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Les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts en Touraine entre 1789 et 1914


par Brice Langlois
Université François-Rabelais de Tours - Master II Histoire de l'art 2017
  

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C. Les sociétés artistiques en Touraine jusqu'en 1914 : entre soutien de la culture locale et diversification des typologies artistiques

À l'évidence, la Société des Amis des Arts profite d'une visibilité importante et de nombreux membres en Touraine depuis sa formation en 1881. Cependant elle n'est pas la seule à participer à l'émulation artistique du département. En effet certains protagonistes, aussi sociétaires des Amis des Arts, s'affairent à la renaissance de la section artistique de la Société d'Agriculture tandis que d'autres sociétés sont créées dans le début de la décennie 1890 dans l'objectif de dynamiser les arts de la région. La spécialisation de certaines sociétés dans des domaines artistiques peu mis en lumière jusqu'alors, apporte aussi à la Touraine une émulation particulière.

a) La renaissance de la section artistique de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et

Belles-Lettres d'Indre-et-Loire

C'est en 1896, que la Société d'Agriculture reçoit dans sa séance du 11 janvier, la proposition du secrétaire perpétuel Auguste Chauvigné, de réorganiser la section des Sciences, Arts et Belles-lettres, puisque croyant « le moment opportun et qu'il y a un rôle à remplir dans la ville par cette section jadis si florissante »178. Si vers le milieu du XIXe siècle, la section des Arts et Belles-Lettres de la Société d'Agriculture est à l'origine de l'organisation des

178 S.A.S.A.B.L., « Extrait des procès-verbaux, séance du 11 janvier 1896 », Annales, t. LXXVI, Tours, Imp. Deslis, 1896, p. 2.

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expositions industrielles et artistiques puis réfléchit à l'organisation d'une exposition de peinture en 1856179 - qui n'aboutit pas finalement - il semble que depuis, son rôle et ses actions se soient considérablement amoindris. Suivant la proposition d'Auguste Chauvigné, une commission est ordonnée. Un certain nombre de membres de cette commission sont aussi sociétaires des Amis des Arts de la Touraine, à l'instar d'Auguste Chauvigné lui-même et de son père, du maire de Tours Eugène Pic-Pâris (1836-1917) et des imprimeurs Jules Deslis et Rouillé-Ladevèze. Près d'un an après, la section artistique élit son bureau présidé par Georges Bouché, publiciste à Langeais. D'autres membres de la Société des Amis des Arts complètent le bureau de la section, parmi lesquels l'avocat Paul Lesourd, vice-président, et l'huissier Paul Villemin, secrétaire.

Peut-être cherchent-ils à palier l'arrêt de l'organisation des expositions de la Société des Amis des Arts de la Touraine ? Dans un premier temps, il semble que non. La section des Arts et Belles-lettres se veut tout d'abord de « se réunir toutes les semaines pour étudier les questions d'art et de littérature à l'ordre du jour, entendre les communications de ses membres », avant de songer à « l'organisation de manifestations artistiques et littéraires, dont les conséquences seront de faire connaître les oeuvres des maîtres anciens et des auteurs locaux »180. Cette démarche prétend mettre en lumière le patrimoine culturel local. Elle s'inscrit de fait dans la politique nationale de décentralisation des affaires culturelles que propose l'État, en développant l'autonomie des régions, tout en maintenant intacte l'unité nationale181.

[É] au moment où se reconstituent les Universités régionales, pourquoi ne ferions-nous pas effort pour favoriser l'éclosion, sur le sol même qui les tient en germe, des talents ignorés, et pour donner aux littérateurs et aux artistes qui ont déjà fait leurs preuves, une consécration qu'ils ne demandaient jusqu'ici à Paris 182?

Favorisant l'Instruction publique, la Troisième République entend donner davantage d'autonomie aux institutions pédagogiques, à l'exemple des universités grâce à la loi du 10 juillet 1896 présentée par Raymond Poincaré (1860-1934), comme le souligne Georges Bouché. C'est dans ce contexte que la section artistique de la Société d'Agriculture s'emploie à favoriser

179 S.A.S.A.B.L., « Analyse des procès-verbaux des séances de la société pendant le 1er trimestre 1856 », Annales, t. XXXVI, Tours, Imp. Ladevèze, 1856, p. 15.

180 S.A.S.B.A.L., « Séance du 6 mars 1897 », Annales, t. LXXVII, Tours, Imp. Deslis, 1897, p. 69.

181 Dictionnaire de l'Académie française, 8ème édition, Paris, Hachette, 1932, [en ligne], http://www.cnrtl.fr/definition/academie8/régionalisme , consulté le 06/04/2017.

182 S.A.S.B.A.L., « Compte-rendu de la soirée de gala du 1er mai 1897 », Annales, t. LXXVII, Tours, Imp. Deslis, 1897, p. 72.

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les arts en dehors de Paris. Elle organise une soirée de gala le 1er mai 1897, puis deux conférences consacrées d'abord à Béranger par l'éminent critique et journaliste parisien Francisque Sarcey (1827-1899), puis à Alfred de Vigny par Louis Chollet (1864-1949) à Loches. De fait, la section des Arts et Belles-Lettres se veut de donner une émulation artistique dans tout le département, en proposant dans différentes localités un certain nombre de manifestations culturelles tentant de lutter dans une certaine mesure contre l'hégémonie de la capitale sur la province.

En ce qui concerne plus particulièrement les Beaux-Arts, la section artistique prévoit l'organisation de concours de dessins, en plus des concours de poésie, prose, théâtre et musique183. Aussi, dès 1898 elle s'intéresse à l'organisation d'une exposition de peinture, sculpture et gravure ainsi que d'arts industriels dans le but de donner aux contemporains et notamment aux jeunes artistes les moyens de se produire devant un public. La première exposition de la section est ouverte du 1er au 24 avril 1898184 et semble être attendue avec impatience par les Tourangeaux, comme en témoigne ce rédacteur du Journal d'Indre-et-Loire quelques jours avant l'ouverture.

Le réel intérêt que présentera cette exhibition d'oeuvres diverses et essentiellement tourangelles, autorise la section à compter sur une entière réussite qui l'obligera à renouveler chaque année son heureuse tentative d'aujourd'hui ; et c'est ainsi que Tours aura dorénavant un Salon annuel.

Comme le fait remarquer ce journaliste, l'exposition joue essentiellement le registre du savoir-faire local en présentant à la fois des céramiques, des soieries et des livres de la maison d'édition Mame, à l'instar des Évangiles illustrés d'après les aquarelles de James Tissot (18361902) (fig. 8). Aussi l'organisation de cette exposition et des suivantes semble combler le vide que laisse l'arrêt soudain des expositions de la Société des Amis des Arts. À son échelle, Tours paraît reproduire le modèle des différents salons artistiques parisiens, en présentant presque annuellement les ouvrages des artistes locaux. Ainsi de 1898 à 1935, la section artistique de la Société d'Agriculture d'Indre-et-Loire organise au moins trente-deux expositions 185 . À l'évidence la gestion difficile de la Société à partir de 1936 et la concurrence de la Société de

183 S.A.S.B.A.L., « Séance du 24 mai 1897 », Annales, t. LXXVII, Tours, Imp. Deslis, 1897, p. 104.

184 [ANONYME], « Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres : une exposition à Tours », Journal d'Indre-et-Loire, n° 57, 9 mars, p. 2.

185 Expositions de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d'Indre-et-Loire, Tours, A.M., 48Z 17.

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Géographie - fondée en 1883 -, la conduit à stopper l'organisation des salons artistiques tourangeaux, en plus de l'édition de ses Annales186.

Durant près de quarante ans, la section artistique de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres participe à l'émulation de la vie culturelle tourangelle, en créant à la fois des concours pour les artisans d'art et les artistes ainsi qu'en organisant des expositions. Si au début du XIXe siècle, la Société d'Agriculture est la seule à s'efforcer au développement de l'art en général et des arts appliqués en particulier, à la fin du XIXe siècle c'est encore elle qui prend le relais de la Société des Amis des Arts, en ce qui concerne l'organisation des expositions à Tours. Néanmoins à cette période, elle n'est pas la seule à seconder le développement artistique en Touraine.

b) Protéger la culture locale et encourager le développement d'un nouvel art : l'exemple de la Société Littéraire et Artistique et de la Société Photographique de Touraine

Si à l'aube du XXe siècle des sociétés savantes comme la Société Archéologique et la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres fêtent respectivement leur soixantième et cent trente-neuvième anniversaire et s'efforcent comme dans leurs premières années à l'encouragement de la culture en Indre-et-Loire, d'autres au contraire sont fondées depuis seulement quelques années, à l'instar de la Société Littéraire et Artistique et de la Société Photographique. Toutes deux entendent s'engager dans le développement des arts dans le jardin de la France, bien que manifestant des intérêts différents.

Fondée en 1895 à l'initiative de Léon Pineau (1861-1965), professeur d'allemand, historien de la littérature et futur recteur de l'académie de Poitiers, de Prospère Suzanne (18471913), écrivain et chroniqueur tourangeau et d'Horace Hennion (1874-1952), poète, la Société Littéraire et Artistique de la Touraine s'engage dans la vie culturelle du département en s'efforçant de « vulgariser les oeuvres des vieux auteurs tourangeaux, de propager les productions littéraires et artistiques des compatriotes et d'encourager la culture des lettres et des arts dans le pays »187. Ainsi la Société semble vouloir s'intéresser autant à la littérature ancienne qu'à l'émulation des oeuvres des artistes vivants, qu'ils soient littérateurs, musiciens, peintres ou sculpteurs. Toutefois, comme le fait remarquer Pierre Audin dans son étude consacrée à cette société, peu d'éléments permettent de reconstituer les actions de ses premières

186 LAURENCIN, Michel, « La Société d'Agriculture... », op. cit., 2010, p. 119.

187 Registre d'inscription des sociétés de l'arrondissement de Tours, f 51-52, Tours, A.D., 4M 197.

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années d'existence188. Il paraît néanmoins que la société privilégie davantage les activités musicales et dramatiques que les manifestations de Beaux-Arts. Outre sa première soirée de gala organisée en février 1897, au théâtre municipal de Tours sous l'égide de l'Alliance Française et de la Croix Rouge, la société s'emploie chaque année à la tenue de plusieurs spectacles de théâtre et de musique, alors qu'elle n'organise qu'une exposition entre 1895 et 1912189.

À partir de 1912 son action est mieux renseignée, puisqu'elle publie une revue mensuelle intitulée La Touraine revue littéraire, artistique, scientifique et mondaine dont le comité de rédaction réunit bon nombre de membres des sociétés savantes de la région190. De fait, il est probable que la création de ce quotidien artistique regroupant l'élite intellectuelle locale, ait permis à son rédacteur en chef, Horace Hennion, président de la Société Littéraire depuis 1912, la fondation des Jeux floraux de Touraine en 1920191. Outre sa dénomination, cet événement culturel paraît être inspiré des fêtes littéraires toulousaines instituées depuis le XIVe siècle et qui proposent notamment des joutes poétiques et des concours théâtraux et musicaux. De surcroît la nomination d'Hennion au poste de conservateur du musée des Beaux-Arts de Tours l'année de la création des Jeux Floraux, ne peut qu'ajouter du crédit à cette nouvelle manifestation littéraire qui est maintenue jusqu'en 1953192.

Si la Société Littéraire et Artistique de la Touraine s'inscrit dans une perspective somme toute analogue à la Société Archéologique et à la section des Arts et Belles-Lettres de la Société d'Agriculture, d'autres sociétés proposent l'étude et le développement d'arts encore jamais sinon peu mis en lumière dans le département. Tandis que la Société des Architectes Tourangeaux se présente comme une confraternité des architectes de la région, la Société Photographique de Touraine réunit à la fois des artistes et des amateurs.

La Touraine paraît être un terreau fertile en ce qui concerne la photographie. Durant l'exposition de la Société des Amis des Arts de 1885, des photographies de Gabriel Blaise (1827-1897) représentant les châteaux de la Loire, dont celui de Chenonceau (fig. 9) sont

188 AUDIN, Pierre, op. cit., 2008, p. 137.

189 Ibid., p. 137-138.

190 [ANONYME], La Touraine, revue littéraire, artistique, scientifique et mondaine, n 1, Tours, Imp. Ch. Buré et Cie, 15 octobre 1912, p. 1,

191 HENNION, Antoinette (éd.), Horace Hennion animateur des Lettres et des Arts en Touraine, Tours, Arrault et Cie, 1953, p. 5.

192 AUDIN, Pierre, op. cit., 2008, p. 145.

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exposées au milieu des Beaux-Arts193. Cela est encore relativement rare dans les expositions de province à cette époque. Sur l'ensemble des expositions artistiques françaises de la décennie 1880, un quart seulement comporte en effet des présentations de photographie194. L'exposition tourangelle de 1885 participe à son échelle et dans sa localité à l'arrêt de la querelle survenue au cours du XIXe siècle entre peinture et photographie195 et semble encourager la création d'une Société Photographique à Tours.

Fondée en 1891 par arrêté préfectoral en date du 20 juillet, la Société Photographique se propose de « grouper les amateurs photographes de la région, de mettre en commun les observations personnelles, les connaissances et la pratique de chacun des membres, d'aider les débutants dans cet art qui chaque jour fait de nouveaux adeptes »196. La période de formation de la Société Photographique de Tours correspond finalement à l'époque de démocratisation technique de la photographie depuis son invention par Nicéphore Niépce (1765-1833) et Louis Daguerre (1787-1851)197. En effet en 1888, est lancé l'appareil photographique Kodak pour lequel son inventeur Georges Eastman (1854-1932) appose le slogan : « Vous appuyez sur le bouton, nous ferons le reste »198. Pour autant la société ne semble pas se réduire à cette facilité technique, en mettant à disposition de ses membres « un atelier bien éclairé, permettant d'y faire le portrait, deux laboratoires de développement, de nombreux appareils, des collections de diapositives à projection et une bibliothèque »199. Si la société entend proposer un cadre de travail confortable à ses membres, elle paraît vouloir encourager la photographie en tant que médium artistique plutôt que simple support de reportage et de reproductibilité.

La photographie semble toucher en Touraine un public d'amateurs relativement nombreux. Plusieurs membres de la Société Photographique de Touraine à l'exemple de son président Jules Deslis et de l'un de ses assesseur Paul Briand, sont aussi sociétaires d'autres

193 [ANONYME], « Société des Amis des Arts de la Touraine », Journal d'Indre-et-Loire, n 137, 13 juin 1885, p. 2.

194 MOULIN, Raymonde, op. cit., 1976, p. 390.

195 BENJAMIN, Walter, Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit, 1935 (L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, trad. de l'allemand par Lionel Duvoy, Paris, Allia, 2014).

196 [ANONYME], Annuaire historique, statistique et commercial du département d'Indre et Loire, Tours, Mame, 1900, p. 315.

197 BENJAMIN, Walter, Kleine Geschichte der Photographie, 1931, (Petite histoire de la photographie, trad. de l'allemand par Lionel Duvoy, Paris, Allia, 2012, p. 7).

198 DAVAL Jean-Luc, « PHOTOGRAPHIE (art) - Photographie et peinture », Encyclop3/4dia Universalis [en ligne] : http://www.universalis-edu.com.proxy.scd.univ-tours.fr/encyclopedie/photographie-art-photographie-et-peinture/, consulté le 09/042017.

199 [ANONYME], Annuaire historique..., op. cit., 1900, p. 315.

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associations artistiques, telles que la Société des Amis des Arts de la Touraine et la Société d'Agriculture. La création des sociétés artistiques de Tours résulte à l'évidence d'un réseau d'amateurs engagés dans le développement de l'art dans la région en général et de protection des arts et des artistes de la localité en particulier.

Ce chapitre consacré à l'histoire des sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts, ainsi qu'à la définition des jeux de réseaux les constituant, a valeur de synthèse tout en se voulant être la première étude critique les étudiant toutes ensembles. Il semble dès lors avoir permis de mettre en évidence la réalité du contexte de création de ces sociétés, tout en permettant de redécouvrir un certain nombre d'entre elles, à commencer par la première Société des Amis des Arts. Si entre 1789 et 1914, les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts prennent à l'évidence des formes variées et ne partagent pas toutes les mêmes intérêts artistiques, toutes sont néanmoins investies par des protagonistes éclairés semblant avoir conscience de leur devoir d'encouragement des arts en Touraine. Si l'étude chronologique de ce large corpus de sociétés a déjà permis de mettre en exergue les réseaux de sociabilité propres à la constitution des sociétés, il semble qu'il faille dès à présent s'intéresser au quotidien des sociétés tourangelles.

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CHAPITRE II. LE FONCTIONNEMENT DES SOCIÉTÉS ARTISTIQUES TOURANGELLES

I) De l'écriture des statuts à la question du local : des préoccupations quotidiennes

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld