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La laà¯cisation de l'espace politique en république démocratique du Congo. une analyse critique des rapports église catholique-état de l'indépendance à  2008

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par Sylvain CIRHUZA BALAGIZI
UOB - Licence 2008
  

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I. 2. L'Eglise et l'accession à l'indépendance

En analysant les rapports des religions chrétiennes aux pouvoirs politiques d'Afrique noire, Achille Mbembe101 a démontré la capacité des sociétés africaines à mettre en échec la prétention à l'hégémonie des religions monothéistes, en premier lieu le christianisme, et la complexité des relations instaurées en Afrique entre les Eglises et les pouvoirs politiques postcoloniaux.

Il sied à ce propos, d'examiner le parcours qui aura conduit le catholicisme à transgresser un tant soit peu le sacro-saint principe de sa « neutralité » pour se positionner le cas échéant dans le politique ou, plus précisément, d'étudier les rapports qui se sont intéressés entre l'Eglise et le pouvoir politique postcolonial de la RDC.

101 A. MBEMBE, op. cit., p. 152.

Le 30 juin 1960, le Congo belge accède à l'indépendance par la force des choses. Mais, quelques années avant cette décolonisation, les prêtres autochtones avaient pressenti l'urgence d'une réflexion sur l'Eglise d'après la colonisation. Cependant, la force est de constater qu'après la colonisation rien n'a changé quant à ses rapports à l'Etat.

Aussi l'accession à l'indépendance va-t-elle révéler une différence des stratégies entre le pouvoir politique et la hiérarchie ecclésiastique. En effet, pendant que l'autorité coloniale abandonne dans un désordre total l'administration et l'armée à des cadres locaux non préparés à assumer convenablement ces lourdes tâches, l'Eglise, elle, a non seulement formé du personnel ecclésiastique autochtone mais en plus, les missionnaires vont demeurer sur place pour poursuivre l'oeuvre entreprise. Les troubles politiques qui ont marqué cette période vont accentuer l'importance de l'Eglise catholique. Celle-ci a en effet su tirer profit de son étroite collaboration avec l'Etat colonial pour se tailler une position extrêmement importante sur l'ensemble du pays, de telle sorte que dans les premières années de l'indépendance son influence et la force de ses institutions tranchaient net avec la déficience des structures étatiques et administratives. Aux yeux des autorités civiles, elle était devenue le partenaire le plus visible, mais également, peut-être, le plus redoutable. L'oeuvre missionnaire a donc porté des fruits et établi une véritable puissance catholique sans pour autant faire du catholicisme une religion d'Etat102.

Toutefois, c'est surtout dans le domaine de l'éducation que le catholicisme aura accentué son influence et son prestige sur l'ensemble de la communauté nationale. A la veille de l'indépendance, la population globale scolarisée était de 1 773 340 élèves ; sur celles-ci, les catholiques à eux seuls comptaient 1 359 118 élèves. En 1961, les écoles secondaires catholiques contaient 25 660 élèves sur un effectif de global de 49 152. En plus de l'éducation l'Eglise disposait et dispose encore aujourd'hui d'un grand nombre institutions socio-médicales et caritatives : 241 hôpitaux, 563 dispensaires, 293 maternités, 103 léproseries, 73 asiles pour vieillards et 176 orphelinats. De même, elle contrôlait des associations syndicales comme l'Union des travailleurs congolais (UTC) et l'Association des cadres et dirigeants catholiques des entreprises au Congo (CADICEC) et, grâce à son infrastructure scolaire, elle exerçait une grande influence sur la jeunesse par le biais des associations et des mouvements des jeunes. L'Eglise possédait également plusieurs associations pour adultes et disposait, enfin, d'une puissance d'opinion singulière : deux journaux importants dont un quotidien, courrier d'Afrique, et un hebdomadaire, Afrique chrétienne. Mais là encore c'est surtout la dimension éducative qui va faire le jeu de l'Eglise. Dans un pays qui ne possédait qu'un seul universitaire lors de l'accession à l'indépendance, les principaux cadres seront issus des écoles catholiques. Les anciens séminaristes, en particulier, se retrouveront à des postes clés à tous les échelons de la vie publique ; c'est dire aussi combien les

102 W. OYOTAMBWE, op. cit. p. 22-23.

prêtres et les évêques indigènes occuperont une place de choix dans l'ère qui s'inaugure103.

Section IIème : La situation après l'indépendance : le Temps de la réorganisation politique.

II.1. L'Eglise face à la tentative de laïcisation de l'espace politique après l'indépendance

La période subséquente à l'indépendance sera entachée des troubles en tous sens et des guerres civiles qui ont émaillé les rivalités entre les acteurs politiques.

Le point de départ de cette tragédie fut la crise institutionnelle, c'est-à-dire des querelles au sommet de l'Etat entre le président et le premier ministre. Cette crise amènera l'armée congolaise à intervenir dans le champ politique et va se dénouer au détriment du Premier ministre, pourtant détenteur d'une légitimité sortie des urnes, et aboutir à son tragique assassinat le 17 janvier 1961104.

Ici, faut-il se poser la question de savoir comment l'Eglise a-t-elle réagi face à ces premières difficultés politiques d'après la colonisation ? Pour répondre à cette question, on se basera sur la personnalité de Mgr Malula, figure alors prédominante du catholicisme congolais et de hiérarchie indigène, qui peut servir de fil conducteur pour lire l'histoire de cette période confuse.

D'abord, Malula affichait une aversion presque naturelle et caractérielle pour Lumumba dont il n'appréciait pas le comportement et certains écarts de langage.

Selon Mgr. Jean Jacot105, il y avait « une incompatibilité totale entre Malula et Lumumba. Bien avant l'indépendance Malula ne cachait pas sa méfiance à l'égard de Lumumba et ce, pour toutes les raisons : politiques, sociales et aussi personnelles».

Dans son discours-programme de 1960, le Premier ministre avait préconisé un Etat laïque et a donné son interprétation de la laïcité de l'Etat en des termes fort précis : « Le gouvernement s'engage à assurer aux habitants de la République les garanties de libertés humaines, en tout premier lieu la liberté de religion. Le gouvernement empêchera par tous les moyens à une religion, quelle qu'elle soit, de s'imposer directement ou indirectement, notamment par la voie de l'enseignement ». A cet effet, il proclame la séparation absolue entre l'Etat et les Eglises. Ainsi

103 Idem, p. 24.

104 J. C. WILLAME, Patrice Lumumba, la crise congolaise revisitée, Paris, Karthala, 1990, p. 376.

105 Idem, p. 378.

continue-t-il en déclarant : << La République du Congo sera un Etat laïque, démocratiquement gouverné par le peuple pour le peuple >>106.

Ce discours-programme traduit la volonté du Premier ministre de fonder le nouvel ordre politique sur les valeurs républicaines et par ricochet, les valeurs laïques. Lumumba visait donc clairement la laïcisation de l'espace politique. Cependant, cette vision rationnelle a vite rencontré d'énormes oppositions de l'Eglise romaine au Congo. La hiérarchie de cette dernière pris très mal ces propos et y réagira tout aussi fortement.

Du laïcisme, Mgr Malula dira alors que <<ce déchet de la civilisation occidentale, importé au Congo par les ennemis de Dieu, n'est nullement de nature à nous ennoblir >>107.

Le décor était ainsi planté : Lumumba sera qualifié pêle-mêle d'ennemi de Dieu, communiste, athée, anti-clérical, et tutti quanti. Le 1er juillet 1960, Malula exprimera plus franchement l'opposition de l'Eglise face au premier ministre en adressant un message réparateur dans lequel il pris à contre-pied ce que Lumumba avait déclaré la veille, lors de cérémonies du 30 juin.

Quinze jours plus tard, Malula intervient encore dans la politique congolaise en s'en prenant catégoriquement aux << excès de langage >> du ministre de l'Information, Anicet Kashamura, à la radio congolaise108 en affirmant que la hiérarchie catholique engage aussi une campagne anti-lumumbiste de grande envergure, tant par sa presse que par des séances des prières.

Un journal de l'opposition catholique (représentée par Masoko, Ileo, Bolikango, etc.) va même répandre à l'intérieur du pays l'image d'un Lumumba << communiste >> telle qu'elle fut fabriquée par des services de sécurité belges ; pourtant, à en croire Jean-Claude Willame109, rien dans l'histoire politique de cette époque n'atteste d'une quelconque conversion de Lumumba au communisme.

Malgré ce contexte pourtant hostile, Lumumba continua d'affirmer : << Des évêques abandonnent leur mission d'évangélisation pour s'ingérer dans les affaires de l'Etat (...) Nous ne voulons pas qu'on fasse au Congo ce qu'on fait en Belgique, la dictature de l'Eglise sur le gouvernement >>110.

Aussi le rôle joué par l'Eglise dans l'éviction de Lumumba reste flou, d'un flou qui n'a d'égal que le rôle joué par la puissance coloniale qui, la première, avait fait de Lumumba un sujet non fréquentable. On peut tout au moins penser, vu le contexte de l'époque, que la hiérarchie catholique aura éprouvé un sentiment de

106 J. CHOME, L'ascension de Mobutu. Du sergent Joseph-Désiré au général Sese Seko, Paris, Maspero, 1974, p.76.

107 J. CHOME, Op. cit., pp. 75-76.

108 J. C. WILLAME, op. cit., p. 376.

109 Idem, p. 252-253.

110 J. VAN LIERDE, La pensée politique de Patrice Lumumba, Paris, Présence Africaine, 1963, p. 290.

« soulagement » après l'élimination de Lumumba, avant que la suite des événements ne vienne modifier les discours et les attitudes des uns et des autres à l'égard de l'action premier ministre.

II.2. La résistance des missions catholiques pendant la période de crise institutionnelle

Les multiples troubles qui ont eu lieu durant cette période ont occasionné le départ précipité des missionnaires protestants ainsi que des cadres belges des différents secteurs ; les missionnaires catholiques, eux, choisissent de demeurer sur place malgré les menaces et les risques. Certains d'entre eux payeront de leur vie ce zèle, surtout pendant la révolution muleliste qui décidait de venger la mort de Lumumba. La perception qu'une partie de l'opinion avait de l'implication du clergé catholique dans le limogeage de Lumumba avait créé une certaine animosité de la part des rebelles envers les clercs catholiques111.

Tout compte fait, le choix qu'avaient fait les missionnaires catholiques de rester en place se révéla payant pour le maintien et la sauvegarde des institutions catholiques en ces temps périlleux.

Au plan moral, cette présence serait perçue par les fidèles comme un témoignage de fidélité et de total dévouement. Mais l'on dirait que c'est aux vues des intérêts politiques et matériels et leur sauvegarde que l'Eglise catholique a pu résisté. Cette dernière en a trop gagné car c'est à partir de là qu'elle a réaménagé et réadapté sa confiance déterminante vis-à-vis du peuple congolais en plus des services de base : l'enseignement, la santé, etc.. Sans oublier l'action de la Caritas dans la distribution des vivres et d'autres biens d'équipement en ce temps de misère et de pénurie consécutives à l'anarchie.

En d'autres termes, la faillite des institutions étatiques mettait en exergue l'organisation des structures religieuses auxquelles tous vont recourir constamment. Depuis lors les différents gouvernements qui se succéderont vont-ils ménager les intérêts de l'Eglise et solliciter fréquemment l'appui de sa hiérarchie dans différents domaines. En retour, les autorités gouvernementales accorderont à maintes occasions, des largesses innombrables à l'Eglise : dons divers, titres fonciers, dotations multiples, subventions. À l'occasion de la crise institutionnelle de la première république, l'Eglise catholique s'est taillée un espace déterminant dans la politique de la RDC. Ainsi tout scénario tendant à concevoir un espace politique laïcisé devient, en quelque sorte utopique compte tenu du positionnement stratégique de celle-ci.

Cependant, cette bonne santé de l'Eglise romaine, devenue en quelque sorte un Etat dans un Etat, ne manquera pas d'éveiller craintes et suspicions.

111 W. OYOTAMBWE, op. cit, p. 30.

Certains parmi les autorités civiles comme beaucoup parmi l'élite nationale verront dans la puissance catholique à la fois un subtil relais de la puissance et de l'influence belge au Congo indépendant.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote