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Le role de la compliance anti corruption

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par Julien Quijoux
Université Versailles Saint Quentin - Master 2 Droit pénal des Affaires 2012
  

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§3. Les grandes lignes de l'avenir de cette lutte

Si la lutte contre la Corruption est un sujet de préoccupation actuel des entreprises internationales et de leur service de Compliance, d'autres domaines de droit pénal des affaires ont pu la précéder.

On peut notamment citer la LAB, mais aussi le droit de la concurrence ou encore la matière large communément désignée par le sigle « QHSE » (Qualité Hygiène Sécurité Environnement). Ces domaines ont comme point commun d'avoir entraîné récemment des condamnations pour des entreprises internationales de la part de diverses autorités dans le monde.

Ces matières très vastes, mais proches de la Compliance anti-corruption, tant dans les objectifs affichés par les institutions mondiales que dans les enjeux économiques pour les entreprises, permettent d'avoir une vision d'une certaine portée sur ce que sera l'avenir de la lutte contre la Corruption (et donc d'un intérêt prépondérant pour les services de Compliance anti-Corruption).

Si l'étude de ces domaines passionnants demande un développement bien supérieur à celui qui lui sera accordé dans cet écrit, des caractéristiques majeures de la structure de la lutte contre les infractions sont cependant suffisamment fortes pour pouvoir être présentées ici.

La première remarque à faire, concernant la lutte contre la Corruption, c'est de noter l'absence de régulateur dédié à sa lutte, que ce soit au niveau régional, mais aussi local.

Ainsi, en France, il existe l'Autorité de la Concurrence, « juridiction » dédiée aux conflits du droit de la concurrence. En matière de LAB, il est également intéressant de noter le travail de l'AMF dans la régulation des entreprises financières, directement concernées. L'AMF disposant, par ailleurs, de pouvoirs très importants, tant en ce qui concerne la production de régulation (de par la publication de son règlement général), que les pouvoirs d'enquête et les pouvoirs de sanction.

En matière de Corruption, rien de tout cela n'existe, puisque ce sont les juridictions pénales classiques qui sont compétentes en la matière, avec des pouvoirs qui n'ont rien d'exorbitants.

Par ailleurs, en ce qui concerne la LAB, l'organisme qu'est « Tracfin » (Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits FINanciers clandestins) permet non seulement aux sujets du droit pénal financier limitativement désignés de remplir au mieux leurs obligations (notamment la déclaration de soupçon16), mais en plus, cette plateforme permet aux entreprises de demander des conseils dans l'application des obligations qui leurs incombent dans ce cadre.

En matière de Corruption, rien de tel n'est prévu en France, ni plus que dans de nombreux pays17 :

- Ni autorité de régulation particulière ;

16 Article L.561-15 du CMF

17 Rapport de l'OCDE pour 2011

24

- Ni organisme gouvernemental de supervision ;

- Ni procédure déclarative particulière en cas de soupçons de corruption.

Ni l'Autorité de contrôle prudentiel (« ACP »), ni l'AMF, ni l'Autorité de la concurrence ne sont dotées de prérogatives particulières en matière de lutte contre la corruption. Bien que les profits issus de la corruption puissent être sanctionnés lorsqu'ils sont l'objet d'un blanchiment d'argent ou servent à déséquilibrer le libre marché de la concurrence, cela apparaît comme difficilement satisfaisant, puisque la corruption a déjà eu lieu en amont. Or, la création d'une telle autorité est une demande de la part de l'ONU18.

Il est également envisageable de voir les conventions de coopération se multiplier. De telles conventions existent déjà, mais en nombre insuffisant, et n'engageant pas tous les acteurs économiques majeurs19.

Enfin, les sanctions contre les individus tendent à se développer de plus en plus. Cela apparaît comme un argument de poids, puisqu'il véhicule l'idée que les personnes physiques ne peuvent plus se « cacher » derrière les personnes morales. Cependant, la question reste fortement débattue au sein des observateurs, et les questions quant à l'efficacité de cette lutte continuent de se poser.

Toujours est-il que le mouvement de lutte contre la corruption a dépassé la simple rencontre des volontés individuelles des Etats, ce qui est forcément positif. Le recul dira si cela se traduira dans les faits et notamment au-delà du FCPA.

Section II. L'environnement juridique de la lutte contre la Corruption

La lutte contre la Corruption étant une préoccupation mondiale, de nombreux acteurs normatifs se sont emparés de cette thématique. Du point de vue normatif, la Corruption présente une certaine particularité en ce qu'il existe des règles qui, de fait, s'appliquent à l'échelle mondiale.

18 Articles 5 et 6 de la Convention ONU contre la corruption

Cependant, cette singularité n'est pas due à une organisation concertée à l'échelle mondiale, loin s'en faut. En réalité, seules quelques institutions assument ce rôle (Sous-Section I), alors même que leur dimension est parfois loin d'être mondiale. Cette impression nébuleuse est par ailleurs tout aussi présente au niveau inférieur de l'environnement normatif que constitue la « Soft Law » (Sous-Section II).

19 Le Réseau anticorruption pour l'Europe orientale et l'Asie centrale (« ACN ») ne couvre qu'une vingtaine d'Etat membres, par exemple.

25

Sous-Section 1. L'environnement juridique « Hard Law » de la lutte contre la Corruption

§1. Présentation de la Hard Law

Le terme de « Hard Law » se définit surtout par opposition à la « Soft Law », qui est un ensemble d'instruments quasi-répressifs.

La « Hard Law » est donc la « Loi » au sens large, avec tout ce que cela implique en matière de droit pénal. Ainsi, les organes chargés de la lutte contre la Corruption sont clairement définis, tout comme les sanctions encourues en cas d'irrespect des règles, à la détermination du quantum des sanctions près. Les compétences de ces autorités sont clairement définies et des règles de procédures s'imposent à elles.

Par ailleurs, la Loi trouve sa légitimité dans ses organes émetteurs, ceux-ci étant gouvernementaux et détenant leur pouvoir de la Loi, voire de la Constitution (ou des équivalents de chaque Etat).

La Hard Law reste la référence absolue lorsqu'il s'agit d'établir un programme de Compliance en entreprise, en ce qu'il s'agit de normes « sûres », dont la portée est connue et dont la concrétisation est observable et compréhensible au regard de la jurisprudence.

Aujourd'hui, de par les efforts précités, la plupart des Etats sont dotés de Lois anticorruption. Celles-ci étant nombreuses, ne seront développées que les plus symboliques au niveau mondial.

§2. Les caractéristiques des normes étatiques au travers de l'exemple français

Les normes étatiques diffèrent, bien évidemment, les unes des autres. Cependant, celles-ci poursuivant le même objectif, de nombreuses similitudes dans l'architecture du dispositif anti-corruption sont à noter.

L'exemple du dispositif français, à travers un panorama des caractéristiques majeures soulignées par le rapport de suivi de l'OCDE20, permet d'avoir un certain aperçu de ce que peut être la lutte contre la Corruption dans un Etat qui n'est pas encore impliqué au niveau d'autres pays tels que les Etats-Unis d'Amérique et leur FCPA, ou le Royaume-Uni et son « UKBA » (United-Kingdom Bribery Act)21.

L'exemple français est d'autant plus intéressant que la France est une puissance économique importante, et qu'elle est particulièrement active dans d'autres matières intéressant la Compliance, tels que le droit de la concurrence et la LAB. Mais l'évolution du dispositif français contre la Corruption mérite également une analyse, puisque celle-ci est à l'image de ce que l'on peut voir dans la plupart des Etats.

20 Rapport sur l'application de la Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales et de la recommandation de 1997 sur la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales, phases 1 et 2.

21 UK Bribery Act 2010, entré en vigueur le 1er juillet 2011.

26

Le premier élément important est le fait que cette évolution soit récente et donc encore en cours. Ainsi, le rapport OCDE nous indique que la France a développé un nouvel arsenal législatif à partir de 200022. Auparavant, deux caractéristiques similaires à d'autres droits anti-corruption étaient à noter.

Premièrement, la déductibilité fiscale de pots-de-vin, pour les sociétés qui en avaient fait usage, a été interdite. Cette évolution est notamment consécutive à la Convention OCDE, sous l'impulsion des Etats-Unis.

Secondement, la corruption d'agents publics a été étendue aux agents publics étrangers, alors qu'auparavant, le code pénal23 n'incriminait que la corruption active et passive de personnes françaises dépositaires de l'autorité publique.

Cet élargissement des personnes concernées par des actes constitutifs de l'infraction de corruption est caractéristique de l'évolution la lutte contre la Corruption au sein d'un Etat. Il est à noter que cette transformation est actuellement en train de se faire à l'échelle mondiale.

Ainsi, la loi indienne, par exemple, n'incrimine que les actes de corruption des agents publics indiens. Elle n'incrimine ni la corruption de personnes indiennes qui n'ont pas cette qualité, ni les agents publics étrangers. Cette situation est vouée au changement24. Ce changement apparaît toutefois très difficile dans cet Etat comme dans de nombreux autres, comme en témoigne le report perpétuel de l'adoption de ce projet de loi par la Chambre basse du Parlement indien.

Un autre pan de l'adoption par les Etats des obligations qu'ils ont en vertu des Conventions internationales dont ils sont signataires est la multiplication des normes anticorruption.

Ainsi, en France, peut être citée la loi de 199325 qui a institué, entre autres, le SCPC. Doivent également être citées toutes les adoptions de Conventions internationales : la Convention OCDE du 17 décembre 1997, entrée en vigueur en France le 29 septembre 2000 ; les Conventions de Strasbourg des 27 janvier 1999, 15 mai 2003 et 4 novembre 1999, adoptées en 200826 ; ou encore la Convention des Nations unies contre la corruption du 31 octobre 2003 (dite « de Mérida ») entrée en vigueur en France le 14 décembre 2005

Toutes ces lois renforcent la lutte contre la Corruption en France (en tout cas dans le discours). Il est d'ailleurs notable - puisque cet aspect se retrouve dans d'autres législations - que ces lois directement inscrites dans la lutte contre la Corruption mettent également

22 Loi n°2000-595, relative à la lutte contre la corruption, modifiant le code pénal et le code de procédure pénale, 30 juin 2000.

23 Articles 433-1 et 432-11 du code pénal.

24 Projet de loi, Jan Lokpal Bill 2011.

25 Loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la préve ntion de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.

26 Convention de Lutte contre la corruption active et passive d'agents étrangers publics nationaux et étrangers, 27 janvier 1999, décret n°2008-67, publié au JO le 6 juillet 2008, p. 10865 ; Convention de Lutte contre la corruption active et passive d'arbitres nationaux ou étrangers et de jurés nationaux ou étrangers, 15 mai 2003, décret n°2008-672, publié au JO le 6 juillet 2008, p. 10867 ; Convention de Réparation civile du préjudice subi du fait d'un ace de corruption, 4 novembre 1999, décret n°2008-673, publié au JO le 6 juillet 2008, p. 10 873.

27

l'accent sur les différentes formes sous lesquelles se présente la Corruption (trafic d'influence, blanchiment du produit de la corruption, infractions comptables)27.

Ainsi, le champ d'application de la lutte contre la Corruption s'élargit à la fois par la qualité des personnes qui peuvent être impliquées dans des actes de Corruption, mais également par un nombre d'actes infractionnels de plus en plus élevé.

Enfin, le dernier point important à souligner dans l'évolution de la lutte contre la corruption est la mise en oeuvre de la responsabilité des personnes morales. Même si la Corruption pouvait, dès 1994, entraîner la responsabilité de personnes morales, celle-ci est maintenant possible en France dans le cadre global de l'article 121-2 du code pénal, depuis 200428 (sauf rares exceptions).

Cette évolution qui intéresse directement la Compliance au sein des entreprises est aussi un élément en développement dans certains Etats. Elle est capitale dans la lutte contre la Corruption. Celle-ci est d'ailleurs très récente chez certains de nos voisins, comme l'Espagne29.

Toutefois, si cette lutte semble avoir trouvé son élan « sur le papier », il n'en reste pas moins que son effectivité est critiquable.

Premièrement, en ce qui concerne les sanctions effectivement prononcées en matière de Corruption. Entre 1990 et 2004, sur 3600 condamnations prononcées annuellement, seules 100 l'ont été pour des faits de corruption. Par ailleurs, si les sanctions prévues par le code pénal en cas de corruption sont élevées (150.000€ et jusqu'à dix ans d'emprisonnement pour les personnes physiques), les peines effectivement prononcées par les tribunaux aboutissent presque uniquement à des peines d'amende assez modérées et à des peines de prison avec sursis partiel ou total30. La Corruption ne fait ainsi pas exception en matière de droit pénal des affaires puisque les peines de prison prononcées y sont quasi-inexistantes.

Ensuite, la lutte contre la corruption se heurte à des problèmes d'ordre procéduraux. Si ceux-ci sont différents pour chaque Etat engagé dans la lutte contre la Corruption, ils n'en restent pas moins présents avec leurs caractéristiques propres dans un grand nombre d'Etat.

En France, les deux obstacles majeurs de cette nature sont d'abord un délai très court de prescription de la Corruption (trois ans), pour une infraction appartenant à ce que l'on nomme la délinquance astucieuse. Cet obstacle a pour conséquence que les faits de corruption soient plus souvent poursuivis sur le fondement de l'abus de biens sociaux ou de blanchiment dont la prescription est repoussée à la découverte des faits. L'autre obstacle de taille pour la poursuite de la Corruption est la preuve du « pacte de Corruption ». Un obstacle qui est, là encore, contourné par l'incrimination des faits en question sur le fondement d'une autre infraction proche de la Corruption.

27 M.E. Boursier Chronique de droit pénal de l'entreprise N°2, LPA, 27 octobre 2008.

28 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite « Perben II».

29 La réforme du Code pénal espagnol, entrée en vigueur le 23 décembre 2010, introduit pour la première fois la responsabilité pénale des personnes morales, notamment des entreprises.

30 Cf. référence 22 ci-dessus.

28

Enfin, la dernière critique que l'on peut faire à la France en matière de Corruption, comme à beaucoup d'Etats, c'est un manque de volonté politique et donc un manque de moyens pour les organes en charge de cette lutte.

La figure de proue de ce constat reste le SCPC, dont les travaux semblent plus se concentrer sur le manque de moyens de l'institution (tant financiers que procéduraux, puisqu'il ne dispose d'aucun pouvoir d'enquête) et le rôle qu'elle pourrait avoir si la situation venait à changer, que sur la lutte contre la Corruption. Cette citation tirée du dernier rapport du SPCP en est une bonne illustration : « Force est de constater que la loi du 29 janvier 1993, qui a créé le SCPC, limitée d'emblée par sa censure par le Conseil constitutionnel ci-dessus évoquée, et jamais réécrite, n'est plus adaptée aux besoins actuels de la société française ni aux standards internationaux [...J. Par ailleurs, la situation matérielle du SCPC, tant en effectifs qu'en capacité budgétaire [...J doit être revue afin de permettre la poursuite de ses activités et a fortiori leur extension. » 31.

Lorsque la poursuite même des activités de l'organe chargé de la lutte contre la Corruption est remise en cause par ses membres, il ne fait pas de doute que la situation est clairement insatisfaisante et donc très en dessous des modèles en la matière.

§3. La Banque Mondiale, le FCPA et le UKBA comme institutions chargées de la lutte contre la Corruption à l'échelle mondiale

Si l'échec de la France dans la lutte effective contre la corruption est un constat qui est également valable pour la grande majorité des Etats, il n'en reste pas moins que la Loi contre la Corruption est bien effective dans le monde.

Ainsi, le FCPA, l'UKBA et la Banque Mondiale, loin de pouvoir corriger la situation à l'échelle de chacun des autres Etats, s'affichent-t-ils comme de véritables régulateurs, voire superviseurs de la lutte contre la Corruption à l'échelle mondiale. Comme c'est à cette dimension qu'opèrent les entreprises internationales, ce sont donc ces règles qui vont servir de références principales aux services de Compliance.

S'il ne s'agit pas, pour le FCPA et l'UBKA d'institutions au sens d'« institutions politiques » tels que les tribunaux ; l'importance de ces textes est telle qu'elle dépasse celle du simple texte de loi pénale d'un Etat.

Le FCPA dont une rapide description de son évolution a déjà été développée est l'instrument qui permet aux juridictions civile (Security Exchange Commission - « SEC ») et criminelle (Department of Justice - « DOJ ») de sanctionner les entreprises dans le cadre de la lutte contre la Corruption. Grâce à une compétence juridictionnelle extrêmement large, un rôle précurseur et des sanctions exemplaires, cet instrument juridique est considéré comme la référence en matière de lutte contre la Corruption. Le FCPA est donc logiquement repris par tous les services de Compliance anti-corruption pour fixer le cadre de leur action.

Le FCPA n'a pas une importance qui se limite aux Etats-Unis, grâce à des critères de juridiction très larges (développés plus loin dans cet écrit). Si les Etats-Unis peuvent se permettre de se déclarer compétents pour des faits qui se sont déroulés loin des Etats-Unis,

31 Rapport du SCPC pour l'année 2010 au premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

29

c'est aussi grâce à la puissance économique que représente ce pays. En effet, s'il était éventuellement possible de contester la compétence du FCPA auprès d'autres autorités, voire de nier sa compétence, cela reviendrait à s'exposer à des mesures de la part des Etats-Unis qui pourraient être bien plus dommageables que les lourdes sanctions du DOJ et de la SEC.

L'UKBA, est, quant à lui, un instrument beaucoup plus récent que le FCPA, puisqu'il date de 2010 et n'est entré en vigueur que le 1er juillet 2011. Il s'érige lui aussi comme une norme mondiale du fait de prévisions larges, tant au niveau de la compétence des tribunaux chargés de sanctionner les infractions à cette loi, que les infractions elles-mêmes. On notera à ce propos la Section 7 de l'UKBA qui met en place une infraction très large d' « échec à la prévention de la Corruption de la part d'une entreprise ». Cette infraction préoccupe d'autant plus les services de Compliance que les critères de compétence des tribunaux sont spécialement élargis pour cette infraction.32

L'UKBA est une préoccupation supplémentaire pour les entreprises concernées par la lutte contre la Corruption. De part une compétence et des infractions assez largement définies et un certain manque de recul sur une loi qui a à peine un an, il y a fort à parier que son appréhension sera un des principaux enjeux pour la Compliance anti-Corruption.

Enfin, la Banque Mondiale, qui est une institution au sens structurel du terme, peut être considérée comme faisant partie des émetteurs de « Hard Law ». Ainsi, si celle-ci a, comme les institutions classées dans la « Soft Law » (voir Sous-Section 2 ci-après), son lot de prévisions anti-corruption. Sa légitimité est par ailleurs certaine, à la fois de par son impact économique, les circonstances de sa mise en place, mais aussi et surtout, son pouvoir de sanction réel.

Ainsi, dans un domaine du droit extrêmement régalien, où les institutions (pénales) internationales ont des pouvoirs extrêmement limités et uniquement pour les infractions les plus graves, la Banque Mondiale, sans être une juridiction pénale, a un pouvoir sanctionnateur réel.

32 Section 7(3) et Section 12(5) de l'UKBA.

Celui-ci se traduit sous la forme d'une « liste noire »33 d'entreprises et d'individus. Figurent sur cette liste des personnes qui ont fait l'objet d'enquêtes de la part de la Banque Mondiale, pour des faits de corruption, et ont été reconnues « coupables » de malversations dans ce cadre. Ces entreprises ne peuvent plus prétendre aux appels d'offres de la Banque Mondiale pendant une certaine durée fixée par la Banque. Dans certains cas, la Banque Mondiale peut même annuler des prêts qu'elle a consentis dans le cadre de ses appels d'offre. Ce fut récemment le cas pour l'une des plus grandes entreprises canadiennes, SNC-LAVALIN. Celle-ci s'est vu annuler un prêt de 1,2 milliards de dollars, après la découverte, par la banque mondiale, de preuves de Corruption de la part de cette entreprise, lors de la construction du pont de Padma au Bengladesh34.

33 World Bank Listing of Ineligible Firms & Individuals, Fraud and Corruption. http://web.worldbank.org/external/default/main?theSitePK=84266&contentMDK=64069844&menuPK=116730&pa gePK=64148989&piPK=64148984

34 Déclaration de la Banque Mondiale, 29 juin 2012 : http://www.worldbank.org/en/news/2012/06/29/world-bank-statement-padma-bridge

30

Il s'agit donc d'un double pouvoir de sanction de la Banque Mondiale : à la fois une sanction économique directe, de par l'exclusion des entreprises de marchés importants, voire d'annulation de prêt ; mais aussi sanction indirecte, de par l'inscription de la personne concernée sur cette liste publique.

Par ailleurs, s'il est assez paradoxal de voir une organisation mondiale disposer d'un pouvoir répressif de cette envergure, il est peut-être encore plus paradoxal d'observer que la lutte contre la Corruption implique un nombre élevé d'acteurs qui n'ont pas ce pouvoir, mais qui n'en énoncent pas moins des règles dont la portée n'est pas certaine.

Sous-Section 2. La « Soft Law » dans la lutte contre la Corruption

§1. Présentation de la Soft Law

La « Soft Law », ou « droit mou » est constituée en matière de Corruption par un nombre d'institutions étonnamment important. Ce nombre est surprenant dans la mesure où il s'agit à la fois du domaine très régalien du droit pénal où les organisations internationales ont de la difficulté à trouver un rôle effectif, mais également du fait que bon nombre de ces institutions ne sont même pas gouvernementales !

La « Soft Law » dans le domaine de la lutte contre la Corruption est émise par toutes sortes d'institutions. Certaines sont gouvernementales, d'autres ne le sont pas mais sont dotées d'une certaine notoriété. Enfin, d'autres émetteurs dont la légitimité n'est pas certaine s'érigent aussi en tant que producteurs de codes de conduites, de guides et autres chartes. Par ailleurs, les entreprises elles-mêmes, qui publient leurs codes éthiques (pour des raisons de communication qui seront développées après) sont pour leurs clients, voire leurs concurrents, de bons indicateurs quasi-normatifs.

La « Soft Law » a d'autant plus d'importance pour la Compliance que celle-ci ne poursuit pas, comme il l'a été dit, un but de conformité fidèle et aveugle à la loi. Dans cette mesure, ces instruments qui n'ont pas comme vocation principale de faire respecter le droit sont intéressants, notamment de par leurs approches souvent plus pragmatiques que la Loi.

§2. Les principaux organismes émetteurs de Soft Law

Il est difficile de présenter quelques organes émetteurs de « Soft Law » sans en faire un inventaire, ni une description trop succincte.

Les organes qu'il faut citer en premier sont ceux qui sont gouvernementaux (les plus intéressants étant intergouvernementaux). Ceux-ci n'ont pas vocation à s'adresser directement aux entreprises. Le droit pénal reste en effet très régalien et les organisations internationales n'ont pas vocation ni à imposer des Lois, ni à sanctionner directement les entreprises.

31

Les institutions majeures sont surtout l'OCDE, l'ONU, le FMI, le Conseil de l'Europe (qui est plus présent dans la lutte contre la Corruption que l'Union Européenne) ou encore ses équivalents non-européens.

La « Soft Law » émise par ces institutions reste une référence sûre pour les entreprises. Ces institutions sont légitimes et les textes ainsi émis ont vocation à « devenir de la Loi » un jour (par le mécanisme de transposition, par exemple). Par ailleurs, ces institutions ont les moyens d'une lutte efficace, que ce soit de par leur importance politique, ou bien grâce à la mise en place d'organes tels que le « GRECO »35.

Vient ensuite la « Soft Law » qui n'est pas gouvernementale, mais qui, de par l'importance des membres qui composent son institution, a une certaine légitimité. On peut par exemple citer la CCI ou Transparence Internationale (« TI »), qui sont de bonnes références en matière de lutte contre la Corruption, pour les services de Compliance.

Transparence Internationale émet notamment une carte mondiale de la Corruption36 ainsi qu'un classement des Etats selon leur indice de Corruption37. Ces outils servent notamment de référence pour les services de Compliance, au moment d'établir des procédures proportionnées à leurs zones d'activités. Cet organisme émet également beaucoup de rapports intéressant directement les entreprises38.

Enfin, viennent des émetteurs de « Soft Law » qui ne sont ni gouvernementaux, ni avec une légitimité bien définie. On peut, par exemple, citer le « GIACC » (Global Infrastructure Anti Corruption Centre), qui est une organisation indépendante à but non lucratif. Ou encore « ACET » (Global Anti-Corruption Education & Training Project) qui regroupe plusieurs associations de lutte contre la Corruption, dans le but d'établir un programme de formation contre la Corruption (avec notamment un film, une présentation PowerPoint et un guide d'apprentissage). On peut encore énoncer TRACE, autre organisation indépendante à but non lucratif émettant des guides pour lutter contre la Corruption ou encore une certification pour les entreprises, accréditant d'un bon respect des normes anti-Corruption...

Plusieurs niveaux de « Soft Law », existent donc. Certains ont une légitimité qui n'est plus à prouver. Pour d'autres, comme GIACC, ACET ou TRACE (qui font partie, au demeurant, des plus sérieuses institutions de ce niveau), il est difficile de savoir quel crédit leur donner et à quel point il est possible de s'y fier. C'est là que se pose la question de la place ambigüe de la « Soft Law ».

§3. La place ambigüe de la Soft Law

Si on peut accorder à la « Soft Law » un certain nombre d'avantages, celle-ci présente aussi beaucoup d'inconvénients.

35 GRECO : « GRoupe d'Etats contre la COrruption », créé en 1999, chargé du suivi de la lutte contre la Corruption dans les 45 Etats européens et les Etats-Unis.

36 Cf. Annexe 2

38 Notamment, « Transparency in Corporate Reporting: Assessing the World's Largest Companies », rapport sur les 500 plus grandes entreprises mondiales, 10 juillet 2012.

37 http://www.transparence-france.org/e_upload/pdf/classement_ipc_2011.pdf

32

Le premier avantage, c'est qu'elle permet, dans un domaine très jeune, mais où le droit à l'erreur n'est pas économiquement permis, d'avoir des bases autres que la Loi, qui poursuit un objectif très clair mais aussi très « étatique » ; avec tout ce que cela implique de distance avec la réalité des affaires.

En cela, la « Soft Law » non gouvernementale répond au besoin de repère pour les entreprises. Il s'agit d'un repère, non seulement pour poser les bases d'une politique de Compliance, mais également pour suivre l'évolution du droit de la Corruption.

Les organismes tels que GIACC ont aussi le gros avantage d'être totalement gratuits. Ce qui n'est pas une mince qualité au regard du caractère complet de leurs travaux.

La « Soft Law » permet donc d'apporter des interprétations de la Loi, voire de la compléter.39 Cependant, certains inconvénients de taille sont à noter.

Tout d'abord, la multitude de ces « règles » entretient un certain flou dans l'ordonnancement de cette « Soft Law ». Difficile, en effet, de déterminer qui de l'OCDE, de l'ONU ou du Conseil de l'Europe aurait le plus de « valeur » en cas de divergence d'opinion. Dans cette hypothèse, il reviendrait à la Compliance de s'assurer d'appliquer la notion la plus sévère, pour éviter un maximum de risques.

Ensuite, se pose la question de savoir ce qu'entraînerait le non-respect d'une norme de « Soft Law ». A priori rien, puisque ces institutions n'ont pas de pouvoir de sanction. Dans ce cas, il convient de se demander quelle est la légitimité de ces normes. Qui de l'entreprise qui se serait fondée sur une norme de « Soft Law », mais n'aurait pas répondu aux contraintes de la Loi ? Pourrait-elle utiliser cet argument comme défense ?

Enfin, se pose également la question des finalités réellement poursuivies par ces organisations privées, dans une sphère qui reste tout de même économique et dont les enjeux financiers sont extrêmement importants.

Section III. Les Finalités affichées de la lutte contre la Corruption

La lutte contre la Corruption a évidemment comme rôle affiché d'éradiquer la Corruption. Mais quelles sont les raisons de cette lutte ? Pourquoi la Corruption est-elle nuisible pour ces institutions ? Quels sont les intérêts défendus, entre les discours et la réalité de cette lutte ?

Il convient donc de s'intéresser au rôle que ces institutions veulent donner à la lutte contre la Corruption (Sous-section 1), avant de s'interroger sur la pertinence de faire peser un si grand poids sur les entreprises (Sous-section 2).

39 C. ROQUILLY & C. COLLARD, « De la conformité réglementaire à la performance : pour une approche multidimensionnelle du risque juridique », Septembre 2009.

33

§1. Une finalité très idéologique

Les raisons affichées au niveau mondial de la lutte contre la Corruption sont - et c'est aussi le rôle des organisations internationales - parfois très idéologiques.

L'ONU énonce ainsi que « la corruption est un mal insidieux dont les effets sont aussi multiples que délétères. Elle sape la démocratie et l'état de droit, entraîne des violations des droits de l'homme, fausse le jeu des marchés, nuit à la qualité de vie et crée un terrain propice à la criminalité organisée, au terrorisme et à d'autres phénomènes qui menacent l'humanité »41. Cette déclaration place donc la Corruption en tant qu'infraction majeure à l'échelle du monde, pratiquement au niveau des crimes contre l'humanité. Mais il n'est pas prévu que la corruption fasse partie des attributions des tribunaux pénaux internationaux pour le moment.

Plus prosaïquement, l'ONU déclare également que « ce sont les plus pauvres qui en pâtissent le plus, car, là où il sévit, les ressources qui devraient être consacrées au développement sont détournées, les gouvernements ont moins de moyens pour assurer les services de base, l'inégalité et l'injustice gagnent et les investisseurs et donateurs étrangers se découragent. La corruption est une des grandes causes de mauvais résultats économiques ; c'est aussi un obstacle de taille au développement et à l'atténuation de la pauvreté » 40.

La Convention OCDE, quant à elle, énonce des objectifs qui semblent tout de même plus proches de la réalité des entreprises, dont le rôle n'est pas - du moins, en principe - de réduire la pauvreté à l'échelle mondiale. Ainsi sont mis en avant le fait qu'il s'agit d'un « phénomène répandu dans les transactions commerciales internationales [...] qui suscite de graves préoccupations morales et politiques, affecte la bonne gestion des affaires publiques et le développement économique et fausse les conditions internationales de concurrence41. Ce rapprochement des grandes valeurs morales et des préoccupations des sociétés commerciales est déjà plus intéressant.

Le rôle donné à la lutte contre la Corruption par l'OCDE a beau paraître moins proéminent, celui-ci apparaît néanmoins plus à la portée des entreprises.

Le UKBA fait honneur au pragmatisme anglais fait lui aussi état du principe d'une « libre concurrence juste ».42

C'est en effet en intéressant les entreprises sur les avantages de la lutte contre la Corruption autant qu'en les sanctionnant sévèrement en cas de non-respect que les institutions ont le plus de chance d'intéresser les sociétés dans cette démarche. Le rôle de cette lutte (et donc d'un service de Compliance) leur paraîtra d'autant plus important s'il peut leur permettre de gagner de l'argent !

Ces mentions ne sont pas sans entraîner une réflexion sur les bénéfices qu'une entreprise pourra tirer, à long terme, si elle venait à s'engager dans la lutte contre la Corruption. Mais le vrai souci qui semble se poser est une question de proportions, d'échelle et de la capacité qu'a une entreprise, à son niveau, pour lutter contre la Corruption.

40 Cf. supra 11, Convention ONU, « Avant-Propos ».

41 Préambule de la Convention OCDE.

42 UKBA, Section 9, « Guidance», 2010.

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§2. La délégation aux entreprises d'un rôle étatique

L'OCDE et l'ONU, en tant qu'institutions internationales ne peuvent qu'inciter les Etats à la mise en place d'une lutte efficace contre la Corruption. En effet, le pouvoir normatif n'appartient qu'aux Etats. Cette affirmation est d'autant plus vraie dans le domaine du droit pénal qui est très régalien.

Le droit pénal est en effet, de par sa nature particulière en son importance dans la gestion des normes sociales, le monopole de l'Etat. Ce dernier est, en principe, seul compétent pour sanctionner les personnes (morales et physiques).

Cependant, devant l'échec des Etats dans la lutte contre la Corruption qui est pénale par nature, force est de constater que le rôle de l'éradication de la Corruption est principalement dévolu aux entreprises (et surtout les entreprises internationales).

C'est un volet de la Compliance non négligeable, puisqu'elle se doit d'édicter des normes internes à l'entreprise à même de sanctionner les individus qui la composent. In fine, les régulateurs effectifs que sont les juridictions compétentes pour faire appliquer le FCPA et l'UKBA se concentrent sur les personnes morales. Charge appartient alors aux entreprises de tout mettre en oeuvre à leur échelle pour éviter les faits de corruption.

Cette charge qui consiste pour l'entreprise en la mise en place des procédures de prévention, de sanctions (disciplinaires) et un contrôle régulier (enquêtes internes) est en réalité celle qui devrait appartenir aux pouvoirs publics.

Les régulateurs n'ont alors qu'on rôle plus aisé de vérification de la mise en place effective de tels mécanismes. Les obligations posées par la Section 7 de l'UKBA et la loi Sarbanes-Oxley43 en sont les parfaites illustrations.

Ces deux lois sanctionnent les entreprises lorsque celles-ci ne peuvent pas prouver la mise en place de mécanismes suffisants pour lutter contre la Corruption en leur sein.

Le rôle de la Compliance devient ainsi celui d'un régulateur à sa propre échelle et les régulateurs étatiques n'ont plus qu'à vérifier que le rôle censé leur appartenir a bien été rempli par les sociétés.

Au-delà de la contrainte économique que cela représente et qui est un des enjeux de la mise en place d'un service de Compliance anti-Corruption efficace, il est légitime de se demander si la finalité d'une entreprise est bien celle-ci. En effet, la raison d'être d'une société réside plus dans son objet social que dans le contrôle du respect des normes sociales !

Quoi qu'il en soit, cette dimension du respect des normes pénales par l'entreprise est la raison d'être des services de Compliance qui se doivent d'être irréprochables sur leur connaissance desdites normes, afin de mettre en place un service efficace mais défendant avant tout les intérêts d'une entreprise sans qui elles n'auraient pas d'existence.

43 Loi du 31 juillet 2002 (Pub. L. No. 107-204, 116 Stat. 745) dite Sarbanes-Oxley Act.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand