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Dégénérescence morale: Une étude comparative de Gabriel Gradère et De Ferdinand Bringuet dans Les Anges Noirs de François Mauriac et La Retraite aux Flambeaux de Bernard C lavel

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par Virginie Blanche NGAH
Université Yaoundé I - Maà®trise en Lettres Modernes Françaises (Option Littérature) 2007
  

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CHAPITRE III :

L'UNIVERS DE L'ACTION

L'univers présenté par le schéma narratif dans chaque récit englobe à la fois l'espace et le temps de l'histoire, cadre et supports de l'intrigue, dans laquelle les questions  Où et Quand ne manquent jamais d'être posées. L'espace et le temps sont immanquablement ces données qui inscrivent le récit dans le réel à travers des repères spatiaux, chronologiques, psychologiques et même atmosphériques. En clair, analyser le personnage dégénéré demande qu'on le découvre aussi à travers les menus détails de son quotidien, vécu dans un espace et un temps donnés. Ceci est d'autant plus important que le mode et les conditions de vie sont donnés a priori comme catalyseurs de la déchéance morale de ces personnages.

III-1- La topologie comme facteur de chute du personnage

S'intéresser à la topologie dans une oeuvre littéraire revient à analyser tout espace géographique ou tout cadre qui sert de toile de fond à l'intrigue. La nature et le décor au sein desquels évoluent les personnages ne sont pas toujours innocents. Comme le soutient Valette, la description ne sert pas seulement à  « montrer » le réel, mais aussi à décrire le monde visible95(*) en livrant des informations sur l'espace extérieur ou intérieur d'un lieu. À ce propos, Bourneuf et Ouellet pensent que le romancier fournit toujours un minimun d'indications « géographiques », qu'elles soient de simples points de repères pour lancer l'imagination du lecteur ou des explorations méthodiques des lieux.96(*)

Le cadre des Anges noirs, Liogeats, est le lieu principal où se dénoue l'intrigue. Ce village comparé à un cimetière de vivants97(*) se subdivise en micro- espaces. Gradère a longtemps voyagé et fréquente une kyrielle de milieux qui se disposent en espaces clos et en espaces ouverts.

Les aires emmurées qu'il a connues sont l'école missionnaire qu'il a fréquentée, et il se souvient surtout de cette salle de l'asile qui sentait le chlore.98(*)  On a ensuite le petit séminaire, le château des Du Buch avec la cuisine, sa chambre et le cabinet de toilette. Citons aussi l'hôtel de Lugdunos, la bibliothèque et l'échoppe, cette misérable chambre du quartier Mériadeck située du côté des docks 99(*). Mentionnons enfin le casino et le presbytère où il sera recueilli par l'abbé Forcas.

Parmi ces lieux clos, certains expriment l'enfermement ; en occurrence l'école et la bibliothèque. Et de même que la maison familiale où il a vécu sa jeunesse à côté d'un père sévère, l'école est un espace froid où règnent la rigueur et la rudesse.

La grande cuisine du château, initialement faite pour réunir les gens autour des repas en famille, se trouve être comme la chambre à coucher, un lieu de repli, de trahisons et de manigances. Le château même est un lieu ceinturé par les pins, ce qui met en relief le caractère carcéral de la vie de Gradère qui ressemble à un animal traqué.

Le presbytère symbolise la réclusion ; c'est le lieu où, comme le curé, Gabriel peut entrer en contact avec Dieu et acquérir son salut éternel. C'est un endroit où l'âme du prêtre est soumise à la souffrance métaphysique, lorsqu'elle prend conscience de l'horreur véritable de cette perversion morale de Gradère.

Le casino et l'hôtel sont des voies ouvertes à la dépravation des moeurs avec les jeux de hasard et les divers coups bas auxquels participe Gabriel. Comme lui, certains de ces malades

sont dominés par les passions viles, l'avarice, le jeu, la boisson ; les autres sont paresseux, imprévoyants, dissipateurs ; tous manquent d'esprit de conduite et se laissent aller aux écarts les plus dangereux pour eux-mêmes et pour les autres.100(*)

Pour l'habitat, le domicile de Gabriel à Paris, rue Emile Zola, est un espace où le personnage suffoque, tellement l'atmosphère est lourde et épaisse. Cette oppression est d'autant plus grande que la personnification dit que le silence respirait101(*). La maison est dans un tel désordre qu'elle illustre l'état d'esprit de Gabriel. On y voit des restes de repas et des bouts de cigarettes traînant partout sur le tapis, montrant ainsi que le ménage n'avait pas été fait depuis un certain temps. Ce lieu représente le désordre moral et spirituel dans lesquels se trouve notre personnage et préfigure sa ruine si rien n'est fait.

La description de cet espace vital montre que la vie n'avait rien pu ajouter à ces murs peints, à ces meubles de nickel et de verre : tout cela restait neuf jusqu'à la dernière dislocation102(*). La beauté et la pureté des murs et des meubles qui ne vieillissent pas sont une paraphrase de la beauté de Gabriel Gradère qui, malgré ses cinquante ans, ne prend pas l'ombre d'une ride.

Cette analogie donne raison à Bourneuf et Ouellet qui croient ferme que  Loin d'être indifférent, l'espace dans le roman s'exprime dans les formes et revêt des sens multiples, jusqu'à constituer parfois la raison d'être de l'oeuvre103(*). Ce qui paraît paradoxal dans la pensée de valette pour qui,  les descriptions de l'espace  sont en quelque sorte un ornement gratuit ou porteuses d'un savoir encyclopédique qui n'est pas directement utile à l'intelligence du récit104(*). Or, ces descriptions peuvent quelquefois, comme dans le cas présent, avoir des fonctions insoupçonnées comme l'illustrent l'anaphore et la paraphrase qui reprennent de manière subtile, la peinture physique de Gabriel Gradère.

L'apparition importante et récurrente de lieux clos représente la prison ; cette multitude de milieux fermés traduit l'emmurement. Cet emprisonnement se note également à cause des lieux que le personnage revisite sans cesse, tournant en rond comme un lion en cage. Ainsi, Liogeats, est une plaque tournante où Gabriel revient toujours pour se cacher ou se reposer.

Cependant, on recense très peu de lieux ouverts. Le Jouquet, la route de Liogeats, la gare, le Balion et la Roche qui est en fait une sablière abandonnée105(*), où le personnage dans son enfance s'amusait à rouler avec les filles Du Buch. Ces lieux ne sont à aucun moment bénéfiques pour le personnage. Bien qu'ils soient ouverts, ils apparaissent comme facteurs positifs au mal et à la croissance de la décadence morale. La Roche est un lieu chaotique semblable à la vie de Gradère, fait de minuscules montagnes et de cratères. La gare elle-même est déserte, ce qui facilite l'aboutissement du plan meurtrier du protagoniste. Le seul espace ouvert qui semble lui être favorable, c'est le Balion, ce petit ruisseau au sein de la forêt où il peut souvent se sentir innocent et libre.

Dans La Retraite aux flambeaux, le panorama qui abrite les événements est le Jura qui est traversé par le Doubs. C'est dans un paisible village devenu du jour au lendemain un terrain de combat, que se passent les faits racontés. Ce village est le macro-espace où se déroule l'action et se subdivise lui aussi en quelques cadres miniatures clos et ouverts.

La demeure des Bringuet est le premier micro-espace présenté dans ce récit. C'est là que le personnage, perché sur un escabeau, observe la débâcle des allemands. C'est un cadre clos, étouffant et sombre. Le personnage traverse une petite salle à manger et arrive à la cuisine, d'où il guette la rue. Lorsque le soldat surgit quelques minutes après, la scène se poursuit dans la cave [qui] est dans une demi-obscurité [puisque] le ciel très bas laisse à peine couler une lumière grise106(*). C'est un espace encore plus étroit et plus oppressant. Contrairement à un refuge, ces lieux emmurés et obscures sont très proches des lieux d'incarcération et signifient proprement l'enfermement et l'étouffement. Un long séjour dans un tel endroit peut entraîner la claustrophobie ou d'autres types de psychoses. Il n'y a en fait aucune sécurité à s'y cacher, puisque Ferdinand reconnaît que des fois, c'est en se cachant qu'on risque le plus.107(*)

Les micro-espaces ouverts tels que la cour, le jardin, la rue, le canal et le pont sont présentés dans le texte. Ces milieux diffèrent de la maison et de la cave en ce sens qu'ils symbolisent souvent la liberté. Mais contrairement à ces lieux fermés qui semblent être un refuge pour le personnage, ces espaces ouverts l'exposent encore plus au danger et le privent de sa liberté de mouvement.

Avant la guerre, Ferdinand était effectivement un homme libre et tous ces espaces lui étaient accessibles en temps voulu. Aussi allait-il souvent  [...] au jardin pour tailler ses arbres, et cueillir les fruits108(*), [et quelquefois] quand il était jeune, pour faire comme ses copains il avait chassé. 109(*) Ferdinand aime travailler en plein air. Il préfère les espaces ouverts, naturels et lumineux. Seulement depuis le début de la guerre, ces espaces jadis euphoriques pour lui se sont mués en espaces délétères ; raison pour laquelle il ne peut plus s'y sentir en sécurité. En fait, la situation de guerre vient déclencher une autre phase de la défectuosité morale de Ferdinand. En fait, il vivait dans le meilleur des mondes possibles, avec la candeur d'un enfant encore innocent. La raison est simplement que chez certains d'entre eux, persiste un état enfantin des facultés intellectuelles qui les empêche de prendre pied dans le monde des réalités et de l'expérience. Ils ont des illusions et vivent dans un monde imaginaire, c'est pourquoi le narrateur peut affirmer qu'il y a quelque chose dans la voix du colosse qui fait penser à la peur d'un enfant.110(*)

L'auteur plante ainsi un décor pour situer l'action ; toutefois, au-delà de cette mission, il s'avère aussi que l'espace [...] parle ; sa présence est complice, impliquée à la source ou à la base du message 111(*)

En réalité, l'occurrence d'un même espace peut aussi donner des informations sur les états d'âme du personnage. Raison pour laquelle dans une même page, un lieu ou un élément de l'espace peut être évoqué maintes fois. C'est le cas du ``canal'' qui revient trois fois de suite à la page 93, pour mettre en exergue les nombreux risques encourus par le personnage qui viendrait à le traverser en ce moment critique de guerre qui n'est pas complètement terminée.

De surcroît, grâce à une peinture réaliste de l'univers spatial, l'on se croirait véritablement en face d'une projection cinématographique décrite au moyen de mots, et évoquant le mouvement et le déplacement :

 Il y a le contre-fossé du canal. Pas très profond. [...] le canal, il n'est pas question de le traverser autrement qu'en empruntant le pont. [...] De l'autre rive du canal part un cri. Elle reconnaît la voix de son homme.

- Maria ! couche-toi !

Instinctivement, elle obéit et s'allonge dans l'herbe mouillée. Elle n'y est pas depuis deux secondes qu'une énorme explosion lui comprime la poitrine et lui écrase les tympans. 112(*)

Il est clair que l'espace dans les deux romans est dysphorique pour les personnages qui ne se sentent ni libres, ni en paix avec eux-mêmes. Le premier roman donne à voir plus d'espaces fermés, contrairement au second. Aux paramètres spatiaux vont aussi s'ajouter les conditions temporelles, puisque la déchéance des moeurs n'est pas seulement liée à l'espace, mais aussi à l'époque et à l'atmosphère et au climat dans lesquels évolue le personnage.

* 95 B.Valette, Le Roman, op.cit., p. 35.

* 96 R. Bourneuf et R.Ouellet, L'Univers du roman, Paris, P.U.F., 1972, p.101.

* 97 F. Mauriac, L.A.N., p.61.

* 98 F. Mauriac, L.A.N., p.8.

* 99 Ibid., p.18.

* 100 A. Cullerre, La dégénérescence héréditaire, op.cit.

* 101 F. Mauriac, L.A.N., p. 52.

* 102 Ibid., p.51.

* 103 R. Bourneuf et R. Ouellet, L'Univers du roman, op.cit., p.119.

* 104 B. Valette, Le Roman op.cit., pp.33-34.

* 105 F. Mauriac, L.A.N., p.177.

* 106 B. Clavel, R.A.F., p.18.

* 107 Ibid., p.14.

* 108 B. Clavel, R.A.F., p.13.

* 109 Ibid., pp.100-101.

* 110 Ibid., p. 27.

* 111 G. Genette, Figures I, Paris, P.U.F., 1966, p.92.

* 112 B. Clavel, R.A.F., pp. 93-94.

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