I.2 L'avènement de la conservation participative
et quelques tentatives de gestion en comparaison avec l'Afrique australe
Les années 1980 marquent le début d'une phase
importante en matière de gestion des aires protégées.
C'est la période au cours de laquelle les professionnels de la
conservation acceptent publiquement d'associer les populations locales à
la gestion des parcs et réserves analogues en mettant l'accent un peu
plus sur l'intérêt économique (au profit des populations
locales) que sur les bénéfices éthiques et/ou
écologiques.
1.2.1 Nouvelle ère de la conservation: couple
conservation/développement
Comme nous l'avons vu au départ, les premiers espaces
protégés des pays du Sud furent mis en place dans le but de
préserver une nature sauvage où peuvent se faire des
activités récréatives telle que la chasse d'une part, puis
de protéger les ressources naturelles (faune et flore) qui
étaient en voie de « dilapidation » d'autre part. A
cette époque, toute exploitation humaine était interdite sur le
territoire protégé. Comme la plupart de ces espaces
étaient habités, les mesures de protection ont été
accompagnées par l'expulsion des populations autochtones et la mise en
place d'un dispositif de sécurité très efficace en vue
d'empêcher à ces populations d'exercer leurs activités
à l'intérieur des zones protégées. Ceci s'est
traduit sur le terrain par plusieurs gestes conflictuels entre les gardes des
parcs et les populations riveraines de ces espaces.
Après plus d'un demi-siècle de mésentente
entre les populations locales et les pouvoirs publics, les résultats ont
été jugés médiocres de tous les côtés.
D'une part il faut dire que les mesures de sécurité prises par
les Etats et les ONG de protection de la nature n'ont pas empêché
l'augmentation des actes de braconnage à l'intérieur des aires
protégées suite aux mécontentements des populations
chassées de leurs terres ou aux opérations menées par les
réseaux de trafiquants de l'ivoire ou des animaux vivants. D'autre part,
la situation des populations vivant en bordure des aires
protégées est devenue de plus en plus inquiétante.
Face à cette ambivalence, quelques études visant
à associer les populations locales ont été menées
dès la fin des années 1960. On peut citer en premier lieu le
concept de « réserve de la biosphère »
présenté en 1970 par l'UNESCO. Inscrit dans un long programme
destiné à faire l'interaction entre les activités de
l'Homme et la Biosphère (Man and Biosphere: MAB), ce concept avait le
principal objectif d'associer au sein d'une même zone
protégée le processus de développement et la politique de
conservation. Cette phase est considérée comme la première
en ce qui concerne les changements de la politique de conservation en faveur
des populations locales.
Sur le terrain, une « réserve de la
biosphère » est divisée en plusieurs zonages qui
constituent des sous-réserves. A chacune des sous-réserves
correspond une activité particulière. Parmi les activités
privilégiées on peut citer le tourisme, la recherche,
l'éducation-formation, la recherche expérimentale, l'utilisation
traditionnelle, etc.(voir figure n° 6)
Figure n°6: Schéma d'une
réserve de biosphère
Il faut noter que la partie centrale est consacrée
à la conservation intégrale, encerclée par une zone de
tampon dans laquelle sont permises certaines activités humaines,
elle-même encerclée par une zone de transition où se
déroule les activités de développement. A l'heure
où nous sommes, les professionnels de la conservation se
réjouissent des résultats atteints en matière des zones
protégées considérées comme des réserves de
la biosphère pour deux principales raisons: d'une part on a
enregistré une nette diminution des opérations de braconnage ou
feux de brousse grâce à l'intervention des populations locales, et
ceci contrairement à ce qui se passe ailleurs là où la
conservation classique s'impose encore; d'autre part les populations locales
gagnent un peu d'argent suite aux revenus tirés dans le tourisme.
Outre le concept de réserve de la biosphère, la
prise en compte d'intérêts des populations locales a pris une
autre ampleur au début des années 80 au moment où le
processus d'associer la conservation et le développement a
été repris par les principales organisations de conservation dans
le monde (l'UICN, le WWF et le PNUE) dans leur programme intitulé «
Nouvelle stratégie mondiale de la conservation. » Dans ce
document, ces organisations se donnent l'objectif principal de créer et
de financer les « Projets Intégrés de conservation et de
Développement » en vue de venir en aide aux populations
riveraines des aires protégées à sortir de la
pauvreté. En effet, elles estiment que l'éradication de la
pauvreté aux alentours de ces espaces est l'une des facteurs importants
qui pourraient ralentir la surexploitation des ressources à
l'intérieur des aires protégées.
Cependant, même si ce type de projets semble être
le meilleur en matière du bien-être des populations locales, il
faut signaler que sa validité n'est pas partagée par tous les
spécialistes et professionnels de la conservation. En effet, certains
critiquent sèchement l'idée d'associer les populations locales
à la gestion des espaces protégés. L'une des raisons
avancées est que le fait de concentrer les projets de
développement aux alentours des aires protégées risque de
« créer une zone d'attraction et de front pionnier pour les
nouvelles populations en quête des meilleures conditions de vie
», et au bout du compte une pression sans précédent sur
ces espaces. En abondant dans le même sens, G. Davies (1998) affirme que
cette décision permettrait de « revoir à la baisse les
objectifs généraux de protection de 10 % des principaux biomes
mondiaux, en y incluant les paysages en gestion durable. » Par
contre, d'autres auteurs remettent en cause l'idée de maintenir des
zones protégées qui excluent les activités humaines compte
tenu des conséquences que cela pourrait engendrer
ultérieurement.
Ces différentes critiques (surtout les
premières) ont conduit les spécialistes de la conservation
à revoir les principes de la politique de conservation participative.
Parmi les modifications apportées, on note l'instauration du concept de
« zones -tampons. » L'intérêt principal de ces
dernières est qu' « une zone à fort potentiel
biologique, et ayant un statut de protection contraignant ne soit pas en
contact avec une zone fortement anthropisée où les
activités sont peu contrôlées. » (UICN, 1990
repris par F. Busson, op. cit.) Là aussi, sont nées des
contradictions entre les auteurs en ce qui concerne la question de savoir si la
zone tampon doit être à l'intérieur ou à
l'extérieur de l'espace protégé. Sur ce point, les
écologistes radicaux préconisent qu'il vaudrait mieux
étendre la zone de contrôle autour du parc, et former ainsi une
zone tampon. Ce qui ne serait pas facile à réaliser suite
à une éventuelle résistance farouche des populations
locales consécutivement à leur ancienne expulsion. Au contraire,
d'autres écologistes (plus modérés) trouvent que cette
zone peut constituer une sorte de ceinture à l'intérieur d'une
zone protégée à l'instar de ce qui est prévu dans
le cas d'une réserve de la biosphère (voir figure n° 6). Ce
qui est facilement réalisable mais avec beaucoup de risques sur le
terrain suite aux effets négatifs en provenance des activités de
développement.
Que ce soit la première ou la seconde position, le but
essentiel de cette zone tampon est de pouvoir éviter les effets
négatifs des activités des différents acteurs de
développement sur la partie principale de l'espace
protégé. En vue de résoudre ce problème, l'UICN a
établi en 1990 quatre zones dont les définitions répondent
plus ou moins aux attentes de tous les acteurs des aires
protégées, à savoir:
- les zones tampons forestières: forêts
exploitées pour les bois de chauffe ou de construction, en dehors des
zones protégées mais sur le domaine public;
- les zones-tampons économiques: zones
créées pour réduire la nécessité de
prélever des ressources dans les zones protégées;
- les zones-tampons d'exploitation traditionnelle à
l'intérieur des aires protégées, là où
l'exclusion des populations n'est pas envisageable;
- et barrière physique: quand l'espace manque pour
créer une zone tampon (UICN, 1992 repris par F. Busson, op. cit.).
Malgré cet apport de l'UICN, les résultats de ce
concept semblent aujourd'hui mitigés. Parmi les raisons avancées
de cet échec, on évoque le manque de cohérences entre le
discours officiel diffusé par les ONG de protection de la nature et les
actions sur le terrain. En effet, on vient de constater que certaines de ces
ONG participent beaucoup plus à la médiatisation d'un discours de
« conservation participative » auquel il donne force par
leur présence virtuelle auprès des populations locales
plutôt qu'à mettre en pratique ce discours. Parmi les ONG qui sont
montrées du doigt, on cite en premier lieu le WWF, un acteur
incontournable dans ce domaine à travers le monde entier mais dont les
résultats laissent à désirer. Comme l'ont fait constater
D. Chartier et B. Sellato (1998) lors d'une étude menée
auprès d'un projet d'intégration des populations Dayak en
Indonésie, cet organisme a ignoré les travaux des chercheurs de
terrain dans le but de maintenir les mesures de conservation dans le pays.
Enfin, dans la logique toujours d'associer les populations
locales à la gestion des parcs et réserves, les innovations ne
manquent pas. Les dernières sont celles qui définissent les
nouvelles formes d'aires protégées en mettant l'accent sur les
bénéfices économiques que l'exploitation de la grande
faune sauvage peut apporter aux populations locales. En contrepartie, ces
dernières doivent être impliquées davantage dans le
contrôle anti-braconnage en vue d'améliorer les conditions
écologiques des espaces protégés. Pour E. Rodary (1994),
c'est tout le champ de la conservation qui cette fois-ci se trouve
intégré dans l'univers social, comme « moyen de
développement économique, mais surtout comme dynamique d'une
socialisation politique des régions riveraines des aires
protégées. » L'exemple des programmes CAMPFIRE au
Zimbabwe et ADMADE en Zambie en sont les tentatives les plus connues.
En somme, il faut dire que l'avènement d'une politique
de la conservation par la participation locale au milieu des années 80 a
favorisé une articulation profonde entre le développement et la
conservation de la nature. En effet, on constate que la politique de
conservation s'ouvre petit à petit aux problèmes socio-politiques
d'aménagement du territoire pour empêcher les critiques
très sévères à son encontre, et qu'il essaie de se
repositionner dans une perspective de « développement
durable. » Malheureusement, ce passage important d'une «
conservation classique » à « une conservation
participative » reste ponctuel dans le monde entier suite, d'une part
à une résistance farouche des mouvements écologistes, et
d'autre part à cause des législations nationales de certains pays
qui ne tolèrent pas l'exercice des activités humaines à
l'intérieur des zones protégées. Pour ce qui est de
l'Afrique orientale, la situation s'améliore petit à petit suite
aux expériences empruntées en Afrique australe notamment en
Zambie et au Zimbabwe. Avant de voir l'état d'avancement de cette
politique en Afrique orientale, nous allons d'abord jeter un coup d'oeil sur
les expériences de l'Afrique australe dans ce domaine.
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