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Impacts des conflits liés à  la mobilité pastorale sur le développement et la gouvernance dans la province du Mayo-Kebbi ouest (Tchad)


par Souleymane ALI SALEH
Université de Dschang - Master en Science Politique, spécialité Gouvernance Locale, Décentralisation et Développement  2020
  

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B. Les autres violations des droits humains

Lors des conflits, aucun droit humain n'est respecté. Les violations des droits partent la perte de la vie humaine aux arrestations et détentions illégales en passant par les préjudices physiques.

S'agissant des droits économiques, sociaux et culturels, civils et politiques, il faut noter l'efficacité des garanties constitutionnelles des droits de l'homme et des libertés fondamentales : les droits civils et politiques consacrés par les principaux instruments internationaux sont intégrés dans le corpus de la constitution. Mais dans la pratique tout diffère, tous ces droits mentionnés en noir sur blanc dans la constitution sont bafoués lors des conflits liés à la mobilité pastorale. L'article 18 de la constitution de la République du Tchad dispose : « Nul ne peut être soumis, ni à des services ou traitements dégradants et humiliants, ni à la torture », l'article 19 de la constitution dans le même élan dispose : « L'esclavage, la traite des êtres humains, le travail forcé, la torture physique ou morale, les traitements inhumains, cruels, dégradants et humiliants, les violences physiques, les mutations génitales féminines, les mariages précoces ainsi que toutes les autres formes d'avilissement de l'être humain sont interdites », et l'article 21 est bref et concis : « Nul ne peut être tenu en esclavage ou en servitude ». Ces trois passages de la constitution consacrent le droit au respect de l'intégrité de tout citoyen. Par ces dispositions, le constituant tchadien condamne fermement toute atteinte illégale à l'intégrité physique. Dans le premier, il interdit absolument les services ou traitements dégradants et humiliants, et la torture. Dans le second, il interdit avec la même rigueur l'esclavage, la traite des êtres humains, le travail forcé, la torture physique ou morale, les traitements inhumains, cruels, dégradants et humiliants, les violences physiques, les mutations génitales féminines, les mariages précoces ainsi que toutes les autres

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formes d'avilissement de l'être humain. Dans le troisième, il interdit formellement l'esclavage et la servitude. Le législateur énumère l'article 21 de la constitution pour besoin d'insistance, car les deux pratiques sont déjà interdites dans les articles 18 et 19. Les droits sus cités sont mis en mal lors des conflits liés à la mobilité pastorale. Les éleveurs nomades, en déplacement achètent sur place des enfants mineurs pour garder leurs boeufs. Ils les traitent comme des bêtes de somme. Ces enfants sont vendus par leurs parents avec la complicité des autorités locales. En guenilles, chaussures usées au pied, les yeux rouges et mine renfrognée, ces enfants essaient tant bien que de regrouper des troupeaux d'environ deux cent (200) boeufs. L'âge de ces enfants bergers varie dans la plupart des temps de treize (13) à neuf (9) ans. Il existe dans la région des centaines d'enfants gardiens des boeufs de moins de dix-huit

(18) ans. Ils doivent garder les boeufs pour subvenir aux besoins de leur famille et
particulièrement de leur père qui bénéficie des avantages sur le dos de ces enfants. Ces enfants bouviers ont chaque année un veau pour un troupeau de cinquante (50) à cent (100) boeufs et une somme de quinze mille (15 000) francs en guise de récompense. Ils parcourent des milliers de kilomètres à pieds, ils conduisent des fois les boeufs jusqu'à Adoumri au Cameroun qui est un carrefour de vente des boeufs dont les commerçants viennent du Tchad, du Cameroun, de la Centrafrique, de la République Démocratique du Congo et du Nigéria. Ces enfants sont de plus en plus maltraités par les propriétaires des boeufs, ils sont souvent ligotés et frappés par ces derniers. Loin de leurs parents, ces enfants sont obligés de reprendre le chemin de la brousse avec les animaux. Ils passent de fois plus de trois jours sans rien manger et leurs moments de repos sont en fonction de ceux des bêtes. « L'esclave n'a pas droit à la nourriture » répondent les propriétaires des boeufs lorsque les bouviers réclament de quoi à se mettre sous la dent, les moins cyniques leur remettent en guise de ration alimentaire journalière un peu de pâte de mil et du lait caillé.93 Ils doivent se contenter des fruits sauvages et boire, comme les bêtes dont ils ont la garde, les eaux insalubres des mares et des marigots. Ils dorment la nuit parmi les boeufs à même que le sol. Plus, ils n'ont jamais accès aux soins, malheur à celui qui tombera malade. « Un jour, j'étais tellement malade et un agriculteur m'a donné les médicaments. Il m'a trouvé couché sous un arbre, en pleine brousse où je n'avais plus la force de contrôler les boeufs. Il m'a ainsi aidé juste pour l'amour de Dieu, si cet homme ne me donnait les médicaments j'allais mourir, mes parents sont à plus 200 km d'ici » dit un enfant bouvier qu'on a rencontré à la sortie de Carrière sur la route de

93 ARTIDI (Claude), Les « enfants bouviers » du sud du Tchad, nouveaux esclaves ou apprentis éleveurs ?, Cahiers d'Etudes africaines, Volume 45, Cahier 179/180, 2005, p. 717.

Fianga. Dans ces conditions inhumains et dégradants, certains ne pouvant pas supporter abandonnent le troupeau et fuient. Malheureusement, ils sont très vite rattrapés et reconduits dans les troupeaux par les propriétaires des boeufs qui sont pour la plupart des militaires et des administrateurs qui convoitent le sud du pays pour l'élevage qui sera un complément à leurs salaires. La chance de ces enfants d'échapper des mains de ces propriétaires est très mince. Cette question a été soulevée en 1993 lors de la Conférence Nationale Souveraine94 et reprise au Forum National Inclusif de 2018 mais il n'y a pas encore de manifestations pour pallier à ce phénomène.

Tous les droits relatifs à la justice sont mis en mal lors des conflits liés à la mobilité pastorale. L'article 22 de la constitution dit : « les arrestations et détentions illégales et arbitraires sont interdites ». Lors des conflits, les arrestations illégales sont innombrables. Les agriculteurs sont de plus en plus les victimes de ces arrestations. La plupart des éleveurs sont les autorités administratives (gouverneur, préfet sous-préfet) et militaires (Commandant de zone, commandant de brigade, commissaire de police...) et des proches des militaires. Ceux-ci dès qu'un problème éclate contre les agriculteurs, ils arrêtent automatiquement ces derniers et les conduisent soit à la brigade soit au commissariat de police où ils sont détenus sans accès à la justice durant des semaines voire des mois. Plus grave, ils sont conduits à la maison d'arrêt sans passer devant un juge. C'est tout à fait contraire à l'article 23 de la Constitution qui dispose : « Nul ne peut être détenu dans un établissement pénitentiaire s'il ne tombe sous le coup d'une loi pénale en vigueur ». L'article 26 de la Constitution est clair : « La peine est personnelle. Nul ne peut être rendu responsable et poursuivi pour un fait non commis par lui ». Mais la responsabilité pénale collective est très fréquente dans la province du Mayo-Kebbi Ouest notamment lors des conflits liés à la mobilité pastorale. Quand une personne est recherchée pour une responsabilité, un de ses proches est arrêté pour contraindre le coupable à revenir. Cette pratique est contraire à l'article 26 de la Constitution. L'article 27 de la Constitution interdit plus clairement la responsabilité collective en ces termes : « Les règles coutumières et traditionnelles relatives à la responsabilité pénale collective sont interdites ».

D'autres droits fondamentaux relatifs à la justice sont également foulés au pied notamment la présomption d'innocence et l'accès même à une justice satisfaisante. Pour le premier cas, l'article 25 de la Constitution de la République du Tchad dispose : « Tout

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94 Ibid.

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prévenu est présumé innocent jusqu'à l'établissement de sa culpabilité à la suite d'un procès régulier offrant des garanties indispensables à sa défense ». Tant qu'un jugement de condamnation définitive n'est pas intervenu, l'inculpé doit être considéré comme innocent même s'il existe contre lui des indices graves et concordants de culpabilité. En outre, il revient à celui qui accuse d'apporter les preuves de la culpabilité, le doute profitant à l'accusé. La présomption d'innocence qui est un droit fondamental qui est méconnue quand les conflits opposent les riches propriétaires des boeufs aux pauvres agriculteurs. L'agriculteur est jeté en prison avant que sa culpabilité ne soit établie par une juridiction compétente. Pour le second, il ressort clairement de la Constitution du Tchad que la loi assure à tous les hommes le droit de se faire justice. Ainsi, deux conditions doivent être remplies. En premier lieu, la justice doit être accessible au justiciable. La justice n'est pas accessible à tous citoyens surtout lors des conflits liés à la mobilité pastorale. La corruption perpétuée par les nantis, la lenteur, le coût de la justice font qu'elle n'est pas accessible à tous. En second lieu, le justiciable doit avoir confiance à ses juges. Pour dire autrement, le justiciable doit être jugé par un juge indépendant et impartial. Cette confiance du justiciable envers ses juges est loin de s'établir car l'argent a tout gâté comme le dit dans le langage de la province.

L'article 28 de la Constitution tchadienne dispose : « Les libertés d'opinion et d'expression, de communication f...] de circulation f...] sont garanties à tous ». L'alinéa 1 de l'article 7 du code pastoral dispose : « La mobilité pastorale à l'intérieur du territoire national est une liberté reconnue à tout éleveur dans le respect de la réglementation nationale en vigueur et des us et coutumes de la zone d'accueil », cette disposition vient en complément à l'article 28 de la constitution pour garantir la mobilité pastorale. Par ces dispositions, le constituant tchadien proclame la liberté d'aller et de revenir qui comprend la liberté de mouvement. La liberté de mouvement dont il est question renvoie à la liberté de circulation à l'intérieur du pays, bien que libre, elle peut être soumise au contrôle d'identité au niveau des barrières de police ou de gendarmerie. C'est sont là les restrictions à la liberté d'aller et de revenir qui sont fixées pour des raisons de sécurité intérieure, d'ordre public et même de santé publique. S'il faut apprécier la clarté de ces dispositions qui garantissent la liberté de circulation, toute fois la réalité diffère. Les éleveurs en mobilité subissent toute forme de tracasserie, dans les villages où ils passent, leurs biens subissent des violences physiques qui vont des blessures jusqu'à la mort de l'animal des fois, le vol de bétail etc.

Le droit de propriété est un droit fondamental. C'est le droit de posséder des biens, d'en jouir à l'effet de réaliser sa destinée personnelle en s'appropriant tant socialement

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qu'économiquement. L'Etat ne peut en priver l'individu que dans les cas où l'intérêt général est mis en cause. Dans ce cas, on parlera d'expropriation pour cause d'utilité publique. L'Etat qui exproprie pour cause d'utilité publique devra indemniser le propriétaire. Elle est inviolable et sacrée. L'article 45 de la Constitution est sans ambiguïté : « la propriété privée est inviolable et sacrée ». Le principe est que la propriété est un droit imprescriptible et sacré de l'homme, pourtant la réalité diffère. On constate une inégalité flagrante en matière de propriété surtout lors des conflits liés à la mobilité pastorale. La destruction des champs par les éleveurs ; les blessures et les tueries d'animaux par les agriculteurs sont des graves violations du droit de la propriété privée. Ces violations des droits humains sont étroitement liés à la mise en mal de la sécurité des personnes dans la province et à la désorganisation sociale des pasteurs.

PARAGRAPHE II : LA MISE EN MAL DE LA SÉCURITÉ DES PERSONNES DANS LA PROVINCE ET LA DÉSORGANISATION SOCIALE DES PASTEURS

Les conflits liés à la mobilité pastorale sont des facteurs de mise en mal de la sécurité des personnes dans la province (A) et désorganisent socialement les pasteurs (B).

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault