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L'application par les juridictions répressives internationales de l'article 3 commun aux conventions de Genève et du protocole additionnel II auxdites conventions: cas du tribunal pénal international pour le Rwanda

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par Jean Baptiste UWIHOREYE MUKARAGE
Universite Nationale du Rwanda - Licence en Droit 2006
  

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II. L'approche restrictive du TPIR dans l'appréciation du lien de connexité entre le crime allégué et le conflit armé

Il convient, pour qu'un crime de l'article 4 du Statut du TPIR soit retenu, que le Procureur ait prouvé au de-là de tout doute raisonnable tous les éléments imposés par le droit international humanitaire existant dont notamment l'existence d'un conflit armé, l'application personnelle et territoriale ainsi que le lien de connexité entre le crime et le conflit armé238(*).

Devant le TPIR, l'existence d'un conflit armé au Rwanda et l'application personnelle et territoriale sont généralement et aisément mise en lumière par les chambres dans les différentes affaires, en l'absence même de contestation de la défense. En revanche, l'appréciation du lien de connexité que doivent présenter les actes poursuivis avec le conflit armé paraît susciter de plus grandes difficultés.

Il convient de noter que le lien de connexité peut être envisagé sous deux angles, d'une part, par rapport à la qualité ou au titre de l'accusé dans la mise en oeuvre des efforts de la guerre, et d'autre part, par rapport au rattachement des actes incriminés à l'exécution des buts de la guerre.

Pour ce qui est du lien de connexité de l'auteur du crime et l'une des partie au conflit, il a souvent été considéré, et le TPIR reconnaît volontiers que cela est vrai dans la plupart des cas, que le droit international humanitaire s'imposait exclusivement aux parties au conflit et aux forces armées239(*). Par ailleurs, le TPIR admet également sur principe que les civils peuvent commettre des infractions graves240(*).

La difficulté est cependant de savoir si des conditions particulières sont requises avant que la responsabilité d'un civil puisse être engagée. A cette question, les Chambres de première instance ont longtemps répondu par l'affirmative. Le TPIR exigeait notamment que les crimes aient été commis non seulement pendant le conflit armé, mais aussi en conjonction ou du fait de celui-ci241(*). Concrètement, il s'agissait pour le Procureur de prouver que l'accusé avait agi pour le compte d'une des parties au conflit dans l'exécution de leurs objectifs de guerre.

C'est ainsi qu'il sera considéré comme agissant pour le compte de l'une des parties au conflit celui qui lance les hostilités, qui les poursuit, qui est dûment mandaté et censé soutenir ou mettre en oeuvre les efforts de la guerre du fait de sa qualité de responsable ou agent de l'Etat ou de personne occupant un poste de responsabilité ou de représentant de facto du gouvernement242(*).

Or, la preuve factuelle de ce lien de connexité avec les opérations militaires s'était avérée une véritable pierre d'achoppement pour les accusations au titre de l'article 4 du Statut du TPIR. Par exemple, dans l'affaire Akayesu, la Chambre de première instance I a considéré que le fait pour un accusé portant un veste militaire et un fusil, d'avoir assisté les militaires à leur arrivée en accomplissant un certain nombre de tâches, y compris la reconnaissance et l'établissement de la carte de la commune, la mise en place de services de transmission radio et qu'il a autorisé les militaires à utiliser les locaux de son bureau, n'équivaut pas à un soutien actif à l'effort de la guerre mené par le gouvernement243(*).

Cette formule, apparemment fort restrictive, est en vérité motivée par l'absence de position militaire des accusés, qui occupaient des fonctions autres que militaires. Cette absence de position militaire fonde, pour les Chambres de première instance du TPIR, la nécessité d'établir un lien autre que formel ou in abstracto entre l'accusé et le conflit armé. Ainsi le Procureur devait-il démontrer comment et en quelle qualité les accusés épaulent le gouvernement dans son action contre le FPR244(*).

Etant une question de fait, il n'a pas été facile pour l'accusation de prouver ce lien. Si cette nécessité d'établir un lien de connexité peut apparaître contraignante, eu égard à la position officielle des accusés dont les actes se sont de surcroît conformés à des directives gouvernementales, les Chambres du TPIR devaient tenir compte du contexte rwandais dans l'appréciation de la qualité en vertu de laquelle les accusés ont contribué à l'effort de la guerre. A notre avis, le lien de connexité devrait être formel ou in abstracto en ce sens qu'il n'est pas nécessaire que l'accusé soit nommé officiellement ou qu'il ait reçu un mandat exprès de soutenir l'effort de la guerre. De plus, la responsabilité pénale individuelle ne devrait pas être limitée à une catégorie des personnes pour exclure les autres.

Le problème qui se pose encore, est celui de savoir si la chasse au Tutsi lancée à partir du 6 avril 1994 au Rwanda relève du conflit armé ou en constitue un aspect collatéral. Les Chambres de première instance du TPIR semblent avoir résolu cette question en faveur de la seconde possibilité245(*). Nous pensons que les Chambres de première instance n'ont pas tenu compte du fait que même si le génocide a été préparé depuis longtemps, les racines les plus récentes de cette tragédie remontent aux années 1990, période à laquelle la guerre fut déclarée entre les forces gouvernementales et le FPR.

Pour DE VILLERS, c'est l'agression du FPR qui aurait été la catalyseur de la crise, le facteur qui, conjugué à une situation économique et sociale fortement dégradée et la compétition croissante entre les élites pour le partage des richesses du pays, aurait provoqué une sorte de crise et son éclatement dans la violence246(*). Depuis le début de la guerre de 1990, on a assisté à une propagation massive d'une idéologie de génocide qui devait servir d'arme au régime de Juvénal HABYARIMANA pour conserver le pouvoir. Cependant, si on remonte dans l'histoire du Rwanda, le constat est que le racisme ethnique anti-tutsi a été le fondement idéologique de la révolution de 1959, pour qui l'extermination des tutsis de 1994 a été une réponse dictée par la haine raciale des extrémistes hutus face à la menace du FPR, identifié comme tutsis. Dans ce sens, tout acte commis contre eux était destiné, selon les assaillants, à anéantir leur soutien en faveur du FPR. Ce constat nous permet de conclure qu'il existe un rapport entre les actes commis tant par les militaires que par les civils et la guerre qui opposait les FAR et le FPR.

La définition restrictive que le TPIR a adoptée dans l'appréciation du lien de connexité a fait que le Procureur n'avait pas pendant longtemps obtenu de condamnation sur le fondement des violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II. Spectaculaire sans doute en théorie, l'inclusion des crimes commis à l'occasion d'un conflit non international ne semblait donc pas devoir déboucher dans la pratique sur un résultat concret.

Cette situation semble avoir changé avec la décision de la Chambre d'appel dans l'affaire Akayesu, rejetant la théorie dite de l' agent public . Pour la Chambre d'appel, en effet, s'il est vrai que les violations du droit international risquaient souvent d'être dans la pratique le fait de personnes entretenant probablement un rapport particulier avec une partie au conflit, ce rapport particulier ne saurait être une condition autonome de mise en oeuvre de la responsabilité pénale pour une violation de l'article 4 du Statut du TPIR , car la protection minimum des victimes énoncée à l'article 3 commun aux Conventions de Genève et dans le Protocole additionnel II implique nécessairement la sanction effective des auteurs de violations de celui-ci sans distinction247(*).

En effet, le lien de connexité entre l'auteur et l'une des parties au conflit va de paire avec le lien de connexité entre le crime et le conflit armé. Toutefois, il convient de remarquer que l'exclusion de l'un emporte directement celui de l'autre. Si l'auteur n'était pas dans la position de commettre un crime, les actes qu'il aurait commis devaient s'inscrire dans une autre catégorie criminelle.

En ce qui concerne le lien de connexité entre la violation et le conflit armé, les Chambres de première instance du TPIR ont souvent conclu que le Procureur n'a pas établi de lieu de connexité entre le crime et le conflit armé248(*). Par exemple dans l'affaire Kayishema et Ruzindana, le Procureur prétendait que les massacres des Tutsis ont eu lieu parce que les hostilités avaient éclatées entre le FPR et les FAR, qu'ils étaient les ennemis du Rwanda et qu'il étaient responsables de la mort du président. Selon le Procureur, il existait un lien entre ces crimes et le conflit que se déroulait au Rwanda249(*).

Toujours dans cette affaire, la Chambre de première instance saisie s'opposa avec force à une telle représentation en écartant définitivement toute velléité d'explication du crime par crainte des ennemis internes et en rejetant la qualification de violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II. Selon la Chambre, les crimes visés dans l'acte d'accusation ont été commis par les autorités civiles du pays contre une partie de sa propre population en raison de son appartenance à un certain groupe ethnique et il est vrai que les atrocités commises sont survenues au cours du conflit armé. Toutefois, leur Commission s'inscrit dans le cadre d'une politique génocidaire clairement définie ; ces infractions ont été commises parallèlement au déroulement du conflit armé et non comme conséquence de celui-ci250(*).

Cependant, il convient de signaler que la Chambre d'appel du TPIR, dans l'affaire Rutaganda, a eu l'occasion de trancher la question du lien de connexité. Selon elle, les crimes de participation au génocide présentaient un lien avec le conflit armé et que la qualification de violation de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II devait être également retenue251(*).

* 238 Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, jugement, cité à la note 16, §. 169.

* 239 Le Procureur c. Akayesu, jugement, cité à la note 21, §§. 630 ; le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, jugement, cité à la note 16, §§. 174-175. 

* 240 Le Procureur c. Musema, jugement, cité à la note 16, §. 266 ; le Procureur c. Rutaganda, jugement, cité à la note 16, §§. 96-97 ; le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, cité à la note 16, §§. 175-176 ; le Procureur c. Akayesu, cité à la note 21, §. 630-634, 640.

* 241 Le Procureur c. Akayesu, jugement, cité à la note 21, §. 643 ; le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, jugement, cité à la note 16, §§. 174-176 ; le Procureur c. Rutaganda, jugement, cité à la note 16, §§. 102-105 (La charge de ce lien revient au Procureur et ne serait seulement être démontré in abstracto).

* 242 Le Procureur c. Akayesu, jugement, cité à la note 21, §§. 631-640.

* 243 Le Procureur c. Akayesu, jugement, cité à la note 21, §§. 641-642. Dans ce sens Voy. Le Procureur c. Musema, jugement, cité à la note 16, §§. 488-489, 877, 974-975 ; le Procureur Rutaganda, jugement, cité à la note 16, §§. 439-445. 

* 244 Le Procureur c. Akayesu, jugement, cité à la note 21, §. 639.

* 245 Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, jugement, §§. 598-604, 615 ; le Procureur c. Musema, jugement, cité à la note 16, §§. 973-974 ; le Procureur c. Rutaganda, jugement, cité à la note 16, §§. 439-444; le Procureur c. Semanza, jugement, cité à la note 16, §§. 616-522.

* 246 G. DE VILLERS, « L'Africanisme belge et le Rwanda » in Politique africaine, n° 59, pp. 121-126 cité par J.P. KIMONYO, Revue critique des interprétations du conflit rwandais, éd. de l'UNR, Centre de Gestion des conflits, Butare, 2000, p. 20.

* 247 Le Procureur c. Akayesu, arrêt, cité à la note 45, §§. 443-444.

* 248 Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, jugement, cité à la note 16, §§. 615 ; le Procureur c. Musema, jugement, cité à la note 16, §. 974 ; le Procureur c. Rutaganda, jugement, cité à la note 16, §§. 444

* 249 Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, jugement, cité à la note 16, §§. 601.

* 250 Ibid., §§. 621-622.

* 251 Le Procureur c. Rutaganda, arrêt, cité à la note 17, §§. 556-585.

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