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Rwanda, un génocide colonial, politique et médiatique

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par Mathieu OLIVIER
Université Paris 1 - La Sorbonne - Master de Relations Internationales et Action à là¢â‚¬â„¢Etranger 2013
  

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Le Monde et les services secrets

Il est indispensable de s'appuyer sur l'analyse de Jean-Paul Gouteux3(*) si l'on cherche à analyser Le Monde et son activité durant la période rwandaise. Son étude est reconnue par les spécialistes et même, à demi-mot au moins, par la rédaction du Monde elle-même dès l'approche des années 2000.

Celui-ci met en lumière un phénomène qui a fait la force mais qui fut également le point faible du quotidien : sa proximité avec les services de renseignements français. Si la DGSE en l'occurrence est bien souvent une mine d'or en terme d'information, reste à considérer celle-ci comme un danger pour l'indépendance éditoriale du journal.

C'est notamment l'analyse de Jean-Pierre Chrétien qui envoie un courrier à la rédaction du Monde, avant le génocide, le 18 février 1993.

« Vous avez publié, le 17 février, un article étonnant sur le Rwanda. [...] De fait, [le] papier apparaît comme une simple synthèse d'un document fourni par la DGSE. Comme tout le monde sait que la vocation des services de renseignement n'est pas en soi de livrer une information et des « analyses » désintéressées, on pouvait s'attendre à une mise en situation critique d'un texte dont votre journal semble avoir eu l'exclusivité. »4(*)

L'africaniste ponctue son courrier par une interrogation des plus pertinentes : « Le métier de journaliste n'impliquait-il pas [...] de se demander pourquoi un service habituellement discret diffuse en ce moment ce genre de document ? »4

Pourtant, l'allusion et la référence aux « services de renseignements français » sont particulièrement flagrantes dans les articles de Jacques Isnard, surnommé par la rédaction du Monde « Le général » (il est le spécialiste des questions militaires au Monde depuis son arrivée, c'est à dire depuis sa sortie du Centre de Formation des Journalistes (CFJ)).

Dans un court article intitulé « Rwanda, selon les services de renseignements français, les rebelles bénéficieraient du soutien de l'armée ougandaise »5(*), daté du 17 février 1993, Isnard répète quatre fois la mention de ses sources : les services de renseignements français et utilise leurs affirmations pour démontrer le soutien ougandais au FPR.

Or, dans le même temps, on l'a détaillé plus haut, nombre d'observateurs s'inquiètent du soutien français au gouvernement rwandais contre le FPR. Pour l'occasion, Isnard « invalide la déclaration d'un représentant de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) selon lequel « les troupes françaises se sont battues aux côtés de l'armée rwandaise. »6(*)

Jacques Isnard explique alors que « Paris qualifie ces indications d'interprétations relevant d'intoxications et de la mauvaise foi. » Et ajoute : « Un point de vue que partagent les services de renseignements français. »5 La confirmation d'un des principaux acteurs de la politiques française au Rwanda est donc suffisante pour laver les doutes sur cette même politique. Et surtout suffisante pour ignorer les dépêches de l'AFP et de Reuters indiquant qu'un porte-parole du groupe des observateurs militaires neutres (GOMN, mis en place par l'OUA) accusait les troupes françaises de bombarder les positions du FPR.7(*) Suffisante enfin pour ignorer les articles, notamment celui de Stephen Smith le 11 juin 1992 dans Libération, faisant état d'un officiel de la DGSE aux commandes d'un hélicoptère lance-roquettes ayant arrêté une avancée du FPR.

Le Monde s'aligne en fait sur la position officielle française. Les autorités militaires françaises continuent en effet de démentir toute intervention militaire auprès des Forces armées rwandaises. Pierre Joxe, ministre de la Coopération de 1990 à 1993, et notamment pendant l'opération Noroît, justifiera les soupçons d'une façon sibylline devant la Mission d'information parlementaire sur le Rwanda : « Sans participer au combat, on peut avoir l'air d'être impliqué dans le combat. »8(*)

Mais, plus la France restait au Rwanda, plus la version officielle devenait scabreuse. Les articles de Jacques Isnard se sont dotés de vérités soigneusement dissimulées sous des euphémismes. Du « simple soutien aérien »9(*) aux « alliés privilégiés »1(*)0, le journaliste finit par admettre en juillet 1994 l'implication des soldats français.

« Il est même survenu des circonstances où l'armée française a été quasiment en première ligne, notamment entre 1990 et 1993, où elle a tiré les coups de canon, à la place des FAR, contre des éléments du FPR. »1(*)1

Les officiels français estiment alors qu'il est impossible de nier le génocide. S'ensuit une phase de justification de la présence française basée sur la théorie des massacres perpétrés par le FPR. En clair, diaboliser le FPR afin de justifier le soutien aux Forces armées rwandaises. On l'a vu, cette stratégie n'a pas lieu d'être, elle se rapproche de la théorie du double génocide et a été très tôt contestée.

Le Monde se l'approprie toutefois. Le 24 et 25 juillet 1994, Jacques Isnard signe un article intitulé « les ex-Forces armées se prépareraient à reprendre le combat au Rwanda » dans lequel il écrit que les « services français » craignent, en représailles de la reprise des combats par les ex-FAR, « de nouvelles exécutions sommaires de Hutu par des éléments du FPR, sur la base de considérations purement ethniques. »1(*)2

Dans le même article, le journaliste va plus loin. Il affirme craindre également quelques « exactions sur certains Tutsi », non par les forces armées reprenant le combat, mais par les troupes du FPR. « Les services français rapportent que des troupes du FPR n'ont pas hésité, par exemple, à bombarder au mortier des camps de réfugiés Tutsi venus d'Ouganda, pour les pousser devant elles lors de leur action qui a entraîné la chute de Butare. »1(*)3

La réalité est pourtant tout autre. Selon Gérard Prunier, ce sont « les miliciens [qui] ordonnent à tout le monde de fuir et ceux qui n'obéissent pas sont tués sur le champ. »1(*)4 Les miliciens, c'est à dire les troupes des ex-FAR. Le Monde attribue donc au FPR une technique utilisée par les FAR. Et le justifie par la source des services français. La source est pourtant douteuse et l'implication des troupes françaises ne peut plus faire de doutes : des soldats français ont été capturés par le FPR alors qu'ils protégeaient les FAR lors de cette même prise de Butare dont parle Jacques Isnard.

« Il y a bien des crimes de guerre commis par le FPR. Cependant, cet article n'a pas pour but de les documenter, mais de criminaliser l'image d'un FPR, ennemi de la France, en allant jusqu'à lui attribuer l'idéologie génocidaire du HutuPower, allié de la France. Nous sommes là dans une logique de désinformation en temps de guerre. »1(*)5

Le Monde se fait également l'écho d'une analyse surprenante directement tirée de la cellule africaine de l'Elysée et des services français : l'impérialisme Tutsi venu d'Ouganda et menaçant le Rwanda. A sa tête : le président ougandais Museveni. Il va s'agir de décrédibiliser Museveni lui-même - Le Monde l'accuse ainsi de pratiques mafieuses -. Il s'agit également d'établir un lien évident entre Museveni et le FPR, tête de pont de l'impérialisme tutsi selon les services français.

Pour Jacques Isnard, l'explication est simple. C'est « l'origine Banayanchole [une ethnie proche des Tutsi] »1(*)6 de Museveni. Or les nyanchole ne sont « pas plus proches des Tutsi que des Hutu. »1(*)7 Mais Le Monde va utiliser cette explication de l'impérialisme tutsi à de nombreuses reprises et sous plusieurs plumes différentes. Il s'aligne ainsi sur les déclarations du général Quesnot : « L'Ougandais Museveni veut créer un tutsiland avec la complicité objective des anglo-saxons. »1(*)8

Il n'est également guère étonnant de retrouver dans les écrits de Philippe Decraene, ancien grand reporter du Monde, les mêmes propos. Pour lui, c'est une « volonté hégémonique des Tutsi » qui s'exerce au Rwanda et dans les pays voisins. Lors du génocide, Philippe Decraene n'était plus journaliste au Monde, il dirigeait le Centre des Hautes Etudes pour l'Afrique et l'Asie Moderne (CHEAM). Un poste pour lequel il fut le premier civil nommé, par l'administration Mitterrand dès le début du septennat.

Un passage du livre de Claude Silberzahn, ancien patron de la DGSE, est on ne peut plus révélateur quant au danger de la trop grande proximité avec les services de renseignements1(*)9. Il y est proposé une description très claire des techniques de désinformation utilisées par le service.

« Pour la DGSE comme pour les autres services, il s'agit de faire passer des informations par leur intermédiaire [les journalistes]. Mais de ce point de vue, les services se partagent en deux écoles. La première entend manipuler l'information, celle-ci étant perçue comme un élément clé de l'action, qu'elle soit politique ou opérationnelle. [...]. La seconde méthode consiste à céder aux sollicitations pressantes des médias, à lâcher ce qui paraît possible et souhaitable pour le service et la vie institutionnelle du pays... et à espérer un retour. »

* 3 Jean-Paul Gouteux, Le Monde, un contre-pouvoir ?, Editions L'Esprit frappeur, 1999

* 4 Lettre de Jean-Pierre Chrétien au quotidien Le Monde, 18 février 1993, cité par Jean-Paul Gouteux

* 5 Le Monde, Rwanda, selon les services de renseignements français, les rebelles bénéficieraient du soutien de l'armée ougandaise , Jacques Isnard, 17 février 1993

* 6 Jean-Paul Gouteux, Le Monde, un contre-pouvoir ?, Editions L'Esprit frappeur, 1999

* 7 Dépêche de février 1993

* 8 Audition du 9 juin 1998 à la Mission d'information parlementaire sur le Rwanda

* 9 Le Monde, 17 février 1993

* 10 Le Monde, 23 juin 1994

* 11 Le Monde, 7 juillet 1994

* 12 Le Monde, Les ex-forces armées se prépareraient à reprendre le combat au Rwanda, Jacques Isnard, 24-25 juillet 1994

* 13 Le Monde, Les ex-forces armées se prépareraient à reprendre le combat au Rwanda, Jacques Isnard, 24-25 juillet 1994

* 14 Gérard Prunier, Rwanda : le génocide

15 Jean-Paul Gouteux, Le Monde, un contre-pouvoir ?, Editions L'Esprit frappeur, 1999

* 16Cité par Jean-Paul Gouteux, Le Monde, un contre-pouvoir ?, Editions L'Esprit frappeur, 1999

17 Jean-Paul Gouteux, Le Monde, un contre-pouvoir ?, Editions L'Esprit frappeur, 1999

18 Général Quesnot, 6 mai 1994, cité par Jean-Paul Gouteux

* Cité par Jean-Paul Gouteux, Le Monde, un contre-pouvoir ?, Editions L'Esprit frappeur, 1999

* 19 Claude Silberzahn, ancien patron de la DGSE (1989-1993), Au coeur du secret, Fayard, 1995

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry