ABSTRACT
Fifteen years after genocide, post traumatic suffering in Rwanda
is becoming more complex and chronic requiring contextualised multimodal
treatment protocols.
The research was conducted in order to explore what can
contribute in the healing process from the Rwandan culture and or other man
made actions without intentional psychotherapeutic effect or clinical
endpoints. We wanted also to think about the content of what can be an
effective healing modal.
Having gone through what made sense contained in Kubaho and
Kubana, Gutunga and Gutunganirwa, the research observed that although the
traumatic event has made considerable damages, cultural values are still valid
and full of potentialities that can contribute in the rehabilitation of the
Rwandan society and individuals.
There are some initiatives that are well contributing to the
effective healing of post traumatic sufferings. The research analysed them and
recommended a multimodal approach that stresses on individual and community
rehabilitation. This approach should include psychotherapy and pharmacotherapy,
physical, social, legal and other interventions to rehabilitate the sufferer
and reintegrate him in the active life of his society.
Chapitre 1. INTRODUCTION GENERALE 1.1. Introduction et
mise en perspective
Les événements traumatiques que traversent les
groupes, les civilisations, les peuples et les cultures façonnent leur
destinée et influencent le type de désordres psychiques que
présentent les populations touchées par de telles catastrophes.
Le Rwanda a connu le génocide qui a pratiquement tout endommagé,
qui a détruit le matériel et l'immatériel, les vies
humaines et surtout le tissu social. Le génocide a détruit
l'homme au sens biologique et s'est attaqué à ce qui fait
l'humain au-dessus du biologique; qui pourtant était le pilier de
l'existence. La construction que la société avait faite de
l'homme a été démolie.
En ces moments de l'après génocide, nous
assistons à des souffrances traumatiques consécutives au
vécu de beaucoup de Rwandais durant la guerre, le génocide et les
massacres de 1994. Ces souffrances sont si complexes et diversifiées
qu'elles méritent d'être étudiées dans leurs divers
facettes et contextes. Des propositions et dispositifs de prise en charge ont
été mis en place, les uns fonctionnent bien mais d'autres
semblent peu efficaces. Des raisons de cet état de choses sont
multiples. L'impuissance et des fois les frustrations des professionnels face
à une problématique croissante des troubles psychotraumatiques au
Rwanda les poussent à penser à de nouveaux dispositifs de prise
en charge de ces troubles.
D'aucuns avancent que les lacunes des dispositifs existant sont
liées à la
complexification et à la chronicité des troubles
; d'autres pensent qu'elles seraient liées à la non
contextualisation des thérapies occidentales importées et
utilisées telles quelles dans des contextes fort différents. Il y
a aussi ceux qui affirment que les psychothérapies à elles seules
ne suffiraient pas dans le traitement des troubles qui dépassent de loin
la sphère psychique. Et ces derniers croient en la
nécessité d'un dispositif dépassant la
réhabilitation psychologique, mais touchant toutes les sphères de
l'humain au sens large.
Le traumatisme psychique, l'une des pathologies mentales
issues du carnage de génocide, est une véritable maladie du non
sens et de la rupture des liens comme l'a bien écrit N.
Munyandamutsa.
Selon ce dernier, il s'agit de « ..., la rupture
brutale avec les valeurs intrinsèques, la fracture dans l'histoire de
l'éprouvé traumatique, la sidération de la parole et enfin
l'intrusion du non sens dans l'univers psychique de la victime de violences
humaines ou plutôt inhumaines » (2001, p9).
Pourtant, ces deux notions de « lien » et
de « sens », quoique peu explorées dans nos
dispositifs de prise en charge, constituent la base de la «
philosophie rwandaise de l'être » et de la santé
mentale des Rwandais comme l'ont souligné bien d'auteurs rwandais.
[BIGIRUMWAMI, A, (1974,1983), MUNYANDAMUTSA, N. 2001, MANIRAGABA, B.
(1985, 1987), KAGAME, A. (1956,1976)].
Nous expliquant l'importance de la notion de «
lien », un sage nous avait parlé de la métaphore
des maillons d'une chaine qui, pour être qualifiée en bon
état; les maillons doivent être biens connectés, bien
graissés et les engrenages en leur place chacun pour que la chaine
tourne. Avec la destruction de la culture et le tissu social qu'a connu le
Rwanda, l'état de la santé mentale qui en résulte devait
être « on ne peut plus pire ! ». Des liens qui fondent la
santé mentale des rwandais dépassent de loin ces liens
interindividuels et incluent les liens intergénérationnels.
Concernant la question du « sens » pour les
Rwandais, MANIRAGABA (1987, p.58), dans une dissertation sur l'idéal
d'existence, de bien-être intégral que poursuit tout Rwandais,
parle de quatre concepts qui déterminent le sens de l'existence pour les
Rwandais. Il s'agit de Kubaho (exister,vivre) et Kubana (vivre avec et parmi),
Gutunga(posséder) et Gutunganirwa (vivre heureux, tranquille en paix,
dans la prospérité).Ces quatre concepts sont réduits
à trois par le langage populaire, à travers les formules de voeux
de bonheur par exemple, où on se souhaite Kubaho, Gutunga et
Gutunganirwa. Celui de Kubyara et Guheka étant sous-entendu dans le
premier Kubaho, car on existe à partir du moment où on a eu des
enfants pour pouvoir transmettre la vie.
Après la recherche effectuée à la fin de
la Licence sur la part de la culture rwandaise dans la compréhension et
la prise en charge des psychotraumatismes (NSABIYEZE, 2004), nous voulons
affiner notre réflexion sur la question du sens, et nous attarder aux
quatre concepts qui résument la philosophie rwandaise de l'être et
par là les piliers de la santé mentale.
1.2. Questions, objectifs et hypothèses de la
recherche
Le questionnement sur le traumatisme et sa prise en charge qui
nous a occupé depuis un temps déjà nous a amené
à répondre à certaines des questions ou à affiner
notre questionnement. A travers cette étude, nous tentons de
répondre à ces trois questions :
· La quadrilogie « Kubaho et Kubana, gutunga et
gutunganirwa » reste-elle encore actuellement la pierre angulaire d'une
vie qui a un sens au Rwanda ?
· Existent-ils des interventions, non classiquement
psychothérapeutiques par essence et par intention, qui ont un effet
thérapeutique sur les psychotraumatismes au Rwanda ?
· Quel peut être le contenu d'une intervention
holistique de prise en charge des psychotraumatismes qui serait adapté
au Rwanda ?
Nous avons entrepris cette recherche, au départ sans
contraintes et rigueur académiques comme amateur pour nous fournir un
cadre théorique d'exercice professionnel. Avec le temps et notre
inscription au programme de maitrise, et la participation à des
conférences qui avaient discuté des approches de prise en charge
du traumatisme, les trois objectifs de recherche, correspondant à nos
préoccupations majeurs suivantes se sont dégagées :
· Montrer en quoi la conception du sens de la vie et la
réhabilitation de ce qui donne sens à la vie sont des clés
d'une approche contextualisée de prise en charge des
psychotraumatismes,
· Explorer le potentiel thérapeutique des
interventions diversifiées qui s'opèrent autour du patient,
· Proposer le contenu d'une intervention dite
intégrale de prise en charge multimodale des psychotraumatismes au
Rwanda.
A ce questionnement qui traversera la présente
recherche, nous émettons des hypothèses que le travail, comme
réponses provisoires, que le travail tentera de confirmer, infirmer,
élargir ou clarifier. Les deux hypothèses sont
libérées comme suit :
· « Les valeurs culturelles de base qui donnaient
sens à la vie des Rwandais sont encore valables actuellement
malgré les dégâts causés par les
événements traumatiques »,
· « L'efficacité et la pertinence des
modèles de traitement des psychotraumatismes dépendent de la
prise en compte de ce qui donne du sens à la vie à travers un
dispositif multimodal incluant des aspects de réhabilitation individuel
et communautaire ».
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