Conclusion
Les ethnologues se servaient de leurs connaissances
théoriques et conceptuelles pour étudier avec le plus
d'objectivité possible, des sociétés traditionnelles et
« lointaines » qui n'étaient pas les leurs ;
nous avons voulu, pour notre part, essayer de mettre en exergue un fait social
de la société dans laquelle nous évoluons depuis notre
passage du baccalauréat.
Nous ne prétendons aucunement, nous rapprocher de ces
ethnologues, ni même faire de l'ethnologie à l'envers. D'ailleurs
le voudrions-nous, cela ferait-il sens ? Parce que d'une part, dans le
monde moderne, ce qui était autrefois du domaine de l'extérieur,
du lointain et du distant peut aussi relever de l'immédiat, du proche et
du familier. Malgré les écarts pouvant encore exister entre les
sociétés traditionnelles et les sociétés modernes,
il y a néanmoins un métissage et un rapprochement des cultures
via les mondialisations. D'autre part, l'élargissement du champ
ethnologique aux sociétés modernes et / ou le
développement de l'anthropo-sociologie rendrait caduque une telle
entreprise.
Dans notre démarche de lire le passage du
baccalauréat avec les lunettes de l'anthropo-sociologie, nous avons
voulu saisir en quoi le baccalauréat, avec toute la symbolique qu'elle
revêt en France, marque de façon significative l'entrée du
lycéen dans un monde autre. En d'autres termes, il s'agissait de voir si
le baccalauréat, à l'instar de la circoncision ou d'autres
cérémonies dans les sociétés traditionnelles, ne
marque pas dans une société moderne occidentale comme la France
un rite de passage : un passage à l'âge adulte.
Dans la première partie de notre étude, nous
avons fait l'état des lieux des rites de passage en France, après
avoir tenté de cerner la notion de rite. La ritualité y est
apparue très difficile à définir à cause notamment
de la plasticité de la notion. Les auteurs en définissant le rite
ont d'ailleurs irrésistiblement glissé vers sa fonction. Ils se
sont appliqués à trouver le sens des rituels dans leur
efficacité. Par contre, les rites de passage semblent être plus
commodes à saisir dans la mesure où ils ont été
formalisés dans un schéma par Arnold Van Gennep. Au-delà
de leur efficacité, on doit toujours observer dan les rites de passage
les trois séquences que constituent la séparation, la marge et
l'agrégation.
A la question de savoir si la société
française est déritualisée, nous avons rappelé les
deux positions qui s'opposent. Certains auteurs soutiennent que les rites
déclinent logiquement dans les sociétés modernes
occidentales du fait notamment de la sécularisation qui y a cours.
D'autres, au contraire, considèrent qu'il s'agit plus d'une
transformation que d'une disparition des rites.
En effet, l'argument décisif avancé est qu'il ne
peut pas y avoir de rapports sociaux sans actes symboliques or les rites ne
sont rien d'autres que la formalisation et la répétition de ses
actes. Toute société humaine, quelle qu'elle soit, est
tissée dans une toile de sens.
A la lecture de cette divergence, nous n'avons voulu
éviter dans notre démarche les écueils que sont le
« rien rituel » et le « tout
rituel ».
Dans la seconde partie, nous nous sommes bornés
à retracer l'historiographie de l'examen. Ainsi nous avons vu que le
baccalauréat, en France, trouve ses origines dans le moyen âge et
dans l'aristocratie ancienne avant d'être institué
définitivement par l'empereur Napoléon Bonaparte comme le premier
diplôme universitaire. Il n'a dès lors cessé d'être
traversé par les réformes et les vagues de polémiques qui
les accompagnent.
Des réformes telles que celles de Victor Duruy, de 1890
ou encore de 1902 ont apporté au baccalauréat une assise
définitive qui lui a permis de subsister malgré les innombrables
tentatives d'abolition. Plus récemment, les gouvernements ont
essayé d'apporter leur pierre à l'édifice soit par la
modification de certains aspects de l'examen (introduction ou suppression de
matières) soit par l'émission de simples projets. Aucune
manoeuvre ministérielle n'a laissé l'opinion indifférente.
En effet l'attachement au baccalauréat et / ou à ce qu'il
représente semble être d'autant plus forte qu'il s'inscrit dans le
temps. Le baccalauréat, dans sa forme « moderne »,
est aujourd'hui bicentenaire. Certains ministres de l'Education Nationale, en
voulant trop bousculer l'édifice monumental du baccalauréat ont
appris à leur dépend son efficacité symbolique et
sociale.
Il ressort de la troisième partie de notre analyse que
le baccalauréat est le grand baromètre de l'enseignement
secondaire. Tout dans le second cycle semble s'organisait autour de l'examen.
Cette consécration du baccalauréat s'expliquerait donc, d'une
part, par son rôle d'édifice deux fois séculaires soutenant
une construction complexe, d'autre part par une efficacité à la
fois sociale et symbolique.
Le baccalauréat reste malgré les controverses
qui l'accompagnent depuis sa création une référence dans
la société française. L'impératif d'organiser
l'examen quoi qu'il arrive (exemple de la seconde guerre mondiale ou des
événements de mai 1968) traduit la volonté de conserver ce
repère fixe dans une société mouvementée. En cela,
le baccalauréat est un rite qui dans cette société
à forte mobilité permet, comme tous les rites de maîtriser
le temps. Il constitue, dans le mouvement, une fixité ou un
repère stable qui permet à la société de se
rassurer sur une maîtrise des événements qui adviennent bon
gré malgré.
Le baccalauréat représente le gage de
l'existence de l'éducation et de son sérieux. Il est, pour les
politiques à la fois la preuve tangible du bon fonctionnement du
système et du socle à partir duquel les jeunes construiront leur
avenir et celui du pays. C'est un examen et / ou un diplôme qui a une
efficacité toute sociale ; en cela aussi le baccalauréat
constitue un rite.
Les élèves intègrent le
baccalauréat comme une nécessité dans la
société dans laquelle ils vivent. Il constitue pour eux le moyen
d'acquérir « une plus grande culture »,
« plus de liberté » ou encore «de trouver un
emploi ».
Par tous ces parchemins qu'il est sensé offrir, le
baccalauréat concentre en lui une forte charge tout aussi sociale que
symbolique. En effet, par son existence, il agit sur les élèves
en reproduisant un consensus autour des valeurs partagées par la
société (les valeurs de travail et de réussite), mais il
leur offre aussi la possibilité de montrer qu'ils peuvent s'adapter au
mode de fonctionnement de la société. Le baccalauréat a
donc une efficacité toute symbolique. En cela également, il est
un rite.
Enfin le baccalauréat est le passage d'un monde
à un autre d'un statut déterminé à un autre statut
tout aussi déterminé. Le passage étant marqué par
le formalisme, la solennité, le cérémonial, et par
l'observance de normes et de pratiques prescrites : préparation,
inscription, lieu et horaire des examens, annonce des résultats,
inscription à l'université. Ce passage respecte aussi, de
façon précise, les moments de séparation, de marge et
d'agrégation. En cela, le baccalauréat est un rite de passage.
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