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Rwanda, un génocide colonial, politique et médiatique

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par Mathieu OLIVIER
Université Paris 1 - La Sorbonne - Master de Relations Internationales et Action à là¢â‚¬â„¢Etranger 2013
  

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Le déclic 1998

Selon l'expression de Nicolas Bancel, « entre 1997 et 2002, la « guerre des mémoires » bat son plein. Celle-ci va se traduire par la publication de bon nombre de travaux qui connaissent un retentissement certain. C'est notamment le cas de l'étude de Gérard Prunier6(*) qui pose l'ethnisme colonial comme un moyen de gouvernance postcoloniale. C'est également ce que l'on peut retirer des conclusions de Jean-Pierre Chrétien dont les positions théoriques sont publiées dans « Le Défi de l'ethnisme » en 1997.7(*)

On pourra également citer, comme cela a été fait à plusieurs reprises dans ce mémoire, les analyses de Dominique Franche en 19978(*) ou d'Alison Des Forges en 1999.9(*) Mais c'est durant l'année 1998 que va émerger un véritable moment de vérité. On assiste, entre 1998 et 2002, à un foisonnement de productions. Celles-ci sont destinées à élucider les zones d'ombre du génocide rwandais.

Elles ont surtout pour objectif de s'inscrire en faux face à certaines théories révisionnistes, notamment celle de Bernard Debré1(*)0, et à la résistance de la théorie du double génocide, que Le Monde a contribué à entretenir, à la suite de la cellule africaine de l'Elysée.

Au delà de Bernard Debré, cette théorie a encore sa place, notamment en 2002, dans un colloque organisé au sein même du Sénat français. A cette occasion, on pouvait encore entendre Marie-Roger Biloa se vanter d'avoir été la première journaliste « à affirmer qu'au Rwanda, il n'y avait pas eu de génocide. » Elle ajoutait que « les autres [commençaient] à s'en rendre compte ».1(*)1

Et la thèse négationniste a même eu sa place dans la revue, pourtant sérieuse, Politique africaine. Celle-ci écrivait, dans un article de mars 1998, que les événements rwandais n'avaient été que des « pogroms populaires, spontanés et aléatoires », « une forme de jacquerie »1(*)2. Sous entendu, il n'y a pas eu de génocide.

Pourtant en mars 1998, Le Figaro commence à diffuser ce que l'on peut appeler un point de départ au niveau de la découverte de la vérité par les médias. « [L'occultation médiatique] a été brisée par la série d'articles de Patrick de Saint-Exupéry publiée dans le Figaro au début de 1998. »1(*)3

Patrick de Saint-Exupéry, présent au Rwanda, notamment durant le génocide, en partie aux côtés de l'armée française, livre ainsi une analyse, que nous avons déjà évoquée, concernant les mécanismes du génocide et l'implication de la France. Ses propos sont donc consécutifs à quatre ans d'enquête et de recherches.

Dans un article du Figaro du 2 avril 1998, Patrick de Saint-Exupéry cite ainsi un officier français : « A la fin de janvier 1991, j'ai réalisé que l'Elysée voulait que le Rwanda soit traité de manière confidentielle. Au début de janvier 1991, le groupe dirigé par le colonel Serubuga (chef d'état-major de l'armée de terre rwandaise) entame les opérations ethniques. Une centaine de personnes sont tuées dans une église. Informé, Paris ne réagit pas. En avril, une tribu tutsi est totalement liquidée dans le Nord-Est. Aucune réaction... »1(*)4

En effet, ces articles ont libéré la presse et provoqué immédiatement la mise sur pied d'une Mission d'information par le pouvoir français pour étouffer le scandale. On rapproche souvent l'action de Patrick de Saint-Exupéry d'un événement historique : en 1998, la France célébrait le centenaire du fameux « J'accuse » d'Emile Zola.

Si la France décide d'organiser une Mission d'Information, c'est que Patrick de Saint-Exupéry accuse tout simplement Paris d'avoir protégé les tueurs grâce à la fameuse Zone Humanitaire Sûre. Surtout, les informations concernant le rôle de la France commencent à être dévoilées de manière officielle. De plus, un an auparavant, en 1997, la Belgique a précédé la France en lançant sa propre mission d'enquête sénatoriale.

Il s'agit donc pour la France de s'inscrire dans ce mouvement de vérité, et, semble-t-il, d'en garder un certain contrôle. Les conclusions de la mission, présidée par Paul Quillès sont ambivalentes. Elles admettent des erreurs d'appréciations, des incompréhensions mais réfutent les accusations de complicité.

« Au moment où le génocide se produit, la France n'est nullement impliquée dans ce déchaînement de violences. » « Nous n'avons pas su tenir compte des spécificités d'un pays que nous connaissions mal. Nous sommes intervenus dans un pays que nous croyions connaître, mais qui en réalité nous était beaucoup plus étranger que nous le soupçonnions. »1(*)5

Ces conclusions ne semblent pas correspondre à la réalité de la présence française au Rwanda, étant donné qu'il est indéniable que l'armée et les services secrets ont agi au Rwanda dès 1990, dans la formation et dans le soutien de l'armée rwandaise, comme nous l'avons déjà évoqué.

Surtout, ces théories ne semblent pas satisfaire tout le monde. En désaccord, Jean-Claude Lefort, pourtant vice-président de la Mission, refuse d'en signer les conclusions.

Paul Quillès dispose pourtant de pièces accablantes. Le rapport de la mission cite ainsi un télégramme de l'ambassadeur Georges Martres au Rwanda, datant du 15 octobre 1990. Celui-ci évoque le risque de « génocide » et d' « élimination totale » des Tutsis. (annexe 7)

La mission d'information n'a donc qu'une façade de vérité. Elle permet néanmoins à l'exécutif français de se protéger et de s'affranchir d'erreurs avouées. En reconnaissant ces erreurs, l'exécutif français espère jeter le voile sur une intervention proche de la complicité.

Il existe donc toujours aujourd'hui un flou autour de l'intervention française au Rwanda. D'une part, les enquêtes et les analyses des universitaires et autres spécialistes du génocide, comme Alison Des Forges, Nicolas Bancel, Dominique Franche ou Jean-Pierre Chrétien, que nous avons abondamment évoquées. Et d'autre part, les versions officielles.

Celles-ci sont relayées de manières différentes. D'abord, par les anciens acteurs de la politique de la France au Rwanda. Notamment Dominique De Villepin qui évoquait encore, le 1er septembre 2003, la théorie du double génocide à la radio.1(*)6 Mais également les membres de l'armée. Il suffit de rechercher sur Internet les mots clés « Vérité » et « Rwanda ». Il semble que chaque acteur, le colonel Lafourcade par exemple ou encore Paul Quillès, ait eu besoin de publier sa vérité, souvent à travers un blog.

Les enjeux politiques n'ont en effet pas disparu alors que seize ans se sont écoulés depuis le dernier génocide du 20ème siècle. La France et le Rwanda continuent de s'affronter, de façon diplomatique, au sujet de la responsabilité de l'un, la France, ou de l'autre, Paul Kagamé ancien chef du FPR et président actuel du Rwanda, dans l'attentat qui a tué le président Habyarimana en avril 1994. Chacun s'accuse mutuellement d'avoir ordonné cet attentat et l'affaire est devenue un enjeu entre les deux diplomaties. Enjeu que j'ai préféré ne pas aborder plus longuement.

En effet, il est difficile de travailler sur un sujet tel que celui-ci et surtout de prendre assez de recul pour dégager une position raisonnable. L'enjeu est effectivement colossal. Une responsabilité de la France reviendrait à faire d'elle le déclencheur du génocide. En revanche, si le FPR est le commanditaire, il faudrait alors revoir l'écriture de l'histoire du génocide.

Malgré cette bataille des responsabilités -les deux pays organisent des missions d'enquête sur le sujet à tour de rôle -, il semble toutefois que Rwanda et France puissent trouver un terrain d'entente. En particulier parce que le temps a permis à l'exécutif français de se renouveler, tout comme sa politique africaine. Nicolas Sarkozy a récemment rétabli les relations diplomatiques avec le Rwanda. Le président français cherche ainsi à lancer sa politique en Afrique, appuyée sur les entreprises françaises, plutôt que sur une coopération militaire.

Le combat pour la vérité que nous avons évoqué plus haut se déroule donc surtout dans l'arène politique et les médias sont, semble-t-il, plus épargnés, surtout depuis que Le Monde a modifié sa ligne éditoriale concernant le Rwanda. Selon Hervé Deguine, de la revue Médias, l'heure n'est cependant pas encore à la vérité.

« En histoire, le temps permet souvent d'éclaircir le débat. La durée est essentielle pour analyser la complexité d'un événement et sa signification. Les années qui passent font émerger des témoignages, des documents, des faits, autant de repères à partir desquels s'élabore la connaissance historique. Mais, dans le cas du Rwanda, il semble que ce soit plutôt le contraire. Plus le temps s'écoule, moins on comprend ce qui s'est déroulé entre 1990 et 1994, tant les thèses en présence s'opposent. Les affects personnels, et surtout les intérêts en jeu, sont trop puissants : comme si l'heure de la vérité historique n'était pas encore venue. »1(*)7

Il est clair que, si les témoignages et les documents permettent aujourd'hui d'avoir une vision relativement claire, à quelques exceptions près, notamment l'attentat du 6 avril 1994, il est difficile de dégager une « vérité » médiatique objective. Il semblerait plutôt que les journaux français s'installent dans un consensus en évitant d'aborder de trop près les sujets polémiques. Seuls certains ouvrages permettent d'aller plus loin, et ce sont souvent des rééditions d'oeuvres vieilles de quelques années, comme les livres de Dominique Franche et Patrick de Saint-Exupéry, auparavant cités.

Au delà, peu de journalistes se risquent à une enquête documentée sur le sujet qui cristallise les oppositions, c'est à dire l'attentat. Le dernier à s'y être risqué est Pierre Péan. Il publie Noires fureurs, Blancs Menteurs dans lequel il accuse le FPR d'être à l'origine de l'explosion qui a tué le président Habyarimana en 1994.1(*)8

La thèse, en soi, n'a rien de choquant et Pierre Péan n'est pas le premier. Un mois avant la parution de « Noires fureurs, Blancs menteurs », Abdul Ruzibiza avait publié son propre témoignage. Dans « Rwanda, l'histoire secrète », cet ancien membre des commandos FPR, aujourd'hui réfugié en Europe, explique en détail comment il a lui-même participé à la préparation de cet attentat.1(*)9

Il ne s'agit pas ici de trancher sur la responsabilité de tel ou tel parti dans l'attentat, ni de la crédibilité de ce témoignage. Il est néanmoins important de relever plusieurs mécanismes, notamment l'accueil qu'a reçu le livre de Pierre Péan. Il est aujourd'hui poursuivi en France pour « complicité de diffamation raciale » et « complicité de provocation publique à la haine raciale », et en Belgique pour racisme, xénophobie, révisionnisme et « quasi-négationnisme ». Or, celui-ci reprend dans son livre, outre la thèse de l'attentat orchestré par le FPR, des théories plus douteuses, notamment l'interprétation ethniste et féodale de la question rwandaise, et la théorie du double génocide.

La vérité sur le génocide rwandais est donc encore floue. L'interprétation ethniste et la résurgence de poncifs coloniaux sont aujourd'hui en général dénoncés et n'ont plus cours lorsqu'il s'agit du Rwanda. C'est en ce sens que les reproches pleuvent sur Pierre Péan. En revanche, il est encore difficile d'aborder les questions plus politiques, c'est à dire les véritables problématiques dans le cadre d'un génocide, de l'implication française, de son rôle et de celui du FPR, aujourd'hui au pouvoir au Rwanda. Les enjeux sont encore, semble-t-il, trop importants.

* 6 Gérard Prunier, Rwanda : le génocide, Gadorno, 1998

* 7 Jean-Pierre Chrétien, Le défi de l'ethnisme, Karthala, 1998

* 8 Dominique Franche, Généalogie du génocide rwandais, Editions Flibuste, 2004

* 9 Alison Des Forges, Aucun témoin ne doit survivre, Karthala, 1999

* 10 Bernard Debré, Le Retour Du Mwami - La Vrai Histoire Des Génocides Rwandais, Editions Ramsay, 1998

* 11 Marie-Roger Biloa, colloque au Sénat français sur la région des grands lacs, 2002

* 12 Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Les séquelles d'un génocide : quelle justice pour les Rwandais ?, Politique Africaine, n° 69, mars 1998

* 13 Jean-Paul Gouteux, spécialiste de la question rwandaise, dans un entretien accordé au journal The Dominion

* 14 Le Figaro, Patrick de Saint-Exupéry, 2 avril 1998

* 15 Rapport de la Mission d'information parlementaire, décembre 1998

* 16 Interview de Dominique de Villepin à la radio RFI, 1er septembre 2003

* 17 Revue Médias, Peut-on encore parler du Rwanda, Hervé Deguine, mars 2008

* 18 Pierre Péan, Noires fureurs, blancs menteurs, Mille et une nuits, 2005

* 19 Abdul Ruzibiza, Rwanda, histoire secrète, Editions du Panama, 2005

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus