poursuivie jusqu'aujourd'hui, mais on notera finalement que l'année 1975 aura été fatale pour eux car, avec la politique Ujamaa, des Group-Ranches ont sans doute été un autre moyen de les priver leurs terres de parcours.

1 Notes de cours de DEA (2001)

Notons enfin que cette restriction progressive des aires de parcours des pasteurs Maasai dans les dernières décennies a suscité des transformations de systèmes de production pastorale des deux côtés de la frontière. Des formes d'intensification ont permis à certains de s'enrichir, mais pour d'autres, la contraction territoriale a été un facteur d'abandon de l'élevage et/ou de départ vers la ville.

C'est à cause d'ailleurs de ce manque du territoire que s'affiche, dans la suite, le sentiment de dépossession économique chez les populations victimes de ces politiques de création des zones protégées. Pour G. Sournia (op. cit.), ce sentiment se manifeste quand un groupe social ainsi concerné va être fragilisé par son expulsion et par le non-accès aux ressources qui, jusqu'alors, étaient vitales pour lui; ce qui est difficile à digérer parce que ce groupe a le sentiment, qu'après son départ les investissements viendront en abondance sur le territoire qui était le sien.

L'exemple des Maasai en explique davantage car l'éviction de leur activité pastorale a été suivie par le développement d'une agriculture irriguée sur le piedmont du Kilimandjaro. Ces nouvelles terres, acquises au détriment des parcours Maasai, sont cultivées par les habitants allochtones tels que les Kenyans (Kikuyu et autres) venus des régions surpeuplées (hautes terres centrales, rift valley, etc.) ainsi que les tanzaniens originaires d'autres régions du pays.

Grosso modo, les Maasai se sont vus écartés de bonnes terres du Kilimandjaro, leur ancien territoire riche en différentes ressources (pâturages pendant la saison sèche, abreuvoirs, etc.) Aujourd'hui, « ils ne sont sans doute plus nombreux à en gravir les pentes avec leurs troupeaux » étant donné qu'un cordon presque continu de grandes fermes se prolonge à l'Ouest par une paysannerie d'agriculteurs (la ceinture café-banane); au Nord de grands espaces de forêts le long de la frontière constituent un autre obstacle. Par contre, entre les deux ceintures se trouve un espace prévu pour que les éléphants du Parc national d'Amboseli puissent circuler librement entre plaine et montagne (Pomel S., 2001).

Les Maasai sont donc confinés dans les régions inhospitalières et, selon S. Pomel, « le Kilimandjaro ne voudrait plus d'eux que si ce n'est comme un éventuel premier plan d'une carte postale ! » Mais visiblement cette expulsion est liée aux différentes décisions qui ont été prises par les autorités coloniales et post-coloniales depuis le début du 20ème siècle et non le rejet du milieu naturel comme on pourrait le croire.

Les conséquences qui découlent de ce rejet sont bien sûr assez nombreuses mais la plus importante est que, dépossédés de leurs terres et plus encore étant incapables de s'adapter à l'agriculture, les Maasai se rendent dans les villes où « il est malheureusement le plus courant de les voir vêtus de jeans et de baskets errer dans les rues de Nairobi à la recherche d'un touriste à qui vendre quelques objets artisanaux soi-disant traditionnels... »

(Dufour C., op. cit.).

C'est d'ailleurs à travers cette errance dans la ville qu'on remarque facilement combien de fois les Maasai ont été culturellement dépossédés, c'est-à-dire acculturés par rapport aux valeurs traditionnelles qui étaient les leurs. Cette dépossession culturelle est liée, d'une part, à l'intégration plus ou moins heureuse au développement touristique qui entraîne de réels problèmes d'acculturation parce que ces populations se contentent de quelques petits avantages liés au tourisme (par exemple l'emploi des jeunes Maasai dans les services touristiques tanzaniens: rangers, guides, lodges) et au peu d'argent qu'elles tirent de la vente

des produits traditionnels et oublient carrément le territoire perdu et surtout l'avenir des membres de leurs familles qui restent aux alentours des espaces protégés. D'autre part, elle est liée au développement de réflexes individualistes en vue d'accéder aux autres possibilités offertes par les changements liés à la création d'une zone protégée.

La conséquence est que tout cela influe sur le mode d'organisation sociale du groupe qui, depuis longtemps, a été caractérisé par l'esprit d'entraide, mais aussi sur les rites sociaux. Dans ce dernier cas, il faut dire que la réduction des troupeaux de vaches a contribué à la désorganisation du processus habituel du mariage selon lequel un homme qui voulait se marier devait avoir suffisamment de bêtes pour faire les cadeaux demandés par le père de sa fiancée, en vue, non seulement de payer la dot mais aussi de contribuer à la constitution d'un troupeau destiné à sa future épouse (Dufour C, op. cit.).

Face à tous ces sentiments de dépossession, on comprend aujourd'hui à quel point la terre est, pour ces populations expulsées un enjeu d'une grande importance car il met en danger leur vie quotidienne. Des réactions sont bien sûr assez vives, allant de l'incompréhension à l'acte criminel. Réactions d'autant plus violentes que les populations exclues se sentent totalement exclues de la gestion des espaces protégés qui constituaient, il y a encore peu, leurs anciens territoires, leurs espaces de vie.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe