WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La problématique de la dépénalisation des délits de presse au Bénin

( Télécharger le fichier original )
par M. Koovy YETE
Chaire Unesco des Droits de la Personne et de la Démocration du Bénin - DEA 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

INTRODUCTION GENERALE

«Quand un journaliste mord un juge, il joue son rôle d'indispensable chien de garde de la démocratie; quand un juge mord un journaliste, par contre, il porte une intolérable atteinte à la liberté de presse »1(*).

Cette formule quelque peu curieuse traduit à l'évidence, les vives réactions très souvent suscitées au sein des associations de presse par la condamnation pénale d'un journaliste. On argumente à loisir qu'il est inadmissible que des journalistes continuent d'être incarcérés pour délits de presse dans un système de démocratie libérale.

Il est, en effet, significatif de constater de nos jours tout le prestige de la démocratie vu la large adhésion qu'elle recueille. De sorte que même « les Etats les plus autoritaires, les plus despotiques n'avouent jamais leur vraie nature. Ils invoquent les grands principes, la démocratie. On constate à l'analyse que même lorsqu'il ne s'agit que d'une fiction, cet hommage du vice à la vertu traduit tout le prestige de l'idée démocratique »2(*).

Dans le contexte de démocratie pluraliste et de respect des droits de l'homme mentionnés dans le préambule de la Constitution du Bénin du 11 Décembre 19903(*), la liberté d'expression, au-delà de sa valeur intrinsèque, joue un rôle essentiel dans la protection des autres droits énoncés par cet instrument. Il en est ainsi car, sans une solide garantie du droit à la liberté d'expression protégé par des tribunaux indépendants et impartiaux, il ne saurait y avoir de pays libre ou de régime démocratique. Cette proposition générale est incontestable4(*).

La liberté d'expression est donc un droit en soi, en même temps qu'un élément d'autres droits protégés par la Constitution. Sa protection se révèle indispensable pour garantir un régime démocratique et l'épanouissement de chaque être humain5(*).

Dans les systèmes juridiques d'inspiration française, les législations sur la liberté de presse ont été fortement inspirées par la loi française du 29 juillet 1881 sur la liberté de presse.

D'inspiration libérale, la loi adoptée par les législateurs de la troisième République s'inscrivait dans l'esprit de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, dont l'article 11 énonce : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». La liberté de presse n'y est pas énoncée de manière spécifique. Elle se déduit de la libre communication des pensées et des opinions. Toutefois, la liberté énoncée aux termes de l'article 11 de la Déclaration précitée ne doit pas empiéter sur les autres libertés et droits fondamentaux.

Au plan universel, cette idée de liberté sauf restriction de la loi ne ressort pas directement de l'article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Aux termes de cette disposition : « Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ».

Au plan régional africain, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples ne parle pas expressément de liberté de presse. Toutefois, le droit à l'information et la liberté d'expression, que consacre la Charte en son article 9, sont enserrés dans des conditions fixées par les lois et règlements6(*).

Au plan national, la liberté de presse est consacrée par la Constitution du Bénin qui énonce qu'elle est reconnue et garantie par l'Etat. Elle est protégée par la Haute Autorité de l'Audiovisuel et de la Communication (HAAC) dans les conditions fixées par une loi organique7(*). Et, les différentes lois édictées au Bénin sur la liberté de presse8(*) s'inspirent fortement du texte français de 1881 et s'inscrivent toutes dans la dynamique d'un régime de liberté contrôlée. Ce choix délibéré qui marque le régime de répression des délits de presse au Bénin cherche à réaliser un équilibre entre la liberté d'expression et la protection des citoyens et des institutions de la république.

Mais, à l'occasion des débats sur la liberté de presse et ses limites, une autre revendication inspirée du libéralisme pénal9(*) alimente les réflexions.

En effet, de plus en plus, les professionnels de presse parlent de dépénalisation des délits de presse. L'Assemblée nationale togolaise, réunie le 24 août 2004 en session extraordinaire, a adopté dans ce sens et à l'unanimité, un nouveau projet de loi portant code de la presse et de la communication.

En ces temps de suprématie des médias et des nouvelles technologies de l'information et de la communication, il nous semble intéressant de réfléchir sur cette préoccupation des acteurs des médias au Bénin à travers le thème : « la problématique de la dépénalisation des délits de presse au Bénin ».

Toutefois, la matière étant très vaste, nous avons axé le contenu de notre étude sur les règles relatives à la presse écrite, avec parfois, quelques rares incursions dans l'univers mouvant des autres moyens de communication.

Pour les exigences de clarté que requiert ce genre d'analyse, il est important de chercher à cerner les contours des concepts de dépénalisation et de délit de presse.

Selon GUILLIEN R. et VINCENT J., la dépénalisation est « une opération qui consiste à enlever à un fait son caractère d'infraction pénale »10(*). Cette définition trop concise, ne nous permet pas de cerner toutes les implications de la dépénalisation.

Se voulant beaucoup plus précis, MERLE et VITU définissent la dépénalisation en ces termes : « la dépénalisation entraîne la sortie d'un fait réprouvé hors du champ pénal traditionnel sans exclure toutefois l'idée de sanction : le fait cesse d'être infractionnel, mais il reste sanctionné administrativement ou autrement. Il y a donc désescalade dans la répression, la justice pénale étant dessaisie au profit d'une instance non pénale »11(*).

Pour l'association Journalistes En Danger (JED), « dépénaliser les délits de presse, c'est sortir les infractions commises par voie de presse du régime pénal pour en faire des infractions relevant du droit civil. En termes clairs, dépénaliser les délits de presse, c'est faire en sorte qu'aucun journaliste ne puisse aller en prison pour avoir collecter, traiter et diffuser une information, exception faite pour les incitations à la haine ethnique, raciale ou religieuse, l'apologie du crime ou de la violence et les appels au meurtre qui sont des antithèses des valeurs universelles »12(*).

Pour certains professionnels de presse, la revendication vise beaucoup plus la suppression des peines privatives de liberté pour des faits qualifiés de délits de presse. L'amende qui constitue aussi une peine pénale n'est pas toujours prise en compte. Dans cette dynamique, des analystes verront en cette démarche un emploi abusif du terme de dépénalisation13(*). Mais sans exclure les précédentes, la définition donnée par l'association JED retiendra davantage notre attention car, elle paraît suffisamment représentative des aspirations des acteurs des médias par rapport à la question de la dépénalisation des délits de presse.

Par ailleurs, en droit pénal, l'infraction que les lois punissent de peines correctionnelles est un délit14(*). C'est le sens strict du terme délit. Au sens large par contre, le délit est synonyme d'infraction. Celle-ci s'entend d'une « action ou omission, définie par la loi pénale et punie de certaines peines également fixées strictement par celle-ci »15(*).

Quant aux différentes lois régissant la matière de presse au Bénin16(*), elles sont muettes sur la question du moins pour ce qui est d'une définition du délit de presse. La loi 60-12 du 30 juin 1960 parle plutôt « des crimes et délits commis par la voie de la presse ou par toute autre moyen de publication ». La loi 97-01 du 20 août 1997 n'est pas plus explicite. Elle parle « des crimes et délits commis par les moyens d'information et de communication audiovisuelle » sans une définition du délit de presse en soi.

On retrouve dans cette dynamique les délits contre les chefs d'Etats (offense), les délits contre la chose publique, les délits contre les personnes (injure et diffamation), les publications interdites.

On pourrait déduire que chaque fois que la presse sert de moyen d'expression à une infraction, cette infraction devient un délit de presse. Le délit de presse peut donc être le fait d'un professionnel des médias ou de n'importe quel individu qui se servirait d'un support écrit ou audiovisuel propre aux médias pour commettre une infraction.

En somme, ces infractions de presse réalisent leur unité par leur structure et mode de perpétration. Ces infractions supposent en effet et essentiellement un élément de publicité et un élément moral ou intentionnel coupable.

Mais, au-delà de ces approches de définitions, deux préoccupations fondamentales permettront d'explorer l'univers controversé17(*) de la dépénalisation des délits de presse au Bénin. Ces deux préoccupations prennent leur source dans la question de savoir quel intérêt y aurait-il, dans un régime de démocratie libérale, à soustraire le journaliste du champ des peines privatives de liberté chaque fois qu'il commet une infraction qualifiée de délit de presse ?

En effet, entrés pleinement dans l'ère des techniques et de l'économie de marché, les médias connaissent un surcroît de puissance mais présentent aussi des risques nouveaux. Peut-on dans un tel contexte, assurer la qualité de l'information par la suppression des peines privatives de liberté au profit des professionnels de la presse?

Que faire en définitive pour que l'information soit non seulement libre, mais fiable et digne de confiance pour permettre à l'opinion de comprendre et de juger, en d'autres termes, pour contribuer à la démocratie ?

Pour répondre à ces préoccupations, il importera d'abord d'apprécier l'intérêt qui serait attaché à une discrimination positive en faveur des délits de presse dans un régime de démocratie libérale (1ère partie).

Cette démarche permettra d'analyser les éléments de légitimité de la dépénalisation des délits de presse au Bénin (Chapitre 1) ainsi que la question de son efficacité dans un régime de démocratie libérale (Chapitre 2).

Mais, ce premier essai ne suffira pas à cerner toutes les exigences de la dépénalisation des délits de presse au Bénin car, la souplesse sollicitée du législateur à travers la dépénalisation est une option qui nécessite un certain nombre de garanties.

En effet, si la suppression des peines de prison au profit des journalistes est concevable dans un régime démocratique, sa mise en oeuvre requiert assurément des préalables (2ème partie). Ces préalables tiennent d'une part à l'étendue de la mesure de dépénalisation (Chapitre 1) et d'autre part à des exigences liées à la profession de journaliste elle-même (Chapitre 2). La démarche consistera à vérifier si dans les faits, le contexte béninois actuel d'expression de la liberté de presse satisfait à ces préalables.

* 1 JONGEN (François), Quand un juge mord un journaliste (contribution à une réhabilitation de la responsabilité pénale des médias), in Mélanges à Michel HANOTIAU, Bruylan, Bruxelles, 1998, p. 53.

«Le principe enseigné dans les écoles de journalisme comme régissant le fonctionnement de la presse aujourd'hui : quand un chien mord un homme, ce n'est pas une information ; quand un homme mord un chien, c'est, par contre, une information digne d'être publiée » ;

* 2 DEBBASCH (Charles) et PONTIER (Jean-Marie), Introduction à la politique, Dalloz, 2000, p.245.

* 3 Loi n° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin, Préambule §.6. : « Affirmons solennellement notre détermination par la présente Constitution de créer un Etat de droit, de démocratie pluraliste, dans lequel le respect des droits fondamentaux de l'homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus comme la condition nécessaire au développement véritable et harmonieux de chaque béninois tant dans sa dimension temporelle, culturelle que spirituelle. »

* 4 MACOVEI (Monica), Liberté d'expression, Précis n°2 sur les droits de l'homme, Conseil de l'Europe, juillet 2003, p. 7.

* 5 WACHSMANN (Patrick), La liberté d'expression, in Libertés et droits fondamentaux, 10è éd., Dalloz, Paris, 2004, p. 368.

* 6 Article 9, Charte africaine des droits de l'homme et des peuples :

« 1. Toute personne a droit à l'information.

2. Toute personne a le droit d'exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements ».

* 7 Art. 24, Constitution du Bénin du 11 décembre 1990.

* 8Lois n° 60-12 du 30 juin 1960 sur la liberté de la presse, et n° 97-010 du 20 août 1997 portant libéralisation de l'espace audiovisuel et dispositions pénales spéciales relatives aux délits en matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin.

* 9« On peut définir le libéralisme pénal comme la reconnaissance, face à l'appareil étatique, de l'individu en tant que valeur autonome, impliquant son respect et sa dignité. Appliqué au délinquant, le libéralisme implique aussi le souci de sa réinsertion sociale. Appliqué à la victime, il implique encore la réparation de son préjudice ».  MERLE (Roger) et VITU (André), Traité de droit criminel, 7ème éd, CUJAS, Paris, tome 1, p.136.

* 10 GUILLIEN (Raymond) et VINCENT (Jean), Lexique des termes juridiques, 14è éd., Dalloz, Paris, p. 206.

* 11 MERLE (Roger) et VITU (André), ibid., p.155.

* 12 Journaliste En Danger (JED), Plaidoyer pour une dépénalisation des délits de presse en république du Congo, Institut Panos, Paris, 2004, p.7.

* 13 ODEM, Rapport national sur l'état de la liberté de la presse au Bénin, 1ère édition, 1995, COPEF, p.79.

* 14 BOUVENET (Gaston -Jean) et HUTIN (Paul), Recueil annoté des textes de droit pénal, Paris, éd. Union Française, p.1. ; GUILLIEN (Raymond) et VINCENT (Jean), Lexique des termes juridiques, op. Cit., p. 198.

* 15 Ibid., p.317.

* 16 Lois n° 60-12 du 30 juin 1960 et n° 97-010 du 20 août 1997 précitées, p. 3.

* 17 Journaliste En Danger (JED), Pour ou contre les délits de presse en République Démocratique du Congo, ibid., p. 23. AWOUDO (François), La problématique de dépénalisation des délits de presse au Bénin : intérêt pour le journaliste et la société, contribution au séminaire atelier sur la législation en matière d'information au Bénin, Abomey-Calavi, le 23 mars 2006.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry