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Le droit de ne pas s'autoaccuser dans la jurisprudence de la CEDH

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par Jean-Dominique VOISIN
Université Paris II-Assas - Master 2 droit pénal et sciences pénales 2007
  

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CONCLUSION GÉNÉRALE

164. Il n'est pas aisé de systématiser la jurisprudence de la CourEDH, tant elle est casuistique et complexe. Plutôt que de tenter vainement de dégager des principes généraux des différentes affaires, il semble plus judicieux de lire les arrêts à la lumière de la formule type rappelée par la Cour avant de chaque espèce 155

l'examen . En outre, cette dernière

emploie des expressions différentes pour désigner un même mécanisme, sans souci de précision ou de pertinence. Seule lui importe la garantie finale du respect de l'article 6 et des exigences du procès équitable. Toutefois, afin de donner un peu de clarté et de cohérence à sa jurisprudence, et surtout afin d'en déterminer la portée réelle, il convient de définir ici les notions utilisées à l'occasion de la mise en Ïuvre du droit de ne pas s'autoaccuser156.

165. L'individu accusé d'une infraction en matière pénale au sens autonome de la Convention se trouve en situation de faiblesse face aux autorités de poursuite. Le déséquilibre des forces et la situation de vulnérabilité que celui-ci entra»ne expose à des risques d'erreur judiciaire. En effet, l'accusé placé dans une telle situation peut céder à la contrainte et collaborer activement à la recherche de preuves contre lui-même, compromettant ainsi gravement ses droits de la défense. Par conséquent, la Cour le protège en lui garantissant le droit de ne pas être contraint de s'autoaccuser. Mais ce droit serait une coquille vide si le requérant, protégé contre les incitations à parler et conservant le silence, se voyait condamner sur le fondement de son choix de se taire. Le droit de ne pas s'autoaccuser serait alors vidé de sa substance puisque ne pas être contraint de parler suppose qu'on puisse librement se taire. La Cour interdit en conséquence aux juridictions nationales de tirer des conclusions défavorables du seul silence de l'accusé d'un bout à l'autre de la procédure.

155 Cf. supra, n°15.

156 Les relations entre le droit au silence, le droit de ne pas s'autoaccuser, le droit de se taire, les droits de la défense et la présomption d'innocence ont fait l'objet d'une présentation ordonnée par la Commission européenne, dans son Livre vert sur la présomption d'innocence, cité en bibliographie. Pourtant, cette présentation n'est pas parfaitement représentative de la jurisprudence de la Cour et il faut s'en écarter sur certains points.

166. Le droit de ne pas sÕautoaccuser est donc indissociable du droit de se taire. Ensemble, ces droits assurent une immunité de parole au justiciable, ou plutTMt, une immunité de silence, en interdisant que ce dernier soit une source de responsabilité pénale. Le droit au silence permet dÕéviter les erreurs judicaires en évitant les decisions fondées sur des éléments dont la force probante est contestable mais ne pourrait etre valablement contestée. En effet, lÕaveu contraint ou les deductions a contrario tirées du silence ont un impact trés important sur lÕesprit du juge, sans que lÕaccusé puisse faire obstacle au poids quÕils auront sur la decision finale puisque, par nature, ils supposent lÕinexistence ou lÕexercice inefficace des droits de la defense. Dans les deux cas, la charge de la preuve est renversée et une présomption de culpabilité se substitue à la présomption dÕinnocence, sans que lÕintéressé ait une chance se défendre equitablement.

Le droit de ne pas sÕautoaccuser doit sÕentendre comme le droit de ne pas etre contraint de produire des preuves à charge, oralement ou par écrit. Ce droit est absolu, il emporte interdiction pour le juge national de fonder sa decision sur les éléments obtenus au mépris de la volonté de lÕaccusé. Il est indissociable du droit de se taire, entendu comme le droit de ne pas répondre aux questions posées lors des interrogatoires, sous reserve dÕavoir à justifier de ce silence lors du procés si les autres éléments de preuve vont dans le sens de la culpabilité de lÕaccusé. Ces deux droits sont les deux facettes du droit au silence, entendu comme droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre accusation : le droit de se taire équivaut à un droit de garder le silence, le droit de ne pas sÕautoaccuser à un droit de passer sous silence.

167. Le droit au silence et les droits de la defense sont étroitement lies, ces derniers intervenant aux deux stades de la procedure. Lors de la phase dÕenquête, la presence de lÕavocat permet de contrebalancer la coercition exercée par les enquêteurs et en supprime le caractére abusif. Assisté dans son choix, si lÕaccusé decide alors de parler, il avoue librement les faits quÕil mentionne et le cas échéant sa propre culpabilité, sa parole pouvant etre retenue contre lui lors de son procés. SÕil choisit de se taire aprés voir consulté son avocat, il adopte une ligne de defense quÕil peut conserver lors du procés mais à ses risques et perils, ou quÕil peut abandonner afin de contredire les éléments de preuve apportés par lÕaccusation. En fin de compte, tout se passe comme si lÕexercice effectif des droits de la défen se faisait alors échec au droit au silence : dÕabord, ces droits peuvent TMter à la coercition son caractére abusif ; ensuite, si le silence est adopté comme ligne de defense, il devient possible dÕen déduire des consequences défavorables quant à la culpabi lité de lÕaccusé. Autrement dit,

l'effectivité des droits de la défense empêche de conclure à une violation du droit de se taire et de ne pas s'autoaccuser.

168. Si l'exercice effectif des droits de la défense peut ainsi court-circuiter le mécanisme du droit au silence, c'est parce que ce dernier n'en est en réalité qu'une garantie procédurale, au même titre que la présomption d'innocence: dès lors qu'il est établi que l'accusé a pu efficacement se défendre, il n'y a plus lieu d'exiger la garantie supplémentaire de respect du droit au silence. Ainsi, le droit de ne pas s'autoaccuser empêche in fine que des déclarations faites sous la contrainte ne viennent jeter le discrédit sur les éléments que l'accusé pourraient ensuite leur opposer lors de son procès. De même, le droit de se taire doit se lire en combinaison avec la présomption d'innocence, à laquelle il s'associe afin de faciliter la défense de l'accusé : en interdisant de déduire la culpabilité du seul silence de l'intéressé (qui serait présumé coupable dès lors qu'il se tait), il maintient la charge de la preuve sur l'accusation et ce n'est que si cette

dernière produit un commencement de preuve de la culpabilité de l'accusé que celui-ci devra se défendre.

L'effectivité des droits de la défense semble donc être la clef de l'équilibre entre les nécessités de la répression et les garanties accordées à l'accusé dans le cadre du procès équitable. Il ne peut y avoir équité si la procédure ne respecte pas la présomption d'innocence157 et si les droits de la défense ont été bafoués158, ce qui suppose, dans la plupart des cas, le respect du droit au silence entendu comme droit de se taire et de ne pas s'autoaccuser.

169. En dotant l'arsenal européen de ces deux nouveaux droits, la CourEDH semble avoir accru la protection accordée au justiciable au titre du procès équitable. Pour autant, il n'est pas certain que les objectifs visés n'auraient pu être atteints gr%oce aux mécanismes déjà existants.

En effet, au stade de l'enquête, l'exercice des droits de la défense remplit intégralement le
rTMle joué par le droit de ne pas s'autoaccuser : l'absence ou la présence de l'avocat influe sur
la liberté du choix de l'accusé de se taire ou de collaborer à la recherche de preuves, partant

157 Ç La présomption d'innocence consacrée par le §2 de l'article 6 figure parmi les éléments du procès équitable exigés par le §1È, CEDH 23 avril 1998, Bernard c/ France, Rec. 98, II.

158 Ainsi, lorsque la Cour retient une violation combinée des articles 6§1 et 6§3-c, alors qu'elle a rejeté la requête sur le fondement de l'article 6§1 pris isolément, il faut comprendre que le droit a un procès équitable peut être violé non seulement par une atteinte au droit au silence mais aussi par une atteinte aux droits de la défense. La combinaison ne signifie pas que l'atteinte aux droits de la défense ne peut pas à elle seule emporter violation du procès équitable, simplement la Cour faisant du §1 le siège du droit à un procès équitable, il en résulte une violation combinée des deux paragraphes en cas de violation des droits de la défense.

sur la recevabilité de l'aveu contraint. Il est donc possible de ramener ce droit à une exigence
de satisfaction de l'article 6§3-c dès les premiers instants des interrogatoires et quelle que soit

159

la nature de l'infraction ayant justifié les poursuites .

Au stade du procès, l'exercice des droits de la déf ense se confond avec l'exercice du droit de se taire: si la présomption d'innocence et les règles d'administration de la preuve ont été respectées, alors les droits de la défense peuvent être efficacement exercés et le droit de se taire ne trouve plus à s' appliquer ; si ces principes n'ont pas été respectés, alors les droits de la défense sont compromis et le droit de se taire permet à la CourEDH d'exercer un contrôle approfondi sur la décision du juge national. En réalité, la Cour pourrait tout aussi bien censurer cette décision sur le fondement de l'article 6§3-c (ou même de l'article 6§2 si ce dernier n'était pas devenu surabondant depuis son absorption par l'article 61).

S'il n'est pas un instrument qui bouleverse l'ordre juridique européen, le droit au silence permet à la Cour de faire respecter les exigences du procès équitable sans recourir à une interprétation trop extensive des notions de présomption d'innocence ou de droits de la défense, ou du moins sans modifier profondément la conception de ces notions en droit interne.

170. L'effet principal de la jurisprudence européenne en matière de droit au silence réside surtout dans la limite imposée au pouvoir du juge national d'apprécier, en son intime conviction, la force probante d'un élément de preuve. En effet, il ne s'agit pas tellement d'une question de respect du contradictoire mais bien de l'impact que le silence ou les déclarations obtenues sous la contrainte ont exercé sur l'esprit du juge pénal: la CourEDH lui interdit de fonder sa décision sur un élément qu'elle considère irrecevable au vu de l'article 6 de la Convention; il s'agit bien là d'une règle d'admissibilité de la preuve qui empiète sur les pouvoirs d'appréciation du juge national.

Toutefois, l'influence réelle de cette jurisprudence européenne sur le droit interne reste relativement faible. Si l'on prend l'exemple de la France, on sait que l'article 116 CPP autorise expressément l'accusé à se taire ; la présomption d'innocence faisant le reste, le juge francais ne peut, en vertu de la loi francaise, tirer des conclusions défavorables du seul silence

159 On a vu que le gouvernement ne saurait arguer des nécessités de la répression en matière de terrorisme ou d'infractions sur les sociétés pour priver l'accusé du droit d'accès à un avocat dès les premiers instants de la garde à vue, cf. supra n°161.

de l'intéressé lors de son procès. Point n'est besoin d'un principe européen pour garantir le respect du droit de se taire en matière pénale.

En revanche, le droit de ne pas s'autoaccuser semble avoir une portée plus vaste : il est probable que la conception européenne autonome de la matière pénale contraigne le droit fiscal francais à revoir sa procédure de droit de communication, laquelle est incluse dans la matière pénale et constitue une coercition abusive au sens de la Convention puisqu'elle contraint le contribuable à collaborer à la recherche de preuves contre lui-même sous la menace d'une sanction pénale.

171. Certaines procédures internes semblent a priori devoir elles aussi être soumises à la jurisprudence de la Cour. Ainsi de l'obligation de l'auteur d'un accident de la circulation de

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s'identifier, sous peine de sanction pénale . L'identification permet de faire le lien entre l'infraction et son auteur, et la preuve de la commission d'une infraction incombe donc à l'accusation. En contraignant l'auteur de l'accident à s'identifier sous la menace d'une condamnation, cette obligation aboutit à le contraindre à s'autoaccuser.

Néanmoins, la CourEDH jugeant in concreto, elle refuse d'apprécier la compatibilité d'une loi interne avec les exigences de l'article 6. Aussi, tant qu'une procédure déclenchée effectivement sur le fondement de cette disposition interne n'aura pas été soumise à l'appréciation de la Cour, il semble difficile de dire in abstracto si la loi concernée aboutit à une méconnaissance du droit de ne pas s'autoaccuser. D'autant que la violation de ce droit au stade de l'enquête pourrait être réparée par le juge national au stade du procès, qui devrait dans cette hypothèse refuser de considérer établie l'identification reposant sur les seuls déclarations du suspect.

172. Le renouveau de l'aveu en matière pénale pose des difficultés supplémentaires au regard du droit de ne pas s'autoaccuser. En effet, l'aveu sert désormais de fondement à l'établissement de la culpabilité de l'accusé dans des procédures accélérées qui ne sont pas soumises à un contrôle suffisant du juge en application de la jurisprudence européenne. Ainsi, dans la CRPC161, l'aveu du suspect permet à ce dernier d'obtenir une peine fixée par le ministère public et censée être inférieure à celle qui aurait probablement été prononcée par la juridiction de jugement, sans que le juge ne puisse contrôler la valeur probante de cet aveu. Certes, l'aveu reste libre en principe: l'accusé qui reconna»t sa culpabilité renonce aux

160 Cf. supra, nO3.

161 Art. 495-7 et suivants CPP.

162

garanties de la procédure de jugement . Mais il n'est pas certain que la pression psychologique subie par l'intéressé, menacé d'une sanction plus sévère s'il refuse la CRPC, ne puisse être qualifiée de coercition abusive au sens de l'article 6.

173. Le droit au silence semble doté d'une portée restreinte sur le plan national. Tout au plus précise -t-il, en les complétant, les mécanismes procéduraux internes qui existaient déjà. Le nouvel enjeu du droit de ne pas s'autoac cuser réside peut être dans le contrôle par la Cour de la compatibilité entre les procédures dites «de justice pénale immédiate» ou «alternatives aux poursuites» et les exigences de l'article 6 ConvEDH.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault