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La protection financière du patrimoine public

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par Jennifer Marchand
Université des sciences sociales Toulouse 1 - Master 2 Droit public des affaires 2006
  

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§ 2. L'intégration du modèle entrepreunerial dans l'action domaniale des personnes publiques 

« De même que les notions juridiques sont imprégnées, toutes poisseuses d'idéologie, l'idéologie a besoin de la forme juridique. Le droit ne saurait être considéré comme un élément isolé, séparé du reste de la société ; c'est au contraire le produit de l'évolution sociale ; les concepts qu'il utilise ne sont pas neutres, autonomes, intemporels mais intimement liés aux valeurs sociales dominantes... cette co-incidence entre droit et idéologie est particulièrement forte en droit administratif français196(*) »

L'air du temps impose le modèle entrepreneurial. Certains dogmes libéraux qui caractérisent le secteur privé comme le profit, l'efficacité, la performance, la productivité font partie des valeurs sociales et le droit public n'est pas resté insensible à cette pression. On doit alors constater leur intégration dans la gestion patrimoniale publique. L'intériorisation de ces logiques a des effets importants sur la façon d'envisager le patrimoine public. Ainsi se pose la question de savoir si les principes, à partir desquelles sont décidées les grandes orientations d'une entreprise privée peuvent inspirer la gestion d'une collectivité publique ? Cette question sous-tend un débat classique qui oppose le public au privé. D'un côté, l'Administration défendrait l'intérêt général, de l'autre l'entreprise serait parée des vertus de profit et d'efficacité. Cette opposition ne pouvait plus rester à ce stade primaire. Dans les années quatre-vingt, les impératifs de l'économie libérale, la valorisation par la classe politique des valeurs de l'entreprise ont projeté l'intégration du modèle entrepreneurial dans l'action administrative. L'adaptation directe des logiques de gestions issues du secteur privé et du management d'entreprise suscite l'ouverture d'un nouveau champ d'étude : le « management patrimonial public »197(*).

Ici et là émergent des initiatives tendant à moderniser la gestion domaniale : la recherche de l'efficacité conduit à s'inspirer des méthodes de gestion du secteur privé afin d'atteindre l'optimum juridique (A) et la rationalisation (B) dans la politique patrimoniale afin que soit conservée voire augmenter la valeur financière des propriétés publiques.

A. La recherche de l'optimum juridique en matière de gestion patrimoniale

Les réformes qui ont récemment marqué la matière domaniale démontrent la volonté d'adapter l'environnement juridique afin d'accroître et de systématiser la protection de la valeur financière du patrimoine public. Ainsi, l'immobilier offre de vastes perspectives et d'incontestables opportunités pour une gestion publique plus efficace, moins coûteuse et plus professionnelle. L'immobilier constitue en définitive un pan essentiel de la réforme de l'Etat. Afin que soit promue plus largement la valorisation des dépendances publiques, il convient d'envisager les expériences réalisées en matière d'externalisation (1) et d'expérimentation (2) immobilières

1. L'externalisation de l'immobilier public

L'externalisation (outsourcing) est un outil de gestion qui permet à une organisation de déléguer certaines fonctions non stratégiques, précédemment exercées par elle, à des prestataires de service extérieurs198(*). Dans le contexte actuel de maîtrise de la dépense publique, les administrations s'interrogent sur l'intérêt d'y avoir recours pour l'exploitation de leurs fonctions non régaliennes. Ce concept traduit une nouvelle ligne de partage entre le faire et le faire faire depuis longtemps pratiquée dans les pays anglo-saxons (á) et qui se développe fortement en France (sachant que certaines expériences ont d'ores et déjà été menées199(*) : â).

á. Les expériences d'externalisation anglo-saxonnes

L'externalisation atteint un stade très avancé dans les pays anglo-saxons. Aux Etats-Unis, la réforme de l'Etat a clairement favorisé l'extension du recours à la sous-traitance. Dès 1966, la directive A-76 de l'Office de gestion et du budget (OMB) placé auprès du Président des Etats-Unis a organisé une méthodologie de comparaison des coûts entre le secteur public et le secteur privé, dans le but de confier à des sociétés privées les fonctions qui y seraient réalisées de manière moins onéreuse. Depuis 1998, l'adoption du Fair act, qui oblige les administrations fédérales à publier la liste des fonctions susceptibles d'être externalisées, constitue une nouvelle étape dans cette direction200(*).

