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Le baccalauréat: Un rite de passage dans une société moderne occidentale comme la France ?

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par Abdou Khadre LO
Université de Caen Basse-Normandie - Maîtrise de Sociologie 2000
  

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3. L'agrégation : l'inscription dans un établissement supérieur

Nous considérons l'inscription dans un établissement supérieur comme la séquence « post-liminaire » du baccalauréat dans la mesure où aujourd'hui encore les bacheliers, en générale, préfèrent entreprendre des études universitaires l'année suivant l'obtention du baccalauréat.

Pour l'année universitaire 1998 - 1999, la quasi-totalité des bacheliers généraux se sont dirigés vers l'université ( 66,3% d'entre eux, hors IUT ) tandis que 80,1% des bacheliers technologiques poursuivent également dans le supérieur. Le fait que la grande majorité d'entre eux s'inscrit dans les filières courtes ( 45,6% en STS et 9,9% en IUT ) importe peu ici. Quant aux bacheliers professionnels, le nombre d'entre eux qui cherchent à poursuivre leurs études est en constante augmentation ( 17,5% se sont orientés en STS ).

Ainsi, l'inscription dans un établissement supérieur, pour la grande majorité des bacheliers est l'ultime étape dans le long processus du passage du baccalauréat. Elle récompense le courage déployé pour abattre la forte charge de travail et les sacrifices consentis pendant les longs mois de limitation ou de privation de loisirs.

En effet, ce que beaucoup d'étudiants rappellent pendant les entretiens, c'est le soulagement et le sentiment de justice qu'ils ont ressentis au moment de leur inscription à l'université. Les emplois du temps « surchargés » et le « bachotage sans relâche », « les sorties au compte goutte » et « le droit de ne presque rien faire », « surtout pas regarder trop la télé » pour reprendre leurs termes, auront été payants. Ils ont été récompensés.

L'inscription dans un établissement supérieur marque donc l'aboutissement de tout le travail accompli durant l'année charnière de terminale (et dans les autres classes), mais elle signifie aussi et surtout l'introduction du nouveau bachelier dans un monde autre, le monde de l'enseignement supérieur. Si le passage du statut de lycéen à celui d'étudiant peut être légitimement analysé comme une continuité dans le cursus scolaire, nous la voyons davantage, dans la logique de la ritualité, comme une discontinuité, une rupture.

En effet, le lycéen s'efface pour laisser place à l'étudiant. Paradoxalement, ce passage qui introduit le lycéen dans le monde universitaire pour en faire un étudiant, donc un « adulte » selon les propres mots des élèves, est très encadré. Les élèves arrivent généralement accompagnés par leur famille.

Ayant travaillé, pendant trois rentrées universitaires, à la scolarité générale de l'université de Caen (en tant que conseiller mutualiste), j'ai été un spectateur privilégié des cérémonies d'agrégation des nouveaux étudiants. Les nouveaux bacheliers entrent dans le hall des inscriptions avec leurs parents (certains étant même accompagnés en plus des parents, par la fratrie et les grands-parents).

Il y a, nous le soulignions, comme un paradoxe. Si l'université est un monde d'adulte, pourquoi les élèves ne viennent-ils pas s'y inscrire tout seuls, comme des personnes « responsables » et capables de se gérer de façon autonome ? Ce paradoxe n'en est cependant pas si nous l'analysons à la lumière du champ des rites de passage.

En effet, lorsque nous nous rapportons à notre grille d'analyse de la symbolisation rituelle, l'accompagnement parental y prend tout son sens. Il s'agit d'une renaissance. Les parents, comme à la naissance du bébé ou lors du premier passage de l'enfant à la maternelle sont présents pour guider ses premiers pas dans la nouveauté et l'inconnu. Il est très tentant d'établir ici un parallèle, certes dans un autre domaine, avec le rituel de la tétée du voyageur au Sénégal.

Le départ du fils ( il s'agit généralement d'un adulte ou d'un post adolescent ), de la maison familiale, dans le cadre d'un exode rural ou d'une émigration est aujourd'hui encore souvent marqué par une tétée qu'il reçoit de sa mère (ou par procuration de sa grand-mère ). Si la tétée n'est habituellement rien d'autre que l'alimentation du nourrisson, ici elle revêt une autre signification. Elle marque une séparation qui s'annonce longue et après laquelle le voyageur s'engouffrera dans un nouveau monde. L'accompagnement des parents du nouveau bachelier à son inscription est tout aussi significative que cette tétée.

L'agrégation de l'élève au nouveau monde qui s'ouvre à lui est marquée de plusieurs manières. Elle est scindée en deux parties qui correspondent aux inscriptions administrative et pédagogique.

L'inscription administrative consiste à délivrer au bachelier sa carte d'étudiant au bout d'un long parcours : il doit passer dans pas moins de six bureaux pour pouvoir posséder enfin son attestation d'étudiant. Cette carte agrége officiellement le nouveau bachelier, au monde des étudiants. Il y est fiché, répertorié et classé. La possession de sa propre carte de sécurité sociale est aussi une autre manière de signifier au désormais étudiant, son agrégation dans ce monde, un monde d'adulte. En effet, l'étudiant à son inscription, doit s'affilier obligatoirement ( sauf cas exceptionnels ) au régime de sécurité sociale étudiante. Même s'il peut encore garder « la complémentaire santé » de ses parents, l'appartenance de facto à la sécurité sociale étudiante et donc la possession de son propre numéro d'immatriculation sociale peut être considérée comme une « adultérisation » de l'étudiant. Elle marque la « responsabilisation » dans l'enseignement supérieur qu'évoquaient les lycéens dans les entretiens. En effet, un lycéen de vingt et un ans sera encore sur la carte de sécurité sociale de ses parents ( sauf s'il exerce ou a déjà exercé une profession ) tandis que l'étudiant de dix huit ans aura sa propre carte à partir du moment il a effectué son inscription dans l'enseignement supérieur.

Le baccalauréat fait apparaître une attitude différente de chaque coté de la barrière ; d'une part une « adultérisation » de l'étudiant, d'autre part une « juvénélisation » du lycéen.

L'inscription pédagogique, comme son nom l'indique, avalise le choix pédagogique de l'étudiant. Elle marque l'appartenance de celui-ci à un groupe dans le monde universitaire. Grâce au tampon de son unité de formation et de recherche ( UFR ),le bachelier est reconnu, de façon définitive et légitime comme un étudiant.

Cependant, nous pouvons nous demander si cette agrégation du lycéen au monde étudiant ne fait pas apparaître le baccalauréat comme un « rite d'institution ». En effet, si un rite d'institution est celui qui « tend à consacrer ou à légitimer, c'est-à-dire qu'il fait méconnaître en tant qu'arbitraire et reconnaître en tant que légitime, naturelle, une limite arbitraire »1(*) alors le baccalauréat est un rite d'institution. Effectivement il sépare ceux qui ont réussi l'examen de sont qui ont échoué en consacrant et en légitimant les premiers avec notamment le diplôme de bachelier et la carte d'étudiant. En même temps le baccalauréat ne saurait être un simple rite d'institution ou de consécration dans la mesure où, selon Bourdieu, les rites d'institution ont pour effet de séparer ceux qui ont subi le rite de « ceux qui ne le subiront en aucune façon », et d'instituer ainsi une différence durable entre ceux que ce rite concerne et ceux qu'il ne concerne pas.

En effet, la volonté politique d'accorder le baccalauréat au plus grand nombre, c'est-à-dire de le faire subir à long terme à toute une classe d'âge rend, aujourd'hui, moins pertinent l'idée d'associer le baccalauréat à un rite d'institution ; d'autant plus qu'il n y a plus de distinction de sexe comme se fut le cas aux débuts de l'examen.

En 1999, 78,5% des candidats au baccalauréat ont été reçus, les filles réussissant mieux que les garçons (80,9% contre 75,5%).

L'obtention de la carte d'étudiant, achève notre étude. En effet, elle marque le nouveau statut de l'élève ou plus exactement de l'étudiant. Pour devenir étudiant, il aura fallu au candidat, après une longue scolarité, passer l'obstacle du baccalauréat.

* 1 Bourdieu. P, Les rites comme actes d'institution, in Acte de la recherche en sciences sociales, op. cit., p.62.

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