2.2.3.2 Les dommages causés par le tourisme
intensif
A l'heure actuelle, un des plus grands dangers auxquels les
aires protégées se trouvent souvent confrontés tient
à l'érosion humaine consécutive à l'afflux de
touristes. Dans bien des pays, et en particulier dans ceux de l'Afrique de
l'Est, l'accès aux espaces protégés n'est plus
sévèrement réglementé. En conséquence, ils
reçoivent chaque année un nombre de visiteurs qui est très
élevé quelquefois par rapport à leur capacité
d'accueil. Ce qui n'est pas du tout mauvais pour leurs gestionnaires puisque
ces derniers ne visent que les intérêts lucratifs. Par contre,
certains d'entre eux ne parviennent pas à réaliser les
conséquences de cet afflux des touristes sur le milieu naturel, alors
que des études menées dans ce domaine révèlent
qu'une fréquentation trop forte entraîne la dégradation de
l'écosystème à l'intérieur des espaces
protégés. Voilà pourquoi on accuse souvent les
défenseurs de la nature d'être des extrémistes, de faire
obstacle au progrès, de nuire au bien-être des communautés
locales et de vouloir créer ou organiser des aires
protégées pour l'usage exclusif des scientifiques ou des
fortunés.
En faisant une étude sur le cas des parcs et
réserves du Kenya, pays est-africain qui tient le record du nombre de
touristes enregistrés annuellement (plus d'un million ces
dernières), A. Huetz de Lemps (op. cit.) et C., Dufour (op. cit.)
dégagent quelques voies par lesquelles une nuée de touristes
entraîne la dégradation du milieu écologique à
l'intérieur des espaces protégés kenyans les plus
visités.
En premier lieu, C., Dufour évoque le cas d'une
dégradation liée à la circulation des automobiles dans les
parcs et réserves kenyans. Bien que strictement
réglementée en effet, cette circulation se fasse au moyen de
minibus ou de 4x4 qui, sensés suivre les mêmes chemins, provoquent
une érosion des sols suite au passage répété des
véhicules très chargés et trop nombreux, surtout en
période pluvieuse. Par conséquent, la strate herbacée y
est écrasée et finit par disparaître (voir figures n°
4 et 5).
Figure n° 4: Minibus en promenade dans la
Réserve de Maasai-Mara. Au premier plan, des traces d'érosion
légère et au second plan, attroupement de plusieurs
véhicules
(Photo prise par Céline Dufour, 2001)
Figure n°5: Erosion du couvert
végétal sur des pistes lanières par les roues
des véhicules à l'intérieur de la Réserve de
Maasai-Mara
(Photo prise par Céline Dufour, 2001)
A part cette photo qui illustre la situation qui
prévaut à l'intérieur de la Réserve de Maasai-mara,
A. Huetz de Lemps (op. cit.), quant à lui, parle des effets
négatifs d'une fréquentation touristique excessive qui se fait
dans le Parc national d'Amboseli. Selon lui, ce
parc « est envahi par les Européens qui
viennent du littoral: les minibus sont plus nombreux que les
éléphants et le parc a tendance à se transformer en zoo.
Par leurs parcours incessants le long des pistes, les minibus contribuent
à fragiliser un milieu déjà menacé par les
remontées salines et l'extension des zones montagneuses. »
En deuxième lieu, les deux auteurs évoquent la
pratique du « hors-piste » à MaasaiMara, un geste qui
est néfaste suite à ses effets négatifs sur la couverture
végétale, mais considéré comme utile afin de donner
du plaisir aux touristes, car il permet de voir de plus près les
animaux, surtout dans la Réserve de Maasai-Mara, où
l'étendue du territoire (son immensité) le permet sans beaucoup
de difficultés.
Enfin, une autre zone en danger est celle des nappes
aquifères qui, situées en dessous des lodges construits sur
pilotis (tree-lodges), reçoivent des eaux usées en provenance de
ces lodges, ce qui est très dangereux pour la vie des animaux qui y
viennent encore en masse pour boire de l'eau.
Dans tous les cas, il faut dire que le développement du
tourisme à grande échelle produit tôt ou tard un conflit
aigu entre les exigences de la protection de la nature et l'industrie
touristique. En effet, on a constaté que les nombreux cas de
dégradation du milieu naturel dus au développement du tourisme
intensif amènent souvent ceux qui sont liés professionnellement
ou sentimentalement à la protection de la nature à adopter des
attitudes restrictives ou complètement négatives, allant parfois
jusqu'à l'expulsion des touristes des zones protégées.
Devant cette attitude, des réactions de vengeance de la part de ceux qui
visent les intérêts lucratifs pourraient être nombreuses.
Pour trouver une solution, ou moins un élément
modérateur dans le conflit ci-haut cité, les spécialistes
de la conservation ont mis en place le concept de « tourisme
écologique », c'est-à-dire par définition le
« tourisme qui doit apporter à toutes les parties
concernées [associations de protection de la nature, populations
locales, industrie touristique] les satisfactions qu'elles attendent, en
évitant les effets dommageables pour le milieu naturel. »
(Dabrowaski P., op. cit.)
Pour y arriver, il faut que ces dernières fassent
preuve de beaucoup de bonne volonté et échangent des informations
exactes. D'une part, les défenseurs de la nature doivent comprendre
qu'il est impossible d'exclure le tourisme parce que ce dernier est source de
richesses pour le pays, et d'autre part, les autorités chargées
de la protection de la nature doivent prendre en considération les
aspects écologiques dans l'aménagement d'une région en
fixant d'abord des normes pour un usage durable des ressources naturelles, puis
en estimant la capacité touristique d'une région. Ce qui n'est
pas facile pour les pays du Sud parce que cet aménagement exige des
études environnementales, économiques et sociales très
poussées.
En définitive, on peut dire que la politique de
conservation en Afrique orientale a des avantages et des inconvénients.
Parmi ses avantages, la promotion du tourisme dans la région est sans
doute l'une de ses mérites même si la manne qu'il procure n'arrive
pas aux populations locales. Par contre, elle est à la base de certains
conflits fonciers qu'on trouve en Afrique orientale ex-anglaise. De
surcroît, elle est aujourd'hui confrontée à beaucoup de
défis, comme le problème de pression démographique, celui
de la dégradation du milieu écologique suite, d'une part, aux
dommages causés par la surpopulation de certaines espèces
animales et végétales, et d'autre part, à cause du
tourisme intensif.
Conclusion de la deuxième partie
La politique de conservation dans les Etats nouvellement
indépendants de l'Afrique orientale a connu, dès le début
des années 1970, des orientations différentes suite aux
sensibilités politiques qui étaient au pouvoir à
l'époque.
Après à peu près quatre décennies
de leur action, le bilan reste aujourd'hui « mitigé »
car, au-delà de quelques avantages économiques qui permettent aux
différents gouvernements d'obtenir des devises, le coté humain
reste catastrophique. En effet, l'avenir de populations expulsées de
leurs terres reste incertain, sans oublier que les bénéfices
tirés dans l'industrie touristique n'arrivent pas à tout le
monde.
Face à tous ces problèmes, les
spécialistes de la conservation se sont aperçus que cette
situation allait à l'encontre des objectifs recherchés, ce qui a
poussé les associations de protection de la nature d'élaborer de
nouvelles stratégies en la matière. L'objectif premier
étant celui de trouver le moyen de préserver la beauté des
paysages, de même que les écosystèmes et la
diversité biologique, tout en assurant que les aires
protégées contribuent le plus possible au bien-être des
populations locales.
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