Traditionnellement attaché au rôle de la libre entreprise, le Royaume-Uni est un des pays, avec les Etats-Unis, qui externalise le plus de fonctions dévolues jusqu'à présent aux forces armées. Ce pays a mis en oeuvre en ce domaine, en juillet 2000, une réforme ambitieuse, parfois menée de manière brutale vis-à-vis du personnel. Allant au-delà de la simple externalisation, les Britanniques recherchent désormais le plus souvent possible le financement intégral par le secteur privé d'équipements publics. 

â. L'externalisation en France : les perspectives en matière patrimoniale

q Définition de l'externalisation

L'externalisation participe des techniques de modernisation de l'administration au même titre que d'autres méthodes appliquées par les entreprises privées et transposées dans le secteur public (démarche qualité, certification ISO...). Dans un contexte budgétaire contraint, l'externalisation permet à l'Administration de se concentrer sur son coeur de métier201(*). Une telle situation permet d'expliquer que c'est déjà un mode de gestion connu et apprécié. La professionnalisation des armées et d'importantes contraintes budgétaires ont incité la Défense nationale à y avoir recours. Mais l'externalisation pourrait trouver application dans de nombreux domaines.

La gestion et la valorisation de l'immobilier seront vraisemblablement un terrain d'éclosion de l'externalisation202(*). La dissociation entre la propriété immobilière et l'occupation, entre le property management, le facility management et l'asset management, est une des tendances lourdes en matière immobilière. Elle a d'évidentes vertus de clarification et d'optimisation et la méthode la plus novatrice et la plus élaborée consisterait en une externalisation de la propriété même des bureaux. Elle pourrait revêtir deux formes : une externalisation interne qui reposerait sur le transfert de la propriété des immeubles à des structures ad hoc ou une externalisation externe qui ferait appel à des structures privées. Cette deuxième solution permettrait à l'Etat de percevoir le prix des immeubles cédés. Dans tous les cas, des baux à long terme devraient être établis entre les partenaires afin de favoriser la professionnalisation de la gestion. En outre, le deuxième scénario reposerait sur des opérations financières de type titrisation.

q Les moyens dont disposent les personnes publiques pour asseoir l'externalisation

Les personnes publiques ont déjà à leur disposition des outils qui tendent à favoriser l'externalisation. Il s'agit du crédit-bail ou du lease-back et des contrats de partenariats publics-privés (PPP). Ils traduisent tous la volonté de l'Administration de bénéficier du cadre juridique privé parce qu'elle y trouve un intérêt : en ce qui nous concerne, assurer la valorisation de leur patrimoine.

Il n'existe pas de mode contractuel de principe de l'externalisation. Le recours aux marchés publics se heurte à de fortes rigidités et à l'obligation de financer l'opération par des deniers publics. Le mécanisme de la délégation de service public paraît plus adapté en ce qu'il autorise le financement privé mais la question est de savoir si l'activité dont l'externalisation est envisagée présente ou non le caractère de service public. Ces différents blocages juridiques sont neutralisés par le recours aux contrats de partenariat. C'est un contrat qui repose sur le financement par le secteur privé d'équipements publics, ce qui permet un lissage des dépenses publiques en transférant à un opérateur privé le poids des variations liées aux investissements et les risques qui y sont associés. Allégé de ces contraintes, le budget public peut être mieux maîtrisé. L'entreprise qui finance l'équipement public loue ensuite son utilisation à la puissance publique. En matière immobilière, le contrat devra assurer à la personne publique l'externalisation des risques de réalisations et d'exploitation et la déconsolidation de la dette de l'Administration (le PPP n'emporte pas qu'un transfert de maîtrise d'ouvrage, il permet de faire réaliser aujourd'hui ce que l'on ne paiera que demain). La combinaison à laquelle procède ces contrats entre les vertus du public et du privé ouvre un nouveau champ de recherche pour le management public203(*).

Le financement privé d'équipements publics est devenu un moyen incontournable et avantageux de valorisation du domaine public. Cette externalisation se fonde sur le crédit-bail et le lease-back. Concernant le premier mode de financement, le CGPPP s'est limité à une reprise du droit constant. Dans le mécanisme issu de la loi de 1994, le recours au crédit-bail est possible dans le cadre des AOT constitutives de droits réels sauf si les ouvrages sont affectés à un service public ou à l'usage du public ou s'il s'agit de travaux exécutés pour une personne publique dans un but d'intérêt général. Cette exception a depuis fait l'objet de nombreuses exceptions pour répondre au besoin de la justice, de la gendarmerie ou des armées204(*). L'ensemble a donc perdu toute cohérence, c'est pourquoi C. MAUGÜE et G. BACHELIER205(*) souhaiteraient la possibilité d'avoir recours à un financement totalement externalisé pour l'ensemble des installations notamment immobilières dans le cadre d'une autorisation d'occupation constitutive de droits réels206(*). Valorisation et externalisation seraient alors jumelées.

Quant au lease-back207(*), il s'agit d'une technique de refinancement d'équipements publics. La structure est la suivante : un organisme français donne en location un équipement à un trust américain pour une durée assez longue. Ce même organisme public reprend l'équipement en sous-location, ce qui lui permet d'en conserver la jouissance et de décider de son affectation. Le trust acquiert la « propriété économique » par le biais du contrat de location. Ce dernier peut par la suite amortir son bien dans ses comptes et bénéficier d'un crédit d'impôts tandis que l'organisme public recevra une rémunération équivalente à 7% de l'actif. En résumé, l'organisme public n'a pas dépensé un centime. Les principaux obstacles au lease voient leurs fondements remis en cause. L'inaliénabilité qui n'est que potestative n'est pas un obstacle à la valorisation économique du patrimoine public. Le lease-back devrait alors permettre une externalisation accrue du financement de l'immobilier public. La protection de la valeur financière de l'immobilier a également conduit à expérimenter le paiement par les ministères de loyers budgétaires.

2. L'expérimentation de loyers budgétaires

Longtemps les ministères étaient insensibles aux charges afférentes aux immeubles de bureaux qu'ils utilisaient : en l'absence de loyers, les charges d'occupation n'étaient pas connues, quant aux charges d'exploitation elles é(aient souvent difficiles à identifier. En résumé, le coût complet du poste de travail d'un agent public n'était pas calculé. Afin d'optimiser les coûts de fonctionnement des administrations, il était devenu essentiel d'être en mesure de les calculer et de donner les moyens aux administrations de les maîtriser. Le gouvernement, sous l'égide de son ministre attaché à lé réforme de l'Etat, a décidé de révéler ces coûts et de faire payer un loyer aux utilisateurs.

D'une part, il ressort du rapport n° 2926 suivi de la Mission d'évaluation et de contrôle sur la gestion et la cession du patrimoine immobilier de l'État présenté par M. TRON que le ministère des Finances a demandé à tous les services centraux des ministères de lui présenter, avant le 31 mai dernier, un « schéma pluriannuel de stratégie immobilière » (SPSI). Ces documents doivent comporter un diagnostic à partir d'une base intégrant toutes les données nécessaires à la gestion (ratios d'occupation ou de coût), et des orientations stratégiques quantifiées sur 5 ans déclinant la démarche du Gouvernement. Pour remplir leur rôle, ces documents devront être axés sur l'objectif de réduire la dépense immobilière. Le service France Domaine fixe précisément le cadre général de ces SPSI et validera chacun d'entre eux, afin qu'ils soient en ligne avec les orientations générales données à la politique immobilière de l'État209(*).

D'autre part, l'influence grandissante des préceptes issus du secteur privé en matière de valorisation patrimoniale et notamment immobilière transparaîtra dans le paiement par les ministères de loyers budgétaires. En application de la décision du Président de la République210(*), le service France Domaine conclura avec chaque ministère une convention retraçant les droits et les obligations tant de lui-même que des ministères occupants. Ces conventions seraient conclues pour une durée limitée et donc renégociées périodiquement. Pour ne pas laisser les droits acquis s'instaurer, il serait bon que le terme de ces « baux » soit de 3 ou 6 ans, plutôt que 9. Cela permettra de garantir la bonne occupation du parc, en assurant une respiration permanente et en mettant sur le marché, au fur et à mesure, les biens qui deviennent inutiles et inadaptés. Les loyers budgétaires feront partie intégrante de ces conventions.

Les loyers budgétaires211(*) qui sont en cours d'expérimentation en 2006 sur 178 immeubles occupés par trois ministères (Affaires étrangères, Économie, finances et industrie et Justice) seront étendus à toutes les administrations centrales en 2007. Au vu des résultats de cette application, ils seront ensuite étendus aux services déconcentrés. Les gestionnaires recevront une facture au titre des immeubles qu'ils occupent et devront la payer sur une dotation reçue en début d'année ; les économies qu'ils réaliseront leur resteront acquises un certain temps, les dépenses supplémentaires étant bien sûr à leur charge. Ce dispositif permettra au service France Domaine de jouer effectivement son rôle d'État propriétaire, alors que la situation qui prévalait auparavant laissait les ministères se comporter en quasi-propriétaires sans contrôle ni obligation212(*).

B. La rationalisation de la gestion patrimoniale : transposition des normes de performance issues du secteur privé

« En tant qu'organisation productrice de réalisations, une administration publique relève autant de la logique de gestion qu'une entreprise213(*) »

La performance est une des qualités souvent prêtées au secteur privé. Désormais, c'est un objectif que les politiques publiques doivent atteindre. La performance a donc été naturellement consacrée par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF)214(*). L'article 51 alinéa 5 de cette loi organique indique que les annexes explicatives accompagnant le projet de loi de finances doivent être complétées par un projet annuel de performances précisant « la présentation des coûts associés, des objectifs poursuivis, des résultats obtenus et attendus... ». Ce système de gestion de la performance s'inspire directement de la culture dite de management. Cette dernière, grâce à ce nouveau contexte, s'est proposée d'améliorer l'efficacité dans la gestion domaniale par l'intégration de certaines logiques propres aux entreprises privées. Un tel constat résulte des implications qu'ont eu les réformes initiées en matières de comptabilité publique (1) et de participations financières (2) en terme de valorisation des propriétés publiques. En effet, la valorisation patrimoniale se trouve modifiée dans ses éléments originels du fait de la réforme de la loi organique relative aux lois de finances et de la logique de performance qu'elle introduit.

1. L'intégration de la performance dans la gestion des propriétés publiques : l'application d'une comptabilité patrimoniale

L'intégration des conceptions à dominantes économiques en matière de droit public se traduit par la recherche de l'efficacité dans nos finances publiques. L'obligation de performance est directement traduite dans la lettre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001. La réforme budgétaire instaure de nouvelles normes en matière de comptabilité publique, avec pour objectifs la contribution à la valorisation du patrimoine de l'État, une meilleure appréhension de la réalité de l'activité annuelle en termes de recettes et de dépenses et une meilleure communication financière. L'ordonnance organique de 1959 imposait une comptabilité budgétaire dite de caisse retraçant l'exécution des dépenses budgétaires, au moment où elles sont payées et l'exécution des recettes, au moment où elles sont encaissées. La nouvelle constitution financière permet de conjuguer comptabilité budgétaire, comptabilité générale et comptabilité d'analyse du coût des actions et des programmes215(*).

Cette loi possède un périmètre assez large car elle peut potentiellement modifier notre droit public. Elle est liée à l'objectif plus global de réforme de l'Etat. Elle concerne non seulement le droit budgétaire et le droit de la comptabilité publique mais également d'autres branches du droit216(*). La mise en oeuvre de la LOLF a eu indéniablement des répercussions majeures en matière de droit des biens. L'occasion nous déjà été donnée de démontrer la préoccupation comptable du gouvernement en matière d'immobilier. Un recensement a été entrepris afin de mieux identifier le contenu du patrimoine de l'Etat. L'importance accordée à l'aspect comptable découle de l'insertion des dispositions particulières des articles 27 à 31217(*) de la LOLF. Ces dispositions permettent de mieux comprendre l'importance revêtue par le patrimoine et un traitement financier qui rapproche la collectivité propriétaire de la situation de l'entreprise privée218(*), sous réserve de la permanence de règles exorbitantes. La réforme comptable permet une prise en compte renforcée de la dimension patrimoniale : il s'agit de mieux connaître, puis d'évaluer et enfin d'inscrire tant les actifs que le passif. L'analyse ainsi conduite permettra de faire apparaître les contraintes de gestion qui découlent de l'approche économique du domaine public. Le mouvement d'assimilation par le droit des biens des dogmes du secteur privé est donc manifeste. Désormais les règles de la comptabilité patrimoniale s'appliquent pleinement aux propriétés publiques.

En ce qui concerne la comptabilité, le droit applicable à l'Etat rejoint sur ce point celui applicable aux collectivités territoriales depuis 1994 ( date d'application de l'instruction M14). Les personnes publiques doivent dresser un inventaire de leurs biens et les amortir comptablement comme les immobilisations dans un bilan avec l'introduction d'une charge nouvelle : l'annuité d'amortissement219(*). On ne peut alors que constater : « un lent processus de transformation des patrimoines publics en universalité de droit. Il passe par la création d'une dotation aux amortissements et demain peut-être par la transposition, actuellement à l'étude, de certaines normes comptables internationales d'origine anglo-saxonne (International Accounting Standard 36) à la comptabilité publique220(*) ». La présentation actuelle concernant la valorisation des biens domaniaux répond à des raisons financières mais plus profondément, au-delà du seul comblement du déficit budgétaire, la LOLF a servi de base à une réforme de la conception même des patrimoines publics221(*).

Les modes de gestion caractéristiques du secteur privé ont également été transposés afin d'optimiser la valorisation des participations financières que l'Etat détient en tant qu'actionnaire dans une quarantaine d'entreprises publiques. On retrouve là encore le rôle de la LOLF qui avait prévu la création d'un compte dit de privatisation222(*).

2. La création du compte d'affectation spéciale : «  participations financières de l'Etat »

Le projet de loi de finances pour 2006 présente deux missions liées aux activités patrimoniales de l'Etat, l'une consacrée à la gestion de son patrimoine immobilier et l'autre dédiée à la valorisation de son patrimoine financier. Cette dernière, dénommée « mission des participations financières de l'Etat »223(*), retrace les opérations de gestion des parts que l'Etat détient dans le capital des entreprises publiques et privées. La bonne valorisation des participations de l'Etat est l'objectif prioritaire affiché par le budget224(*). Cette priorité vaut pour toutes les entreprises concernées, que l'Etat y soit actionnaire majoritaire ou minoritaire et qu'elles aient vocation ou non à être privatisées, complètement ou partiellement. Il est d'ailleurs important de noter que les cessions de parts de l'Etat participent elles aussi directement de cette exigence de bonne gestion du patrimoine financier de l'Etat225(*). En effet, les ventes de participations de l'Etat dont le produit est affecté au désendettement ne constituent pas une diminution de son patrimoine mais un transfert au sein de ce même patrimoine, de son actif (les participations qu'il détient) vers son passif (sa dette).

Comme tout actionnaire avisé, l'État doit d'abord veiller à ce que les entreprises dont il détient tout ou partie du capital créent de la valeur - afin de pouvoir les céder, le cas échéant, dans les meilleures conditions possibles. Au-delà de la seule mise en place de l'APE, la gestion des participations financières a incontestablement progressé en termes de transparence, au travers du rapport annuel au Parlement sur l'Etat actionnaire détaillant la situation des principales entités et présentant depuis 2003 une forme de comptes consolidés des entreprises à participation d'Etat. L'objectif de valorisation des possessions financières de l'Etat repose sur quatre indicateurs226(*), traditionnellement utilisés par les investisseurs privés, afin de mesurer la performance des participations financières de l'État :

- Le premier mesure la rentabilité opérationnelle des capitaux employés. A cette fin, il rapproche le résultat net des entités rentrant dans les combinés des participations de l'Etat des capitaux employés. Cet indicateur permet de mesurer la capacité des entreprises concernées à créer de la valeur par rapport aux moyens qu'elles engagent

- Le second indicateur, plus large, mesure la rentabilité financière des participations en rapportant le résultat net (qui agrége le résultat d'exploitation, le résultat financier et le résultat exceptionnel) aux capitaux propres. C'est l'indicateur le plus traditionnel, mais aussi le plus robuste, car il met en évidence la réelle création de richesse des entreprises en prenant en compte l'ensemble des éléments de leurs gestions.

- Le troisième indicateur est la traditionnelle marge opérationnelle (résultat d'exploitation sur chiffre d'affaires)

- Enfin, le quatrième indicateur est la soutenabilité de l'endettement, mesurée par le rapport entre la trésorerie dégagée par l'exploitation (l'EBITDA) et les dettes nettes des entités. Il permet de mesurer la capacité des entreprises à honorer leurs dettes, voire à se désendetter.

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La loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 (LOLF) a consacré une exigence de performance de la gestion publique qui s'applique à la façon dont l'Etat gère son patrimoine. La performance de ce dernier, vecteur de valorisation, passe incontestablement par l'intégration des règles de gestion du secteur privé. L'enjeu économique est essentiel car les privatisations ou recapitalisations ne sont que la traduction budgétaire visible d'une politique plus large : celle de la valorisation du patrimoine de l'État, qu'il s'agisse de ses actifs comme de son passif. La valorisation des participations de l'État est une exigence pour les entreprises ayant vocation à être privatisées mais aussi pour les autres.

* 196 CHEVALLIER (J), « Les fondements idéologiques du droit administratif français », in Variations autour de l'idéologie de l'intérêt général, vol. 2, PUF, CURAPP, 1979, pp. 3à 57, p. 49

* 197 A. TAILLEFAIT, L'évolution du droit de la gestion des biens des collectivités locales, Thèse Paris II, 1996, p. 253

* 198 Cette définition peut paraître quelque peu elliptique mais les dictionnaires couramment utilisés ne sont guères plus loquaces. On lit en effet, dans le Petit Robert (édition 2000) que le mot « externaliser » est un verbe apparu dans la langue française en 1989 sur le modèle de l'anglais « to externalize ». Il nous fournit la définition suivante du mot externaliser : « confier à une entreprise extérieure (une tâche, une activité secondaire) ». Le Larousse illustré 2000 et le dictionnaire Hachette encyclopédique 2001 ne sont guère plus explicites : pour le premier, externaliser répond à la définition suivante : « pour une entreprise, confier une partie de sa production ou de ses activités (comptable, gardiennage, etc.) à des partenaires extérieurs ». Pour le second, il s'agit de « transférer à l'extérieur certaines activités de l'entreprise ». Inutile d'espérer le moindre éclaircissement du côté du dictionnaire informatique du logiciel Microsoft Word 2000, qui considère que les mots « externaliser » et « externalisation » sont étrangers à la langue française et qui les souligne de rouge à chaque utilisation. Notons encore que ni le dictionnaire Flammarion de la langue française (édition 1999), ni le dictionnaire de l'Académie française ne contiennent les mots « externaliser » ou « externalisation ».

* 199 TRICOT (H), « Que restera-t-il à gérer aux communes », Maires de France, supplément septembre 2002 ; LIGNERES (P) et BABIN (L), « L'externalisation : au coeur des préoccupations de l'Etat », DA, mai 2002, p. 37 ; DREYFUS (J-D), « L'externalisation, éléments de droit public », AJDA 18 novembre 2002, p. 1213

* 200 Ainsi, les administrations doivent désormais présenter chaque année, avant le 30 juin, une liste d'activités n'appartenant pas à la sphère « non délégable » et donc susceptibles d'être externalisées. Dès mars 2001, l'administration centrale a demandé aux ministères de mettre en concurrence les secteurs public et privé ou d'externaliser directement au moins 5 % des fonctions identifiées avant octobre 2002.

* 201 Dans son Livre Blanc sur la réforme administrative (1er mars 2000), la Commission européenne a exprimé sa vision d'une administration recentrée sur ses activités prioritaires

* 202 L'externalisation a déjà été expérimentée avec succès par de grandes entreprises publiques. Il convient également de citer le projet Torpedo (externalisation du parc de véhicules de La Poste)

* 203 Sur ce thème voir notamment DUMEZ (H) et JEUNE MAITRE (A), « Les partenariats public/privé nouveaux venus du management public », Revue Politiques et management public, Volume 21, n° 4, décembre 2003. Selon les auteurs les contrats de partenariats sont une nouvelle mode qui touche le management public. Ces contrats peuvent s'analyser comme une nouvelle forme « d'hybridation ». Les PPP seraient censés combiner les points forts de la puissance publique qui régule, du secteur public fort de ses valeurs de dévouement et du secteur privé caractérisé par sa capacité d'innovation et d'efficience gestionnaire. Toutefois, les auteurs ont démontré que la réalité était plus nuancée au regard des projets britanniques Airwave et de contrôle aérien.

* 204 Lois LOPSI et LOPJI de 2002 codifiées sur ce point aux articles L. 2122-15 et16 ; loi de programmation militaire du 27 janvier 2003, puis ordonnance sur les contrats de partenariat visée à l'article L. 2122-16

* 205 C. MAUGÜE et G. BACHELIER, « Le Code général de la propriété : le droit des biens enfin modernisé », Les cahiers de la fonction publique, mai 2006, n° 256

* 206 Le droit applicable à l'Etat rejoindrait alors ce qui est reconnu explicitement en faveur des collectivités territoriales qui peuvent recourir au crédit-bail dans le cadre de BEA et d'autorisations constitutives de droits réels inspirées du mécanisme appliqué à l'Etat et introduit à l'article L. 1311-5 IV du CGCT par l'article 3 VII de l'ordonnance

* 207 S. NICINSKI, « Lease américain, équipements publics et droit administratif », AJDA 2001, p.538 « L'enjeu serait d'admettre comme objet d'un lease, des équipements immobiliers, alors que jusqu'à présent la technique n'est employée que pour des équipements qui n'en font pas partie208 »

* 209 Pour cela, il faudra s'assurer que les SPSI permettent de constituer un audit de la situation immobilière de chaque ministère, audit aboutissant à la définition d'un plan stratégique. Ils devront indiquer les coûts des implantations ou des ratios tels que le coût par agent et par mètre carré. En particulier, il faudra établir dans chaque ministère des prescriptions générales relatives à la distinction entre le ou les immeubles de prestige, qui doivent rester implantés dans le centre de Paris (ministre, cabinet, directions stratégiques du ministère), et les autres immeubles, qui peuvent être délocalisés en région parisienne, voire en province (directions opérationnelles).

* 210 Voeux du Président de la République aux fonctionnaires à Metz le 6 janvier 2006

* 211 Dans la loi de finances pour 2006, les loyers budgétaires ont été calculés en multipliant la valeur inscrite au TGPE par le taux de 5,12 %. Ce taux correspond au taux moyen de remboursement de la dette de l'État. Il est inférieur au taux de rendement moyen du marché. Les professionnels de l'immobilier, consultés sur ce sujet, estiment qu'un immeuble moyen dans un quartier moyen de Paris est loué à environ 6,50 % de sa valeur vénale. La différence d'environ un point correspond à peu près aux frais d'entretien (travaux et grosses réparations). La conséquence d'une telle différence est que les ministères ne seront pas suffisamment incités à effectuer les arbitrages nécessaires. La mission confiée à l'Inspection générale des finances et au Conseil général des ponts et chaussées a également pour objet de se prononcer sur la valeur de ce taux et de cette base.

* 212 Le bilan du régime de « quasi-propriété » était pour le moins mitigé : celui-ci ne s'était pas traduit par une politique plus dynamique en matière d'arbitrage et en particulier de cessions d'immeubles publics. Il n'avait pas non plus entraîné d'amélioration significative de valorisation du parc immobilier public. La fonction de propriétaire a été souvent mal remplie par des ministères qui avaient toujours des besoins plus urgents à satisfaire que de se préoccuper de la maintenance des immeubles. Pour encourager les ministères à proposer des cessions d'immeubles dont ils sont affectataires, tout en concourant à la réduction du déficit, le gouvernement a modifié le dispositif d'intéressement antérieurement fixé par la circulaire du 21 février 1992 relative à la réforme de la gestion du patrimoine immobilier de l'Etat) (dite circulaire « Cresson »).Toutes les cessions de plus de 2 millions d'euros donneront lieu à une validation centralisée préalable des projets de « relogement » des services concernés. Seules les opérations dégageant un résultat net positif d'au moins 15 % des produits de cession seront désormais retenues, toutes dépenses et toutes recettes ou économies confondues.Les ministères bénéficieront de 85 % du produit de cession pour les opérations de relogement de leurs services. Si leurs dépenses réelles s'avèrent inférieures à ce montant, la différence pourra être utilisée pour d'autres dépenses (hors titre 2).Les cessions d'immeubles inutilisés et de terrains donneront lieu à un intéressement des ministères à hauteur de 50 %.Ainsi, sur 400 millions d'euros de cessions immobilières attendus en 2006, 60 millions d'euros devraient être reversés au budget général.

* 213 BOE (F), Gestion territoriale, Juris-classeur Collectivités territoriales, fasc. 2010

* 214 Loi organique du 1er août 2001 n° 2001-692, JORF, 2 août 2001, p. 12480

* 215 La comptabilité budgétaire retrace l'exécution des dépenses budgétaires, au moment où elles sont payées et l'exécution des recettes, au moment où elles sont encaissées. ; La comptabilité générale respectant les règles d'une comptabilité d'exercice vise à décrire la situation patrimoniale de l'État, c'est à dire l'ensemble de ce qu'il possède (terrains, immeubles, créances) et de ce qu'il doit (emprunts, dettes) ; La comptabilité d'analyse du coût des actions : elle ne doit pas être confondue avec une comptabilité analytique. Elle est plus spécialement destinée à compléter l'information du Parlement sur les moyens budgétaires affectés à la réalisation des actions prévues au sein des programmes. Elle permet également de mesurer la performance des administrations. Depuis le 1er janvier 2006, les comptes de l'Etat sont tenus selon ce nouveau référentiel qui constitue le point de départ de la démarche de certification des comptes publics.

* 216 LASCOMBE (M) et VANDENDRIESSCHE (X), Plaidoyer pour le succès de la réforme. Loi organique et la nécessaire refonte de la responsabilité des ordonnateurs et des comptables, RFDA 2004, p. 308. Selon les auteurs seront affectés par la mise en oeuvre de la LOLF tant le droit constitutionnel que le droit administratif

* 217 Article 30 de la LOLF : « les règles applicables à la comptabilité générale de l'Etat ne se distinguent de celles applicables aux entreprises privées qu'à raison des spécificités de son action. »

* 218 La comptabilité publique vise donc à assurer le respect des lois et des règlements, à veiller au respect des budgets, et à éviter les abus. Elle ignorait, en revanche, le prix de revient ou le rendement des services, comme si le fait qu'ils soient financés par l'impôt ou par l'emprunt apaisait tout scrupule. Malgré ces différences d'objectifs, s'opère cependant un rapprochement croissant des comptabilités publiques vers la comptabilité privée. La comptabilité publique doit désormais répondre aux mêmes exigences d'exhaustivité, et d'image fidèle de la situation financière de l'Etat. Elle doit en même temps offrir une aide à la gestion efficace de l'argent public, notamment en permettant une meilleure connaissance des coûts des différentes fonctions exercées au sein de l'administration. Il était devenu urgent que la comptabilité publique évolue dans le sens d'une modernisation de la gestion financière de l'Etat, afin de lui offrir une information plus complète lui permettant de prendre de meilleures décisions. Il s'agit désormais d'une comptabilité décisionnelle.

* 219 En 1997, l'instruction comptable M 14 a aligné la comptabilité des communes de plus de 3.500 habitants sur le plan comptable général de 1982. En particulier, l'instruction M 14 introduit les possibilités d'amortissement prévues par le plan comptable général, afin d'établir une image fidèle du patrimoine et du résultat des communes. Elle a écarté cependant les bâtiments et les infrastructures de l'obligation d'amortissement, compte tenu de l'importance du travail de recensement et d'évaluation que cela aurait impliqué, et des charges considérables qu'une telle mesure aurait créé pour les budgets communaux. La règle de prudence, exigeant des provisions, a également été introduite pour les garanties d'emprunts accordées par la commune à des tiers, et pour les dettes financières faisant l'objet d'un différé de remboursement. L'introduction de ces mesures souligne la tendance à l'assimilation par la comptabilité publique des concepts issus de la comptabilité privée

* 220 LAVIALLE (C), « Les propriétés publiques saisies par la comptabilité », AJDA, 5 décembre 2005, p. 2257

* 221 DUPRAT (J.P), « L'évolution des logiques de gestion du domaine de l'Etat », AJDA 21 mars 2005

* 222 Projet de loi de finances pour 2006 : participations financières de l'Etat (mission indépendante), avis présenté au nom de la Commission des Affaires économiques et du Plan par M. BECOT (sénateur)

* 223 Le programme annuel de performance des « participations financières de l'Etat » affiche trois objectifs :

- veiller à l'augmentation de la valeur des participations financières de l'Etat

- assurer le succès des opérations de cessions des participations financières

- contribuer au désendettement de l'Etat et des administrations publiques

* 224 Il s'agit soit de maximiser la valeur du portefeuille financier de l'État soit d'en tirer un maximum de recettes (par le succès des opérations de cessions), les ressources ainsi générées devant être utilisées d'une manière judicieuse (notamment par le désendettement de la sphère publique).

* 225 Le rapport de 2004 sur l'Etat actionnaire rapport insiste sur le fait que la gestion active des participations de l'Etat est une des clefs de la bonne santé financière des entreprises publiques. Ainsi, "trois opérations réalisées depuis le début de l'année 2004 ont contribué à l'enregistrement d'une recette brute de 5,4 milliards d'euros; il s'agit de la cession de la participation dans la SNI (société nationale immobilière), de l'ouverture du capital de la SNECMA et de l'opération de privatisation de France Télécom". Enfin, les entreprises publiques ont en outre réalisé d'importantes cessions. Toutefois, certains points noirs sont mentionnés dans le rapport. Il s'agit notamment du poids de la dette financière (192,7 milliards d'euros) et des engagements hors bilans ( 219 milliards d'euros dont la moitié au titre des retraites). Le rapport rendu en 2005 insiste pour l'année 2004 sur le changement de statut d'EDF et de Gaz de France, la privatisation de France Telecom et d'Air France, l'ouverture du capital de Snecma et des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et l'entrée au capital d'Alstom. Cette tendance se poursuit en 2005 : changement de statut d'Aéroports de Paris (ADP), création de la banque postale, fusion de Snecma et Sagem qui a donné naissance au groupe Safran, évolutions capitalistiques avec notamment l'ouverture du capital de Sanef et le désengagement complet du capital de Bull.. Le chiffre global d'affaires des entreprises dont l'état est actionnaire a progressé de 4.8% par rapport à 2003 pro forma pour atteindre 195.4 milliards d'euros.

* 226 La commission estime que les indicateurs proposés pourraient être avantageusement complétés par un nouveau critère ; le nombre d'années de bénéfices de l'entreprise auxquelles correspond la valeur des actions vendues. L'intérêt patrimonial des opérations de privatisations, serait mieux mesuré, comme l'a montré le débat récent sur les privatisations d'autoroutes.

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