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La faillite de l'ONU devant le génocide des Tutsi du Rwanda : Des causes de l'échec et des leçons à en tirer

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par Jean-Bosco Iyakaremye
Université du Québec à Montréal - Maîtrise en droit international (LLM) 2001
  

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CHAPITRE II. LES DÉFAILLANCES OPÉRATIONNELLES

Sous ce chapitre, il sera question de certaines omissions ou négligences constatées au niveau des différentes instances de l'ONU, tant dans le cadre de la prévention (Section I) que dans celui de l'arrêt du génocide au Rwanda (Section II).

Section I. Omissions et négligences au niveau de la prévention du génocide

Tel que souligné dans la partie introductive, le problème rwandais tire ses origines lointaines de la colonisation, plus précisément dans la transformation en ethnies, ce qui auparavant n'était que classes sociales. Le colonisateur institue une carte d'identité avec mentions ethniques, ce qui met fin pour de bon aux mouvements interclasses et crée le sentiment d'appartenance à un groupe désormais figé258(*). Ceci ayant pour conséquence de détruire à jamais la symbiose qui caractérisait depuis des siècles la vie des Rwandais.

Cependant, les causes directes de cette tragédie découlent de l'absence d'intérêt de la part de l'ONU, à régler le problème du grand nombre de réfugiés tutsis ayant trouvé refuge dans les pays limitrophes suite à la "Révolution de 1959", ainsi que l'impunité des crimes commis contre les Tutsi durant les deux républiques issues de cette révolution.

1. L'absence d'intérêt à régler le problème des réfugiés

La "Révolution sociale de 1959" a jeté des centaines de milliers de Tutsi sur les routes de l'exil, essentiellement vers les pays limitrophes, des dizaines de milliers d'autres étant tués, tandis que ceux restés au pays deviennent non seulement des parias, mais sont aussi régulièrement massacrés dans l'impunité totale.

Les exilés tutsis ne pourront rentrer pour deux raisons essentielles. D'abord un rapatriement global leur est refusé par les régimes hutus successifs, ensuite les conditions dans lesquelles vivent les membres de leurs familles restés au pays n'encouragent pas des retours individuels. Cette situation était bien connue au niveau de l'ONU via le HCR, mais celle-ci ne s'en préoccupe guère. Aucune pression ne sera mise sur les gouvernements rwandais successifs, pour faire accepter le retour de ceux qui sont considérés à l'époque comme les plus vieux réfugiés d'Afrique. Il semble que cette question était mineure, par rapport à celle des réfugiés à l'échelle mondiale259(*). Pourtant, la résolution de ce problème aurait peut-être évité le pire.

2. La question de l'impunité

Depuis l'attaque du FPR le 1er octobre 1990 et durant la période qui a suivi jusqu'au déclenchement du génocide, des actes de génocide sont signalés dans des rapports de spécialistes des droits de la personne, voire par un Rapporteur de l'ONU en matière d'exécutions extrajudiciaires (rapport publié en août 1993 par M.B.W. Ndiaye, E/CN.4.194/7), mais aucune condamnation internationale ne s'en suivra. Seuls deux pays, le Canada et la Belgique, suspendront temporairement leur coopération bilatérale avec le Rwanda, à l'exception de l'aide d'urgence, pour marquer leur désapprobation vis-à-vis de l'attitude des dirigeants de ce pays, en raison des conclusions desdits rapports.

Les massacres des Tutsi des années soixante, redécouverts de 1990 à 1993 se font donc dans le plus grand silence de l'ONU et de ses États membres en particulier, comme si cela n'était que normal. Ce silence complice de l'ONU était aussi un signe d'encouragement aux forces qui planifiaient le génocide, qui croyaient qu'il n'y aurait pas, comme d'habitude, de poursuites contre les responsables de ces actes.

3. L'intérêt très limité réservé aux rapports des spécialistes en matière des droits de la personne

Le rapport de la Commission internationale d'enquête du 8 mars 1993 dénonçait l'implication des organes de l'État Rwandais dans les massacres des Tutsi et révélait déjà que ces massacres constituaient, bien que de façon timide et par paraphrase, un génocide260(*).

Dans son rapport (E/CN.4.194/7) publié en août 1993, M.B.W. Ndiaye, Rapporteur spécial en matière d'exécutions extrajudiciaires, confirmait les conclusions de la Commission internationale en observant que "... ayant été ciblés uniquement parce qu'ils étaient Tutsi, l'article II, alinéa a) et b), de la Convention sur le génocide s'appliquerait"261(*).

En dépit du terme "génocide" utilisé par les deux rapports, les Nations Unies n'y porteront aucun intérêt. Comme le rapportent des spécialistes, bien que le dernier rapport fut examiné par la Commission sur les droits de l'homme de l'ONU, ce ne fut que de façon "routinière"262(*), aucune attention spéciale n'y sera réservée.

Il est vrai que l'on doit déplorer, à l'égard de ces deux rapports, une absence de corrélation entre les faits constatés et les conclusions tirées. Ces rapports notent que des actes de génocide ont été observés au Rwanda pendant la période d'avant 1994, mais aucun ne recommande la création d'un tribunal pénal international pour juger les responsables. Serait-ce parce que ces derniers étaient encore au pouvoir, ou alors ces spécialistes ne croyaient-ils pas encore à une répression internationale du crime de génocide ? Seuls les rédacteurs de ces rapports pourraient répondre à cette question, car aucune explication ne figure dans leurs documents respectifs.

C'est donc en possession de tous ces renseignements que le Conseil de sécurité décide de créer une Mission des Nations Unies pour l'Assistance au Rwanda (MINUAR), avec un mandat qu'il aurait bien pu confier, non à des militaires, mais à bien des boy-scouts ou à l'Armée du salut263(*). En effet, ces militaires n'avaient d'autre pouvoir que de se protéger eux-mêmes, et là encore, l'on sait déjà ce qui s'est passé aux dix casques bleus belges !

Pourtant, l'Accord de Paix d'Arusha, négocié sous les auspices de l'O.U.A. et pour lequel la force de l'ONU devait être le garant de son application, avait clairement tracé le contour du mandat requis pour cette opération. Sous l'influence du représentant américain, le Conseil de sécurité y passa cavalièrement outre, l'économie de budget étant son souci premier.

4. La sourde oreille faite aux appels à l'aide du Général Dallaire

Le Commandant de la force a demandé au Secrétariat de l'ONU d'adapter le mandat de la MINUAR aux circonstances du moment, en insistant surtout sur l'action de désarmer les miliciens et rechercher des caches d'armes illégales. Au lieu d'être écouté, ses supplications tombèrent dans des oreilles de sourds. Pire, le célèbre fax du 11 janvier 1994 de ce commandant ne fut jamais porté à la connaissance du Conseil de sécurité. Le Secrétariat de l'ONU préférera le garder pour lui-même, tout en ne lui accordant aucune crédibilité. Il semble que ledit fax, pour important qu'il était, n'aurait même pas été montré au Secrétaire général lui-même264(*).

Cette faute incomberait au Général Baril, à l'époque conseiller militaire à l'ONU, et deux Secrétaires généraux adjoints, Kofi Annan (maintien de la paix) et Riza (affaires politiques). Nous pensons que ces trois auraient dû démissionner pour ce grave manquement.

Le souci de faire des économies entraînera des conséquences beaucoup plus importantes, aussi bien en vies humaines qu'en moyens financiers. Ce génocide qui aurait pu être évité sera un gouffre qui va engloutir environ un million de vies humaines et des sommes plusieurs fois plus importantes que ce qui aurait pu être nécessaire pour lutter contre l'innommable265(*).

Section II. Omissions et négligences au niveau de l'arrêt du génocide

Faute d'avoir pris des mesures de prévention, l'ONU avait l'obligation d'arrêter le génocide au Rwanda, une fois celui-ci déclenché. Pourtant, lorsque la tragédie commença, personne à l'ONU ne semblait s'y intéresser, à telle enseigne que ce fut le moment précis pour mettre à l'abri les casques bleus, jugés de trop dans ce conflit qui n'était que "l'affaire des Rwandais"266(*).

Plusieurs rapports ont déjà pointé du doigt les causes et les responsables de cette déroute. Ces derniers se retrouvent à plusieurs niveaux de responsabilité à l'ONU.

1. Le souci du Secrétaire général de l'ONU de ne pas déplaire à ses patrons

Le Secrétaire général de l'ONU à l'époque est considéré comme le principal artisan de l'échec. Par mauvaise foi ou par négligence, il a volontairement omis d'informer le Conseil de sécurité de la situation réelle qui prévalait au Rwanda, alors que lui-même en avait été correctement informé par ses représentants (civils et militaires) sur le terrain.

L'intervention des forces de l'ONU au Rwanda devant engager des dépenses financières, il semble que le Secrétaire général était défavorable à cette idée pour ne pas irriter davantage les Américains qui, comme on le sait, étaient en retard de paiement pour plusieurs années, de leur quote-part au budget de l'ONU sous le prétexte que ce budget était mal géré. Ceux-ci exigeaient du Secrétaire général qu'il limite les dépenses de l'Organisation au strict minimum possible.

Les États-Unis étant les principaux contributeurs financiers, le Secrétaire général confiait à qui voulait l'entendre qu'une crise financière était prévisible au niveau de l'ONU. C'est dans ce cadre que Boutros-Ghali évoqua cette crise financière lors de la toute première rencontre conjointe des représentants du gouvernement rwandais et du FPR le 15 septembre 1993. Il leur fit également part des difficultés à trouver des contingents, compte-tenu de la guerre en Somalie et en Bosnie267(*).

Alors que l'ancien Secrétaire général au temps de l'affaire du Congo avait pris des initiatives adéquates et amené le Conseil de sécurité à le suivre dans la bonne voie, Boutros-Ghali évitera non seulement d'informer correctement le Conseil, mais il va aussi lui faire des propositions inappropriées. En effet, pourquoi proposer un retrait ou une réduction des forces sur le terrain, alors que toutes les informations en sa possession font état d'un génocide ? Cela était pourtant clair que l'unique solution était le renforcement du mandat de la MINUAR et de ses effectifs.

Au moment où des centaines de milliers de civils étaient en train d'être méthodiquement massacrés, le Secrétaire général continuera de présenter des rapports au Conseil de sécurité, indiquant "qu'il s'inquiétait de la guerre entre l'armée rwandaise et le FPR (S/1994/470, 20 avril 1994)"268(*). Aussi persistera-t-il à insister sur le cessez-le-feu entre les deux forces, seul but vers lequel le Conseil va alors focaliser toutes les actions.

Par contre, l'option de faire cesser les massacres contre une partie "de la population civile ne fut jamais présentée au Conseil de sécurité"269(*). Ces massacres seront plutôt décrits par le Secrétaire général dans son rapport comme des "violences répandues" (S/1994/470, du 21 avril 1994) et non pas comme un "génocide". Au lieu d'informer le Conseil du caractère systématique et organisé des massacres, Boutros-Ghali présentera les événements comme étant le résultat d'une anarchie, "de la même manière déformée que la majorité des médias l'avaient rapportée"270(*). Pourtant, son Représentant spécial sur le terrain l'avait informé, "dès le 8 avril, qu'une campagne de terreur bien projetée, organisée, intentionnelle et dirigée était en cours"271(*).

Le même souci de ne pas déplaire aux Américains semble avoir été partagé par le Haut Commissaire aux droits de l'homme, M. José Ayala Lasso. Le rapport (E/CN.4/S-3/3) que celui-ci a rédigé à la fin de sa visite au Rwanda au plus fort du génocide démontre, soit qu'il avait reçu pour consigne de ne pas alarmer l'ONU, soit alors une incompétence notoire. Au moment où plusieurs voix s'étaient déjà prononcé sur le caractère génocidaire des massacres, Ayala Lasso parlera seulement de "violations des droits de l'homme extrêmement graves qui se poursuivaient"272(*) dans les deux côtés. Comment ne pouvait-il pas voir de ses yeux ce que les moins intéressés avaient déjà constaté ?

Paradoxalement, malgré sa tiédeur à mobiliser l'opinion au niveau de l'ONU, le Secrétaire général sera la première personnalité de l'Organisation à prononcer, hélas trop tard, le mot "génocide", pour qualifier les massacres des Tutsi du Rwanda. Ses initiatives tardives se heurtèrent cette fois-ci à la mauvaise volonté du Conseil de Sécurité.

2. L'absence d'intérêt des membres permanents du Conseil de sécurité

Le Conseil de sécurité de l'ONU, à qui incombait en premier lieu la prévention et/ou l'arrêt du génocide, a, avant et tout au long du génocide, montré son absence d'intérêt pour les Rwandais. Alors qu'il n'en était pas à sa première expérience d'une intervention dans un conflit interne273(*), le Conseil de sécurité fera comme si ce problème ne le concernait pas du tout.

La fin de la guerre froide et d'un monde bipolaire a engendré un phénomène nouveau, à savoir la méconnaissance de tout ce qui se passe dans une zone que n'éclairent pas les projecteurs des grandes puissances, fut-ce-t-il un drame humain sans nom.

Comme le signale un rapport d'experts, aujourd'hui, "les États ont tendance à agir en fonction de leurs intérêts propres, plutôt qu'en fonction morale de faire respecter des normes de justice internationale qui est la leur"274(*). Ceci explique l'inertie du Conseil de sécurité devant le drame rwandais. En effet, ce Conseil étant à la merci des cinq puissances membres permanents, aucune de ces dernières n'avait d'intérêts à défendre au Rwanda pour mobiliser la volonté des autres en vue d'une intervention. À l'exception de la France, le Rwanda est quasiment une "terra incognita" pour les autres membres influents du Conseil de sécurité. Ils se rangeront donc de façon grégaire derrière les États-Unis.

Quant à la France, ses relations avec le gouvernement rwandais d'avant et durant le génocide, ainsi que l'appui militaire, diplomatique et financier, l'empêchent d'agir en toute neutralité. Alors qu'elles avaient rapidement mobilisé l'opinion pour l'adoption de la Résolution 688 du Conseil de sécurité (en faveur de la protection des kurdes menacés par le régime de Saddam Hussein), les autorités françaises se tiendront coi tout au long du génocide au Rwanda. Elles ne manifesteront leur intention d'agir qu'à la veille de la déconfiture de leurs alliés, les FAR. Dans un laps de temps, les autorités françaises parviendront sans problème à obtenir du Conseil de sécurité un mandat sous le Chapitre VII, pourtant refusé à la MINUAR, et leurs troupes débarqueront au Rwanda avec une rapidité déconcertante.

Si cette intervention française est arrivée en retard par rapport au génocide, elle a au moins eu le mérite de démontrer, à bien des égards, qu'une intervention d'humanité est réalisable sous mandat du Chapitre VII de la Charte de l'ONU, à condition qu'une puissance militaire soit disposée à parrainer l'opération pour qu'une Résolution dans ce sens soit votée par le Conseil de sécurité.

Quant aux pays membres non permanents du Conseil de sécurité, le génocide contre les Tutsi du Rwanda aura, une fois de plus confirmé qu'ils n'ont pas voix au chapitre. Le groupe des non-alignés, par la voix du représentant du Nigeria à l'ONU, avait en effet montré ses préférences, hélas sans parvenir à rallier les autres, pour un renforcement du mandat de la MINUAR275(*). Cette situation est résumée par un auteur qui note que

Le Conseil de sécurité a pris la responsabilité de laisser s'accomplir un génocide en refusant de le nommer comme tel, alors que chacun, à titre individuel, était convaincu de la réalité du crime, et que le secrétaire général des Nations Unies avait lui-même osé cette qualification276(*).

3. Le syndrome somalien

Après l'adoption de la célèbre Directive présidentielle américaine (PDD 25) consécutive au syndrome somalien, les États-Unis étaient les plus farouchement opposés à une intervention musclée de l'ONU au Rwanda. Ils feront tout pour bloquer toute initiative tendant dans le sens contraire. Au plus fort du génocide, l'Administration américaine alla jusqu'à empêcher à ses fonctionnaires d'utiliser le mot "génocide" pour ce qui est des massacres au Rwanda, pour ne pas tomber dans l'obligation d'y mettre fin qu'entraîne une telle réalité, de la part des États parties à la Convention.

Alors que ses forces avaient constitué le fer de lance dans les opérations au Koweït et en Somalie quelque temps auparavant, les États-Unis rechignaient à la simple proposition de maintenir les forces de la MINUAR sur place et d'accorder à celles-ci un mandat fort. Ils décréteront en revanche que l'envoi de troupes ne sera plus conditionné que par les intérêts propres de cet État dans le pays concerné, tel qu'exprimé dans la fameuse "PDD 25". Or, les États-Unis n'avaient aucun intérêt propre dans ce petit pays de l'Afrique noire sans ressources naturelles ni position stratégique.

4. L'absence d'une volonté politique pour intervenir de la part des États membres de l'ONU

La responsabilité de l'Assemblée générale des Nations Unies dans l'échec de l'ONU au Rwanda n'est pas, elle aussi, moindre. Certes, la décision d'intervention en pareil cas appartient au Conseil de sécurité, il n'en demeure pas moins cependant que l'Assemblée générale, en tant qu'organe plénier, et surtout avec le précédent de la Résolution "Acheson", était qualifiée pour soit influencer les pays membres du Conseil de sécurité, soit prendre à sa place la décision qui s'imposait, compte-tenu des circonstances.

En effet, qui aurait alors pu dire que le Conseil de sécurité remplit comme il faut les fonctions qui étaient les siennes, alors qu'il se tournait le pouce, au moment où des centaines de milliers de victimes tombaient sous les coups des génocidaires ? Une Résolution, ou tout au moins une intercession de l'Assemblée générale des Nations Unies, aurait été pertinente pour changer favorablement le cours des choses.

Tel que nous venons de le constater, les causes de l'échec de l'ONU dans le génocide contre les Tutsi du Rwanda ont été multiples, les unes étant liées au système normatif international existant, d'autres, et à notre avis plus importantes, étant surtout liées à l'absence de volonté politique pour prévenir ce drame ou y mettre fin. Quels enseignements pouvons-nous en tirer ? Face aux échecs de l'ONU, faudrait-il créer un autre organe international plus performant et plus adapté pour prévenir et lutter contre le crime de génocide, où faudrait-il revitaliser les structures existantes de cette organisation que tous s'accordent à trouver indispensable ?

CHAPITRE III. QUELLES LEÇONS EN TIRER ?

La présente étude serait incomplète si elle ne tirait aucune leçon du drame des Tutsi du Rwanda, en passant sous silence des propositions de réponse aux problèmes relevés. Quoique beaucoup d'enquêtes et études aient été menées et un certain nombre de recommandations formulées à cet égard, il convient de rappeler celles-ci, en y ajoutant bien entendu nos propres suggestions pour renforcer les précédentes études.

Toutes les études faites au sujet des échecs de l'ONU ont jusqu'à présent confirmé la nécessité de conserver cette organisation mondiale, même si sa réforme s'avère impérative, afin de lui permettre de remplir son obligation principale, soit la sauvegarde de la paix et la sécurité internationales.

La plupart des enquêtes et études menées en vue de l'amélioration du système des opérations de paix sont tombées dans la même erreur de faire un amalgame entre le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Il est vrai que le génocide est un crime contre l'humanité, mais il est d'un caractère sui generis. Si les génocides déjà constatés ont été jusqu'ici commis sur fond d'une guerre interne ou internationale, il faut garder à l'esprit qu'ils sont susceptibles d'être commis même en temps de paix.

En outre, une autre confusion provient du fait que l'on oublie souvent qu'en matière de génocide, même si l'on le qualifie de conflit interne, ce n'est pas exactement de cela qu'il s'agit, mais bien d'un crime d'État. En effet, un conflit suppose deux parties en opposition, ce qui n'est pas le cas pour un génocide. Oui, il y a bien deux parties dans un génocide, mais ces parties ne sont pas comme tel en conflit. L'une des parties, l'État, commet un crime, l'autre partie, une partie de la population, ne fait que subir.

Dès lors, quand bien même les moyens de prévention du génocide et des crimes contre l'humanité seraient en grande ligne les mêmes, les mesures utilisées pour mettre fin à des conflits intraétatiques ne sont pas nécessairement efficaces contre un génocide. Nous insisterons spécifiquement sur les moyens de prévenir un génocide, qui consistent à renforcer la Convention sur le génocide (Section I), et à réformer l'appareil de l'ONU. (Section II).

Section I. Des mesures à prendre pour renforcer la Convention sur le génocide

L'intérêt de cette partie de l'étude porte essentiellement sur les mécanismes de prévention du génocide, pour la simple raison qu'il n'y aurait pas lieu, ni de devoir mettre fin à un génocide, ni d'être dans l'obligation de le réprimer, si les moyens de prévention étaient mis en oeuvre et les mesures respectées.

Dans ce cadre, la Convention du 9 décembre 1948 devrait être revu pour combler les lacunes et faiblesses y constatées. Ceci se ferait notamment en levant toutes les équivoques contenues dans le texte de la Convention, en mettant en application certaines dispositions de la Convention restées sans suite, et en y insérant un mécanisme de prévention.

1. Lever les ambiguïtés contenues dans la Convention

Les articles premier et huit de la Convention sur le génocide devraient être clarifiés, de façon à reconnaître qui des parties à la Convention et l'ONU, a l'obligation première de prévenir, arrêter et réprimer un génocide. Cette obligation devrait bien entendu revenir en premier lieu à cette organisation interétatique, plutôt qu'à un seul État. Il est clair que les États - parties et non parties277(*) - auraient également l'obligation de coopérer avec l'ONU dans la lutte contre ce crime sans nom.

L'organe de l'ONU chargé de prévenir, arrêter et réprimer le génocide devrait également être nommément désigné, afin de mieux le responsabiliser. Sans aller jusqu'à être pénale, cette responsabilité devrait être établie de façon à pouvoir sanctionner des négligences individuelles, sans pour autant que l'ONU en soit déchargé. En effet, l'imputabilité des agents de l'État ou de ses organes en cas d'action et/ou omission funeste, n'exonère pas celui-ci de sa propre responsabilité.

2. Mettre en application les impératifs de la Convention

Les articles cinq et six de la Convention accordent respectivement une compétence aux juridictions nationales et à la Cour pénale internationale pour juger les responsables du génocide.

Cependant, comme souligné plus haut, en ce qui concerne des juridictions nationales, seuls deux pays, la Belgique et le Canada, ont jusqu'à présent souscrit à cette disposition. Contrairement à ce que note un auteur qui dit qu'il "n'est pas sûr que ce soit judicieux"278(*) que les tribunaux étatiques disposent de la compétence universelle en matière de crime contre l'humanité, nous pensons que d'autres États devraient emboîter le pas à ces deux pionniers de la compétence universelle, pour que le monde se resserre autour des génocidaires.

Sur le plan international, il faudrait que les États signataires du traité de Rome du 17 juillet 1998, qui n'ont pas encore ratifié ledit traité, le fassent dans les plus brefs délais, pour que la Cour criminelle internationale que crée ce traité soit une réalité. En effet, même si les difficultés survenues dans la négociation de ce code pénal international ont permis quelques faiblesses destinées à séduire certaines puissances encore réticentes279(*), il n'en demeure pas moins qu'un pas important a été franchi dans la prévention du génocide par la dissuasion.

3. Créer un organe de prévention au sein de la Convention sur le génocide

La convention sur le génocide a une lacune importante en matière de prévention. Afin de ne plus se trouver en retard par rapport à un génocide, il faudrait créer un Comité contre le génocide. Composé d'experts indépendants de haute moralité et compétents en la matière. Ce Comité serait habilité à faire des enquêtes dans tous les pays du monde, spécialement dans des zones où des signes précurseurs seraient signalés. Il ferait directement rapport au Secrétaire général de l'ONU et au Conseil de sécurité, annuellement et chaque fois que de besoin. À la différence d'autres organes de contrôle des Nations Unies, ce Comité agirait de façon active, au lieu d'attendre que lui parviennent des plaintes. Le Comité aurait des pouvoirs de faire des propositions directement applicables par les organes compétents de l'ONU.

Une révision de la Convention pouvant être difficilement réalisable, le texte créant ce Comité serait adjoint à la Convention par un Protocole additionnel facultatif.

Section II. Réformer l'ONU pour prévenir le génocide

Les moyens de prévention du génocide ne diffèrent pas sensiblement de ceux utilisés pour la prévention d'autres violations graves des droits de la personne humaine. Cependant, en vertu du caractère particulier de ce crime, les Nations Unies devraient s'atteler à trouver de nouvelles formules pour y mettre définitivement un terme, pour que le "plus jamais ça !" soit désormais une réalité. Plusieurs études dans le cadre des missions de paix ont été faites et des recommandations formulées. Nous en reprendrons l'essentiel avec nos avis et considérations et ferons des compléments que nous jugerons utiles.

Le Rapport du groupe d'étude sur les opérations de paix de l'ONU du 17 août 2000, appelé le "Rapport Brahimi"280(*), constitue un document qui fait à ce jour autorité en cette matière. Ce rapport a été favorablement accueilli par le Conseil de sécurité de l'ONU qui a fait siennes les recommandations y contenues, par sa résolution 1318 (2000) du 7 septembre 2000.

Un rapport de suivi281(*) sur la mise en oeuvre de celui-là a également été publié par le Secrétaire général de l'ONU le 21 octobre 2000. Les ressources nécessaires à la mise en application des recommandations de ce rapport ont déjà fait l'objet d'un rapport du Secrétaire général282(*). Récemment, un autre rapport sur la mise en oeuvre de ces recommandations a été publié par le Secrétaire général de l'ONU283(*).

Dans le rapport de 1992 intitulé "Agenda pour la paix" et son supplément de 1995, le Secrétaire général Boutros-Ghali avait mis en exergue les principales faiblesses de l'ONU en matière de mission de paix, dont notamment : le manque de volonté politique des membres du Conseil de sécurité ainsi que l'insuffisance des moyens militaires mis à la disposition de l'ONU. Contrairement aux deux rapports de Boutros-Ghali restés dans les tiroirs des Nations Unies, le rapport Brahimi a reçu une grande consécration de la part de l'organe de décision qu'est le Conseil de sécurité de l'ONU, et a même eu un retentissement mondial.

Certes, le rapport Brahimi traite dans les moindres détails et de façon remarquable les aspects opérationnels et organisationnels susceptibles d'améliorer l'action des missions de paix, cependant, à notre humble avis, il n'en demeure pas moins que ce document nous semble incomplet, n'ayant pas réellement abordé des sujets aussi importants pour la réussite des missions de paix que sont les aspects politiques et stratégiques.

Les points forts de ce rapport concernent quatre points à savoir : les actions préventives (1), les appuis politiques (2), le déploiement rapide (3) ainsi que la solidité et la fermeté des forces d'intervention (4). Seul le premier point mérite d'être examiné dans cette section.

Deux activités sont proposées au titre des actions préventives par le Rapport Brahimi : la création d'unités de gestion de l'information et de l'analyse stratégique et l'établissement des faits dans les zones de tension à titre de mesure immédiate de prévention des crises. Ces deux actions sont certes très importantes, mais elles ne sauraient à elles seules suffire.

En effet, au lieu de se présenter comme une action de police qui agit après coup en contrôlant si les normes ont été respectées, nous pensons que la meilleure stratégie en faveur d'une action préventive efficace serait de mettre la main à la pâte, en s'attaquant aux causes profondes des conflits, dont notamment l'environnement politique, juridique, économique, social et culturel qui alimentent lesdits conflits.

Comme le souligne Kofi Annan,

le meilleur moyen de prévenir un conflit violent est de promouvoir le développement humain durable et d'instaurer une société démocratique harmonieuse reposant sur le strict respect de la légalité et des institutions civiles solides, une société où tous les droits de l'homme - économiques, sociaux, politiques et culturels - sont respectés284(*).

C'est ici que le concept des "Casques blancs" trouve toute sa justification. Adoptée officiellement le 22 décembre 1995 par l'Assemblée générale de l'ONU, la résolution A-50-19 crée le concept de "Casques blancs". Ceux-ci sont constitués de volontaires civils "aux opérations de secours humanitaires et aux activités de relèvement et de coopération technique pour le développement entreprises par l'ONU"285(*). Contrairement au mandat fixé par la Résolution, les "Casques blancs" agirait par prévention et non lorsqu'un conflit éclaterait.

1. Agir sur l'environnement politique

Le renforcement de l'État de droit constitue la première étape de la promotion et la protection des droits de la personne humaine. Un État où la séparation et la complémentarité des pouvoirs sont garanties, où les institutions politiques fonctionnent normalement et où la liberté de la presse est respectée, ne saurait connaître des violations graves des droits de la personne. Si les gouvernements rwandais successifs d'après l'indépendance n'avaient pas été des dictatures (et des fois des anarchies), mais plutôt s'étaient efforcés de respecter les droits de tous les citoyens sans exclusion, il va sans dire qu'il n'y aurait pas eu de génocide en 1994.

En revanche, en érigeant en institution une citoyenneté de seconde zone pour les Tutsi, ces gouvernements ont bien entretenu les germes du génocide. Le fait que pendant plus de trois décennies, les Tutsi du Rwanda n'avaient aucun droit dans leur propre pays, pas même le plus fondamental, soit le droit à la vie.

2. Agir sur l'environnement juridique

Le lien étroit entre la paix et la justice est indéniable. En effet, la mainmise des pouvoirs politiques sur le système judiciaire est le plus grand ennemi du respect des droits de la personne, et partant, de la paix. Durant plusieurs années au Rwanda, non seulement tuer un Tutsi n'était pas un crime, mais cela était plutôt un acte de civisme à encourager. Cette culture de l'impunité longtemps entretenue, a finalement fait croire aux Tutsi du Rwanda qu'ils étaient voués à la disparition, et à leurs bourreaux qu'ils seraient bénis des dieux s'ils faisaient disparaître ces "cancrelats" de la surface de la terre. C'est cela que Yves Ternon appelle "l'engourdissement psychique"286(*) pour le meurtrier, quand celui-ci "prépare sa victime à l'hallali"287(*).

Il faudrait donc que l'ONU puisse, à travers ses organes et institutions spécialisées, s'atteler à agir en amont, en mettant sur pied des mesures efficaces favorisant la promotion et le respect des droits de la personne dans tous les pays du monde. Ces derniers auraient une obligation impérative de respecter ces mesures, et au besoin, des moyens de coercition, tels que l'embargo sur les armes288(*), le gel des avoirs à l'étranger et la mise en quarantaine des dirigeants, devraient être appliqués à l'encontre de tout État récalcitrant.

Enfin, l'impunité étant le principal encouragement des criminels, il faudrait trouver les moyens d'y mettre fin une fois pour toutes. En effet, le génocide contre les juifs a été favorisé par l'impunité du génocide arménien. Pourtant, lorsque ce génocide était en train de se commettre, les gouvernements français, anglais et russe avaient proclamé que "devant ce nouveau crime de lèse-humanité (...) les puissances de l'Entente déclarent publiquement à la Sublime Porte qu'elles en tiendront personnellement responsables les membres du gouvernement ainsi que tous ceux qui auront participé à ces massacres"289(*). Il n'en fut rien. C'est pour cela que Hitler aurait prononcé cette phrase pour expliquer l'indifférence du monde au génocide des Juifs : "Après tout, qui se souvient aujourd'hui des Arméniens" 290(*)?

De même, le génocide de 1994 a été encouragé par les actes de génocide commis contre des Tutsi, de 1959 à 1994, sans qu'aucun criminel ne soit puni, ni au niveau national, ni au niveau international.

Comme l'observait à juste titre un magistrat lors du procès de Nuremberg, cité par un auteur, "l'affirmation des principes de Nuremberg est illusoire, s'il n'existe pas d'organe préconstitué et permanent, digne de les sanctionner"291(*).

Dès lors, la mise en vigueur de la Cour pénale internationale s'avère une priorité. Si les Tribunaux ad hoc (TPIY et TPIR notamment) ont pu suppléer adéquatement l'absence d'un tribunal pénal international permanent, il n'en demeure pas moins que ce dernier s'impose impérativement, afin de disposer d'un instrument permanent de dissuasion contre les crimes internationaux. Il faudrait également revoir, dans les délais requis, la compétence de ce tribunal, fixée par le Statut de Rome, afin de rendre celle-ci réellement universelle. Dans ce domaine, d'autres pays devraient également soutenir l'action combien importante amorcée par la Belgique et le Canada de doter leurs tribunaux d'une compétence universelle en matière des crimes internationaux, afin de resserrer l'étau autour des criminels internationaux.

