WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Refexion sur l'inclusion sociale - la double contrainte des collectivités territoriales entre évaluation et prévention

( Télécharger le fichier original )
par Yann WELS
Université Aix-Marseille 3 - Master 2 2006
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

TITRE 2nd : LA FORMULATION DE POLITIQUE SOCIALE OCCUPATIONNELLE

L'expérience de formulation de politiques visant spécifiquement à lutter contre l'exclusion sociale se concentre en Europe occidentale, spécialement en France. Les interventions en matière de marché du travail ont dominé la scène et principalement les actions de lutte contre le chômage de longue durée. Les programmes d'assistance et d'assurances sociales constituent un autre domaine important d'intervention. Les liens entre ces mesures et les politiques d'intégration sociale sont rares, mais en France, il y a eu une tentative systématique d'établir ce lien avec le "revenu minimum d'insertion" (un revenu minimum garanti, à la condition que le bénéficiaire signe un contrat par lequel il s'engage à poursuivre une activité d'insertion). Ce sont là des mesures nationales de lutte contre l'exclusion sociale. Une innovation importante dans la conception des politiques contre l'exclusion a été l'adoption d'une approche territoriale, avec des programmes d'action au niveau local ou communautaire cherchant à élaborer des stratégies cohérentes pour vaincre l'exclusion. L'idée est que les quartiers pauvres urbains, ou les régions défavorisées, requièrent une action d'envergure sur divers fronts (économique, social et d'infrastructure). Ces politiques locales sont plus faciles à mettre en place sur une base intersectorielle que les politiques nationales, et sont mieux à même de stimuler les initiatives collectives. Elles supposent un partenariat et une coopération entre le gouvernement central et les administrations et associations locales, les syndicats, les entreprises et divers autres organismes non gouvernementaux. Une importante leçon à tirer de ces expériences est que l'analyse des politiques n'est pas seulement la question de l'Etat intervenant dans l'intérêt général, mais une question qui suppose la participation d'une grande variété d'acteurs sociaux.

C'est donc en suivant ce raisonnement que l'on s'intéressera à la combinaison des acteurs en matière d'insertion (Chapitre 1), pour pouvoir apprécier dans un second temps la promotion de l'inclusion professionnelle par le marché (Chapitre 2)

Chapitre 1er : La combinaison

des acteurs en matières d'insertion

Le Politique est toujours face à un territoire dans lequel il exerce un pouvoir en droit défini comme responsabilité, qu'il soit élu ou nommé.

Etchegoyen, 1993

Les contempteurs des rigidités françaises ne peuvent qu'être surpris. Loin d'être condamnés à l'immobilisme par l'emprise des conservatismes et des notabilités locales, l'action publique territoriale semble être entrée dans une phase de rénovation permanente. En moins de cinq ans l'intercommunalité urbaine a connu un essor spectaculaire (par la grâce des dispositions financières de la loi Chevénement), les projets de territoire se sont multipliés suivant la logique promue par les politiques d'aménagement du territoire (loi Voynet), la planification spatiale s'est trouvée relancée (loi SRU) et une nouvelle répartition des compétences entre Etat et Collectivité territoriales est en train de se dessiner...Des trois loi du gouvernement Jospin à l'acte II de la décentralisation, les réformes des cadres de l'action publique locale se succèdent donc à grande vitesse. Si les modalités de ces réformes ont fait et continuent de faire débat, rares sont les voix qui s'élèvent pour en contester la nécessité. Au contraire, l'inadaptation de l'architecture institutionnelle territoriale actuelle pour traiter des enjeux territoriaux qui se différencient de manière croissante constitue une sorte d'évidence, tant dans les discours politiques (transcendant largement les clivages partisans) que dans les analyses et débats savants. Ainsi des réformes institutionnelles tendraient donc désormais à s'imposer pour mettre l'action publique à la hauteur d'enjeux d'autant plus complexes à analyser et à traiter qu'ils ne peuvent plus l'être à partir d'une approche nationale unifiée.

L'hétérogénéité des enjeux territoriaux n'est pourtant pas un phénomène nouveau qui viendrait déstabiliser une action publique marquée par l'indifférenciation, mais il est vrai que s'agissant notamment du Social et de la nouvelle politique d'inclusion sociale qui l'anime et tend à constituer sa ligne de force, une révolution est en marche. Une évolution finalement appelant des dynamiques de développement social local mobilisant toutes les politiques de proximités, bien au-delà du seul domaine social s'observe. Dès lors, la décentralisation n'apparaît plus seulement comme une réponse à la crise de l'Etat, mais aussi comme plus fondamentalement, une réponse à la crise de la société. Ainsi convient-il d'analyser la décentralisation des compétences sociales (I), sur laquelle s'articule la déconcentration des intervenants sociaux (II) induisant l'émergence d'un phénomène de déconcentralisation des politiques sociales inclusives (III).

I. La décentralisation des compétences sociales

«La décentralisation, élément politique majeur, a eu et a toujours des effets directs sur les services et personnels de l'Etat, sur ceux des collectivités locales, et des effets indirects sur les organismes d'action sociale oeuvrant dans le sillage de l'Etat, Caisses d'allocations familiales et Associations»115(*).

L'action sociale de cette fin du XXème siècle est le produit complexe et conjugué de la crise économique, de la montée des exclusions et des rangements nouveaux issus de la décentralisation. La décentralisation, éléments politiques majeur a eu et a toujours des effets directs sur les services et les personnels de l'Etat, sur ceux des collectivités sans compter les effets indirects sur les organismes d'action sociale oeuvrant dans le sillage de l'Etat, Caisse d'allocations familiales et Associations.

On peut ainsi lire la décentralisation comme devant répondre à une double exigence : d'abord un objectif de transfert vers les collectivités chargées de répondre localement aux besoins sociaux et d'enrayer les risques de désagrégation sociale. Ce transfert attribuant la charge des missions traditionnelles d'aides sociales mais aussi la question d'insertion dans le marché local du travail. Le second objectif plus «prétentieux»116(*), serait de produire plus de démocratie, en rompant avec les normes d'interventions édictées d'en haut de façon à permettre l'adaptation aux situations locales, mais ce «plus de démocratie» passerait aussi par un renforcement des responsabilités politiques locales.

Conjugués ces deux éléments portent à penser le changement de la question sociale dans sa nature profonde et la réponse inclusive qui éclos aujourd'hui impose de s'interroger sur la pertinence de la décentralisation des compétences sociales dont il apparaît que le principe d'attribution exclusive originaire (A) connaît une application qui se révèle extensive (B).

A. Une attribution par principe exclusive

Historiquement mis en place dans une optique de quadrillage administratif et d'uniformisation du territoire national - selon le souci que l'accès au chef-lieu ne nécessite pas plus d'une journée de voyage quelle que soit la localisation dans le département -, les départements connaissent une trajectoire rythmée de dénonciations régulières. Ils ont pu, parallèlement, être appréhendés comme des socles de stabilisation et de fonctionnement d'un système politico-administratif français réputé hiérarchisé et centralisé. S'agissant des conséquences de la décentralisation, reconnus comme une collectivité territoriale à part entière, les départements ont bénéficié à cette occasion de transferts de compétences importants. Leur champ d'intervention revêt un caractère très diversifié même s'il est possible d'y repérer quelques compétences clés concernant : - le secteur sanitaire et social qui représente, dans bien des cas, plus de 50 % du budget des conseils généraux avec quelques postes de dépenses structurantes (aide sociale à l'enfance, aide aux personnes âgées, aide aux handicapés, insertion socioprofessionnelle) ; - l'éducation, la culture et le tourisme où les conseils généraux ont la responsabilité, entre autres, de la construction et de l'entretien des collèges, des bibliothèques départementales de prêt pour la lecture publique, de la gestion des archives et musées départementaux, de l'aide aux gîtes ruraux et bases de plein air ; - l'équipement qui recouvre des dépenses d'entretien, de gestion et d'investissement très divers : voirie départementale, ports de commerce et de pêche, transports scolaires et interurbains, aides au remembrement rural, aides à l'équipement des communes.

Au regard de ce panorama, d'aucuns ont considéré le département comme le grand gagnant des transferts de compétences du début des années 1980. Les conseils généraux participent à des actions dotées d'une forte charge symbolique : la solidarité entre les territoires, la préservation du dynamisme rural et communal, la prise en charge sociale des personnes en difficulté. Ils n'ont pas hésité également à aller au-delà de leurs compétences obligatoires en s'investissant dans des domaines comme l'environnement dans une perspective de soutien et de conseil auprès des communes rurales ou encore les nouvelles technologies afin d'accroître l'attractivité des territoires. Loin de dépérir, ils manifestent une étonnante capacité de prise de responsabilité et, par-là même, de résistance aux critiques.

Très marquant demeure cependant leur participation très active en matière de politique d'inclusion sociale si l'on songe, à la délégation aux conseils généraux de la mise en oeuvre de l'APA (Allocation personnalisée d'autonomie) ; au pilotage, eut égard aux difficultés de gestion, du RMI (loi du 18 décembre 2003), au transfert de l'entretien d'une partie de la voirie nationale, ainsi qu'à la gestion des personnels, techniciens, ouvriers et de service (TOS) des collèges.

Surtout, leur rôle en matière sociale a été sensiblement conforté au point d'être érigés en pilotes du domaine. La loi stipule à ce titre que «le département définit et met en oeuvre la politique d'action sociale (...) Il coordonne sur son territoire les actions qui y concourent» (article 49).

Plusieurs mesures s'inscrivent dans cette perspective : le transfert aux départements de la gestion des Fonds de solidarité logement (FSL), du Fonds d'aide aux jeunes en difficulté (FAJ). Il n'est d'ailleurs pas anodin que le congrès 2004 de l'Assemblée des départements de France (ADF) se soit centré sur le thème «Départements, acteurs majeurs de la cohésion sociale». Plus que le dépérissement des départements, c'est bien le renforcement des compétences transférées à ces derniers qui se dégage de la succession de textes ayant trait à la décentralisation. D'ailleurs, les représentants des départements ne s'y trompent pas. Ils expriment des préoccupations quant aux coûts induits de ces nouvelles responsabilités à exercer et aux risques de repli tendanciel sur leurs compétences principales au détriment des dépenses secondaires, comme l'aide à l'équipement des communes dont on saisit l'importance pour le pouvoir d'influence des conseillers généraux dans leur canton. Bref, l'usage de la figure du département providence paraît plus que jamais d'actualité.

B. Une application de fait extensive

Sur le seul secteur social, les transferts récents sont porteurs d'une spécialisation accrue des conseils généraux, mais aussi d'une redéfinition fonctionnelle des échelons de protection des personnes. À l'échelon étatico-national, reviendrait la reproduction des forces de travail insérées dans des activités professionnelles. À l'échelon départemental, incomberait alors la gestion des populations marginalisées par des phénomènes de handicap ou de relégation hors des mécanismes productifs117(*). Cette forme de division du travail social, réactualisant une partition ancienne, entérine une logique d'autonomisation des problèmes sociaux et des intérêts qui leur sont associés. Elle révèle, en outre, une redéfinition de la solidarité, désormais clivée entre des modes de financement concurrents (solidarité contributive et fiscale). Dans ce cadre, le département deviendrait le réceptacle et le gestionnaire des effets de l'abandon par l'État d'une perspective d'intégration socioprofessionnelle.

Si l'on s'attache au marché du travail local, chaque jour, 30 000 personnes quittent un emploi dans des conditions particulièrement angoissantes Une entreprise française de cent salariés embauche en moyenne quarante personnes par an. Pour l'ensemble de l'économie française, ce chiffre correspond à 6,4 millions d'embauches annuelles, soit, en d'autres termes, à 30 000 embauches par jour ouvrable118(*).

Partant de ce constat, et si l'on s'intéresse de plus prêt, à la prise en charge des chômeurs au niveau local, on constate que la pluralité des opérateurs et des financeurs explique sans doute en grande partie le décalage entre les moyens consacrés à l'accompagnement des demandeurs d'emploi et les résultats obtenus. En témoigne la perception que les chômeurs peuvent avoir du service public de l'emploi en charge de leur prise en charge et de leur accompagnement.

À ce titre, les maisons de l'emploi, créées par le Plan de cohésion sociale, peuvent constituer le levier privilégié pour améliorer la coordination entre les différents intervenants participant à l'accompagnement des demandeurs d'emploi. Dans l'état actuel du projet de loi adopté par le Sénat, l'article L. 311-10 du Code du travail prévoit que «des maisons de l'emploi» dont le ressort ne peut excéder la région ou, en Corse, la collectivité territoriale, contribuent à la coordination des actions menées dans le cadre du service public de l'emploi et exercent des actions en matière de prévision des besoins de main-d'oeuvre et de reconversion des territoires, notamment en cas de restructurations. Elles peuvent également participer à l'accueil et à l'orientation des demandeurs d'emploi, à l'insertion, à l'orientation en formation, à l'accompagnement des demandeurs d'emploi et des salariés et à l'aide à la création d'entreprise. Les maisons de l'emploi peuvent bénéficier d'une aide de l'État dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État. Les maisons de l'emploi peuvent prendre la forme d'un groupement d'intérêt public. Ces groupements associent obligatoirement l'État, l'Agence nationale pour l'emploi, les organismes qui participent à la gestion de l'assurance chômage et au recouvrement des allocations mentionnés à l'article L. 351-21 et au moins une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale.

Si l'on veut améliorer l'accompagnement des demandeurs d'emploi, la création des 300 maisons de l'emploi, devant employer 7 500 salariés et mobiliser un budget de 420 millions d'euros en 2005, 735 millions en 2006 et 580 en 2007, ne devra pas se borner à ajouter un organisme supplémentaire aux objectifs peu précisément définis. L'organisation actuelle est déjà excessivement complexe et caractérisée par un grand nombre d'intervenants dont les actions sont mal coordonnées. Un tel scénario, qui serait catastrophique, n'est pas totalement exclu par le texte de loi. Il est donc indispensable de clarifier les fonctions des maisons de l'emploi par des mesures réglementaires pour qu'elles réalisent la fédération et la coordination des initiatives en faveur de l'emploi.

Ces éléments témoignent du rôle éminemment important joué par les collectivités territoriales et notamment celui du département, qui participant directement ou indirectement à la composition des maisons d'emploi, trouve à illustrer le dépassement de l'attribution exclusive qui lui est fait en matière sociale, pour devenir le promoteur, l'animateur d'un dynamisme du marché local du travail.

II. La déconcentration des intervenants sociaux

« Déconcentration : le terme n'entre dans les dictionnaires que dans la deuxième moitié du XXème siècle et désigne l'action de donner davantage de pouvoirs aux représentants locaux de l'Etat central»119(*).

Le comité Rueff-Armand avait préconisé dès 1959 une politique de déconcentration120(*) des administrations que les décrets du 14 mars 1964 ont traduite. Engagée formellement par ces derniers qui ont fait des préfets les représentants directs de chacun des ministres dans leur département, la déconcentration des administrations a été présentée par la suite comme le corollaire des lois de décentralisation de 1982-1983, tant il est apparu nécessaire de rapprocher le plus souvent possible la prise de décision de son point d'application, que celle-ci relève de l'autorité de l'Etat ou des collectivités locales. C'est ainsi que la loi a conforté le préfet dans son rôle de «dépositaire dans le département de l'autorité de l'Etat, délégué du gouvernement et représentant direct de chacun des ministres» et a invité dans le même mouvement, à déléguer largement aux chefs des services extérieurs des ministères les pouvoirs qui lui étaient ainsi reconnus. Les lois de décentralisation de 1982, qui ont engagé au profit des régions, des départements et des communes, une mutation d'une grande ampleur, ont accompagné et équilibré cette décentralisation en confiant au préfet de région un rôle de direction des services de l'Etat dans le département et non plus de simple coordination. Mais les limites des évolutions enregistrées ont conduit la loi d'orientation du 6 février 1992 sur l'administration territoriale de la République et le décret du 1er juillet de la même année portant «charte de la déconcentration», posant le principe de la limitation des compétences des administrations centrales aux seules missions qui ne sont pas susceptibles d'être confiées aux échelons déconcentrés.

Dix ans après les grandes lois de décentralisation, ces nouvelles réformes visaient à équilibrer, mieux que ne l'avaient fait les textes de 1982, les pouvoirs qui avaient été accordés aux collectivités locales en donnant des responsabilités propres aux préfets et, à leurs côtés, aux représentants locaux des ministères, afin d'assurer un dialogue plus efficace et une meilleure adaptation des politiques et des gestions publiques aux problèmes de chaque région ou département. Les politiques de déconcentration définies et mises en oeuvre par ces instances interministérielles se sont appliquées à des services déconcentrés profondément différents par leur histoire, leurs missions, leurs modes d'organisation et de gestion aussi bien que par la nature des relations qu'ils entretiennent avec les collectivités locales et les tâches qu'ils accomplissent pour le compte de l'Union européenne.

Dans ce paysage diversifié, les progrès de la déconcentration des compétences ont été inégaux et ceux de la déconcentration des crédits relativement modestes même s'il n'est pas toujours facile de les mesurer avec précision. C'est partant de cette base que l'on verra de quelle façon la déconcentration c'est traduite en matière sociale en voyant l'expansion du principe de subsidiarité (A) auquel succède grâce ou du moins par la politique d'inclusion sociale, un principe de supplétivité de l'action sociale déconcentré (B).

A. L'expansion du principe de subsidiarité

Dès 1982, la déconcentration a été présentée comme le «deuxième pilier» de la décentralisation et son indispensable contrepartie. Gaston Defferre affirmait alors qu'il était «souhaitable qu'à chaque niveau de décentralisation corresponde un niveau de déconcentration aussi fort». Toutefois, les décrets du 10 mai 1982, relatifs aux attributions des commissaires de la République dans les départements et les régions, visent davantage à renforcer les pouvoirs des représentants de l'État sur les services déconcentrés qu'à leur transférer des compétences en provenance de l'échelon central. La politique de renouveau du service public, définie par la circulaire du Premier ministre Michel Rocard du 23 février 1989, qui proposait «le développement des responsabilités par une déconcentration plus poussée» et la modernisation de la gestion administrative, ne peut être présentée comme une véritable mesure d'accompagnement de la décentralisation. Dès lors, la question de la déconcentration restait centrale lors des débats législatifs relatifs à l'administration territoriale de la République en 1992.

Deux textes publiés en 1992 reconnaissent la dimension territoriale de l'État :
- la loi d'orientation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République place sur un pied d'égalité services de l'État et collectivités territoriales en indiquant que «l'administration territoriale de la République est assurée par les collectivités territoriales et par les services déconcentrés de l'État ».

L'intervention du législateur peut surprendre au regard de la répartition constitutionnelle entre pouvoir réglementaire et domaine de la loi. Comme le Sénat l'avait souligné, la déconcentration relève de la compétence du Gouvernement. Force est de constater que l'appel au législateur traduit l'incapacité de l'État à réformer ses propres structures.
- le décret n° 92-604 du 1er juillet 1992 portant charte de la déconcentration décline le principe selon lequel «la déconcentration est la règle générale de répartition des attributions et des moyens entre les différents échelons des administrations civiles de l'État ».

La déconcentration devient le droit commun. Le décret portant charte de la déconcentration allait très loin en limitant le champ d'intervention des administrations centrales et des services à compétence nationale aux «seules missions qui présentent un caractère national ou dont l'exécution, en vertu de la loi, ne peut être déléguée à un échelon territorial». De plus, la circonscription départementale devait être l'échelon territorial de mise en oeuvre des politiques nationale et communautaire.

La loi d'orientation sur l'administration territoriale de la République marque une rupture radicale avec les pratiques antérieures de la déconcentration. Elle introduit une innovation juridique essentielle : le principe de subsidiarité. Elle ajoute que «les missions qui intéressent les relations entre l'État et les collectivités territoriales, sont confiées aux services déconcentrés». La charte de la déconcentration réaffirme l'autorité et le pouvoir de direction du préfet sur les différents services déconcentrés. Elle étend les compétences des préfets en les chargeant de négocier les contrats conclus au nom de l'État avec les collectivités territoriales et leurs établissements publics, alors qu'auparavant ils se bornaient bien souvent à signer des accords dont le contenu avait été arrêté à l'échelon central. Ainsi trouve à s'appliquer à l'action sociale l'idée que : «L'échelon le plus bas n'abandonne à l'échelon supérieur que ce qui est strictement nécessaire, et a contrario la compétence de la collectivité supérieure s'étend aux fonctions qu'elle peut remplir de manière plus efficace que les communautés de base. Il s'agit donc d'un principe de répartition mobile des compétences. Rien n'y serait préfixé. C'est le principe d'efficacité qui, à un moment donné, entraîne telle ligne de répartition».

B. L'avènement d'un principe de supplétivité

Evoqué l'avènement d'un principe de supplétivité en lieu et place de la subsidiarité suppose de comprendre que la territorialisation de l'action publique est la dimension la plus immédiatement associée à la rhétorique de la proximité. Rapprocher la décision publique des lieux d'émergence et de règlement des problèmes sociaux constitue en effet un élément central de la légitimation, par la proximité, des politiques localisées d'emploi et de formation.

La territorialisation apparaît ainsi comme une dynamique concomitante à la remise en cause de l'Etat-social qui s'exprime dans les domaines de l'emploi et de la formation par des dynamiques de décentralisation et de déconcentration. La dimension institutionnelle occupe de ce fait une place décisive dans les processus de décentralisation. La décentralisation en premier lieu mais aussi la déconcentration génèrent des recompositions fortes des systèmes d'acteurs locaux. Emergence d'un «acteur-pivot» dans le cas de la formation professionnelle ou reconfigurations territorialisées du Service Public de l'Emploi (SPE), la territorialisation est avant tout affaire de réaménagements institutionnels.

C'est dans ce contexte que la subsidiarité comme principe de délégation verticale des pouvoirs, en matière notamment sociale, telle qu'elle se dessine avec l'acte II de la décentralisation, peut se voir préférer un principe de supplétivité qui au lieu de n'autoriser qu'une action sur un mode dérogatoire, permettrait qu'émerge un mode d'action et d'intervention de principe.

Le principal ressort de légitimation prête aux territoires une efficacité plus grande que les actions conduites depuis le centre. L'efficacité des politiques territoriales est supposée meilleure parce que, soutenue par des procédés de management adéquats, elle permet de faire valoir les avantages de la proximité. Ces avantages sont d'ailleurs largement vantés : réduction des circuits décisionnels, meilleure connaissance des problèmes traités, socialisation au milieu, etc. A force de vouloir être proches on finit nécessairement par se retrouver nez à nez ! L'étape ultime des logiques subsidiaires qui animent le développement des approches de proximité se traduit par une maximisation des responsabilités individuelles.

Si la subsidiarité consiste donc bien à transférer au niveau le plus proche du «terrain» les responsabilités dont on estime qu'il peut les assumer, alors il est tout à fait nécessaire que cette dévolution ne s'opéra pas sur un mode dérogatoire, conçu par exception, mais bien plus comme un mode de gestion intégrer, d'intervention départementale de principe. Du point de vue des institutions, individualiser l'action publique au nom de la proximité signifie un bouleversement radical des logiques institutionnelles. Cette transformation affecte tout autant ceux qui mettent en oeuvre l'action publique que ceux à qui elle est destinée. Côté mise en oeuvre, il s'agit avant tout d'intégrer dans la culture professionnelle le passage du statut d'agent à celui d'acteur et admettre ce faisant un changement dans l'ordre de la légitimité. C'est voir se substituer à la légitimité que procure l'appartenance à une institution, celle qui émane de la capacité individuelle à être influent. La charge de la légitimité institutionnelle dont sont porteurs les agents était forte dans un gouvernement sectoriel, elle est fortement amoindrie dans le cadre d'une gouvernance territorialisée. Concurrencés par d'autres types de légitimité (élective, économique, associative), les agents sont sommés de devenir acteurs, de revaloriser par une plus-value individuelle leur place dans les jeux décisionnels locaux. Mais cette évolution ne touche évidemment pas que les agents institutionnels, elle concerne aussi les destinataires de l'action publique.

Autre glissement sémantique : on passe ici du « bénéficiaire » à « l'usager ». On attend de l'usager qu'il concoure par son action individuelle à la réussite de l'action publique. Acteur lui aussi, l'usager tend à devenir co-producteur et co-responsable de son employabilité et, ce faisant, de la réussite des politiques d'emploi et de formation.

Si l'on peut dire qu'il s'agit là d'un conflit sémantique, il n'en demeure pas moins vrai qu'il emporte des conséquences symboliques importantes, et que le choix pour l'usage d'une action supplétive en matière d'inclusion sociale, porte en elle le germe du dépassement d'une action publique dérogatoire, subsidiaire.

III. La déconcentralisation des politiques inclusives

Léon Duguit définissait le Service Public comme «toute activité dont l'accomplissement doit être assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants parce que l'accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et à l'accomplissement de l'indépendance sociale et qu'elle est de telle nature qu'elle ne peut être réalisée que par l'intervention de la force gouvernante»121(*). Allons plus loin. Le Social est service public, et c'est dans la mesure où la déconcentralisation «incarne» ce service qu'elle peut être le moteur du développement inclusif.

Les institutions de la Vème République ont été conçues pour restaurer la souveraineté et l'efficacité de l'Etat. On ne s'est pas interrogé, à l'époque, sur ce que pourrait être une configuration de l'État qui tiendrait compte, tant des attentes de nos concitoyens que de l'évolution des libertés et des réalités locales. Dans son discours de Lyon, le général de Gaulle avait ouvert le débat en se demandant si le modèle adopté n'était pas (déjà) dépassé et en traçant la perspective -- encore lointaine --, d'une France décentralisée. Depuis, la question de la compatibilité entre le modèle d'Etat et de Constitution adoptée en 1958, et le mouvement de décentralisation engagé en 1982, n'a cessé de se poser. La décentralisation française a été conçue comme un processus de modernisation globale de l'action publique et d'approfondissement de la démocratie. Il s'agissait, par la suppression de la tutelle exercée sur les délibérations locales, par la transformation de la région en collectivité locale de plein exercice, par le transfert du pouvoir exécutif aux élus dans les départements et les régions, par le transfert des compétences de l'État vers les échelons territoriaux etc., de mettre fin à la suprématie des «bureaux parisiens», de libérer les capacités d'initiative des élus locaux en consacrant leur majorité politique et de rapprocher la décision du citoyen.

Les lois de décentralisation (1982-1985) n'ont pas seulement profondément réorganisé les responsabilités, les pouvoirs et les contrôles ; elles ont permis de libérer des énergies locales souvent insoupçonnées des «bureaux parisiens», de transformer les notables traditionnels en «entrepreneurs» locaux et d'ouvrir, -- partout ou presque --, une ère nouvelle de dynamisme territorial. Mise en place d'une gestion de proximité modernisée, politiques locales de développement plus attractives, mutation du paysage urbain, maîtrise des politiques publiques et excellence de la gestion locale : tous ces phénomènes ont profondément marqué la première décennie de la décentralisation. Les traductions en matière sociale se sont manifestées par un double mouvement dont on a pu précédemment apprécier la pertinence. Reste posé la question de la conjugaison de ce double mouvement qui pourrait aboutir à une situation assez inédite en matière inclusive dont le néologisme de déconcentralisation rend compte. La décentralisation fait que l'État renonce en faveur des collectivités territoriales à certaines de ses compétences ; tandis que, dans la déconcentration, les compétences demeurent de l'État mais sont dévolues à ses services extérieurs ; la déconcentralisation, c'est l'affirmation que la décentralisation et la déconcentration sont inséparables, c'est l'affirmation que rien ne peut se faire sans un partenariat loyal entre l'État et les collectivités territoriales. Partant de cela nous verrons de quelle façon cela se traduit via la coopération des intervenants locaux (A) puis la coordination des actions territorialisées (B).

A. La coopération des intervenants locaux

Reconfigurer l'action publique à l'aune de la proximité, c'est aussi et surtout faire du partenariat et de la gouvernance des vertus cardinales. Les représentations dominantes dans l'action publique de proximité en matière d'emploi et de formation invitent à un partenariat extensif avec les acteurs de l'entreprise, de l'économie sociale et du monde politique. L'hybridation des décideurs se justifie là aussi par une exigence d'efficacité qui commande que toutes les « forces vives » soient associées à la lutte contre le chômage.

Côté institutions, le développement des logiques de gouvernance promeut une porosité des espaces publics et privés qui s'exprime tant au niveau de la décision que de la mise en oeuvre des politiques. Au niveau de la décision politique, cette dynamique s'incarne dans l'association d'acteurs issus de la «société civile» à des cercles auparavant réservés aux élites publiques. Si au niveau national, le partenariat social est une modalité ancienne d'élaboration de compromis politiques dans le champ de la formation, au niveau local, l'implication des acteurs de l'entreprise ou de l'action sociale se développe à la faveur de la territorialisation de l'action publique. Ce développement se heurte à la faible structuration territoriale du partenariat social et aux stratégies locales des acteurs économiques

Côté emploi, les partenariats locaux noués par le SPE se développent lentement. A l'intérieur même du SPE, ce mouvement d'hybridation est aujourd'hui patent. Il s'illustre de manière très claire tant par l'ouverture à l'UNEDIC des différents niveaux territoriaux du SPE que dans la place offerte en son sein aux missions locales122(*).

Au niveau de la mise en oeuvre, cette association prend une tournure différente : celle de l'externalisation. Réponse technique plus que politique à la quadrature du cercle des politiques de l'emploi - individualiser la lutte contre un chômage qui se massifie sans augmentation des effectifs de fonctionnaires au sein de l'administration de l'emploi - le recours à des prestataires externes représente une dynamique vaste et complexe encore peu étudiée123(*). Il se donne pourtant

à voir comme un phénomène massif et qui affecte tous les segments de la politique de l'emploi. Dans un contexte de réduction constante des budgets publics, la sous-traitance s'avère un outil indispensable pour embrasser la complexité d'une action publique de proximité.

Du côté des dispositifs, les instruments du partenariat public-privé sont nombreux, certains anciens (Comité de bassin d'emploi, COPIRE), d'autres connaissent un développement récent (contrat d'objectifs territoriaux, conseils de développement, maisons de l'emploi, etc.). En matière d'externalisation, de nombreux outils encadrants la commandite publique, le contrôle et l'évaluation du service fait ont été mis au point. Ils s'accompagnent d'une mutation des professionnalités au sein de l'administration de l'emploi qui passe ainsi d'une posture d'opérateur à une posture de commanditaire ; d'une culture du faire à une culture du faire-faire. Dans le champ de la formation, cette même relation d'achat de prestation par les Conseils régionaux (qui n'ont jamais été opérateurs directs) a connu une transformation importante du fait de la mise en oeuvre du code des marchés publics. Le passage au code des marchés publics s'est ainsi traduit par un repositionnement de la commande publique qui passe d'une logique de subvention à une logique d'achat de prestation.

Redéfinition des relations entre gouvernement central et local, action publique hybride et subsidiarisation de l'intérêt général : la conduite d'une politique de proximité dans le champ de l'emploi et de la formation chamboule les édifices institutionnels, modifie les représentations du bien commun et transforme les outils de l'intervention publique.

B. La coordination des actions territorialisées

La territorialisation de l'action publique est ainsi facteur autant que miroir de la perte de prégnance d'une régulation centralisée des problèmes sociaux. Les changements que cette dynamique induit, interrogent fortement les modèles classiques d'analyse du gouvernement. Par penchant disciplinaire sans doute, ce sont pourtant moins les restructurations géographiques que les nouvelles configurations de l'autorité et du pouvoir en leur sein qui sont au centre de la recherche en analyse des politiques publiques. L'action publique en matière d'emploi et de formation promeut une approche managériale de l'action sociale destinée à prévenir les risques individuels et collectifs liés au chômage. Elle contribue aussi à en générer.

Deux exemples : le risque d'enfermement localiste et d'individualisation de l'employabilité pour les bénéficiaires des politiques sociales. Le premier réside dans la fixation territoriale des plus défavorisés au nom de la gestion efficace des risques sociaux, c'est à dire visant la sécurisation des trajectoires individuelles mais aussi la sûreté de la collectivité. Le second tient à une tendance croissante vers la responsabilisation des individus au regard de cette sécurisation. La relation étroite qui s'établit dans les politiques sociales entre proximité et individualisation est porteuse d'un second risque ainsi décrit par Zygmunt Bauman : «encore plus incongru que de chercher des réponses locales à des problèmes globaux, on nous incite à tenter de résoudre sur le plan biographique les contradictions sociales»124(*).

L'enjeu est ainsi de dépasser, au stade pratique autant qu'analytique, une compréhension strictement spatiale de la proximité pour embrasser les différentes dimensions (organisationnelle, relationnelle, institutionnelle, etc.) que soulignent les économistes de la proximité125(*).

* 115 Guido de Ridder, Changement de régime ou crise de l'intervention sociale ? dans Les nouvelles frontières de l'intervention sociale, coord. Guido de Rider, L'Harmattan 1997

* 116 Les guillemets se veulent être placé ici aux fins de ne pas prendre le terme dans sa dimension péjorative.

* 117 R. Lafore , La décentralisation de l'action sociale. L'irrésistible ascension du département providence, Revue française des affaires sociales, n° 4, 2004.

* 118 Source : Premières informations, Premières synthèses, DARES, juillet 2004, étude portant sur les établissements de dix salariés et plus. En 2002, le taux d'entrée dans l'emploi est en moyenne de 40,9 et le taux de sortie est de 40,3. Ainsi, comme l'emploi salarié (dans le secteur marchand, excluant donc l'emploi public) comprend près de 16 millions d'emplois, il y a chaque année 6,4 millions d'embauches et 6,4 millions de départs. Donc, chaque trimestre environ 1,6 millions de personnes sont recrutées et 1,6 millions de personnes quittent leur emploi. Et parce qu'un trimestre comprend environ soixante jours ouvrables, il y au moins 26 000 personnes du secteur privé qui chaque jour quittent leur emploi et 26 000 qui y trouvent un emploi. Enfin, les chiffres précédents n'incluant pas les mouvements au sein de la fonction publique ou dans les secteurs associatifs, le chiffre de 30 000 embauches et de 30 000 départs semble une évaluation raisonnable de l'ampleur quotidienne de ces flux.

* 119 Rapport fait par la Cour des comptes, La déconcentration des administrations et la réforme de l'Etat, Novembre 2003

* 120 Dans son sens actuel, le terme de déconcentration apparaît sous le second empire, sous la plume de Léon Aucoc (professeur de droit administratif ; membre du conseil d'Etat en 1869, Léon Aucoc a présidé de la section des travaux publics de 1872 à 1879), pour qualifier le rôle accru des préfets qui se voient alors accorder la possibilité de statuer sur les affaires départementales et communales qui exigeaient auparavant la décision du chef de l'Etat ou du ministre de l'intérieur. Les lois, départementale du 10 août 1871 et communale du 5 avril 1884, jettent les bases dans notre pays d'une première décentralisation des pouvoirs sans pour autant remettre fondamentalement en cause les compétences du corps préfectoral.

* 121 L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, Tome 2, 1928, Paris

* 122 Même si la loi de programmation pour la cohésion sociale de janvier 2005 établit de subtiles distinctions entre ceux qui assurent le SPE, ceux qui y concourent et ceux qui peuvent y participer, la réalité demeure bien celle de l'association d'acteurs non administratifs à son fonctionnement.

* 123 D. Balmary, Politique de l'emploi et recours à des opérateurs externes, Paris, La Documentation Française, 2004

* 124 Z. Bauman, La société assiégée, Rodez, Le Rouergue, 2005

* 125 B. Pecqueur, J.B. Zimmermann, Economie de proximité, Lavoisier, 2004

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"