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La protection financière du patrimoine public

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par Jennifer Marchand
Université des sciences sociales Toulouse 1 - Master 2 Droit public des affaires 2006
  

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B La portée effective des principes protecteurs du patrimoine public : une application relative face aux exigences de valorisation.

Le droit des biens repose sur des principes visant à conserver l'intégrité et la valeur patrimoniale des dépendances publiques. Si l'inaliénabilité (qui s'applique au domaine public) (1) et l'incessibilité à vil prix (qui concerne la propriété) (2) peuvent servir de rempart à une valorisation extrême fondée sur la cession des propriétés, leur application est bien souvent relative. Le domaine public est une richesse et le développement de son exploitation économique l'emporte souvent.

1 . Le principe de l'inaliénabilité

L'étude du droit des biens78(*) comprend classiquement une partie relative à la protection des dépendances domaniales dans laquelle le principe de l'inaliénabilité est incontournable. Consacrée par l'article L. 52 du Code du domaine de l'Etat qui dispose que : « Les biens du domaine public sont inaliénables et imprescriptibles » et par l'article 13 de la loi du 5 janvier 1988 pour les biens des collectivités territoriales, l'inaliénabilité a des origines fort anciennes. Elle a été solennellement consacrée « loi fondamentale du Royaume » par l'Edit de Moulins de 156679(*). Mais quelle est sa portée ? Dans quelle mesure ce principe peut-il entraver la valorisation du patrimoine public ?

La raison d'être de l'inaliénabilité est l'affectation donnée au bien domanial. Son champ d'application est large et sa mise oeuvre entraîne des effets puissants : nullité des aliénations et impossibilité d'exproprier les biens. Cependant, une simple désaffectation suffit à en neutraliser l'effectivité. Aussi faut-il parler d'inaliénabilité ou d'aliénabilité conditionnelle ? Cette question posée par Marcel Waline dans sa thèse sur « Les mutations domaniales » met l'accent sur le caractère discrétionnaire de l'acte de déclassement. Une grande liberté est laissée aux personnes publiques pour disposer de leurs biens domaniaux et le contrôle du juge sur les déclassements, qu'il estimera a priori liés à une politique raisonnable de gestion domaniale, est réduit au minimum.

L'inaliénabilité n'est donc que relative et potestative puisque l'administration reste libre de supprimer l'affectation et de disposer ensuite des biens comme elle l'entend. Suite à la décision du Conseil d'Etat SIPPEREC en est-il toujours ainsi ?

Selon M. SOULIE, dans sa note sous l'arrêt SIPPEREC80(*), il est fort peu probable que la Haute juridiction ait pris le soin de créer un impératif d'ordre constitutionnel pour ne rappeler que des principes classiques en matière de protection du domaine public. La portée de l'impératif pourrait être plus importante et concerner la valeur du principe d'inaliénabilité. La protection serait en conséquence plus importante, à partir du moment où tout projet législatif qui comporterait une aliénation d'une partie du domaine affecté à l'usage du public serait susceptible d'une censure par les gardiens de la Constitution. Toutefois, la reconnaissance d'une valeur constitutionnelle se heurte à certaines difficultés. D'une part, il faudrait revenir sur la liberté accordée aux personnes morales de droit public dans la gestion de leur patrimoine81(*) ; celles-ci ne pouvant plus désaffecter et déclasser une partie de leurs biens. D'autre part, prié de se prononcer, le Conseil constitutionnel fut conduit à apprécier l'autorité d'un tel principe : valeur législative ou constitutionnelle ? Il s'est toujours opposé à cette reconnaissance, sans pour autant utiliser une formulation explicite82(*). Dans l'attente d'un éventuel, mais improbable, revirement jurisprudentiel l'arrêt SIPPEREC permet de renforcer le contrôle sur les actes de désaffectation préalables à des aliénations et ainsi préserver la substance du domaine public, en fournissant un début de protection contre le risque de dilapidation des patrimoines publics dans un contexte de développement accru des phénomènes de cessions et d'externalisation. Une logique similaire se retrouve dans l'application du principe d'incessibilité des propriétés publiques à vil prix.

2. L'incessibilité à vil prix des propriétés publiques

On sait, depuis La Bruyère, que « la libéralité consiste moins à donner beaucoup qu'à donner à propos83(*) ». Au précepte du moraliste, le droit domanial fait écho, puisque la propriété publique ne peut faire l'objet de cessions à titre gratuit. En soi la règle selon laquelle les propriétaires publics ne peuvent céder, aliéner ou échanger leurs biens sans contrepartie effective n'a rien de surprenant. Elle n'est que l'expression, dans le droit des biens, du principe selon lequel les personnes et collectivités publiques ne peuvent pas consentir de libéralités, et cela tout simplement parce que les biens qu'elles possèdent, acquis par des deniers publics, sont directement ou indirectement le support de l'intérêt général dont elles ont la charge. L'interdiction d'aliéner à vil prix rejoint la prohibition plus générale des libéralités et, dans le domaine du contentieux, l'interdiction de condamner une personne publique à payer une somme qu'elle ne doit pas ( sur ce principe v. l'arrêt Mergui, C.E. 19 mars 1971 avec les conclusions Rougevin-Baville). On rattache généralement cette prohibition à l'obligation pour l'administration d'exiger une redevance de la part des occupants privatifs du domaine public84(*).

Ce principe, somme toute assez naturel, a été relayé par une jurisprudence du Conseil constitutionnel inaugurée par la décision des 25-26 juin 1986. A propos d'une loi d'habilitation permettant des privatisations d'entreprises, le Conseil constitutionnel affirme que la protection constitutionnelle du droit de propriété, telle que commandée par la Déclaration des droits de 1789, « ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers, mais aussi, à titre égal, la propriété de l'Etat et des autres personnes publiques » ; et il précise, en se fondant sur le principe d'égalité, que « la Constitution s'oppose à ce que des biens et des entreprises faisant partie de patrimoines publics soient cédés à des personnes poursuivant des fins d'intérêt privé pour des prix inférieurs à leur valeur »85(*).

Le Conseil constitutionnel a considéré que les aliénations de biens publics à des prix inférieurs à leur valeur portaient atteinte aux intérêts patrimoniaux des propriétaires publics86(*). En effet, lorsqu'une personne publique décide de céder un terrain ou un bâtiment lui appartenant pour la somme d'un euro, elle ampute son patrimoine de la valeur vénale du bien ainsi aliéné. La réalisation de telles opérations risquerait d'obérer gravement les patrimoines et deniers publics, alors que l'intégrité et la non-dilapidation des patrimoines publics constituent une des garanties de la continuité des pouvoirs publics87(*). On voit l'influence de la jurisprudence constitutionnelle sur la jurisprudence administrative. L'incessibilité des biens publics à titre gratuit s'inscrit dans un ensemble - la protection constitutionnelle de la propriété publique - à la fois plus large et plus exigeant.

Toutefois, cette proposition est en elle-même limitée au cas où le cessionnaire serait « une personne poursuivant des fins d'intérêt privé ». Aucune protection constitutionnelle spécifique ni prohibition n'existent donc pour d'éventuelles cessions de biens, par une personne publique, à une autre personne publique ou encore à des personnes privées poursuivant des fins d'intérêt général. L'incessibilité des biens publics conçus par le Conseil constitutionnel est finalement définie par deux critères. Le premier est organique dans la mesure où seules les personnes privées sont assujetties à cette interdiction, les personnes publiques en sont dégagées. Le second est matériel puisqu'il implique un examen de l'activité des personnes privées. Celles poursuivant une activité d'intérêt général sont susceptibles d'acquérir des propriétés publiques à des prix dérisoires tandis que celles qui ont une activité purement privée doivent payer le prix correspondant à la valeur desdits biens.

De surcroît, le Conseil d'Etat au contentieux a retenu une interprétation peu contraignante - mais réaliste - de ces principes protecteurs du domaine public et s'opposant à ce qu'aucun élément du patrimoine public puisse être cédé à vil prix. Alors que le tribunal administratif de Besançon en avait tiré la conséquence qu'une commune ne pouvait pas céder une parcelle de son domaine privé à un prix inférieur à sa valeur, et notamment pour un franc symbolique. Le Conseil d'Etat a jugé au contraire que « la cession par une commune d'un terrain à une entreprise pour un prix inférieur à sa valeur ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d'intérêt privé, lorsque la cession est justifiée par des motifs d'intérêt général et comprend des contreparties suffisantes »88(*). La cour administrative d'appel de Nantes a jugé dans le même sens qu'il n'y avait pas d'atteinte à la protection constitutionnelle de la propriété publique dans le fait pour une commune, de céder des lots de lotissements communaux à bas prix au regard des motifs d'intérêt général par ailleurs poursuivis89(*).

?

L'opposition traditionnelle entre protection et valorisation du patrimoine public avait cours lorsque ce dernier était essentiellement appréhendé comme un espace de police. Si la valorisation connaît des limites - nécessaires pour éviter toute dilapidation -, l'exploitation est désormais l'objectif premier des politiques publiques domaniales. Il convient néanmoins de rappeler que la valorisation n'est pas seulement la maximisation du profit qu'il est possible d'en retirer, elle inclut aussi la recherche d'une meilleure satisfaction d'un intérêt général. La valorisation doit s'entendre d'une exploitation économique au service de l'utilité publique et de la continuité du service public. Une telle conciliation d'objectifs apparemment antinomiques se retrouvait déjà dans l'avis du Conseil d'Etat du 31 janvier 199590(*). Dans sa décision, la Haute Juridiction admet la légalité d'un montage mettant en oeuvre un mécanisme de location avec option d'achat sur la base d'autorisation d'occupation du domaine public constitutive de droits réels. Aucun obstacle à valeur constitutionnelle n'était venu interdire une telle opération, consacrée depuis par le législateur et avalisée par les Neuf Sages91(*).

Il convient désormais d'étudier l'application pratique de la politique de protection de la valeur économique et financière du patrimoine public.

* 78 J.B AUBY, Droit administratif des biens, Dalloz, 4éme édition, 2003, R. CHAPUS, Droit administratif général, Tome 2, Domat Droit public, Montchrestien, 15ème édition, 2001 ; J. DUFAU, Le Domaine public, Le Moniteur, 5éme édition ; Y. GAUDEMET, Droit administratif des biens, Tome 2, LGDJ, 2002 ; Ph. GODFRIN, Droit administratif des biens, Armand colin, 2005 ;  C. LAVIALLE , Droit administratif des biens, PUF, Droit fondamental, 1996 ; J. MORAND-DEVILLER, Cours de droit administratif, Montchrestien, 3ème édition, 2003

* 79 M. MONTEIL, cité par Y. GAUDEMET in Droit administratif des biens, LGDJ, 2002, p. 125, estime au contraire que «  c'est par une erreur historique, qu'on fait remonter à l'ordonnance de Moulins l'inaliénabilité du domaine public »

* 80 Le domaine public : «  une catégorie juridique protégée ? » , RFDA 2003, p. 905

* 81 Cette liberté leur a été reconnue par le Conseil constitutionnel : cons. Const., n° 96-378 DC, 23 juillet 1996

* 82 La lecture des considérants de principes des décisions intervenues en la matière permet d'attester d'une rédaction nuancée : décision du 18 septembre 1986 : « Sans qu'il soit besoin de recherche si le principe d'inaliénabilité du domaine public a valeur constitutionnelle ...Ce principe s'oppose seulement à ce que des biens soient aliénés sans qu'ils aient été au préalable déclassés » ; Décision du 21 juillet 1994 : « Il importe au législateur, lorsqu'il modifie les dispositions relatives au domaine public, de ne pas priver de garanties légales les exigences constitutionnelles qui résultent de l'existence et de la continuité des services publics ». Les neufs Sages se refusent à la promotion constitutionnelle de l'inaliénabilité. Ils confirment son caractère relatif (du fait de la possibilité de déclassement)

* 83 La Bruyère, Les Caractères, Chap. IV, Du coeur.

* 84 Thèse de Teitgen-Colly, p. 416

* 85 La solution a été reprise, dans les mêmes termes par la suite (c.const. 18 sept. 1986 - 21 juillet 1994, A.J.D.A 1994 p. 786, note G. Gondouin - 23 juillet 1996). Elle était déjà sous-jacente dans la doctrine administrative (v. not. CE. Avis 27 avril 1961, Grands avis du CE, p. 87, comm. Y Gaudemet).

* 86 S'agissant des privatisations, la valeur des entreprises cédées doit être appréciée dans des conditions qui en garantissent l'exactitude, et dont le juge administratif peut vérifier le respect (CE, 2 février 1987, Joxe et Bollon, AJDA 1987, p. 350, note BAZEX

* 87 C'est en partie pour cette raison que les juristes de l'Ancien régime ont proclamé l'existence du principe d'inaliénabilité, en réaction à la munificence des souverains.

* 88 C.E. 3 nov. 1997, Commune de Fougerolles, A.J.D.A. 1997, p. 1010, observ. Critiques L. Richer

* 89 C.A.A Nantes, 30 juin 2000, Préfet de la Vendée, A.J.D.A. 2000, p. 951

* 90 Grands avis du Conseil d'Etat, p. 343, commentaire des professeurs FATÔME et TERNEYRE

* 91 Cf. loi du 29 août 2002 d'orientation pour la sécurité intérieure (cons. Const., 22/08/2002 n° 2002-460) et loi du 9 septembre 2002 orientation et de programmation pour la justice ( décision n°2002-461)

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld