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Les bals de lycée dans l'Utah: Etude anthropologique d'un rite de liminalité : famille, adolescence et sexualité


par Christelle Lardeux
Université Aix-Marseille - Master 1 : anthropologie sociale et culturelle parcours 1 2018
  

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Partie I - Approche théorique et méthodologique

I. Méthodologie : construction d'un objet empirique

A Le terrain

Le terme « tribu » plutôt que « communauté » que développe A. Hyman me parait juste en parlant des Utahns : ainsi il considère le terme de « communauté » comme « trompeur » dans son utilisation par les Américains. Il pense que le fonctionnement est tribal car on reconnait très vite un indien d'un évangéliste.... Il considère la capacité qu'ont les Américains à sortir de leur « milieu », la tribu est ouverte, la communauté non. Il établit que les Américains ont une origine duale, triple voire quadruple. Selon lui, c'est ce qui fait que la société américaine ne s'effondre pas car ce creuset finit par s'amalgamer dans une identité nationale (HYMAN, 2016, 14).

La société mormone a souvent cette connotation de communauté voire de secte. Or les mormons apparaissent plus ouverts sur le monde qu'il n'y parait, même si c'est sous couvert d'un prosélytisme religieux. Il y a une attitude d'accueil au lycée de ma fille. Les familles mormones particulièrement recoivent des adolescents d'ailleurs, Mormons ou non-Mormons. Là où nous habitions, ils viennent essentiellement de l'Amérique du sud mais Bruyère a eu aussi un camarade venant d'Allemagne.

1. Un peu d'histoire

L'Utah est un jeune état américain. Du fait de son histoire d'origine, liée à la persécution d'une dissidence religieuse menée par les frères Smith : les Mormons. L'Utah est « un état d'esprit » avant tout. Les autochtones sont des Indiens Pueblo essentiellement. Petit à petit, d'autres populations indiennes : les Utes notamment vont s'installer. Ils sont d'origine mexicaine et liés aux Navajos du sud-est des Etats-Unis. Le territoire va rester sous domination mexicaine jusqu'à l'arrivée de premiers colons Mormons en 1847. Le traité signé établissant l'Utah comme Etat est établi en 1850. Mais ce n'est qu'à l'aube du 20ème siècle qu'il devient état fédéré après s'être engagé à renoncer à la polygamie.

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2. Les Mormons et les premiers colons

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On ne peut pas parler de l'Utah sans aborder la religion mormone. Les analyses sur cette confession religieuse que j'ai trouvée dans « Devenir Mormon » de Sophie-Hélène Trigeaud confirment mes propres observations ethnologiques. La conclusion est qu'il s'agit probablement moins d'une religion que d'une culture (TRIGEAUD, 2013).

John Smith est investi à l'âge de 14 ans d'une vision où deux personnages se présentent à lui. Ces derniers vont lui indiquer où sont cachées les véritables écritures bibliques. Il est alors demandé à John Smith de remettre les hommes sur le véritable chemin suite à la perversion et l'éloignement des écrits sacrés d'origine (idib, 16). 7

Accompagné de son frère, John Smith se lance dans une quête prosélytique. L'église mormone est créée. Elle se consolide très vite socialement, politiquement et religieusement. La polygamie est pratiquée et revendiquée. La communauté s'agrandit. Les Mormons cherchent alors un lieu de vie. Mais si l'accueil se déroule parfois favorablement notamment dans l'Illinois, très vite l'organisation structurelle des Mormons pose problème (notamment la polygamie), entraînant des persécutions.

A ce moment de leur histoire, John Smith commence à être mis en difficulté par la légitimité des textes sacrés qu'il transmet (dont notamment qu'une terre promise les attend). Mais habité par ses convictions, il continue sa quête et attend d'être guidé. C'est son frère qui reçoit le premier une vision lui indiquant où se rendre. Lorsqu'ils arrivent dans ce désert que représente le territoire des Utes, les premiers colons n'ont que leur croyance et la force de leur bras pour construire leur pays. Le Tabernacle de Salt Lake City sera construit en premier. Depuis, L'Utah est avant tout un état d'esprit. L'empreinte des pionniers, l'individualisme pour construire sa vie de famille, et l'entretien de la vie communautaire sont encore fortement ancrés dans les mentalités.

