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Représentation et migration dans The Pickup de Nadine Gordimer

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par Ives SANGOUING LOUKSON
Université de Yaoundé I - Maitrise 2008
  

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CHAPITRE II

MIGRATION COMME CONSÉQUENCE

DE LA REPRÉSENTATION

Dans le chapitre précédent, nous avons parlé de Musa comme d'une victime de l'impérialisme occidental. Dans le présent chapitre, il est question de préciser pourquoi Musa est à considérer comme tel. En clair, je m'emploie ici à démontrer que les migrations répétées de Musa vers l'Occident sont la conséquence du catalyseur de l'impérialisme qui est la représentation. Ainsi peut-on se rendre compte que par les migrations répétées de Musa, The Pickup invite à remonter le cours de l'histoire du pays de ce dernier pour comprendre son passé. Car c'est ce passé qui montre que Musa n'est qu'une victime de l'impérialisme orchestré par l'Occident dans son pays. Cet impérialisme a fait de Musa sinon un subalterne, du moins un personnage convaincu que l'Occident est le cadre idéal pour son épanouissement. Autrement dit, si le pays de Musa n'avait pas subi l'impérialisme occidental, Musa n'aurait sans doute pas honte de son pays au point de vouloir s'en éloigner à tout prix. C'est du moins une hypothèse que je tente de vérifier ici.

Par rapport à mon hypothèse centrale, ce chapitre me permet de prouver que The Pickup traite de la question du subalterne. Je m'appuierai sur des travaux théoriques ayant été développés au sujet de la représentation dans le cadre de la théorie postcoloniale pour mener ma démonstration.

II.1 LA NOTION DE REPRÉSENTATION

Nombre de théoriciens du postcolonialisme s'accordent sur le fait que la caractéristique essentielle de la culture occidentale c'est son hégémonie. Sur ce sujet, Edward Said écrit dans L'orientalisme :

on peut soutenir que le trait essentiel de la culture européenne est précisément ce qui l'a rendue hégémonique en Europe et hors d'Europe : l'idée d'une identité européenne supérieure à tous les peuples et à toutes les cultures qui ne sont pas européens67(*)

Gayatri Charkravorty Spivak soutient la même thèse lorsqu'elle demande à l'Occident d'avoir des égards à l'endroit de la figure que Ranajit Guha considère comme représentative de toutes les victimes de l'hégémonie occidentale : le subalterne68(*). Spivak s'interroge en ces termes : can the subaltern speak ?69(*).

La représentation que les Européens ont projeté sur eux-mêmes et sur le reste du monde peut être considérée comme responsable de l'hégémonie qui caractérise la culture occidentale. C'est du moins ce qu'il s'agit de prouver à partir de mon étude de la notion de représentation. Il sera question d'étudier ses mécanismes et d'illustrer comment ses conséquences se manifestent dans The Pickup.

II.1.1 Le manichéisme

Le Dictionnaire Hachette de la langue française70(*) présente le manichéisme comme toute doctrine qui oppose le principe du bien et le principe du mal. C'est encore toute attitude qui oppose d'une manière absolue, souvent rigide et simpliste, le bien et le mal.

À la suite de ce dictionnaire, on peut affirmer que le manichéisme est une manière de concevoir la répartition des hommes, des groupes humains ou des cultures. Le manichéisme répartit les hommes, les groupes humains ou les cultures en deux catégories : ceux qui relèvent du bien et ceux qui relèvent du mal. L'aspect du manichéisme qui donne toute son importance à cette manière de concevoir le monde, se trouve dans la perception de l'antagonisme qui fonde les doctrines totalitaires. Todorov pense à cet effet que :

La division de l'humanité en deux parties mutuellement exclusives est essentielle pour les doctrines totalitaires. Il n'y a pas de place ici pour les positions neutres ; toute personne tiède est un adversaire, tout adversaire un ennemi. Réduisant la différence à l'opposition et cherchant ensuite à éliminer ceux qui l'incarnent, le totalitarisme nie radicalement l'altérité 71(*).

En favorisant la répartition de l'humanité à partir des catégories du bien et du mal, le manichéisme développe une logique de collision permanente. C'est cette collision permanente que Salman Rushdie s'est proposé de dénoncer en satirisant le manichéisme dans son célèbre roman intitulé Les versets sataniques. C'est du moins l'idée qui se dégage du sous-titre qu'il a donné à ce roman : La lutte éternelle du bien et du mal 72(*). Compris de cette manière, le manichéisme peut donc être considéré comme responsable des honneurs et des crimes qu'a connu l'humanité depuis toujours jusqu'à nos jours.

La représentation fonctionne quasiment de la même manière que le manichéisme. Tandis que le manichéisme tire sa légitimité de la dualité bien/mal, la représentation, elle tire la sienne de diverses séparations : supérieur/inférieur ; normal/anormal ; centre/périphérie ; fort/faible ; Nord/Sud. En outre, L'orientalisme et culture and imperialism d'Edward Said révèlent que la représentation s'articule généralement dans des discours au sens de Michel Foucault. C'est-à-dire  des objets que l'on dispose dans les registres du savoir à la manière de bataillons que l'on place de manière tactique, stratégique sur un champ de bataille 73(*).

Parce qu'elle prend forme à travers les discours que les uns tiennent sur eux-mêmes et sur les autres, la représentation acquiert une nature dynamique. En effet, elle devient une sorte d'objectif à atteindre. Dans L'Orientalisme, Edward Said montre en quoi, lorsque Benjamin Disraeli affirme :  l'orient est une carrière 74(*), ce dernier transforme cette dynamique de la représentation en réalité. Vue sous cet angle, la représentation devient le catalyseur du pouvoir, de la domination ou de l'impérialisme. Todorov ne dit pas autre chose lorsqu'il affirme que le concept est la première arme dans la soumission d'autrui75(*).

Le discours que l'Occident a tenu sur lui-même et sur le pays de Musa a rendu possible la domination de ce pays par l'Occident. Ce discours a permis aux Occidentaux de se convaincre du bien fondé ou de la nécessité de dominer le pays de Musa. C'est dire que la représentation légitime la domination du groupe se considérant comme supérieur sur le groupe considéré comme inférieur. C'est cette espèce de fardeau de l'homme blanc76(*) que le farouche défenseur de l'impérialisme français, Jules Harmand, expose lorsqu'il soutient que :

It is necessary, then, to accept as a principle and point of departure the fact that there is a hierarchy of races and civilization, and that we belong to the superior race and civilization, still recognizing that, while superiority confers rights, it imposes strict obligations in return. The basic legitimation of conquest over native peoples is the conviction of our superiority, not merely our mechanical, economic, and military superiority, but our moral superiority. Our dignity rests on that quality, and it underlies our right to direct the rest of humanity. Material power is nothing but a means to that end77(*).

C'est dire que la représentation peut être considérée comme un rite symbolique qui garantit dans la psychologie de son auteur la transformation de la violence ou de la domination en un devoir naturel, un droit légitime pour le groupe dominant. Les effets psychologiques de la représentation sur leurs auteurs font de ces derniers des êtres humains à la fois hégémoniques et créatifs.

II.1.3 L'hégémonie et la créativité

En légitimant la domination, la représentation assure la suprématie d'un groupe par rapport à un autre groupe humain. Autrement dit, la représentation assure l'hégémonie. Lorsque le philosophe allemand Hegel écrit :

l'Africain ne pense pas, ne réfléchit pas, ne raisonne pas, s'il peut s'en dispenser. Il a une mémoire prodigieuse. Il a de grands talents d'observation et d'imitation, beaucoup de facilité de parole (...) mais les facultés de raisonnement et d'invention restent en sommeil. Il saisit les circonstances actuellement présentes, s'y adapte et y pourvoit ; mais élaborer un plan sérieusement ou induire avec intelligence, c'est au-dessus de lui78(*),

il légitime la domination de son groupe sur l'Africain. En présentant l'Africain comme dépourvu de raisonnement et d'invention, Hegel indique aussi à son groupe un projet qui l'interpelle : celui de travailler à ce que l'Africain, tôt ou tard, corresponde effectivement à ce portrait. Cette description que Hegel fait de l'Africain suggère l'ambivalence de la représentation.

La représentation rend ses auteurs hégémoniques et créatifs. Elle les rend hégémoniques parce qu'elle légitime ou justifie la domination de ses auteurs sur les peuples prétendus inférieurs. La représentation les rend aussi créatifs parce qu'elle les oblige à inventer des méthodes, des moyens ou des techniques de domination, voire de les adapter en fonction des réactions imprévisibles du groupe prétendu inférieur. Dans L'orientalisme, Edward Said rapporte une scène qui illustre la créativité que la représentation impose à son auteur. La scène porte sur l'empereur français Bonaparte lors de sa conquête de l'Égypte en 1798. Celui-ci, convaincu de la supériorité des Français sur les Égyptiens a dû inventer une méthode ponctuelle pour soumettre les Égyptiens à sa domination. Said rapporte :

quand il devint évident pour Bonaparte que sa force était insuffisante pour s'imposer d'elle-même aux Égyptiens, il essaya de faire interpréter le coran en faveur de la grande armée par les imams, cadis, muftis et ulémas locaux. Dans ce but, les soixante ulémas qui enseignaient à l'Alzar furent invités à son quartier général, tous les honneurs militaires leur furent rendus, puis il leur fut permis d'être flattés par l'admiration de Bonaparte pour l'islam et Mahomet, par son évidente vénération pour le coran, qu'il paraissait connaître familièrement. Cela réussit, et il semble que toute la population du Caire ne tarda pas à perdre sa méfiance à l'égard des occupants79(*)

Pour Said, la représentation de l'Orient par l'Occident a contraint les Occidentaux à la créativité au point qu'ils ont développé des institutions, des traditions et des codes et s'en sont servis dans le but de rendre visible cet Orient jusque là virtuelle dans des discours que ces Occidentaux ont tenu sur l'Orient :

Que l'orientalisme ait le moindre sens dépend plus de l'Occident que de l'Orient, et l'on est directement redevable de ce sens à différentes techniques occidentales de représentation qui rendent l'Orient visible, clair, et qui font qu'il est « là » dans le discours qu'on tient à son sujet. Ces représentations s'appuient pour leurs effets sur des institutions, des traditions, des conventions, des codes d'intelligibilité, et non sur un Orient lointain et amorphe80(*).

À cause de la créativité qu'elle impose à ses auteurs, la représentation favorise la diversification des techniques de domination. Compte tenu de la caractérisation que nous avons faite de Musa dans le précédent chapitre, on peut retenir parmi ces techniques la colonisation et l'université. Elles sont toutes deux des techniques auxquelles l'Occident a eu recours sinon pour rendre manifeste la normalité de l'Occident et l'anormalité du pays de Musa du moins pour imposer à Musa sa vision manichéenne du monde. En substance, la colonisation et l'université ont servi à transmettre à Musa le regard qu'il pose respectivement sur l'Occident et sur son pays.

II.2 LES SOURCES DE LA REPRÉSENTATION CHEZ MUSA

Dans The Pickup, Musa s'émerveille de l'Occident. Il l'imagine comme un paradis sur terre: That is where the world is (P. 227). Mais son pays apparaît dans son imagination comme un espace maudit, habité par des damnés: There isn't hope in hell (...) no work, no development, what can you grow in desert, corrupt government (P. 14). Que Musa soit ainsi convaincu de ce que l'Occident serait le cadre idéal pour son épanouissement en comparaison avec son pays est une conséquence des conditionnements infériorisants que la colonisation a fait subir à son pays et que l'université continue de perpétuer après la colonisation.

II.2.1 La colonisation

Il n'existe pas de différence considérable entre le colonialisme et l'impérialisme. Edward Said partage le même avis lorsqu'il parle de ces deux concepts en ces termes :

Imperialism means the practice, the theory, and the attitudes of a dominating metropolitan center ruling a distant territory; colonialism which is almost always a consequence of imperialism is the implanting of settlements on distant territory81(*).

Ainsi, le colonialisme est une idéologie ou une politique de domination et d'exploitation des colonies par des colonisateurs ayant effectué le déplacement physique de leurs pays d'origine vers les colonies. De cette conception du colonialisme, on déduit que la colonisation est le processus consistant en la mise en oeuvre du colonialisme. Il va donc de soi que la colonisation ne peut être un processus doux et simple.

La colonisation affaiblit les personnes qui la subissent. Mais elle est multiplicatrice de pouvoir ou de puissance pour les hommes qui l'exécutent. C'est du moins la thèse qui se dégage de l'argumentation ci-après du penseur français Leroy-Beaulieu :

Une société colonise, quand, parvenue elle-même à un haut degré de maturité et de force, elle procrée, elle protège, elle place dans de bonnes conditions de développement et elle mène à la virilité une société nouvelle sortie de ses entrailles (...). La colonisation est la force d'expansion d'un peuple ; c'est son pouvoir de reproduction, c'est sa croissance et sa multiplication dans l'espace ; c'est la sujétion de l'univers ou d'une grande partie de l'univers à la langue, aux usages, aux idées et aux lois de ce peuple82(*)

La colonisation dénature les personnes qui la subissent en ce sens qu'elle fait germer dans leur psychologie ce que Fanon appelle l'arsenal complexuel83(*). Ainsi, la colonisation fait du colonisé un être convaincu de son infériorité en rapport au colonisateur, un être qui se néantise, bref un sujet manipulé. Au terme du processus colonial, le colonisé s'apparente mutantis mutandis au détenu ayant subi la méthode du panoptisme développé par Jeremy Bentham :

l'effet majeur du panoptisme : induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action ; que cet appareil architectural soit une machine à créer et à soutenir un rapport de pouvoir indépendant de celui qui l'exerce ; bref que les détenus soient pris dans une situation de pouvoir dont ils sont eux-mêmes les porteurs84(*).

En d'autres termes, la colonisation fait du colonisé un corps docile85(*). C'est-à-dire un personnage utile pour la réalisation du rêve de puissance du colonisateur. Pour atteindre cet objectif, la colonisation s'est appuyée sur l'institution scolaire. Cheikh Hamidou Kane partage ce même avis lorsqu'il parle de la Grande Royale en ces termes : Derrière les canonnières, le regard clair de la Grande Royale des Diallobé avait vu l'école nouvelle86(*).

Mais la colonisation ayant pris fin dans le pays de Musa comme nous l'apprend l'oncle Yaqub : there are no foreigners from Europe flying flags over our land any longer (P. 189), le pays de Musa a hérité de l'université à laquelle elle a eu recours pour produire des « corps dociles ». Musa ayant fréquenté cette université post-coloniale, il importe que l'on s'y attarde.

II.2.2 L'université

Compte tenu du comportement de Musa, on peut conclure que l'université qu'il a fréquentée avait pour objectif de le déposséder de lui-même ; de faire de lui un subalterne. Musa est convaincu de son infériorité vis-à-vis des Occidentaux. Voilà pourquoi, malgré son diplôme d'université obtenu dans son pays, il trouve normal de pratiquer la plonge dans les restaurants et d'être agent d'entretien ou réparateur de voitures dans ce qu'il considère comme l'Occident. Eu égard aux métiers qu'il exerce en Europe, eu égard également à son illégalité en Afrique du Sud, on peut dire que Musa se satisfait de l'idée selon laquelle : The only way to get into countries that don't want you is as manual labourer or Mafia  (P. 15).

C'est dire que l'université qu'il a fréquentée a contribué à lui faire admettre que l'Occident est un cadre où on a intérêt à partir, mais pour exercer des métiers ingrats. Julie suggère la responsabilité de l'institution universitaire du pays de Musa dans le comportement de ce dernier lorsqu'elle s'interroge de la manière suivante : How does a graduate in economics become a motor mechanic ? (P. 16). Cette responsabilité de l'université du pays de Musa devant la conduite de Musa est renforcée dans l'extrait ci-après :

She (Julie) brings along books (...) this time, in the veld, but the writers she favours are generally not those known to him (Musa) from his courses in English at that university (P.34).

Cette université n'a donc pas proposé à Musa un répertoire de livres variés et importants susceptibles de développer ses capacités de raisonner et de réfléchir sur le sens de l'existence. Elle préparait ainsi Musa à devenir ce que Ambroise Kom appelle un nain87(*) au plan scientifique et intellectuel. C'est une espèce de sujet problématique en ce sens que ce qu'il a appris à l'université, il ne peut le mettre au service de sa société. C'est une université dont le propos est d'accroître le retard intellectuel de la périphérie par rapport au centre. Au lieu que cette université aide Musa à s'intéresser au savoir, elle le préparait plutôt à s'auto détester en n'enrichissant pas son répertoire de livres ou de supports didactiques susceptibles d'aiguiser sa curiosité. Pourtant, comme nous l'apprend Bernard Fonlon:

If the university does not teach a student to think, it has taught him nothing of genuine worth, has failed wide of its mark (...) The university should open its doors only to those who come in search of wisdom: that to offer this wisdom, in all dimension the university should seek to acquire, to develop, and posses, in fullness, the True, the Good, and the beautiful and the sublime in substantial being, should explore all departments of knowledge, should exhibit all diversities of Intellectual Power, should enthrone science, philosophy and taste as in royal court, should recognise no sovereignty but that of Mind, no Nobility but that of Genius; in other words, in order to promote these exalted aims, it should make perennial war against mindlessness, against mediocrity and ineptitude88(*).

C'est dire que cette université perpétue l'entreprise coloniale. Ses finalités correspondent rigoureusement à celles de l'école en colonie tel qu'André Djiffack les présente :

En colonie, l'institution scolaire est cyniquement détournée de sa vocation traditionnelle. Loin de conduire le Nègre à la "civilisation", les conditions dérisoires de la scolarisation produisent un effet pervers : la déshumanisation. L'école n'est plus qu'une machine à détruire le colonisé sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel, culturel etc....89(*)

L'université que Musa a fréquentée a aussi assuré l'appropriation par Musa de la représentation de l'Occident sur lui. Voilà pourquoi il estime légitime de fuir son pays pour l'Occident qu'il considère comme supérieur ou comme idéal :

The World is their world. They own it. It's run by computers, telecommunications (...) The West, they own ninety one percent of these (...) this one? - not enough even to make one figure! Desert. If you want to be in the world, to get what you call the Christian world to let you in is the only way. (P. 160)

Vue cette argumentation de Musa, il est difficile d'éviter la conclusion que l'université que ce dernier a fréquentée visait les mêmes objectifs que ceux de l'école coloniale en Afrique. En Afrique, en effet, l'école coloniale visait, ainsi que le soutient Midiohouan, à  amener les africains à se mépriser, à avoir honte d'eux-mêmes, à aimer et admirer la France90(*). Dans The Pickup, Musa qui peut être considéré comme l'Africain dont parle Midiohouan a honte de lui-même, mais il aime et admire l'Occident.

En un mot, colonisation et université se sont prêtées la main pour accroître le déséquilibre développemental entre l'Occident et le pays de Musa. Ces deux éléments sont responsables de la misère qui sévit dans le pays de Musa et inversement du niveau de vie élevé en Occident. Mais ils sont aussi responsables des migrations répétées de Musa vers l'Occident, car les conséquences de ces éléments sur l'aspect physique du pays de Musa et de l'Occident servent à Musa de support pour justifier son obsession quasi névrotique à fuir son pays.

II.3- LES MOTIVATIONS DE LA MIGRATION CHEZ MUSA

L'état des lieux en Occident et dans le pays de Musa contribuent à légitimer les migrations répétées en direction de l'Occident que Musa pratique dans The Pickup. Le déséquilibre développemental apparent qui se dégage entre son pays et l'Occident stimule l'obsession de Musa à fuir son pays. Puisque l'université ne lui a pas appris à réfléchir ou ne lui a pas permis de comprendre le sens de l'existence, Musa n'est pas conscient de ce que la représentation, son hégémonie et sa créativité ont contribué à rendre visible simultanément l'Occident comme un centre développé et riche et son pays comme une périphérie sous-développée et pauvre. Ainsi, on peut distinguer, au titre des mobiles d'où Musa tire la légitimité de ses migrations, les mobiles exogènes et les mobiles endogènes.

* 67 Edward Said, L'orientalisme, l'Orient crée par l'occident, op. cit., P. 19.

* 68 D'après Guha, « subaltern is a name for the general attribute of subordination (...) whether this is expressed in terms of class, caste, age, gender and office or in any other way ». Voir Ranajit Guha, cité par John Beverley, Subalternity and Representation, Durham and London, Duke University, 1999, P. 26.

* 69 Gayatri Charkravorty Spivak, « can the subaktern speak? », article cité par Bill Ashcraft et al., The Post-colonial studies reader, New York and London, Routledge, 1995, P. 25.

* 70 Dictionnaire Hachette de la langue française, Evreux, Hachette, 1984.

* 71 Tzvetan Todorov, Mémoire du Mal, tentation du Bien. Enquête sur le siècle, Paris, Robert Laffont, 2000, PP. 43-44.

* 72 Salman Rushdie, Les versets sataniques, traduction de A. Nasier, Paris, Plon, 1999.

* 73 Edward Said, « Foucault et l'image du pouvoir », article paru dans David Couzenhoy, Michel Foucault, lectures critiques, Bruxelles, De Boeck-wesmael, 1989, P. 169.

* 74 Voir à ce propos Edward Said, L'orientalisme, op. cit., P.17.

* 75 Tzvetan Todorov, Préface à L'orientalisme, op. cit., P. 9.

* 76 Rudyard Kipling, cité par Hannah Arendt, L'impérialisme, traduction de Martine Leiris, Paris, Fayard, 1982, P. 149.

* 77 Jules Harmand, cité par Edward Said, Culture and imperialism, New York, Vintage Books, 1994, P. 17.

* 78 Hegel, Leçons sur la philosophie de l'histoire, cité par Fabien Eboussi Boulaga, Lignes de résistance, Yaoundé, éditions CLE, 1999, P. 63.

* 79 Edward Said, L'orientalisme, op. cit., P. 101.

* 80 Edward Said, L'orientalisme, op. cit., P. 35.

* 81 Edward Said, Culture and Imperialism, New York, Vintage Books, 1994, P. 9.

* 82 Leroy-Beaulieu, cité par Edward Said, L'Orientalisme, op. cit., P. 251.

* 83 Frantz Fanon, Peau noire et masques blancs, Éditions du Seuil, 1952, P. 26.

* 84 Michel Foucault, Surveiller et punir, naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, P. 235.

* 85 Idem.

* 86 Cheikh Hamidou Kane, L'Aventure ambiguë, Paris, Julliard, 1961, P. 60.

* 87 Ambroise Kom, « Le drame de l'élite camerounaise » interview paru dans Mutations N° 1159, Yaoundé, Mai 2004.

* 88 Bernard Fonlon, cité par Ambroise Kom, Éducation et démocratie en Afrique. Le temps des illusions, Paris & Yaoundé, l'Harmattan & Éditions du CRAC, 1996, PP. 111-112.

* 89 André Djiffack, Mongo Beti. La quête de la liberté, Paris, l'Harmattan, 2000, P. 175.

* 90 Midiohouan, 1986, P. 46, cité par André Djiffack, Mongo Beti. La quête de la liberté, Paris, l'Harmattan, 2000, P. 176.

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