3. Favoriser un bon environnement économique, social et culturel

Ce n'est ni par l'effet du hasard, ni parce que les Africains aiment la guerre que la plupart des conflits intraétatiques sont recensés dans leur continent. L'Afrique est en effet le continent qui a connu ces dernières années le plus de missions de paix de l'ONU et dont la plupart se sont soldées par des échecs.

La pauvreté extrême dans laquelle vivent un grand nombre de populations africaines est un bassin de fermentation favorisant des violations des droits de la personne. En effet, dans un État où la voie d'accès aux richesses passe inévitablement par l'occupation des hautes fonctions étatiques, il n'est pas étonnant que l'alternance politique s'opère souvent dans un bain de sang.

En outre, la constitution des milices, autre élément déstabilisateur, s'obtient plus facilement en faisant miroiter aux jeunes sans emplois les moyens de sortir de leur misère par la voie des armes. Ces jeunes sont d'autant plus vulnérables qu'ils n'ont souvent pas grand-chose à perdre. C'est ainsi que les tristement célèbres "Interahamwe" (ceux qui attaquent ensemble), responsables de l'exécution de plusieurs centaines de milliers de Tutsi au Rwanda en 1994, ont été facilement recrutés parmi la jeunesse désoeuvrée.

L'ONU devrait donc, par le biais des institutions financières de Bretton Woods, aider les pays en développement à sortir de leur pauvreté endémique, en agissant sur les causes de celle-ci dont notamment le poids de la dette. À l'instar de quelques initiatives de bailleurs de fonds bilatéraux, une annulation de la dette en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) s'avère indispensable, et, qui plus est, un plan de développement à moyen et long terme devrait être pensé et mis en oeuvre, afin de réduire l'écart qui augmente chaque jour davantage entre ces derniers et les pays riches. Les Nations Unies devraient également s'atteler à la recherche de voies et moyens pour promouvoir le développement de ces pays, en agissant plus particulièrement sur l'accès aux connaissances et aux technologies.

Tout comme la pauvreté, l'ignorance et l'analphabétisme sont un terrain propice à la violence et au non-respect des droits de la personne. En effet, il est plus facile de manipuler un illettré qu'un intellectuel. À ce propos, l'ONU devrait, par le biais de ses organismes spécialisés tels que l'UNESCO et le Haut-commissariat aux droits de l'homme, mobiliser les ressources nécessaires, afin de vaincre tous les obstacles à l'accès au savoir, à la culture de la paix et du respect des droits de la personne. Des cours relatifs à la promotion et la protection des droits de la personne devraient être enseignés dès l'école primaire, pour inculquer aux tout jeunes la culture de tolérance et de la paix.

Ce n'est qu'alors que la création d'unités de gestion de l'information et de l'analyse stratégique, ainsi que la mise en place des missions d'établissement des faits seraient utiles, afin de pouvoir réagir à temps.

4. Mettre sur pied un mécanisme d'alerte rapide

Pour retenir l'attention des décideurs politiques au niveau de l'ONU, les événements doivent faire l'objet d'une couverture médiatique des grandes chaînes de télévision. C'est ce que l'on a l'habitude d'appeler "l'effet CNN". Le génocide contre les Tutsi du Rwanda s'est préparé et exécuté dans un silence assourdissant, parce que précisément cela n'intéressait pas CNN. Pour cette dernière, au moment du génocide au Rwanda, les élections en Afrique du Sud et l'intronisation de Nelson Mandela étaient plus importantes que tout autre événement survenu dans un petit pays sans aucune importance, fut-ce-t-il un génocide.

Dans son "Agenda pour la paix 1992"292(*), le Secrétaire général de l'ONU a évoqué, sans plus de détails, le rôle du Conseil économique et social dans la contribution du système d'alerte rapide, par la production de rapports sur des situations susceptibles de mettre en danger la paix et la sécurité internationales. Par sa résolution 48/141 du 20 décembre 1993, l'Assemblée générale des Nations Unies a créé un poste de Haut Commissaire aux droits de l'homme, chargé de promouvoir et de protéger tous les droits de l'homme. Celui-ci relève directement du Secrétaire général des Nations Unies.

Cependant, sans minimiser le rôle de ces deux organes, il n'en demeure pas moins qu'ils ont démontré leur impéritie ou du moins leur incapacité à mobiliser les ressources nécessaires pour prévenir ou arrêter le génocide au Rwanda. Pourtant, des signes avant-coureurs étaient perceptibles plusieurs années en avance. Comme le dit Y. Ternon à propos des groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux, "la situation prégénocidaire commence avec la perte des droits civiques"293(*). Or, pour les Tutsi du Rwanda, ce n'était pas seulement les droits civiques qui leur étaient refusés, mais même les droits fondamentaux.

Il faudrait dès lors que l'ONU puisse créer ses propres canaux d'information, capables se secouer la léthargie des grandes puissances qui enferment cette organisation dans un étau et ne bougent pas tant et aussi longtemps que les grands médias n'ont pas mis leurs feux sur l'événement.

L'ONU devrait également mettre sur pied un réseau d'experts en matière des droits de la personne, à affecter dans différentes régions du monde, et qui sonneraient l'alarme, chaque fois que les premiers signes d'un génocide seraient décelés. Ce réseau d'alerte précoce aurait le rôle de recueillir l'information, de l'analyser et de proposer des options stratégiques susceptibles de guider une action préventive de l'ONU. Les responsables pour chacune des régions concernées devraient pouvoir remettre leurs rapports au Secrétaire général des Nations Unies, à qui ces derniers devraient pouvoir accéder en permanence. Spécialistes des problèmes des droits de la personne dans une région donnée, ces experts seraient aussi très utiles en cas d'intervention d'humanité dans cette partie du monde.

5. Codifier l'intervention d'humanité

En plus des moyens que nous venons de citer, l'ONU devrait mettre à jour des textes normatifs existants en cette matière, notamment sa Charte, et combler les lacunes et les faiblesses y constatées. La Charte de l'ONU a été imaginée et écrite dans un contexte aujourd'hui périmé. Les guerres, à l'époque interétatiques, ont laissé place aux conflits intra-étatiques. Comme le rappelait il y a peu le président du CICR, "ce qui caractérise les conflits majeurs d'aujourd'hui, c'est qu'ils sont en bonne partie - vingt sur vingt-cinq, internes"294(*). À cet égard, il faudrait donc mettre à jour le code de 1945, afin de l'adapter aux transformations qui n'ont cessé de se produire, surtout depuis cette dernière décennie. Pourquoi continuer à suivre une voie, dès lors qu'il est clair qu'elle ne mène nulle part ?

Comme le note un auteur, "la multiplication des opérations de maintien de la paix témoigne de l'échec du système de sécurité prévu par la Charte et qui n'a jamais pu fonctionner"295(*). De leur côté, ces missions de paix ont connu beaucoup d'échecs dus aux mandats et aux moyens réduits leur accordés. Il faudrait dès lors imaginer un nouveau système qui aurait une capacité suffisante pour prévenir ces catastrophes et imposer la paix en cas de besoin.

Beaucoup de voix s'élèvent depuis quelques années, surtout dans les milieux des droits de la personne, pour réclamer un droit d'intervention d'humanité. Ils estiment que "le respect de la souveraineté des États devra passer après le respect des vies humaines et la défense du droit à l'existence des minorités lorsqu'elles sont menacées par un État despotique"296(*). D'autres s'étonnent que cela ne soit pas encore ancré dans la mémoire collective pour déclencher une réaction internationale positive immédiate. Comme le note un auteur,

La chute du mur de Berlin, l'effondrement du camp socialiste ont permis le rapprochement des sensibilités collectives à l'Est et à l'Ouest. Le temps semblait venu d'affirmer le droit pour les populations en détresse de recevoir une aide internationale d'urgence lorsqu'elles ne peuvent être secourues par leurs propres pouvoirs publics297(*).

Nous appuyons parfaitement cette critique, ainsi que celle de cet avocat qui notait en 1993, qu'il "est inadmissible qu'aujourd'hui la Charte (sic) des Nations Unies ne comprenne pas encore de disposition claire prévoyant le droit d'intervention"298(*). Cette réflexion est toujours d'actualité. Il suggérait que son pays, la France, puisse proposer "une addition à la Charte qui dirait clairement que l'intervention est possible soit lorsqu'un État procède lui-même à la destruction, à l'avilissement d'une partie de sa population, soit lorsqu'il laisse une telle destruction se dérouler"299(*). Quant à la ratification de cet ajout, il explique que "les pays seraient invités, conformément à la procédure, à adhérer à un tel texte ou à le refuser. Ceux qui refuseraient seraient très vite identifiés comme des agresseurs possibles de leur propre peuple"300(*).

Nous souscrivons entièrement à cette réflexion, préconisons davantage le fait que cela ne soit pas seulement un droit, mais bien plutôt une obligation. Tous les pays seraient dans l'obligation d'intervenir, sur base d'une Résolution du Conseil de sécurité naturellement.

Dans le cadre de la codification des pratiques intervenues à l'ONU depuis un certain nombre d'années, un nouveau chapitre s'imposerait pour y inscrire expressis verbis ce qui est souvent désigné comme "le Chapitre six et demi". Celui-ci comprendrait notamment une disposition relative à l'obligation d'intervention d'humanité, en cas de menace d'un génocide et de crimes contre l'humanité, pour que ceci ne soit plus qu'une faculté, mais bien une obligation.

Cette codification aurait aussi l'avantage de prendre au mot ceux qui n'évoquent cette intervention que du bout des lèvres. Feu le Président F. Mitterrand n'avait-il pas, le 30 mai 1989, annoncé que "l'obligation de non-ingérence s'arrête à l'endroit précis où naît le risque de non-assistance"301(*) ? Pourtant, celui-ci ne fit rien ni pour désavouer le très extrémiste Journal Kangura qui, ironie du sort, publiait la photo du président français sur la page de couverture de sa parution où étaient publiés les dix commandements des Bahutu en 1990, ni pour mettre hors d'état de nuire, des hordes de tueurs qui chantaient son nom en exterminant des Tutsi en 1994, du bébé au vieillard302(*). La raison serait-elle que le président Français n'aurait prononcé ces mots que parce qu'il les a, malgré lui, trouvés dans un discours lui préparé avec l'aide de Bernard Kouchner303(*) ? Quoi qu'il en soit, l'attitude de son pays devant le génocide au Rwanda aura démontré que ce n'est que du bout des lèvres qu'il a laissé échapper cette phrase.

Le principe de souveraineté étatique, et son corollaire, la non-intervention des affaires intérieures d'un État, sont certes des concepts qu'il faut bien défendre, dans le cadre de la coexistence pacifique. La souveraineté étatique suppose l'inviolabilité du territoire d'un État, mais également la non-immixtion, par les tiers, dans les affaires de sa compétence nationale.

Cependant, le massacre d'une partie de la population pour l'une ou l'autre raison ne pourrait être retenu comme étant une affaire intérieure d'un État. En effet, dès lors qu'une matière touche à l'intégrité physique, voire morale d'une population d'un État, cela cesse de rester sous la seule compétence de cet État. Si un État se met hors-la-loi en organisant ou en laissant commettre un génocide sur une partie de sa propre population, il va sans dire qu'on ne doit plus le laisser faire.

De même, différentes situations nécessitant des interventions ne l'ont pas été, ou ont été caractérisées par des échecs lamentables. Des millions de personnes ont perdu toute confiance en la capacité de l'ONU à leur venir en aide en cas de détresse liée aux conflits internes. L'échec du Rwanda et des centaines de milliers de vies humaines emportées par le génocide devraient l'interpeller. Il faudrait que l'ONU se donne les moyens de rétablir cette confiance.

Comme l'a si bien souligné le Secrétaire général à l'Assemblée du Millénaire, "les résolutions et les déclarations ne peuvent rien changer à cet état de choses, seule l'action le peut : une action rapide, concertée et efficace, menée avec compétence et discipline, pour faire cesser les conflits et rétablir la paix"304(*). Il a, à juste titre conclu que "ce n'est qu'en agissant ainsi que l'Organisation des Nations Unies pourra rétablir sa réputation, celle d'une force crédible au service de la paix et de la justice"305(*).

À cet égard, des structures nouvelles s'imposent, afin de créer un monde où le génocide ne figurera plus que dans des livres d'histoire. Ceci passe notamment par la révision de la composition du Conseil de sécurité (art. 23.1 de la Charte), du mode de prise de décision au sein de ce Conseil (art. 27.3) de l'étroite collaboration de l'ONU et des organismes régionaux (chapitre VIII), ainsi que par la mise sur pied d'une force d'intervention rapide.

6. Revoir la composition du Conseil de sécurité et du mode de prise de décision au sein de celui-ci

Lors de la création de l'ONU, celle-ci était essentiellement composée des pays du Nord, ceux du Sud étant encore sous la colonisation de certains de ces premiers. Le rayonnement de la Charte des Nations Unies n'éclairait donc que l'hémisphère Nord de la Terre, autrement dénommé "pays civilisés". Aujourd'hui, la quasi-totalité des États du monde sont devenus des "pays civilisés".

Au nombre d'une cinquantaine à l'origine, les États membres de l'ONU sont à l'heure actuelle à peu près quatre fois plus. Cependant, la composition du Conseil de sécurité n'a été que faiblement modifiée306(*) jusqu'à présent. Il serait dès lors grand temps pour que ce Conseil puisse refléter l'image actuelle de la communauté des États membres l'ONU et permettre une meilleure représentation des pays du Sud, tant en ce qui concerne les membres permanents que non- permanents.

Une représentation équitable des pays du Sud est un élément important en faveur de la paix et la sécurité dans le monde. Il a été noté plus haut le rôle joué par le représentant du Nigeria pour plaider, hélas sans succès, auprès du Conseil de sécurité, pour l'intervention au Rwanda au plus fort du génocide. Sa voix aurait probablement été entendue si cet État figurait parmi les membres permanents. Reste à savoir si pour chaque région les pays pourraient s'entendre pour présenter des candidatures unanimes.

Quant à la réforme concernant le mode de prise de décision du Conseil, la question du droit de veto semble encore résister à la vague de changement, en vertu du rôle prépondérant que ce moyen exorbitant accorde à ses détenteurs. Il faut noter que l'abolition de cet instrument antidémocratique tient de la quadrature du cercle. En effet, selon l'article 108 de la Charte des Nations Unies, aucun amendement de celle-ci ne peut entrer en vigueur s'il n'est pas adopté par tous les membres du Conseil de sécurité.

Or, ce sont justement ces derniers qui jouissent de la supériorité qu'offre ce droit de veto. Il serait dès lors utopique de penser que ces États accepteront volontiers de s'en dépouiller. L'alternative à cette problématique serait alors de s'abstenir d'abuser de ce droit de veto pour des situations nécessitant une intervention d'humanité, et de rendre sa motivation obligatoire au cas où l'un ou l'autre membre permanent en ferait un usage abusif pour paralyser une action en faveur de la paix. Ceci impliquerait également une responsabilité internationale de l'État ayant mis son veto à cette action.

Dans le même ordre d'idées, les décisions du Conseil de sécurité devraient pouvoir être effectivement exécutoires. Il appartient bien entendu à celui-ci de trouver les mécanismes de les faire exécuter, en prévoyant notamment des sanctions efficaces à l'endroit des récalcitrants. En effet, comme le signale un auteur, "le droit ne peut malheureusement pas compter sur sa force morale intrinsèque pour s'imposer à ses sujets. L'institution d'un système contraignant se révèle indispensable pour assurer l'application des normes juridiques"307(*). Il faudrait en outre une volonté politique suffisante des États, pour doter l'ONU d'un budget lui permettant de mobiliser des moyens humains et matériels suffisants pour s'acquitter de ses obligations.

7. Mettre sur pied une force d'intervention rapide

Il serait illusoire de penser que toutes ces prescriptions et recommandations que nous venons d'évoquer sont une panacée pour la résolution de tous les problèmes en matière de violations graves et massives des droits de la personne. C'est pourquoi nous recommandons aussi la mise sur pied d'une force d'intervention rapide, pouvant jouer un double rôle : d'abord comme un moyen de dissuasion dans le cadre de la prévention, ensuite comme une force d'une rapidité immédiate et fulgurante afin de mettre hors d'état de nuire et sans délai, toute entité voulant s'adonner à la perpétration de crime de génocide ou de crimes contre l'humanité.

La Charte de l'ONU avait prévu en son article 43, la création d'une armée des Nations Unies constituée de contingents prêtés par les pays membres, afin de contribuer au maintien de la paix et la sécurité internationale. Cette armée devait être dirigée par le Conseil de sécurité avec l'aide d'un état-major (art. 45 et 46). Ce dernier devait se composer de chefs d'état-major des membres permanents du Conseil de sécurité ou de leurs représentants (art. 47). Cette structure n'a jamais vu le jour en raison des divergences de vue entre les deux grands de l'époque. Celle-ci ayant été conçu pour lutter contre les conflits interétatiques, elle ne serait pas aujourd'hui appropriée pour la majorité des conflits actuels, qui sont essentiellement internes.

Nous recommandons donc la constitution à court terme d'une unité d'intervention rapide, composée de forces homogènes crédibles et prêtes à intervenir préventivement dans n'importe quelle région du monde où une situation pré-génocidaire serait décelée. L'homogénéité des troupes offre une cohérence dont ne dispose pas des forces disparates, ce qui contribue au succès plus que tout autre facteur. En effet, si l'expérience a démontré que les interventions réussies sont celles entreprises avec le soutien décidé des forces d'une puissance militaire, le secret de cette réussite réside surtout dans la cohésion et la coordination des activités sur le terrain. Une chaîne de commandement ordonnée est un élément essentiel pour le succès d'une mission militaire. Cette unité d'intervention rapide serait à long terme remplacée par des forces régionales une fois constituées et consolidées.

8. Favoriser une collaboration étroite entre l'ONU et les organismes régionaux et constituer des forces régionales d'intervention d'humanité

Le chapitre VIII de la Charte de l'ONU donne aux accords ou organismes régionaux, le pouvoir de régler les affaires qui touchent à la paix et la sécurité internationales, à condition que leur activité respecte les buts et principes des Nations Unies, et que le Conseil de sécurité soit pleinement informé de toute action entreprise ou envisagée en vertu de ces accords ou par ces organismes. Ce droit comporte notamment le pouvoir d'exercer une action coercitive, avec autorisation préalable du Conseil de sécurité.

Cette disposition est d'autant plus avantageuse que des conflits internes que l'on observe aujourd'hui sont d'origine locale, et que dès lors des acteurs régionaux sont mieux placés, d'abord pour les comprendre et les prévenir, ensuite pour les faire disparaître, et ce avec de moindres moyens. Il est important de noter que ce système de solidarité régionale peut être déclenché, soit d'initiative par des puissances régionales mais avec l'aval explicite du Conseil de sécurité, soit sur décision de ce dernier.

Cependant, la pratique révèle que les ressources de ce système, quoique limitées, ont rarement été mises à contribution. Il faudrait donc que l'ONU favorise la formation des ensembles régionaux et appuie ces entités là où elles existent, en les dotant de moyens humains et matériels, en vue de leur permettre d'assumer des responsabilités régionales en matière de paix.

La délégation des pouvoirs aux organismes régionaux ne doit toutefois pas impliquer pour l'ONU la fuite de ses responsabilités en matière de paix et de sécurité.

Cette collaboration devrait permettre la constitution de forces régionales, dont la formation serait assurée par des experts militaires agissant sous la responsabilité de l'ONU et dont l'équipement serait fourni par celle-ci. Une bonne formation militaire, civique et humanitaire constitue un atout qui fait autant défaut aux militaires du Sud que de l'équipement, alors qu'elle est très importante pour la réussite d'une intervention d'humanité.

Ces forces régionales seraient composées de militaires des pays de la région. La formation et l'entraînement seraient régulièrement entrepris ensemble et leurs chaînes de commandement seraient tout à fait indépendantes de leurs armées d'origine au moment des interventions. Ces forces remplaceraient alors progressivement la force d'intervention rapide de l'ONU, qui n'aurait plus sa raison d'exister.

Aussi longtemps que les organisations régionales n'auraient pas encore acquis les moyens de financer de telles forces, la solde des militaires durant les campagnes ainsi que toute la logistique nécessaires à la bonne marche des opérations seraient supportés par l'ONU.

Il est vrai que l'ONU n'est pas un super-État mais bien une organisation inter-États. Elle ne peut donc accomplir que ce dont les États membres, surtout les plus influents, veulent bien lui donner les moyens de faire. L'engagement des États dans le domaine des interventions d'humanité a jusqu'ici été très mitigée, surtout en raison des coûts financiers y relatifs308(*).

Les responsables des pays membres permanents du Conseil de sécurité devraient avoir la volonté politique d'éradiquer une fois pour toutes, les fléaux qui menacent l'extinction de populations faibles ou minoritaires. Ce n'est que lorsqu'ils comprendront que la lutte contre le génocide et les crimes contre l'humanité n'a pas de prix, que le monde pourra vivre en paix.

CONCLUSION

Il nous est permis, au terme de cette étude, de poser un postulat. La lutte contre le crime de génocide n'a pas, sur les plans national et international, retenu toute l'attention qu'elle méritait.

Nous avons démontré combien les pères fondateurs de la Charte des Nations Unies n'ont pas tenu en considération l'extrême inhumanité de ce crime qu'ils venaient juste de découvrir. Le "plus jamais ça !" n'a pas été suivi d'actes décidés des Nations Unies pour le concrétiser.

C'est ainsi que l'intérêt de la Charte des Nations Unies a porté prioritairement sur la lutte contre les conflits interétatiques, sans rien prévoir contre les conflits intra-étatiques. Le principe de l'égalité souveraine des États, base du droit international contemporain, n'a pas été assoupli par des accommodements dans la Charte, permettant de porter secours à des populations menacées par leurs propres gouvernements.

L'institution de "Missions de maintien de la paix", par l'envoi sur le terrain de casques bleus de l'ONU, n'a pas eu plus de succès contre la prolifération de conflits internes, devant lesquels les "casques bleus" se trouvent complètement démunis. En effet, ces missions de l'ONU sont le plus souvent mises sur pied pour faciliter le maintien d'un cessez-le-feu et la mise en application d'un accord entre les parties qui étaient en conflit, mais elles n'ont d'autre alternative que de se retirer une fois la trêve rompue.

L'apparition récente de la notion d'intervention d'humanité n'a pas non plus résolu ce problème. Quoique la pratique ait, depuis un certain nombre d'années, introduit ce dernier concept, il n'en demeure pas moins que son application répond plus à des considérations liées aux intérêts particuliers des États puissants qu'à favoriser l'émergence d'une coutume internationale en la matière. La codification de ce principe s'impose dès lors, afin de mettre fin à son exercice suivant la règle de "deux poids et deux mesures". Comme le dit un auteur, "l'appel à l'ingérence humanitaire a toujours été remarquablement sélectif"309(*). Il faudrait que cela cesse d'être une faculté, mais plutôt un droit, voire une obligation.

Quoique le grand oubli de la Charte des Nations Unies ait été corrigé par la Convention du 9 décembre 1948 sur le génocide, le texte de cette dernière comporte lui-même des lacunes qui n'ont jamais été comblées, en plus de certaines de ses prescriptions pourtant importantes restées lettres mortes.

Il serait naïf de penser en effet qu'il suffit à des États, qu'une convention ayant mission de prévenir le génocide soit ratifiée pour la voir respectée, sans que des mécanismes pertinents soient mis en place pour veiller à son respect. L'absence prolongée d'une cour criminelle internationale, elle-même prévue par ladite convention, aura été un autre grand coup porté au respect de cette Convention. Il est à espérer que les perspectives prochaines de l'existence de ce tribunal seront suivies de la mise sur pied d'organes chargés de la prévention. Qui plus est, le jour où la non-assistance à peuple en danger sera considérée commun un délit en droit international, l'humanité aura franchi une étape importante dans son humanisme.

Nous avons cependant relevé que les textes normatifs existants, même lacunaires, suffiraient amplement à procurer à tout individu, s'ils étaient appliqués, une entière garantie contre l'injustice. C'est donc moins les limites de la loi internationale que sa mollesse dans la mise en application qu'il faut mettre en cause. C'est cela le droit international. Il n'existe pas, comme en droit interne, d'autorité supranationale investie du pouvoir de le faire respecter310(*). Les ambitieuses propositions de la réforme de la Charte des Nations Unies et de la Convention sur le génocide que nous proposons ont-elles une chance de voir le jour dans un proche avenir ? Nous l'espérons !

* 258 Contra : Bernard Lugan affirme que l'appartenance ethnique était irréversible même avant la colonisation. Il note que la séparation entre Hutu et Tutsi était aussi définitive que le sexe. Lire à ce propos B. Lugan, Histoire du Rwanda, De la préhistoire à nos jours, Paris, Éditions Bartillat, 1977, à la p. 548.

* 259 Comité directeur de l'évaluation conjointe de l'aide d'urgence au Rwanda, La réponse internationale au conflit et au génocide : enseignements à tirer de l'expérience au Rwanda, Mars 1996, ISBN 87-7265-391-4, à la p. 17.

* 260 Rapport FIDH, AFRICA WATCH, UIDH et CIDPDD, supra, note 19, à la p. 96.

*

261 United Nations and Rwanda, supra, note 1, par. 78.

*

262 Rapport OUA, supra, note 11, à la p. 36.

* 263 Il ne sera pas nécessaire d'y revenir, ceci ayant suffisamment fait l'objet d'un examen approfondi dans la partie introductive.

* 264 Rapport OUA, supra, note 11, à la p. 35.

* 265 L'ONU, par le biais du HCR, aurait décaissé 5 milliards de dollars pour prendre en charge les quelques millions de réfugiés hutus qui ont déferlé sur les pays limitrophes vers la fin du génocide, alors qu'un montant dix fois moins important aurait été suffisant pour prévenir ou arrêter ce génocide, et par voie de conséquence, limiter le nombre de réfugiés (lire à ce propos, Comité directeur de l'évaluation conjointe de l'aide d'urgence au Rwanda, Rapport de synthèse : La réponse internationale au conflit et au génocide : enseignements à tirer de l'expérience au Rwanda, Toronto, édition Millwood,1996, à la p. 75). Il y a lieu de noter aussi que les sommes importantes qui constituent le budget du TPIR aujourd'hui, auraient pu être sauvegardées.

* 266 The New York Times, 10 avril 1994 et The Times, 11 avril 1994.

* 267 Rapport OUA, supra, note 11, à la p. 7.

* 268 Ibid., à la p. 47.

* 269 Ibid.

* 270 Ibid.

* 271 Ibid.

* 272 Rapport OUA, supra, note 11, à la p. 27.

* 273 Ce point ayant été suffisamment abordé plus haut, il ne nous paraît pas opportun d'y revenir.

* 274 Rapport OUA, supra, note 11, à la p. 23.

* 275 Ibid., à la p. 13.

* 276 R. Brauman, Devant le mal, Rwanda, Un génocide en direct, Paris, Édition Arléa, 1994, à la p. 35.

* 277 Puisqu'il s'agit, selon la CIJ, d'une obligation erga omnes.

* 278 J. Verhoeven dans A. Destexhe (dir), supra, note 143, à la p. 47.

* 279 Il est très encourageant de constater que les États-Unis ont signé avant la date butoir le traité de Rome créant la Cour criminelle internationale. Même si l'on ne peut savoir s'ils vont un jour le ratifier, il n'en demeure pas moins qu'ils ne pourraient dès lors pas faire des actes qui priveraient ce traité de son objet et de son but (cfr. à l'article 18 de la Convention de Vienne sur le droit des traités).

* 280 A/55/305 - S/2000/809, 17 août 2000.

* 281 A/55/502 du 21/10/2000.

* 282 A/55/507 et A/55/507/Add 1 du 27/10/2000.

* 283 A/55/977 du 1er juin 2001.

* 284 A/55/502, supra, note 281.

* 285 ONU, Assemblée générale, Résolution A-50-19 du 22 décembre 1995. Voir aussi les Résolutions 45-100 du 14 décembre 1990 et A-50-144 du 10 juillet 1995. Pour plus d'informations sur le concept de "Casques blancs", lire Ch.-Ph. David, La consolidation de la paix : l'intervention internationale et le concept des Casques blancs, Paris, l'Harmattan, 1997, à la p. 56 et suivantes.

* 286 Y. TERNON, supra, note 2, à la p. 121.

* 287 Ibid., à la p. 96.

* 288 Il faut noter ici que nous sommes contre tout embargo économique, qui pénalise doublement la population, dans ce sens qu'elle est la seule qui en souffre, tout en restant otage de ses dirigeants.

* 289 A. Destexhe, supra, note 148, à la p. 54.

* 290 Ibid., à la p. 41.

*

291 J.M. Varaut, Le procès de Nuremberg, Paris, Hachette/Pluriel, 1993, à la p. 414.

* 292 A/47/277-S/24111, 17 juin 1992

* 293 Y. Ternon, supra, note 2, à la p. 77.

* 294 Assemblée nationale française, Colloque international, "Pour défendre la paix, réformer l'ONU", Paris, 31 janvier - 1er février 2001, à la p. 19.

* 295 P.M. Martin, Les échecs du droit international, Paris, P.U.F., 1996, à la p. 79.

* 296 G. Lief, Le droit d'ingérence humanitaire, Paris, Éditions du Griot, 1994, à la p.30. Lire aussi l'étude de B. Conforti et M. Bedjaoui (dir), Droit international, Bilans et perspectives, Tome I, Paris, Éditions A, Pédone, 1991, à la p. 503.

* 297 C. Zorgbibe, Le droit d'ingérence, Paris, P.U.F., 1994, à la p. 108 et 109.

* 298 G. Kiejman, Les leçons du XXè siècle, Forum international sur l'intervention, La Sorbonne, 16 et 17 décembre 1993, Paris, Éditions Grasset et Fasquelle, 1994, à la p. 22.

* 299 Ibid.

* 300 Ibid.

* 301 G. Lief, supra, note 296, à la p. 48.

* 302 Pour d'amples informations à ce sujet, lire le complet Rapport de HRW & FIDH, supra, note 6, à la p. 684.

* 303 B. Kouchner, supra, note 237, à la p. 225.

* 304 Assemblée du Millénaire (55è Session, 4 nov. - 20 déc. 2000), en ligne : ONU

< http://www.un.org/french/millenaire/sg/report/state.htm> (date d'accès : 12 mars 2001).

* 305 Ibid.

* 306 11 membres à l'origine, puis 15 suite à un amendement du 17 décembre 1963 et 5 membres permanents désignés à l'article 23 de la Charte. La prise de décision du Conseil de sécurité requiert 9 votes affirmatifs, dont 5 des membres permanents (selon le même amendement). Lors de l'amendement de 1963, l'ONU comptait 110 membres. Elle en compte aujourd'hui 189.

* 307 F. Attar, Le droit international entre l'ordre et le chaos, Paris, Hachette, 1994, à la p. 252.

* 308 Pour de plus amples informations à ce sujet, lire l'interview accordée au Journal Le Soir du 10 mai 2001 par l'ancien Secrétaire général Boutros Boutros Ghali. Ce dernier révèle notamment comment les États-Unis ont refusé de lui accorder l'autorisation de brouiller la Radio incendiaire "RTLM" au plus fort du génocide au Rwanda, sous le fallacieux prétexte que cela coûterait très cher.

* 309 M.D. Perrot, Dérives humanitaires, État d'urgence et droit d'ingérence, Paris, P.U.F., 1994, à la p. 19.

* 310 À l'exception, bien entendu, de ce que nous avons vu sur le Chapitre VII de la Charte de l'ONU. Mais cela est un autre débat, les dispositions de ce Chapitre n'étant d'application qu'en ce qui concerne les conflits interétatiques.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle