1.1.2 La responsabilisation des populations locales
Comme nous l'avons vu dans les paragraphes
précédents, la politique de conservation associant les
populations locales remonte dans les années 70 avec le lancement du
programme MAB et le concept de la réserve de la biosphère. Une
décennie après, au début des années 80, les grandes
organisations de protection de la nature (UICN, WWF, PNUE) ont commencé
à se préoccuper des populations autochtones à travers le
document intitulé « stratégie mondiale de la
conservation. » Dès lors, ces organisations ont reconnu pour
la première fois que la politique de conservation n'était plus
considérée comme extérieure aux problèmes de
développement économique, mais qu'ils pouvaient aller ensemble en
vue d'éradiquer la pauvreté aux alentours des aires
protégées mais surtout d'assurer la gestion durable de ces
espaces.
Les premières tentatives de Projets
Intégrés de Conservation et de Développement ont
échoué pour deux principales raisons: d'une part c'est que les
logiques paysannes traditionnelles1 sont contradictoires avec les
logiques de développement basé sur le progrès
économique adapté au modèle occidental; et d'autre part
c'est que les initiateurs des projets (ONG de protection de la nature) ignorent
les savoirs-faire et le rôle institutionnel traditionnel des
communautés locales au profit de l'acteur-Etat. Ainsi, ces populations
étaient considérées comme passives dans la conception des
projets, et dans une moindre mesure comme des acteurs qui assistent aux
décisions prises par les autres acteurs sans qu'il y ait la moindre
participation de leur part (Bationo B., 1998).
Face à de multiples échecs de ces projets, les
spécialistes en la matière trouvent qu'il doit y avoir de
sérieuses révisions au niveau des démarches de
développement à utiliser. C'est ainsi qu'ils trouvent par exemple
qu'il ne s'agit plus de convaincre les populations locales du
bien-fondé de la démarche, mais d'établir
cette fois-ci des formules de conservation où ces populations sont
invitées à participer pleinement à la cogestion,
c'est-à-dire où elles reçoivent en contrepartie des
avantages adéquats ou des revenus les incitant à conserver les
ressources. Ainsi, outre la sensibilisation des populations sur les avantages
de l'utilisation durable des ressources, notamment la conservation,
l'élaboration d'incitations doit impliquer une confiance
consolidée et le renforcement des capacités financières et
institutionnelles de gestion de ces espaces.
Par ailleurs, dans les zones encore habitées par des
populations autochtones, la réussite des initiatives de conservation
participative nécessite une « reconnaissance des droits de ces
peuples à posséder et contrôler leurs territoires; à
être associés d'emblée à la planification; à
la reconnaissance des institutions représentatives autochtones; à
la mise au point de mécanismes veillant à assurer la
participation des secteurs marginaux de manière à ne pas
compromettre la prise traditionnelle de décision; à des contrats
qui définissent clairement les obligations mutuelles; et à une
formation multiculturelles propre à sensibiliser toutes les parties
intéressées. » (Colchester M., 1996)
Le même auteur fait constater qu'il faut mettre au point
une nouvelle catégorie d'aires protégées puisqu'il a
été indiqué qu'aucune des catégories existantes (de
l'UICN) n'est fondée sur ces principes (voir annexe n° 1). De
surcroît, ajoute-il, très peu de pays ont une législation
nationale permettant l'exercice de ces droits à l'intérieur des
aires protégées. En peu de mots, des modifications urgentes sont
nécessaires à tous les niveaux pour permettre l'application de
ces nouveaux principes de gestion. Pour faire face à ce défi, et
à la suite des préoccupations croissantes manifestées par
les organisations de populations autochtones au sujet des exigences
écologistes, le WWF a récemment élaboré une
nouvelle politique des peuples autochtones. Celle-ci est fondée sur une
acceptation des droits des peuples autochtones tels qu'ils sont exprimés
dans le droit international ancien et nouveau, notamment leur droit à
l'autodétermination, à la propriété et à
l'administration de leurs territoires, à l'auto- identification et
à la propriété intellectuelle.
A propos de ce projet, ladite organisation déclare
qu'elle va s'efforcer « d'établir un partenariat avec les
peuples autochtones si ceux-ci manifestent le désir de conserver la
diversité biologique et acceptent la limitation des activités
humaines nécessaires pour parvenir à une utilisation durable.
» (Colchester M., idem) Mais ce projet commence à poser
déjà des difficultés liées à son adaptation
sur le terrain puisque beaucoup de personnes ne comprennent pas la façon
dont elles doivent réglementer les activités humaines à
l'intérieur des aires protégées tout en permettant aux
populations locales de satisfaire à leurs besoins de subsistance, car
toute gestion efficace nécessite des procédures coercitives
d'application des réglementations convenues. Les expériences
actuelles montrent d'ailleurs que la plupart de ces ONG privilégient
d'abord les intérêts de la conservation au détriment du
progrès socio- économique des populations autochtones, ce qui
fait échouer les PICD dans plusieurs pays
(Chartier D.; Sellato B., op. Cit.)
En outre, certains auteurs, à l'instar de G. Rossi
(2000), trouvent que ce projet s'inscrit dans le cadre de cette fameuse logique
de « politique d'ingérence écologique »
longtemps menée par les associations de protection de la nature
(d'origine occidentale) dans les pays du Sud. En abondant dans le même
sens, d'autres trouvent que ce concept actuel médiatisé «
des capacités autochtones et des connaissances locales »
qui doivent être reconnues, « respectées,
enregistrées, perfectionnées, le cas échéant
utilisées », est une façon qu'utilisent ces ONG
pour légitimer leurs pratiques dans le monde entier en vue
surtout de bénéficier des capitaux de financements (Chartier D.;
Sellato B., op. cit.).
En définitive, il est clair que ce projet est à
l'encontre de la logique de la « politique de conservation
participative digne de son nom », parce que d'une part, il refuse le
plein droit aux populations locales de s'impliquer librement dans la gestion
des ressources naturelles (qu'elles ont pourtant su gérer depuis des
millénaires); et que d'autre part, il s'inspire de cette politique
d'ingérence qui, depuis l'époque de l'indépendance, a
caractérisé les relations Nord- Sud. C'est par ce fait que
certains professionnels de la conservation craignent de retomber dans les
schémas classiques de planification (là où les populations
locales étaient toujours considérées comme des acteurs
passifs) en préconisant des réformes administratives dans chaque
pays. Ces nouvelles structures administratives s'appuieraient sur la politique
généralisée de décentralisation dans les pays du
Sud suivant le modèle de ce qui a été fait par les
programmes ADMADE et CAMPFIRE en Afrique australe.
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