La désaffection religieuse qui a touché particulièrement l'Europe et surtout les jeunes pendant plusieurs décennies fut moins accentuée dans le nord-américain. (KOSTECKI, 2016, 10) (TRIGEAUD, 2013, 153-155). On peut même parler d'après ces auteurs de « vitalité religieuse », plutôt « conventionnelle » (chez les adolescents). La religion mormone n'apparait donc plus comme un particularisme. De nos jours, c'est une religion en pleine expansion. Bien que le nombre des fidèles mormons ne soit pas significatif par rapport aux autres religions8, les chiffres montrent que la communauté double tous les vingt ans. Cet essor s'explique par une natalité importante mais pas seulement, on peut penser que l'organisation des missionnaires a aussi son impact. (TRIGEAUD,

John Smith explique qu'un ange lui aurait livré un texte sacré ancien...... Lors de la première vision, le Père et son fils J-C seraient apparus pour enjoindre de ne se lier à aucune communauté religieuse tombée dans l' « apostasie ». Puis Moroni aurait indiqué l'endroit où se trouvaient les plaques du Livre... » C'est aussi ce que nous avaient expliqué les missionnaires Mormons.

8 A nuancer si on compare avec d'autres chiffres : une amie me faisait remarquer que le nombre de Mormons était équivalent au nombre de juifs dans le monde. Je suis allée vérifier. En effet, il y a 14 millions de Juifs dans le monde et 16 millions de Mormons.

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2013, p. 18)9. Les missionnaires sont des jeunes de 19 à 22 ans qui partent dans une autre région (USA ou le reste du monde) pendant 18 à 24 mois. Leur mission consiste à mettre en place des activités de services et d'aides à la personne et de diffusion de la Bible mormone, en proposant quelques lectures et prières. Ces services peuvent être : des cours de langue, trouver des vêtements à des familles défavorisés, apporter son soutien aux personnes âgées, organiser des activités pour des jeunes enfants : jeu, sport, activités ludiques.

Source : http://www.city-data.com/city/Bountiful-Utah.html

Dans ce mémoire, les lecteurs trouveront souvent le terme « l'Église ». Cela désigne à la fois le lieu et l'office du dimanche. On ne parle pas de « messe » mais de l'Église en ce qui concerne l'office.

A propos des pionniers, les informations que j'ai recueillies en visitant le musée de l'histoire de l'Utah, montrent que les premiers pionniers n'étaient pas tous Mormons. Ils y avaient aussi d'autres colons poussés par la ruée vers l'or, la conquête de l'ouest, chercheurs de terre où s'installer. Cet esprit pionnier est encore très actif dans les mentalités. Il s'exprime notamment dans l'attitude à toujours réaliser toute opportunité, à valoriser l'idée d'efforts, de courage. Les termes « opportunity » « you're brave » « you're champion » sont quotidiennement employés dans les familles comme à l'école. La vie quotidienne est rythmée par l'action et ce qu'il y a à faire. Les gens se plaignent très peu, ils agissent. Le système scolaire repose avant tout sur l'apprentissage de savoir-faire. Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'y a pas de problème. La dépression et les suicides sont une réalité inquiétante. Même à l'école primaire, sont donnés les chiffres des dépressions et des suicides des enfants, adolescents et adultes.

9 « La reconduction de cette enquête en 2004 faisait encore état d'une progression numérique en plaçant les Mormons en tête...avec une croissance de 1.88%. En 2005, la communauté s'était alors hissée à la quatrième place nationale(USA). »

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3. Les référents institutionnels

L'Utah a plusieurs emblèmes :

· La ruche : on la trouve sur les panneaux de circulation

· L'aigle, plus exactement le pygargue, représentant les USA, et ayant pour symbole la protection.

Sur le drapeau : au centre se trouve la ruche, symbole de l'Utah. Au-dessus l'aigle américain, signifiant que l'Utah se rallie aux Etats-Unis et le soutiendra toujours. Les lances dans les serres montrent le courage des Utahns. Le calochortus représente la fleur symbole de paix. L'ensemble est entouré d'un cercle d'or, représentant la protection divine.

B Mon immersion

En ce qui concerne le terrain d'étude : j'ai été partie prenante de l'expérience en tant que témoin et observatrice. Ma principale interlocutrice est ma fille : Bruyère. Le lecteur peut penser que mon implication est trop personnelle. Si cette question émerge je peux opposer que Bruyère est une adolescente très « populaire ». Ses relations amicales sont très nombreuses et variées. Elle a su se faire plusieurs cercles : des adolescents Mormons, non-Mormons, hispaniques (grâce auxquels elle est trilingue aujourd'hui), Américains et étrangers. Même si les Mormons ont tendance à rester entre eux, ils se mélangent aussi avec les autres. Ainsi, le nombre de Mormons sera simplement dominant dans un groupe donné. A ce panel s'ajoutent mes propres connaissances : des relations de travail, de voisinage.

L'avantage indiscutable que j'ai eu fut mon immersion du fait de ma situation professionnelle et familiale. J'arrivais avec trois enfants et la population locale m'a immédiatement intégré un peu partout. Ainsi donc j'ai pu acquérir une légitimité immédiate.

Je mentionnerai de temps en temps mon binôme américain : Courtney Pirouznia. Je dois expliquer le contexte professionnel. J'enseignais le français à des classes de CP. En fait, j'avais

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deux classes de 26 à 28 élèves : soit entre 52 et 56 élèves répartis. Le matin, une classe avait anglais et l'autre français et l'après-midi nous échangions les groupes. Nous travaillions donc en binôme. Les enseignants français s'occupaient du français, des maths, des sciences et de l'art. Les enseignants Américains s'occupaient de l'anglais, de l'art aussi et de l'histoire. Courtney non-mormone, a 2 enfants adolescents.

J'utiliserai fréquemment le récit de vie pour illustrer mes propos. J'ai pu voir dans nombres de thèses actuelles que j'ai consultées ( theses.fr) ce choix méthodologique. Et donc je choisis de faire aussi cet exercice. Néanmoins, dans les thèses que j'ai consultées, le récit de vie est souvent une partie en elle-même alors que j'ai choisi d'incorporer des passages de récit de vie dans mes différents chapitres. J'espère que ce choix paraitra judicieux par rapport à mon sujet.

II. Présentation du mémoire

Pour préparer ce mémoire, j'ai utilisé des documents de la bibliothèque « Les Fenouillères » du site universitaire. Néanmoins, mes ressources principales furent internet. J'ai travaillé en grande majorité sur les liens de recherches préconisés par l'université. En plus, j'ai eu accès à un certain nombre de documents sur le site de l'Université de Laval, au Canada. Je me suis servie uniquement de documents numériques dans leur texte intégral. Et lorsque je le pouvais, je trouvais l'ouvrage papier. Je suis consciente de la facilité que nous offre l'outil informatique et notamment internet mais aussi de ses limites en tant que sources. Le site « theses.fr » m'a permis d'accéder à des thèses récentes proches de mon sujet. L'une de mes principales difficultés a été de trouver des documents récents en ligne sur le sujet. Le fait aussi que beaucoup d'études sur la famille, la sexualité ou l'adolescence concernaient des sujets en France. Or par exemple, la plupart des études indique un affaiblissement du mariage et des naissances. Ce n'est pas le cas en Utah où le nombre de mariage et la natalité sont importants (voir annexe).

Après une première partie sur les aspects théoriques et méthodologiques, ce mémoire de master 1 présentera un chapitre sur la famille en Utah, avec un éclairage sur les familles mormones et non-mormones. Ainsi qu'un chapitre sur l'adolescence à Bountiful, qui sera une approche ethnologique à partir de mes observations et des témoignages de Bruyère et de ses camarades. Le troisième chapitre portera sur la sexualité dans l'Utah. Une troisième partie sera consacrée aux bals et à leur organisation avec une analyse éclairée par mes lectures. Enfin, une dernière partie apportera des analyses complémentaires à mon sujet.

Il est important de noter que je vais conserver quelques termes anglais. J'en préciserai leur traduction et leur sens, dans le contexte de la tranche d'âge concernée : les adolescents. En effet, il

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est souvent difficile de trouver dans les traductions une sémantique équivalente.

A propos du terme « utahn » : on ne parle pas dans les publications françaises de société utahne, de famille utahne... C'est un terme qu'en revanche on trouve en Utah : « utahn society ». Je choisis donc de l'utiliser en français. Vous trouverez donc les termes : société utahne, famille utahne, adolescent utahn.

Enfin, je mets en italique les citations que j'utilise.

III. Une approche pluridisciplinaire A Regard sur les Rallyes français

Le terme « rallye » a plusieurs origines : il était employé dans la chasse à courre et c'est aussi un mot anglais « to rally » (réunir). Ce type d'événements a été créé au lendemain de la guerre dans le but de se reconnaitre entre pairs et d'affirmer l'appartenance à une classe sociale. La revendication toujours plus grande du choix personnel du partenaire a amené la création de ces soirées. Il existe plusieurs rallyes. Et il faut passer une sélection pour en faire partie. Un jeune peut appartenir à plusieurs rallyes. Il y a un engagement financier et personnel important. Les familles s'engagent à organiser une réception par an. Même si aujourd'hui, les soirées tendent à laisser place à plus de créativité, ce sont des organisations très protocolaires. Les rallyes sont organisés par les familles. Celles-ci restent présentes même si elles sont discrètes. Les éléments constitutifs vont être : les lieux de la fête, le protocole d'organisation (tenue vestimentaire en général très habillé voire sur-mesure ; l'annonce des personnes arrivant...), les invitations. Les acteurs de la soirée font partie d'une liste close. Les rallyes concernent toute la période de l'adolescence : vers 12-13 ans débutent des rallyes d'apprentissage : journées d'activités, goûters, de jeux de société type bridge, apprentissage des danses (rock, danse de salon) et des règles de bienséances. (LUCA, 2014-2015) (JOLY, 2009). Ici, on peut parler de ghettoïsation sociale et politique (COGET, 2018), car ils sont endogames alors que, comme nous le verrons dans ce mémoire, les bals de lycée sont exogames. Le but principal de ces soirées est de se constituer un carnet de connaissances dans lequel potentiellement on pourrait trouver un futur conjoint. L'objet de notre sujet comme nous le développerons ci-dessous est plus de se préparer à « l'idée du mariage » qu'à la recherche d'un partenaire. Il ne s'agit pas d'une quête de la reproduction sociale mais d'une réalisation de réussite personnelle et sociale dans le mariage et la famille. Les adolescents semblent peu enclins à la rébellion et/ou la remise en cause dans les rallyes comme dans les bals. Du point de vue du rite de passage, les rallyes rentrent dans un rituel d'agrégation alors que comme nous le verrons les bals relèvent de la liminalité.

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B Regard ethnologique sur les Fest-Noz

En 2005, Dominique Crozat et Sébastien Fournier notaient que la conceptualisation du champ des fêtes et du loisir était faible alors que ce sont des pratiques très actives, soumises à des statistiques et à des études diverses notamment touristiques. (FOURNIER D. C., 2005, 308). La fête s'est longtemps opposée aux cérémonies, commémorations... Elles étaient considérées comme profanes et s'opposaient ainsi à celles, sacrées, relevant souvent de la religion. La fête s'inscrivait dans une action purgatoire : « il faut que jeunesse se passe ».10 Le regard ethnologique sur les fêtes n'est plus orienté sur l'opposition sacré-profane mais sur la notion de patrimonialisation (FOURNIER L. S., 2003). Le Fest-Noz nous permet un éclairage sur les représentations, les pratiques et enjeux. Cette fête traditionnelle fait l'objet actuellement d'une déclaration au patrimoine mondial culturel (PCI). « C. Augé et Y. Paire (2006), le monde du bal est un monde en soi. Ces auteurs ont réalisé un travail sur l'engagement corporel dans les danses traditionnelles de France métropolitaine. Le fest-noz étant considéré comme un « bal de danse traditionnelle ». Un bal, selon les auteurs, peut succéder à l'autre et emmener les danseurs jusqu'au bout de la nuit ; une nuit aussi longue et diversifiée qu'une journée, avec des temps de danse, des temps de rencontre, des temps de restauration et de repos, un rythme propre qu'il faut longtemps pour comprendre et pénétrer». (AGUIAR, 2017, 351 ). Si le Fest-Noz est une forme d'enracinement territorial ce n'est pas le cas des bals de lycée. Dans le cas d'un enracinement, cela suppose une stabilité de la population qui s'inscrit alors dans une reconnaissance socio-historique et ethnoculturelle. On peut parler de « lieu-mémoire » (AGUIAR, 2017, 346 ). Si on peut attester qu'il y a une part de cela en Utah, notamment dans la revendication de leur histoire pionnière et religieuse, la mobilité géographique reste importante (voir annexe 1). Le patrimoine culturel immatériel qu'est le Fest-Noz crée ainsi un territoire : « espace d'identité, d'investissement affectif et culturel, et évoque des sentiments d'appartenance ». (AGUIAR, 2017, 354) Le parallèle avec ce type de fête est intéressant par rapport à la notion de « patrimoine culturel immatériel ». Les bals de lycée sont organisés sur tout le territoire américain mais leur nombre par an et leur organisation varient d'un état à l'autre voire même au sein d'un état. Des collègues expatriés me faisaient remarquer que dans leur district (Provo, Utah), seulement trois bals étaient organisés par le lycée de proximité. Cette pratique festive nationale relève donc bien d'un patrimoine commun à tous. Les travaux d'Yvon Lamy (1992, cité par AGUIAR, 2017) déterminent « plusieurs formes de patrimoine : le patrimoine comme politique publique, qui renvoie à la longue histoire des rapports entre l'État et la nation ; le patrimoine comme mobilisation sociale, en ce qu'il favorise l'appropriation par les acteurs sociaux de leur environnement ; et le patrimoine comme terrain de

10 Mircea Eliade « le sacré et le profane », 1987.

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rencontre entre administrations et associations. D'après l'auteur (Y. Lamy, cité par AGUIAR, 2017), le patrimoine est une ressource pour la reproduction sociale car il se transmet de génération en génération, mais aussi une construction sociale opérant des classements entre les objets et les acteurs sociaux majeurs. En tout état de cause, le patrimoine est un objet construit, légitimé par une institution publique ou scientifique faisant autorité, de préférence l'État, et dont la valeur trouve ses racines dans l'histoire» (Ibid, 343). La performance culturelle (connaitre la technique de danse) du Fest-Noz a un rôle d'outil de communication voire d'action sociale.11 . « Les groupes sociaux communiquent et montrent aux autres leurs valeurs et la façon dont ils veulent être représentés au travers de leurs performances corporelles ». Dans les bals de lycée, la performance ne se situe pas dans la danse mais dans la construction de tous les éléments entourant l'événement. Ils apparaissent alors comme des outils qui ont la même action que la danse des Fest-Noz. De la même façon ils canalisent divers sentiments comme la joie, la détente, l'anxiété, la colère et la tension, voire comme l'a développé V. Turner et que je développe dans la partie suivante, une effervescence, une excitation.

C La liminalité

Le rite contemporain est fréquemment un rite désacralisé car c'est un rite volontaire, personnalisé laissant la place à la créativité avec une fragmentation des passages et une réitération des seuils symboliques. Le rite a une fonction de transformation irréversible. Il a aussi une fonction de reliance. Isabelle Kostecki et Raymond Lemieux ont montré à travers les rites religieux qu'il y a

.

reliance verticale et horizontale. (KOSTECKI, 2016, 63) 12

La reliance verticale concerne tout ce qui va être plus grand que soi (l'institution par exemple), il y a l'idée de transcendance, et la reliance horizontale concerne la communauté des

11 G. Bateson (1972), V. Turner et R. Schechner (1988) et R. Bauman (1992). S. Tambiah (1985)

12 (KOSTECKI, 2016), elle reprend les travaux de R. Lemieux de 2002

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pairs : la reliance sociale.

David Harvengt13 montre dans sa thèse de 2005 sur les bals de fin d'année au Québec, que les adolescents peuvent aller jusqu'à se créer de nouveaux rites totalement personnalisés (CHERBLANC, 2011,60) mais qu'il n'en demeure pas moins que ce sont des rites collectifs. Ainsi les bals pourraient être qualifiés de rites individuels. Cependant la constitution de groupe prévalant sur l'individu dans notre sujet montre qu'il s'agit de rite collectif. Se pose alors la problématique de l'intégration dans le groupe. D. Harvengt établit deux critères : la non-obligation du rite et l'individu dans le groupe. Le bal est pour lui un rite d'initiation et l'initiation à l'université est un rite d'intégration. Les témoignages parlent de « cheminement », une prise de conscience que c'est la fin de quelque chose mais que d'autres choses aussi important se préparent. Il est évoqué comme une « fin collective ». Il note que même s'il n'y a pas de caractère obligatoire ou de pression, la participation est importante car « les jeunes ont un besoin et une demande de rituels, de créer un temps intense hors du quotidien. Pour lui, les jeunes cherchent ainsi des « balises » individuelles et collectives qui expriment une reconnaissance personnelle et sociale de leur accomplissement et de leur appartenance à leur communauté. » (Ibid, 61). Il reprend aussi les travaux de Michel Maffesoli qui parle de « tribalisme postmoderne » mélangeant distinction et fusion dans des groupes où prévaut « la conviction d'une destinée commune ».

Victor Turner (1990) va proposer le concept de liminalité (seuil). Il étend les travaux de Van Gennep, (VAN GENNEP, 2011, ) à toutes les situations de transition. Cela concerne des lieux, des moments, des étapes de la vie. La liminalité indique une période ou un lieu temporaire14 sauf dans le cas de « personne liminale »15 où il y a un caractère permanent (comme chez la personne handicapée) (BLANC, 2008). « Si elle traduit une transformation des identités, il ne s'agit pas d'un passage entre identités normées, mais plutôt du processus social d'interactions par lequel se retravaillent des identifications. La liminalité est ainsi posée comme un mode de construction de soi, qui passe par l'hybridation, le métissage et le refus de formes imposées. Le «ni l'Un ni l'Autre» des travaux antérieurs devient l'«articulation d'éléments contradictoires» (Bhabha, 1994). L'incertitude et le danger de la situation demeurent, puisqu'elle conduit à la contestation de la norme. » (FOURNY, 2013). C'est un processus complexe de différenciation de nouvelles catégories. Les travaux d'Homi Bhabba (FOURNY, 2013) montrent que la liminalité ne construit pas l'individu par le conflit autour d'une hiérarchie de valeurs mais par un processus de construction et même de production de références institutionnelles. A l'opposé, Théodoro Patera,

13 Harvengt, David, 2005, Le faste et la farce. Les rituels contemporains en milieu scolaire. Université Laval, thèse de doctorat en ethnologie. In (CHERBLANC, 2011, 56-72).

14 Marie-Christine Fourny, « La frontière comme espace liminal », Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine [En ligne], 101-2 | 2013, mis en ligne le 07 avril 2014, consulté le 04 juin 2019. URL : http://journals.openedition.org/rga/2115 ; DOI : 10.4000/rga.2115

15 SCARPA Marie, « Le personnage liminaire », Romantisme, 2009/3 (n° 145), p. 25-35. DOI : 10.3917/rom.145.0025. URL : https://www.cairn.info/revue-romantisme-2009-3-page-25.htm

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montre dans son article « liminalité et performance »16 que cette marge rituelle comporte des similarités avec la dramaturgie et qu'elle est de ce fait forte de créativité. Le drame social qui se joue dans cette phase permet des ajustements et réajustements au sein d'espaces liminaires. Il (le drame social) « ... relève d'un caractère performatif, puisque dans la mise en question des règles ordinaires sur lesquelles se fonde le groupe social, les parties en conflit donnent vie à une sorte d'expérimentation de rôles, comportements, structures visant à créer une structure alternative à celle qui a échoué. » (PATERA, 2014, 9)

Martine Segalen montre que le temps « liminaire » (TURNER) est souvent une période de ségrégation qui entraîne un isolement. Cet isolement est sociologique (séparation avec le groupe) et géographique (tente de sudation...). Les futurs initiés sont exclus de la communauté, donc sans protection et ainsi se confrontent aux forces du mal. (SEGALEN, 1998, 35-36). Si je considère les bals de lycée comme un seuil de passage. Le processus est inverse : il n'y a pas d'isolement entrainant une mort symbolique. La chrysalide se déploie dans un temps continu. Il y a dans ce rite contemporain une fluidité des étapes de vie. C'est la « communitas existentielle » de Victor Turner. C'est-à-dire « du vivre et du sentir communautaire » qui se manifeste au travers du « nous effervescent ». « Le vouloir vivre et sentir communautaire ne se manifeste-t-il pas, dans le moment du rituel, qu'au travers de sa forme inachevée que constitue « l'être ensemble », le « nous effervescent », toujours contingent et provisoire» (DARTIGUENAVE, 2012). Les membres du rite liminal se trouvent dans une dynamique de coprésence, « Elle (la coprésence) autorise

l'indifférence réciproque entre semblables, mais non celle de chacun envers l'unité de lieu et de

temps qui les rassemble tous. Ici, le tout agit comme tel, réunissant des parties sans que celles-ci

disposent de l'autonomie susceptible de redéfinir le tout. ». (DARTIGUENAVE, 2012, 23) La « communitas existentielle » s'inscrit dans une « atmosphère communielle » laissant une large part au ludique et à la recherche esthétique. C'est «entre des moments de forts désirs fusionnels et

d'autres où l'individu réflexif prend distance par rapport au scénario qui rarement l'engage

totalement... » (C. Rivière, cité par DARTIGUENAVE, 2012, 20). La seule fin en soi est

l'accomplissement du rituel qui remplit sa fonction de promesse de rencontre de l'autre, de

« renouvellement permanent ». ( DARTIGUENAVE, 2012)17. Tout au long de ce travail, nous

verrons que les différents aspects évoqués ici concernent les bals au lycée. Les mots clés de

« communitas existentielle », « coprésence », « provisoire », « forme inachevée », « effervescent »,

« renouvellement permanent » sont propres à qualifier les bals de lycée.

D L'adolescence et la sexualité

16 Teodoro Patera, « Liminalité et performance : de l'anthropologie de Victor Turner aux Folies Tristan », Perspectives médiévales [En ligne], 35 | 2014, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 04 juin 2019. URL : http://journals.openedition.org/peme/5025 ;

In (DARTIGUENAVE, 2012)

17 M. Maffesoli, La conquête du présent, Paris, PUF, 1979, p. 127.

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L'adolescence est caractérisée par des transformations mentales et corporelles. Il s'y mélange des pulsions (vie-mort), des désirs sexuels sur des développements narcissiques, d'une approche du relationnel idéalisé (les mots : amis à la place de copain, le meilleur ami, la meilleure amie). Le rapport à la sexualité est plus explicite : l'élaboration de la sexualité va de « l'amour courtois) à l'érotisme. Alain Braconnier dans son article du dernier Sciences Humaines : « Qu'est-ce que l'adolescence ? » fait le lien avec la psychanalyse et le complexe d'Oedipe marquant ainsi le passage à l'acte sexuel autorisé. Il parle de « consolidation des fonctions et intérêts du moi » à la fin de l'adolescence. Cette période de vie marque trois changements d'état : l'acquisition progressive de l'autonomie vis-à-vis des parents (voire financière : les nombre d'adolescents utahns qui occupent des petits emplois est important), l'acceptation du corps (Lacan : le stade du miroir) et de la sexualité, et pour finir la projection des choix de vie. L'adolescent va s'individualiser, apprendre à poser ses limites (de la tolérance à ce qu'il juge intrusif) et essayer d'installer son idéal. Il va répondre ou pas aux attentes sociales (A. BRACONNIER : « les adieux à l'enfance » cité par BEDIN, 2019, 43-44).

Martine Fournier (BEDIN, 2019) reprend les travaux de Dominique Pasquier « Lycéens, la culture des pairs » pour montrer qu'en France, le clivage de classe est moins accentué chez les adolescents. On parlerait ainsi plus de « culture des jeunes » qui serait une mixité sociale : le banlieusard peut écouter du jazz ou de la musique « qui craint » tout comme le jeune des quartiers favorisés. Ainsi « la transmission culturelle verticale serait confrontée à la culture des pairs » que l'on peut qualifier d'horizontale (BEDIN, 2019, 135) Par contre les recherches tendraient à démontrer qu'il y aurait une fragmentation sexuée : les garçons choisiraient une expression dans l'extériorité qui les ferait rechercher une homogénéisation de groupe, alors que les filles nourriraient une culture plus intimiste où se révèlerait une individualité plus personnelle.

1. Les dangers de l'adolescence et le rapport à l'autorité

Véronique Bedin et Nicole Catheline mentionnent que le regard du parent est passé du rejet de l'adolescent à une forte attente à son égard. Le parent est omniprésent afin de s'assurer que son enfant ne va pas être en difficulté et entraîne ainsi la création de « Tanguy ». (BEDIN, 2019, 50). L'adolescence est fréquemment étudiée sous l'aspect conflictuel avec les représentants de l'autorité. Daniel Marcelli, pédopsychiatre rappelle que deux composantes interviennent dans la notion d'autorité : l'une concerne le relationnel (institutionnel ou non) et l'autre, l'individu et ses représentations (D. Marcelli : « Adolescence et autorité » cité par BEDIN, 2019, 72-80). Pour lui, l'adolescent se trouve dans une phase pulsionnelle et donc son principal souci serait la satisfaction plus ou moins immédiate de ses désirs avec son corollaire le surmoi dans une position de dictat.

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L'adolescent rentre alors dans une période de risque où il peut chercher la maitrise excessive (anorexie-boulimie, addiction...) expression d'une « toute-puissance ». L'adolescent va devoir faire un travail de déconstruction du surmoi infantile vers un travail de personnification de son « idéal du moi » en choisissant des valeurs personnelles et subjectives et en cherchant à échapper à celles de leurs parents, figures d'autorité. Cette construction, pour se faire, se confronte à la réalité sociale, familiale et culturelle. Jadis, il s'agissait d'un travail de refoulement face à la norme. Aujourd'hui « le besoin narcissique d'affirmation de soi prend le pas ». L'adolescent n'est plus dans une confrontation à l'autre pour se construire mais dans une confrontation à soi. Pour l'auteur, c'est là que réside le danger (Ibid, 79). Quant au prétendu mal-être des adolescents, le sociologue Michel Fize débat sur la croyance médiatique qui, ramenée aux statistiques, ne rendrait pas compte de la réalité (cité par BEDIN, 2019, 60). Il postule ainsi que les adolescents dans leur grande majorité sont épanouis. Il rappelle que « problèmes relationnels » ne veulent pas forcément dire « crise d'adolescence ».

2. L'adolescent et le rapport à l'argent

Les adolescents auraient une meilleure connaissance de l'argent qui, selon une enquête Sofres de 2015 aurait été transmise par leurs parents. Les jeunes seraient des consommateurs de plus en plus tôt. Ils passeraient par la voie de l'insistance auprès de leur mère pour obtenir ce qu'ils veulent (BEDIN, 2019, 158). Dans notre sujet d'étude, dès le 4ème grade (CM1), des activités sont organisées pour apprendre à gérer son argent : cela peut-être des jeux de rôles dans une rue reconstituée où banquier, médecin, secrétaire, personnel des travaux publics se côtoient et dépensent leur salaire, des activités comptables sur des logiciels. Au lycée, des cours spécifiques de gestion sont organisés et obligatoires, y compris un cours de gestion des finances du gouvernement. Comme je le dis plus loin, la plupart des jeunes lycéens occupent un petit emploi.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle