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Rwanda, un génocide colonial, politique et médiatique

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par Mathieu OLIVIER
Université Paris 1 - La Sorbonne - Master de Relations Internationales et Action à là¢â‚¬â„¢Etranger 2013
  

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La confusion des premiers jours

Au début du carnage, l'image la plus fréquemment utilisée est celle des « combat interethniques ». Elle a deux inconvénients. D'abord, elle occulte le mécanisme politique en axant sur le côté ancestrale de la lutte tribale. Ensuite, elle donne l'image de combats opposant deux armées, ou deux tribus. Or, dans le cas du génocide rwandais, les massacres sont unilatéraux et opérés par les forces gouvernementales et les milices liées au pouvoir.

Le Monde, sous la plume de Jean Hélène, rapporte ainsi les « combats interethniques ravageant Kigali »1(*)5 que Le Figaro explique comme des conséquences des « éternelles tensions entre les ethnies rivales des Hutu et des Tutsi. »1(*)6 Dans le même temps, Le Figaro stigmatise la « purification ethnique »1(*)7 en cours au Rwanda et Libération identifie l'un des mécanismes primordiaux : l'influence de l'Akazu1(*)8. Or, l'Akazu représente la famille et le cercle proche du président et surtout de sa femme, des extrémistes hutus ayant préparé et théorisé le génocide rwandais. Ainsi dès les premiers jours d'avril 1994, les journalistes de Libération ont su identifier le cercle initiateur du génocide. Néanmoins, Le Monde s'accrochant à son interprétation, la confusion va régner dans les premiers jours du génocide.

Il faut ici distinguer les différents mécanismes ou théories qui ont permis de laisser perdurer une fausse information. En tout premier lieu : la théorie des massacres interethniques. Celle-ci revient à assimiler le FPR à l'ethnie Tutsi et à considérer que celle-ci s'oppose au gouvernement rwandais dans une sorte de guerre civile. Ce qui revient de facto à nier le génocide.

La théorie de la guerre civile

La théorie de la guerre civile tient à une méthode simple. Trouver un adversaire au gouvernement rwandais. Et faire ainsi, d'un génocide, guerre unilatérale, une guerre civile. « Sans doute faut-il se garder de toute naïveté, il n'y a pas les bons d'un côté, les méchant de l'autre », écrit Jean-Marie Colombani dans son éditorial du Monde le 18 juin 19941(*)9. Cette idée, que d'autres reprendront, comme Stephen Smith pour Libération dans sa campagne de presse contre la « terreur Tutsi », laisse entendre qu'au lieu d'un génocide, il y aurait eu des massacres réciproques, avec des victimes et des bourreaux dans les deux camps.

« Cette tournure n'est pas simplement négationniste, sa perversité va plus loin. Ce que cette phrase postule c'est l'existence de deux camps, un camp Hutu et un camp Tutsi. Elle met en avant une définition ethnique et ignore superbement le mécanisme du génocide qui vient de s'accomplir sur la base de cette définition. »2(*)0

Et, en effet, il est aisément observable que l'explication raciale ou ethniste ne tient pas. Les Hutus qui rejetaient cette idéologie prônée par le gouvernement ont été assassinés et considérés comme des traîtres ou des complices. « Ceux qui se revendiquaient citoyens rwandais et non Hutu ou Tutsi, comme le Premier ministre désigné en 1994 par les accords d'Arusha, Agathe Uwilingiyimana, ont été éliminés en premier, immédiatement après l'attentat. Ils furent les premières victimes des massacres. »20

Cette désinformation est particulièrement flagrante dans les articles du Monde, mais se repère tout aussi facilement dans les discours des hommes politiques alors proche du dossier rwandais comme Bernard Debré, Edouard Balladur ou Alain Juppé. Bernard Debré, ancien ministre de la Coopération, écrivait dans son livre, que les Tutsi étaient « des nazis avant l'heure ».2(*)1

Dans son éditorial du 18 juin, Jean-Marie Colombani fait pour sa part allusion au Cambodge et assimile, comme certains officiels français, dont le colonel Thibault, avant lui, le FPR à des Khmers noirs en reprenant la comparaison à son compte.

Un mois plus tôt, le 11 mai 1994, le Monde publiait une chronologie des faits qui ont conduit aux événements rwandais au mois d'avril.2(*)2 Dans cet article, intitulé « Horreur au Rwanda », plusieurs éléments sont intéressants et il est important de le citer dans son intégralité.

« Le 6, le président Juvénal Habyarimana et son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, tous deux hutus, sont tués, leur avion ayant été abattu au dessus de l'aéroport de Kigali, la capitale du Rwanda. Cet attentat provoque la riposte de la garde présidentielle, majoritairement composée de Hutu, qui tue, le 7, à Kigali, dix casques bleus belges de la Minuar ainsi que le premier ministre Agathe Uwilingiyimana.

Les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR, minorité tutsi) et l'armée, dominée par la majorité hutu, se battent pour le contrôle de la capitale de l'ancienne colonie belge, et massacrent des milliers de personnes. Dans la nuit du 8 au 9, la formation d'un gouvernement opposé au partage du pouvoir avec les Tutsi et la nomination d'un président intérimaire, Théodore Sindikubwabo, proche du défunt, sont rejetées par le Front patriotique rwandais.

Le 11, les 585 ressortissants français sont évacués de Kigali. Le 21, l'ONU réduit sa présence à Kigali au minimum (270 hommes). Le 30, à l'appel de Boutros Boutros-Ghali qui estime à 200 000 le nombre de morts, le conseil de sécurité de l'ONU adopte une déclaration condamnant les massacres de civils qui se sont étendus dans tout le pays (6, 8, 9, 11 au 16, 18 au 23, 25 au 30). »

Toute la thèse de la guerre civile est contenue dans ces quelques lignes. D'abord, les allusions au caractère ethnique du conflit font légion. Les deux présidents sont ainsi « tous deux hutu ». La garde présidentielle, elle, est « majoritairement composée de Hutu ». « Curieuse litote » s'étonnera Jean-Paul Gouteux, « pour une garde exclusivement formée de Bakiga, ces Hutu du Nord-Ouest où l'Akazu présidentielle tire ses origines. »2(*)3

Le procédé est le même à propos de l'armée rwandaise considérée comme dominée par la majorité hutu. Les Forces armées rwandaises étaient en effet exclusivement composées de Hutu et il était même interdit aux officiers supérieurs de se marier avec une Tutsi.

En face, le FPR est assimilé à la minorité Tutsi. Or, on l'a déjà dit, celui-ci comportait dans ses rangs et jusque dans son commandement des membres Hutu, opposants au régime Habyarimana. De même, l'un des fondamentaux du FPR était le refus de l'idéologie ethniste. Mais l'assimilation des Tutsi au FPR a permis au gouvernement et aux milices de justifier les massacres perpétrés sur la minorité Tutsi au Rwanda. Ceux-ci étaient en effet considérés comme des traîtres, des ennemis de l'intérieur, des espions à la solde du FPR.

La chronologie relève d'un scénario bien étrange et surtout d'une explication dangereuse des faits. Elle se résume à un point de départ : l'attentat, vraisemblablement perpétré par le FPR puisque les deux présidents assassinés étaient « deux Hutu ». S'ensuit une simple riposte de la garde présidentielle, qui n'aurait fait que douze morts. Ensuite, c'est la guerre civile qui s'engage entre les deux camps et qui va faire plusieurs centaines de milliers de morts. En résumé, il n'y a pas de génocide.

Le Monde s'enfonce dans cet interprétation et semble accorder au FPR une place grandissante dans les explications qu'il propose. Le 18 juin, le même jour que l'éditorial de Jean-Marie Colombani, Jean Hélène écrit un long article sur la situation rwandaise. Il s'intitule : « D'où viennent les armes au Rwanda ? » Mais là où la plupart des journalistes commencent à s'interroger sur la livraison d'armes au gouvernement par la France, Jean Hélène n'aborde que la question des armes du FPR.2(*)4

Il aborde également , dans le même article, la question des « tueries attribuées au FPR ». Question que le Monde avait déjà fait sienne de 1990 à 1993, afin de « justifier l'intervention française »2(*)5 au Rwanda, en racontant un massacre de centaines de civils qu'aurait commis le FPR.

Dans son ouvrage Rwanda : le génocide, Gérard Prunier raconte cet événement : « Quelques jours plus tard, un « massacre perpétré par le FPR » est providentiellement « découvert » (Le Monde du 21 février 1993). Ce « massacre » est censé s'être produit au camp de réfugiés de Rebero. Lorsque quelques prêtres (habituellement plutôt hostiles au FPR à cause de leur longue adhésion au régime) vont vérifier, ils ne trouvent aucune trace du moindre massacre, en revanche, la population a décampé. Entendant à la radio qu'ils ont été massacrés, ils choisirent de se cacher de peur que l'armée ne les tue réellement pour corroborer les informations. »2(*)6

Cette thèse de la guerre civile est à rapprocher de celle du double génocide, tout aussi extravagante et relevant du même procédé : l'exagération du rôle du FPR. Alors que les estimations de Gérard Prunier estiment que 800 000 Tutsi ont été massacrés et que entre 10 000 et 30 000 Hutu ont trouvé la mort, la thèse du double génocide semble totalement absurde.

Celle-ci a pourtant été assumée par Pierre Erny, qui signait ses articles dans le quotidien La Croix, et qui a présenté la théorie des génocides « propre » et « sale ».2(*)7 Selon lui, au Rwanda, se déroulaient deux génocides, l'un, commis par le gouvernement rwandais dénoncé par la communauté internationale, c'est le sale, et l'autre, commis par le FPR, le propre. En énonçant cet théorie, Pierre Erny a contribué à supprimer « l'unicité du génocide et à égaliser la donne en proposant la formule du match nul. »2(*)8

A ce titre, l'interview accordée par François Mitterrand à un journaliste est éloquente. Lorsque le journaliste lui posa une question sur le génocide, Mitterrand répondit : « Le génocide, ou les génocides ? »2(*)9

Et cette réponse reprenait mot pour mot celle des représentants du Hutu Power : les Tutsi avaient été tués dans le cours de la guerre, ils avaient causé autant de pertes de vies humaines qu'eux-mêmes en avaient subies et, de toute façon, le nombre de Hutu morts dans les camps de l'Est du Zaïre mettait les deux camps à égalité.

En entrevue cinq semaines après la fin du génocide, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, définit la position française de façon explicite : « Personne ne peut dire que le bien était dans le camp du FPR et le mal dans l'autre. »29

* 15 Le Monde, Jean Hélène, avril 1994

* 16 Le Figaro, 10 avril 1994

* 17 Le Figaro, Kigali sombre dans l'anarchie, avril 1994

* 18 Libération, Rwanda : la paix détruite en plein vol, Alain Frilet, avril 1994

* 19 Le Monde, Jean-Marie Colombani, 18 juin 1994

* 20 Jean-Paul Gouteux, Le Monde, un contre-pouvoir ?, Editions L'Esprit frappeur, 1999

* 21 Bernard Debré, Le Retour Du Mwami - La Vrai Histoire Des Génocides Rwandais, Editions Ramsay, 1998

* 22 Le Monde, Horreur au Rwanda, 11 mai 1994

* 23 Jean-Paul Gouteux, Le Monde, un contre-pouvoir ?, Editions L'Esprit frappeur, 1999

* 24 Le Monde, D'où viennent les armes au Rwanda ?; Jean Hélène, 18 juin 1994

* 25 Jean-Paul Gouteux, Le Monde, un contre-pouvoir ?, Editions L'Esprit frappeur, 1999

* 26 Gérard Prunier, Rwanda : le génocide, Dagorno, 1998

* 27 Pierre Erny, La Croix, 26 août 1995

* 28 Nicolas Bancel et Thomas Riot, Génocide ou « guerre tribale » : les mémoires controversées du génocide rwandais, Université de Strasbourg, 2009

* 29 Cité par Gérard Prunier

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