1.2.1 Le poids des activités humaines sur
l'environnement
Les premières marques de l'homme dans son environnement
commencent avec les sociétés industrielles occidentales (fin 1
8ème et 1 9ème siècles) au moment
où le développement des échanges, associé aux
progrès scientifiques et techniques, marque de nouvelles étapes
dans l'expression de l'homme, mais surtout dans la croissance de celle-ci.
Dans ce contexte, l'impact de l'homme sur l'environnement a
pris un autre aspect et s'est mondialisé en atteignant largement tous
les continents. De ce fait, une utilisation accrue des ressources renouvelables
et non renouvelables inquiète le monde entier mais cette
inquiétude n'est pas partagée. Pour certains, les ressources
planétaires sont sans cesse menacées par la population de plus en
plus nombreuse. Le rapport Meadows « Halte à la croissance
» en constitue l'illustration la plus achevée d'un monde fini
(Rossi G., 2000). Le même auteur précise que ce rapport,
d'inspiration néo-malthusienne, considère « qu'il existe
une relation quasi mécanique, linéaire entre la
dégradation de l'environnement et la croissance démographique.
C'est le désormais ?cercle vicieux de
dégradation? dans lequel une population de plus en plus
nombreuse est contrainte d'exercer une pression toujours plus grande sur un
milieu dont la ? capacité de charge? est finalement
dépassée, entraînant ainsi la population et le milieu dans
une spirale infernale où la paupérisation des populations et la
dégradation de l'environnement se nourrissent l'une de l'autre.
»
Cette théorie sera appuyée quelques
années plus tard par l'émergence de l'écologie. En effet,
considérée pendant longtemps comme une science principalement
biologique qui n'avait guère intégré l'homme dans ses
préoccupations, elle tend depuis les années 80 à changer.
Son évolution récente reconnaît l'homme comme une source de
perturbations, comme un nouveau moteur de l'évolution par les
changements qu'il impose à la planète. (Veyret Y. ; Pech P.,
idem). Aujourd'hui cette approche inclut l'homme et fait de l'écologie
un outil pour les politiques d'aménagement du territoire et de gestion
de l'environnement. Elle est d'ailleurs à la base de la récente
création massive des aires protégées dans le monde mais
surtout dans les pays du Sud.
Pour d'autres, les antimalthusianistes (appelés aussi
populationnistes), l'accroissement démographique ne constitue aucune
menace en ce qui concerne l'épuisement des ressources naturelles. Par
contre, il « génère du progrès, de l'innovation,
de l'adaptation. Grâce à cela il crée de la richesse,
autorise et oblige aussi à une meilleure prise en compte de
l'environnement. Il n'entraîne pas irréversiblement le monde dans
le ?cercle vicieux de dégradation?. » (Rossi G., op. cit.)
Cette contestation est l'oeuvre de la sociologue danoise Ester Boserup depuis
le milieu des années 1960. Selon sa thèse sur le «
développement agricole »1, ce chercheur affirme
que la croissance ou la pression démographique est un stimulant ou plus
une condition préalable nécessaire au progrès de
l'agriculture. Ainsi, continue-t-elle, « l'accroissement des
densités, la raréfaction progressive de la terre par rapport
à la population conduisent à une utilisation plus intensive des
terres, exigeant davantage du travail, aboutissant à des accroissements
de productivité et à une évolution générale
des structures de production et de pouvoir. » (Thiltiges E. et
Tabutin D., 1997)
Entre les deux thèses (malthusienne et
populationniste), il existe aujourd'hui une nouvelle théorie
appelée le « néo-malthusianisme nuancé. »
Développée à la fin des années 1970, cette
position avance un argument selon lequel la « pression
démographique ne constitue plus une cause directe des problèmes
de l'environnement mais elle est un facteur accélérateur.
» Elle est le fruit de plusieurs critiques qui émanent d'un bon
nombre d'agences internationales de développement, de certaines
institutions indépendantes ou les organisations de protection de
l'environnement à l'égard du radicalisme affiché par les
deux théories précédentes.
En ce qui concerne l'effet de ces trois hypothèses sur
les rapports « populations /ressources », il faut dire que
la théorie néo-malthusienne, défendue par le Rapport
Meadows, est à la base de la création d'un grand nombre
d'associations de protection de la nature, et par voie de conséquence,
de la récente création massive des aires protégées
dans les pays du Sud entre les années 1975 et 1990. En outre, elle a
été le moteur de la mise en place des politiques antinatalistes
dans les mêmes pays à la fin des années 70- début 80
même si les effets de ces politiques sont souvent paradoxes selon les
pays.
En effet, si d'une part il y a certains pays
surpeuplés, à l'instar du Rwanda, qui peuvent se réjouir
des résultats qui ont été atteints (avant le drame de
1994) dans le milieu intellectuel et urbain, suite à une diminution
sensible du nombre d'enfants par famille (passer en général d'une
moyenne de 7 ou 6 enfants par famille à 3 ou 4 enfants) malgré
l'opposition acharnée de l'église catholique, il y a, d'une autre
part, d'autres pays africains, à l'instar du Congo Brazza (8,8
habitants/km2 en 2001) ou du Gabon (4,6 habitants/km2 en
2001) qui n'avaient pas besoin de ces politiques compte tenu du problème
de sous-peuplement qu'ils connaissent depuis un certain temps, et qui, au
contraire, auraient pu bénéficier des aides destinées
à encourager les politiques natalistes comme le fait le gouvernement
gabonais pour le moment. Aujourd'hui, les associations de protection de la
nature en ont profité pour exiger à ces pays d'augmenter leur
nombre de superficies en aires protégées.
Pour ce qui est de la théorie populationniste, il sied
de dire qu'elle est à la base des progrès réalisés
en matière de lutte contre la dégradation de l'environnement
lié à la pression démographique comme c'est le cas au
Rwanda avant les événements de 1994. Dans ce pays
1 En anglais: The conditions of Agricultural
Growth (1965), texte traduit en français en 1970 sous le titre:
Evolution agraire et pression démographique
montagneux où tous les versants sont cultivés
jusqu'au sommet, les paysans, grâce à la campagne menée par
les décideurs politiques de l'époque, avaient pu aménager
ces versants grâce aux fosses antiérosives, ce qui leur a permis
d'augmenter la production agricole. Le cas de la colline de Miyove
(aménagée en terrasses radicales) en Préfecture de Byumba
en explique davantage. Le même exemple a eu lieu au Burundi où les
« travaux de développement communautaires
»1 encadrés et organisés par le parti unique au
pouvoir (UPRONA) dans les années 80 permirent de lutter efficacement
contre l'érosion. Comme conséquence, H. Cochet (2001) constate
que les régions les plus peuplées du pays (Buyenzi par exemple)
sont celles où les effets érosifs sont rares. L'autre exemple est
celui du District de Machakos au Kenya, où M. Tiffen et all. (1994,
repris par F. Bart, 1998 et F. Busson, op. cit.) avaient constaté qu'en
60 ans, la population de ce District avait été multipliée
par cinq et la production par tête par trois, suite à une
augmentation du taux de boisement et la généralisation des
aménagements en terrasses, donc à une diminution des
problèmes liés à la dégradation de
l'environnement.
Enfin, l'autre théorie qui explique les relations
« populations/ressources » est celle qui renvoie les «
ressources collectives » à l'argument bien connu et
diffusé dans le célèbre article intitulé «
The tragedy of commons » (la tragédie des communaux) de
Garett Hardin (1968) qui permet de mettre en évidence les acteurs et les
enjeux de dégradation de l'environnement. Selon cet auteur (professeur
de Biologie à l'Université de Californie-Santa Bara Bara à
cette époque), la théorie de la « Tragédie des
communaux » est une conception selon laquelle « tout le
monde a intérêt à exploiter et surexploiter ce qui
n'appartient à personne [... ] De la somme des comportements individuels
résulte un processus d'ensemble qui aboutit à la
dégradation et à la destruction des ressources ainsi
utilisées. »
Dans le cadre de l'environnement, cette théorie
précise que les ressources naturelles offrent un bel exemple où
se développe la tragédie des communaux dans ce sens que chaque
acteur (éleveur, agriculteur,...) est motivé à augmenter
sa production et que son action aboutit au débordement des limites
nécessaires, ce qui a comme conséquence la dégradation
irrévocable des ressources puisque chaque acteur vient profiter le
maximum possible des ressources. Dans ce cas, cette théorie est hostile
à certaines pratiques humaines telles le surpâturage qui est
considéré comme une activité qui aboutit à la
dégradation des sols et par voie de conséquence à
l'érosion; ou la pêche sauvage, une activité qui aboutit
à l'extinction des espèces de poissons et des mammifères
marins, etc.
Comme réponse « seule la
propriété privée et étatique peuvent aider à
éviter la tragédie des communaux », affirme l'auteur.
Ainsi, il propose que les propriétés communes où se fasse
le ramassage du bois, la cueillette des fruits, etc., soient mises aux mains de
l'Etat. En outre, il souhaite que les fermes soient clôturées et
que les restrictions dans les zones de pâturage, de chasse, de
pêche soient sérieusement établies. Il se réjouit
des progrès jusquel'atteints dans ce domaine mais, regrette-t-il, «
ces restrictions ne sont pas encore efficaces », d'où il
lance un appel solennel aux écologistes et aux professionnels de la
protection de l'environnement afin d'ériger des nouvelles
stratégies contre la tragédie des communaux.
Cet appel a été vite compris puisque les
années qui ont suivi ont été caractérisées
par la naissance d'un bon nombre d'organisations de protection de
l'environnement dans les pays occidentaux, sans oublier les ministères
ayant l'environnement dans leurs attributions qui ont
1 Connus au Rwanda sous le nom d' « Umuganda
»
été créés à cet effet dans
la plupart de ces pays. De surcroît, les institutions internationales de
financement des projets ont commencé à exiger les pays demandeurs
de fonds (ceux du Sud en général) d'élaborer les
politiques de conservation de la flore et de la faune en vue d'éviter la
tragédie des ressources naturelles comme nous le verrons pour le cas des
pays de l'Afrique orientale, ce qui a sans doute accéléré
le processus de création des zones protégées dans ces
pays.
En somme, on peut dire que les différentes
théories qui ont été développées dans la
deuxième moitié du 20ème siècle en
matière de relations populations/ressources naturelles ont eu des effets
significatifs sur les politiques de gestion de l'environnement et
d'aménagement du territoire au travers la création des espaces
protégés dans les pays du Sud mais ce qui est étonnant
c'est la mise à l'écart des principaux acteurs de ces ressources,
à savoir les populations locales.
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