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Syrie: d'une révolte populaire à  un conflit armé

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par Sophia El Horri
Université Paris VIII - Master 2 Géopolitique 2012
  

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INTRODUCTION

L'écrivaine Samar Yazbek, opposante syrienne alaouite, déploie sa prose poétique pour exprimer la terreur, la peur et la violence qui ont marqué la rébellion syrienne depuis mars 2011. Elle appartient à la même communauté religieuse que le président Bachar Al Assad : celle des alaouites, "responsables aux yeux de nombreux Syriens de la répression qui s'abat sur les manifestants depuis le 15 mars"1.

Elle écrit dans Feux croisés, journal de la révolution syrienne2 que « sortir dans la rue devient l'occasion de mourir » : « (Des) bandes interpellent nos voisins sunnites, les terrifient en leur disant que les alaouites vont les tuer. Elles se tournent vers nous et nous disent que les autres vont massacrer les alaouites. Moi, l'intruse dans ce lieu, j'observe avec terreur ce qui se passé".

À un premier niveau d'analyse se situe donc le clivage confessionnel entre les musulmans alaouites, qui représentent environ 10% de la population syrienne, regroupés dans la chaine de montagne du Djbel Ansarieh au Nord-Ouest du pays, et la majorité musulmane sunnite qui compte près de 70% de la population. En Syrie, le conflit en cours superpose deux niveaux de clivages : à la fois un pouvoir dictatorial qui confisque tous les moyens au profit des siens et de leurs alliés, en plus de clivages sociétaux qui favorisent des communautés ou des confessions au détriment d'autres.

À en croire les paroles des « bandes » dans le récit de Samar Yazbek, les alaouites et les sunnites s'entretueraient. En Syrie, ces bandes se sont multipliées et sèment la terreur en attisant la peur et le sentiment de division. Ces « fiers à bras », selon l'expression de Philippe Droz Vincent, ne sont ni policiers, ni militaires et sont employés par le régime pour dissuader de manière très violente toute protestation de la part des manifestants.

Le régime syrien s'est donc employé à raviver les clivages confessionnels, à encourager des affrontements communautaires et a agité l'épouvantail d'une guerre civile confessionnelle dans l'objectif de gagner du temps, temporiser la pression internationale et réprimer la protestation.

1 Anais Llobet, « Samar Yazbek, une intellectuelle alaouite contre Bachar El Assad », La Croix, 9/08/2011.

2 Samar Yazbek, Feux croisés, journal de la révolution syrienne, éditions Buchet Chastel, mars 2012.

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Si l'on en croit cette manipulation des faits par le régime : les alaouites formeraient un bloc, les sunnites aussi et cela conforterait bien des représentations héritées en Occident, que j'ai par ailleurs retrouvé tout au long de mes lectures et revues de presse, qui laissent à penser qu'à travers cette rébellion, ce sont les alaouites et les sunnites qui s'affrontent. En évaluant les représentations mobilisées autour du conflit syrien, en en analysant les raisons conjoncturelles et structurelles : il apparaît clair que le régime de Bachar el Assad a transformé l'Etat en une fabrique personnelle, l'Economie en monnaie d'échange et la société civile en organe de consultation. L'Etat n'est plus baathiste ni alaouite, et pour preuve, ce n'est ni l'Etat alaouite, ni l'Etat baathiste qui sont décriés dans les manifestations pacifiques de 2011, mais plutôt le régime prédateur du clan Assad.

Ce premier niveau de représentation est faux : d'abord car les alaouites ne forment pas un bloc et qu'ils ne sont pas tous en soutien au régime, ensuite car parmi les sunnites, les bourgeoisies urbaines alépine et damascène ont bénéficié de l'internationalisation de l'économie syrienne et de sa libéralisation. Certes, le recrutement de la 4ème division de l'armée syrienne, ou encore certains postes sont garantis aux alaouites par le clan Assad, car la communauté d'origine de Hafez el Assad a constitué le principal réservoir d'éléments loyalistes au régime. Cependant, le régime sous Bachar el Assad fonctionne plus par logique financière et clientéliste que par logique communautaire. Il n'est bien entendu pas question de théologie, mais de soutiens au régime.

La contestation en Syrie a grandi en nombres d'hommes, mais aussi en nombre de quartiers de villes et de soldats. J'ai pour objectif de comprendre et d'expliquer les évolutions de ce conflit : d'une révolte populaire à un conflit armé, ses acteurs, ses rapports de force, ses territoires et ses échelles. Ainsi, "la seule façon scientifique d'aborder quelque problème géopolitique que ce soit est de poser d'entrée de jeu, comme principe fondamental, qu'il est exprimé par des représentations divergentes, contradictoires et plus ou moins antagonistes 3". Dans ce cadre, cette longue accroche m'a permis de dénoncer un certain nombre de représentations, pour ne pas entrer dans les logiques d'un discours partisan.

Les débats entre historiens traiteront certainement dans le futur, du jour exact du démarrage de la révolte ou de la "révolution" syrienne contre le régime baathiste. On postulera ici que le 15 mars, marqué à Damas par un défilé de protestataires dans le Souq Hamidiyeh et par plusieurs autres manifestations dans diverses localités, peut constituer un

3 Yves Lacoste, Dictionnaire de géopolitique, Flammarion,1993, p.28

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point de départ acceptable pour le mouvement. La Syrie, pays de 20 millions d'habitants dont la majorité sont des jeunes de 18-39 ans (53%), a été touchée par les vagues de réformisme et de protestation qui avaient déjà ébranlé l'appareil de pouvoir dans des pays tels que la Tunisie et plus tôt la Serbie. Les manifestations régulières se sont intensifiées et les opposants ont peu à peu visé le régime comme principal ennemi de la réforme en Syrie. La peur semblait pourtant trop forte pour que les syriens osent remettre en cause leur gouvernement. La famille El Assad dirige en effet le pays d'une main de fer depuis quarante ans, le maintenant dans un état d'urgence qui limitait et punissait sévèrement toute opposition.

En Syrie, après plusieurs décennies de dégel de la situation politique, de confiscation du pouvoir par une poignée d'hommes qui représentent à la fois la force exécutive, législative, judiciaire, civile et même la force d'opposition "officielle" au sein du front national progressiste, les syriens de l'opposition "décongèlent la situation" et font fructifier à travers la dissidence leur pouvoir d'agir. Cependant, la révolte a grondé de manière tâtonnante, pacifique et localisée. D'abord le fait de jeunes gens à Deraa et à Banyas, privés de leur capacité à entreprendre, la répression sécuritaire féroce a encouragé l'exacerbation du mécontentement et ainsi d'étendre le réseau d'opposition et de manifestations.

La carte ci-dessous représente une géographie des soulèvements en Syrie, assortie du nombre de morts, à l'issue d'affrontements avec l'armée régulière de Bachar El Assad. On remarque que l'axe Nord/Sud (Idlib-Daraa) qui traverse la Syrie n'est pas l'unique "axe" concerné par les soulèvements ou le nombre de victimes. La région de Deir Az Zor est également très touchée par les manifestations.

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(c)Sophia El Horri, d'après UNHCR, UNISAT et le site Syriamap; graphique: nombre de morts par ville selon les estimations de l'ONU en décembre 2011

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Les régions dissidentes ont deux points communs. Tout d'abord, il semblerait, après démonstration, que les quartiers qui se révoltent sont les laissés pour compte des politiques économiques et agricoles. Dans l'ancien quartier palestinien de Lattaquié comme dans le quartier de Douma à Damas, ce sont les territoires qui souffrent le plus gravement des difficultés et frustrations économiques qui se révoltent. Même en pays alaouite, au nord-ouest de la Syrie, malgré des investissements publics et privés considérables, les poches de pauvreté s'y sont installées et aggravées. Quant à la région centrale en Syrie, l'axe Deraa-Idblic, ces provinces ont été mises de côté dans le cadre du passage d'une économie planifiée socialiste où l'État est très présent à une économie de marché. Ces éléments, combinés à une croissance démographique très forte, ont causé une explosion urbaine dans des petites villes qui ont grossi trop vite, sans équipements publics pour gérer cet accroissement exponentiel de la population.

En première partie, nous nous intéresserons aux discours et représentations des différentes parties en conflit en Syrie ; la situation géopolitique que constitue le conflit syrien peut être considérée de trois manières complémentaires et corrélées. Tout d'abord selon une vision antagoniste, où la Syrie et le conflit font l'objet de représentations contradictoires produites par les deux parties en conflit. À cette analyse, opposant directement plusieurs parties à différentes échelles, s'en ajoute une seconde où ce conflit est considéré au sein de chacune des parties, selon un niveau de lecture interne. Enfin, la révolte syrienne est insérée dans le jeu complexe des relations internationales.

Ensuite, en deuxième partie, le sujet se concentre sur une analyse des péripéties de cette révolte et de son internationalisation : nous verrons alors comment s'insèrent les enjeux des différentes parties dans le jeu complexe des relations internationales. En effet, les conséquences de cette lutte pour le pouvoir en Syrie se sont ressentis de toutes parts : la convocation de réunions diplomatiques de haut niveau, la répression du régime, l'organisation d'élections fantoches, la constitution d'une armée de "l'opposition " ou encore la multiplication des bandes armées et des zones franches dans le pays sont autant d'expressions de ce conflit à plusieurs échelles.

Ces luttes et rapports de force se sont ressenties à plusieurs niveaux également : dans les quartiers eux-mêmes touchés par la révolte mais aussi à une échelle plus régionale (Ligue Arabe) et internationale à travers les valses diplomatiques, dont l'échec et l'impuissance étaient eux-mêmes les manifestations de rapports de force Est/Ouest. Aussi la

rébellion syrienne est-elle un conflit pluridimensionnel. Selon la définition proposée par Y. Lacoste, la Syrie constitue une "situation géopolitique". En effet, selon lui : "une situation géopolitique se définit, à un moment donné d'une évolution historique, par des rivalités de pouvoirs de plus ou moins grande envergure, et par des rapports entre des forces qui se trouvent sur différentes parties du territoire en question4."

Cette année de révolte, qui est loin de sonner la fin des violences en Syrie, a connu une militarisation et une escalade dans la violence considérables, rendant même le maintien de la mission d'observation de l'ONU problématique. La Syrie, qui jusqu'en mars 2011, avait assuré la stabilité du pouvoir en place, en se basant sur un équilibre des forces intérieures et extérieures fragile et autocrate, devient un terrain favorable aux interventions régionales, aux trafics d'armes et aux actions de djihadistes. Enfin, face aux nombreux termes qui circulent pour qualifier la situation en Syrie, nous identifierons en troisième partie à quel type de conflit correspond le cas syrien.

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4 Yves Lacoste, Dictionnaire de géopolitique, Flammarion, 1993, p.3.

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PREMIÈRE PARTIE

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I. CONFLIT ET REPRÉSENTATIONS : LA SYRIE ENTRE FEUX CROISÉS.

"Notre science politique est obsédée par la croyance que les jugements de valeur sont inadmissibles dans les considérations scientifiques et que le fait de qualifier un régime de tyrannique équivaut manifestement à prononcer un "jugement de valeur". Le spécialiste en science politique qui accepte cette conception de la science parlera d'un État collectif, de dictature, de totalitarisme, d'autoritarisme, etc...et en tant que citoyen, il est en droit de condamner tout cela"5. Ce passage de la tyrannie6 est cité par Michel Seurat dans L'État de barbarie7 pour évaluer le bon usage ou le mésusage du terme et concept de "tyrannie". Relève-t-il d'un jugement teinté par la subjectivité, par une sorte de sensiblerie qui pêcherait par manque de distance ? L'emploi de ce terme réduirait-il à néant cette distance froide qu'on impose au chercheur et à l'analyste dans le cadre de la rigueur et de la recherche scientifique ? Michel Seurat, et bien entendu L. Strauss semblent être pour une promotion scientifique de ce mot au-delà de toute représentation. Et à en croire Michel Seurat, il se prête plutôt bien à l'État syrien, "en ce sens que le rapport État/société y est plutôt dominé par la brutalité et la violence aveugle". Dès lors, un État de barbarie est un État dont tous les rapports de force sont violents, ou possèdent comme châtiment la violence, et qui ne peut se maintenir en dehors de cette violence, qui l'entretient à son tour.

Nous nous intéresserons aux différents niveaux de représentations antagonistes qui permettent de comprendre la situation géopolitique syrienne. Nous pourrons ainsi mieux comprendre les grilles de lecture du conflit au-delà des paradigmes de lecture occidentale et culturaliste. Ces représentations seront à la fois intéressées et lourdes d'acquis, et donc à manipuler avec précaution scientifique, mais elles seront précieuses et pleines d'enseignement pour comprendre la violence de la réaction militaire à Hama et à Homs en Février 1982 et 2012.

Selon le titre du livre de Carole Donati "L'exception syrienne", la Syrie serait une exception. À juste titre, elle peut être qualifiée de cette manière, inconnue, nationaliste, belliqueuse. Elle est une exception car elle met également l'entendement au défi de se défaire de grilles de lecture strictement confessionnelles, culturalistes ou encore essentialistes, et de sonder l'Histoire, la sociologie politique, et les données immatérielles et matérielles pour saisir les rapports de force en place.

5 Leo Strauss, De la tyrannie, Paris, Gallimard, p.42-43.

6 Ocpit, Leo Strauss, De la tyrannie.

7 Michel Seurat, L'Etat de barbarie, Collection Proche Orient, éditions Puf, p. 35, mai 2012.

*****

Lorsque Bachar El Assad est porté à la présidence de la république, en juillet 2000, une vague d'espoir soulève les syriens. Peu soupçonneux des intentions d'ouverture et sur la réalité de l'autorité de l'héritier, ils se réunissent par centaines, dans la plupart des villes, au sein des forums de discussion, pour formuler des revendications, dégager des priorités et commencer à s'organiser. Des lettres ouvertes au nouveau président, des pétitions, des déclarations, des communiqués politiques appelant à l'ouverture de la Société Civile sont créés dans l'ensemble du pays. Les partis de l'opposition traditionnelle, regroupés pour la plupart dans le Rassemblement National Démocratique, reprennent leurs réunions et tentent de relancer leurs activités totalement interrompues depuis deux décennies. Ce printemps-là a vite pris fin en 2001 avec l'arrestation d'un opposant alaouite : Aref Dalileh. Une nouvelle fois en 2005, une Déclaration de Damas pour un Changement National Démocratique est rendue publique. Elle réunit la majorité des partis et un grand nombre de personnalités de l'opposition : nassériens, communistes et libéraux s'y côtoient. Face à cette nouvelle tentative de la part de la société civile syrienne, l'argument du complot a prévalu. Le principe a été réitéré avec plusieurs opposants comme Michel Kilo et n'avait qu'un seul objectif, réduire à néant tout voix discordante.

Carole Donati écrit justement à ce titre : "À mesure que Bachar s'impose, ces consultants sont de moins en moins écoutés voire sollicités, le président décidant de plus en plus de manière arbitraire8".

Considérons d'abord la machinerie rhétorique du complot: quels arguments sont mobilisés ? Quels acteurs sont visés ? Quelles représentations dévoile-t-elle? Et dans quel but ?

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8 Carole Donati, L'exception syrienne, éditions la Découverte, 2009.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry