WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Reflexion autour du Kubaho et Kubana, Gutunga et Gutunganirwa à travers l'action psychotherapeutique

( Télécharger le fichier original )
par Simon NSABIYEZE
Université Nationale du Rwanda - Maitrise 2008
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Chapitre 2. CONSIDERATIONS METHODOLOGIQUES

Ce travail s'inscrit dans une perspective exploratoire plus large, de « Learning by Doing » durant notre travail au sein d'un programme psychosocial, perspective pouvant conduire à d'autres travaux ultérieurs. Nous suivons une démarche descriptive, d'ouverture de pistes d'analyse et de construction d'hypothèses. Il a principalement comme base de réflexion nos propres observations cliniques ou celles des collègues psy, récoltées au cours de différentes interventions cliniques : psychothérapies au sein des institutions de soins et organisations intervenant dans le domaine, durant notre stage pratique, et dans des supervisions et intervisions cliniques des professionnels en santé mentale.

Les principales données de ce mémoire proviennent de notes prises lors des rencontres professionnels multidisciplinaires, ou à l'occasion des discussions avec des collègues dans la perspective visant à rompre l'impasse et surpasser le blocage du processus thérapeutique. Cette démarche consiste à trouver des stratégies fonctionnelles pour parvenir à soulager la souffrance. Elles proviennent aussi des rapports des professionnels en santé mentale des organisations HHC Rwanda, Uyisenga n'Manzi et AVEGA qui montrent des innovations de prise en charge mises en place, des fois comme dans un cadre de recherche action, et obtenant des résultats très intéressants. C'est aussi à travers les rencontres avec les patients, dans un autre contexte à faible effet thérapeutique, lors des visites de monitoring des activités du programme Psychosocial.

Les participants à cette recherche sont donc principalement les bénéficiaires du programme psychosocial de CAFOD et ses partenaires au Rwanda. Ces partenaires interviennent en faveurs de veuves et orphelins et d'autres personnes souffrant de troubles psychologiques consécutifs au vécu traumatique. Le programme qui s'est construit durant de longues années, depuis 1998 dans une logique de « Learning by Doing » (comme dirait John Dewey) comporte différentes dimensions : au début il consistait en la prise en charge du traumatisme par la simple écoute active (Helpfull Active Lestening) par des conseillers en traumatisme et les Animateurs Psychosociaux formés au lendemain du génocide dans une logique urgentiste.

Avec l'expérience, le programme a ajouté d'autres éléments dans le paquet : les soins de santé physique en plus du mental, l'accès à la justice, l'appui au logement, l'éducation, la promotion de la cohésion sociale et depuis très récemment le relèvement des moyens d'existences durables (la lutte contre la pauvreté).

Compte tenu des caractéristiques du contexte clinique, orienté surtout vers le soin et non vers la recherche, les données n'ont pas été recueillies avec un caractère systématique. Nous n'avions pas préparé à l'avance un quelconque guide de collecte des données à administrer de façon méthodique. Nous notions les faits tels qu'ils apparaissaient et en fonction de la manière dont ils avaient attiré notre attention. Notre démarche est bien évidement modeste et n'a pas la prétention d'appartenir à la catégorie des études prospectives et empiriques. Il s'agit d'une réflexion d'après-coup sur les observations cliniques, collectées dans un contexte d'intervention professionnel et non prédéfini de recherche maitrisant tous les paramètres et variables.

Les cas cliniques utilisés dans le présent travail ont été choisis parmi des dizaines d'autres dans différentes circonstances. Dans un premier temps, entre 2006 et 2008, c'est soit la rencontre avec le client lors d'une cothérapie, la lecture du cas présenté dans un rapport ou dans une supervision/Intervision. Deuxièmement, ayant suscité notre intérêt ou de grandes interrogations, nous cherchions à approfondir ce cas et nous abordions le professionnel qui s'en occupe pour plus de détails ou demandions à voir son dossier personnel. En cas de besoin, nous avons demandé de participer à des séances de thérapie pour approfondir le cas en question.

Dans un troisième temps, durant tout le deuxième semestre de 2008, nous avons procédé à la collecte et analyse des informations écrites sur le phénomène de traumatisme et sa prise en charge. Cette étape évoluait avec des rencontres avec d'autres professionnels (travaillant dans le programme ou ailleurs dans des conférences) pour partager avec eux nos questionnements et leur soumettre certains des résultats pour les filtrer et nous faire des balises sur ce qui est de l'ordre du psy ou qui relève d'autres aspects que le psychologue ne maitrise pas toujours.

Enfin, c'est à travers ces rencontres, quand les psy s'accordaient avec nous sur certains résultats, que nous nous sommes senti encouragé à entreprendre cette recherche dont les contours dépassent quelque peu le dispositif psychothérapeutique classique.

Chapitre 3 : CONCEPTUALISATION ET EXPOSE
DE LA PROBLEMATIQUE

3.1. Traumatisme psychique : portrait global des théories

Le concept de Traumatisme, spécialement celui de PTSD, est actuellement une notion très en vogue dans la littérature de la santé mentale. Au Rwanda, la notion a été entendu très récemment, juste au lendemain du Génocide. Dans le langage populaire, « trauma » tend à qualifier toute souffrance psychique ou tout déséquilibre relationnel. On étiquette les personnes de « traumatisés », pour le seul fait qu'ils manifestent un comportement inhabituellement étrange. Les Rwandais ont du mal à « nommer » le trouble et à le prendre en charge. Les concepts nés depuis le lendemain du génocide, « Guhahamuka », « Guhungabana » et « Guta umutwe » pour ne citer que ceux-là ne véhiculent pas toujours la même signification chez chacun. Le monde professionnel occidental a développé des théories et des modèles de prise en charge qui semblent opérer, avec des limites bien entendu, dans leurs contextes mais qui ont du mal à s'imposer dans des contextes différents comme au Rwanda.

Bien de chercheurs ont proposé des modèles étiologiques et de prise en charge des psychotraumatismes. (NSABIYEZE, 2005, Pp24-42). Nous citons entre autres le modèle proposé par l'APA et l'OMS dans le DSM et le CIM dans lequel s'inscrivent une grande majorité de recherches, les modèles ethnopsychiatriques (DEVEREUX,G., NATHAN,T), le modèle cadre multifactoriel de MAERCKER, les modèles des structures de peur de FOA et KOZAL, les modèles du traitement de l'information comme celui de JANOFFBULMAN, le modèle des schémas cognitifs codifiés de J. HOROWITZ, etc. Ils s'accordent tous sur l'existence d'un facteur étiologique : avoir été exposé à un événement stressant, hors du commun et qui provoque de la détresse.

LALONDE P.et col. (1999, p.382) distinguent les facteurs biologiques, les facteurs psychologiques et les facteurs socioculturels. S'agissant des facteurs psychologiques, il écrit : « l'expérience traumatisante bouscule les fondements psychologiques normaux : coutumes, valeurs, habitudes, régularité, etc. d'où l'apparition de l'insécurité et de l'inconfort. Elle brise les attentes du sujet quant à l'avenir d'où incertitude, elle défait les adaptations présentes, abolit les significations personnelles liées aux relations humaines. Or, l'attachement émotionnel est essentiel à la bonne santé mentale des enfants comme il est le sens de l'existence pour les adultes. »

D'autres théories essaient de comprendre le traumatisme dans une perspective plus large. Elles partent de la conception de la santé mentale avec laquelle ils lient intimement le phénomène de traumatisme psychique. Selon BIBEAU, G. (1999, p.2) la santé mentale est « un processus d'équilibre psychique chez une personne à un moment donné, lequel s'apprécie entre autres à l'aide des éléments suivants : le niveau de bien-être subjectif, l'exercice de ses capacités mentales et la qualité des relations avec le milieu ». Cette définition, tient compte de l'ensemble des interactions entre les facteurs biologiques, psychologiques et contextuels qui sont en évolution constante et s'intègrent de façon dynamique.

La santé mentale et le traumatisme psychique sont donc deux notions enchevêtrées. Elles sont liées tant aux valeurs collectives prévalant dans un milieu donné qu'aux valeurs propres à chaque personne. BIBEAU, G. (1999, p.4) affirme que le traumatisme est « influencé par des conditions multiples et interdépendantes, telles les conditions économiques, sociales, culturelles, environnementales et politiques ».

Dans le contexte rwandais, ces théories de compréhension et des modèles de prise en charge semblent difficilement marcher. Les dispositifs classiques de prise en charge ne répondent pas à toutes les questions qu'amènent les patients. Les professionnels en santé mentale au Rwanda paraissent désarmés face à une complexité de symptômes.

C'est le cas de ces trois bénéficiaires, parmi des milliers d'autres qui sont venus en consultation, posant des demandes peu claires pour un psychologue et dépassant la seule dimension du psychologique. Les noms utilisés dans le texte qui suit sont des pseudonymes.

3.2. Observations cliniques à travers quelques cas...

A. Angelina veut arrêter sa survie pour mettre un terme à sa souffrance

Angelina est une jeune fille, rescapée du génocide, âgée de 21 ans quand elle a commencé la thérapie en 2005. Chef d'un ménage de trois enfants. Elle a perdu cinq frères et soeur et ses deux parents, tués sauvagement en sa présence, les assassins de sa famille l'on laissée car la croyaient morte d'un coup de machette qu'elle avait reçu sur la tête. Elle vivait dans un semblant de maison sans fenêtres ni portes avec deux petites soeurs à l'Est du pays.

Auparavant elles vivaient chez un oncle qui les avait accueillies au lendemain du génocide et se sont décidés finalement de quitter suite à de mauvais traitements dont elles étaient l'objet dans cette famille d'accueil qui pourtant cultivait tous les champs laissés par leurs parents. Avant d'entrer en contact avec le Psychologue d'Uyisenga n'Manzi, elle avait consulté plusieurs institutions sanitaires dont l'hôpital Neuropsychiatrique de Ndera et le Service de Consultations Psychosociales de Kigali sans améliorations. Elle est entrée en consultation avec un visage triste, des larmes qu'elle séchait avec un mouchoir et une humeur dépressive avec des difficultés de communication.

En exposant sa demande, elle disait qu'elle était « en train de perdre son temps puisque personne ne pouvait résoudre son problème ». Elle disait qu'elle avait vu une autre fille qui avait voulu se suicider et que Uyisenga l'avait aidé et elle aussi voulait tenter sa dernière chance. Depuis deux ans elle exprimait avec insistance et inquiétude grandissante sa souffrance se manifestant par : céphalées extraordinaires, douleurs thoraciques, insomnies pendant la nuit et hypersomnies pendant la journée, palpitations cardiaques et trouble panique, de la peur intense et des cauchemars. Début 2004, après leur expulsion de chez l'oncle, elle a perdu la confiance en toute personne de façon même que si quelqu'un lui disait bonjour, elle se mettait à vomir. Au milieu de 2004, elle a quitté subitement son école.

En fait, elle ne pouvait pas continuer ses études sans communication, mais surtout avec des hypersomnies pendant la journée. Elle se désolait de n'avoir pas été morte pendant le génocide. Elle avait adopté depuis longtemps le comportement d'isolement et de mutisme. Elle déclarait que la mort était pour elle meilleure qu'une survie pleine de problèmes, mais regrettait que la mort aussi n'en veuille pas d'elle, car avait tenté à deux reprises de se suicider sans y parvenir.

Le contenu de ce qui a été fait avec cette jeune fille traversera le présent travail et nous permettra d'explorer la dimension thérapeutique que renfermeraient certaines initiatives prises en dehors du cabinet de consultation qui ont eu un effet thérapeutique sans précédent.

B. Véronique est huée par les voisins sur demande de son locataire.

Véronique est une femme âgée de 37ans, veuve du génocide qui a perdu son mari, ses 3 enfants, ses frères et soeurs. Elle a été violée par un domestique qui a tué sa famille. Au lendemain du génocide, l'assassin a été dénoncé par sa femme et a été emprisonné. Après, il fut relâché par la loi qui faisait sortir les vieillards et les enfants de prison. Pour éviter des contacts avec celui-ci, la Véronique a quitté son village pour s'installer ailleurs et elle a commencé à manifester les symptômes suivants : hallucinations audiovisuelles (elle voyait le visage de cet homme jour et nuit) insomnie, colère, régression, énurésie nocturne, vide affectif, etc.

Puisqu'elle faisait sécher son matelas chaque matin, le propriétaire de la maison en est devenu mécontent et a appelé le voisinage pour se moquer de la femme. Celle-ci a pris la décision de se suicider et heureusement pendant qu'elle cherchait encore comment se suicider, elle a rencontré des professionnels en santé mentale qui faisait des séances de sensibilisation. Elle a pris contact et commença les séances de counselling pendant longtemps et par après sera intégrée dans un large programme d'aide socio économique, et bénéficiera d'autres appuis. Nous y reviendrons.

C. Espérance finit par trouver « une famille »

Elle est âgée de 24 ans, orpheline de père et de mère. Ils sont trois enfants rescapés du génocide : son grand frère, sa grande soeur et elle-même dans une famille de 11 personnes. Après le génocide, elle est allée s'installer chez son frère avec sa grande soeur. Trois ans après, son frère les a chassées de sa maison, sa grande soeur l'a abandonnée aussi pour le mariage. Ainsi, elle est restée seule, sans maison, ni de quoi manger. Elle errait de maison en maison et ne pouvait plus étudier.

En 2000, elle a pu s'installer dans une annexe d'une maison non encore achevée. La maison n'avait ni porte ni fenêtre. Elle mangeait grâce aux bienfaiteurs. C'est à ce moment qu'elle a commencé à piquer des crises traumatiques : elle avait un mutisme qui pouvait durer un mois, des maux de tête, des hallucinations auditives et visuelles et beaucoup d'autres signes du traumatisme psychologique.

Vers 2002, elle a été récupérée par AVEGA, qui l'a orientée en counselling individuel. Elle a été soignée, assistée matériellement et peu à peu a retrouvé le goût de la vie. Aujourd'hui, après avoir appris un métier, elle a trouvé un emploi rémunérée, elle travaille comme les autres et n'a plus de crises traumatiques.

Quand nous l'avions rencontrée un jour, elle nous avait confiée les paroles très édifiant, pour tout professionnel en santé mentale et pour AVEGA, qui suivent : « Moi qui étais désespérée, qui étais abandonnée, qui n'aimais personne, je ne pensais pas qu'un jour j'aurais quelqu'un qui pourrait m'écouter, me comprendre. Je ne pensais pas retrouver une famille comme celle-ci (elle parle d 'A VEGA). Dieu a fait des miracles pour moi ! ».

3.3. Les praticiens impuissants face à la problématique

Nos entretiens avec les soignants et avec les patients nous ont révélé une certaine inefficacité et quelques lacunes de certaines approches thérapeutiques utilisées. Ces lacunes et inefficacité dans certaines situations sont dues essentiellement à un certain nombre de raisons dont les principales sont relevées dans les paragraphes qui suivent :

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams