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Dégénérescence morale: Une étude comparative de Gabriel Gradère et De Ferdinand Bringuet dans Les Anges Noirs de François Mauriac et La Retraite aux Flambeaux de Bernard C lavel

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par Virginie Blanche NGAH
Université Yaoundé I - Maà®trise en Lettres Modernes Françaises (Option Littérature) 2007
  

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III-2- La temporalité psychologique

L'étude du temps dans un récit demande que l'on s'intéresse à la fois au moment pendant lequel s'exprime le narrateur et agit le personnage. Ceci se justifie par le fait qu'un sujet parlant ou agissant est perpétuellement en rapport avec le temps ; ce qui nous oblige à nous attarder sur plusieurs aspects de cette notion. Ainsi, de par sa polyvalence et ses valeurs multiples, le temps revêt des significations différentes selon les cadres et références que nous lui donnons 113(*); ce qui fait donc de lui, un concept complexe et poly-référentiel.

C'est le temps qui permet de passer du discours à la fiction ; il existe donc une grande nuance entre l'ordre des événements et celui des paroles. L'étude de la temporalité psychologique s'articule uniquement autour des différentes ressources et valeurs temporelles que sont l'ordre chronologique et la durée qui laissent voir le protagoniste à des moments spécifiques. Cela permet d'établir une certaine clarté dans l'entrecroisement des récits, et l'organisation du récit fait donc nécessairement appel aux anachronismes narratifs qui désignent les différentes formes de discordance entre l'ordre de l'histoire et celui du récit114(*).

Les anachronismes sont l'aboutissement de la différence entre le temps du discours qui est unidimensionnelle et celui de la fiction qui est plurielle. On parle d'analepses lorsqu'on revient sur un fait antérieur au récit en cours ; ainsi le récit analeptique relate bien après, un événement qui s'est déroulé dans le passé.

Dans le prologue des Anges noirs, Gabriel fait une rétrospective des faits survenus dans son passé. Ces faits, donnés comme souvenirs et rappels, permettent au curé d'avoir une vue d'ensemble du destin de Gabriel. C'est ainsi qu'il découvre au prêtre tout ce qui concerne son enfance, sa jeunesse et sa réussite apparente. Ce qu'il raconte est à la fois monstrueux et pathétique. Le curé apprend ainsi que Gabriel a perdu sa mère très tôt à l'âge de dix-huit mois. Il est élevé par un père rustre, inculte et jaloux de sa progéniture. Privé de l'amour d'une mère et de la tendresse de son père, on mesure combien l'enfance de celui-ci a pu être difficile, malheureuse et misérable.  Côtoyer cette pauvreté et cette souffrance, ajouté au fait de fréquenter la maison Du Buch qui pour lui représente le paradis, a quelque part été le catalyseur de bien de sentiments. L'ambition sans bornes et la détermination qu'on lit chez lui, semblent trouver leur explication dans ces événements passés. Tous ces facteurs donnent à ce petit paysan, [cet] apprenti roué de coups, des dégoûts d'enfant bourgeois115(*) ; et les psychologues ont démontré que certains comportements chez un sujet adulte trouvaient leur origine dans son enfance. Ils soulignent aussi le rôle omniprésent de l'univers social dans lequel naît et croît l'enfant ; à cela on ajoutera l'éducation qu'il reçoit. Ces scientifiques soutiennent que l'individualité se forme à partir des interférences environnementales ; et ceci peut expliquer certaines attitudes de Gabriel Gradère. Dans ce sillage, nous partageons avec Vounda Etoa, l'avis selon lequel toutes les images d'enfants dans l'oeuvre romanesque de François Mauriac s'accompagnent d'une évocation de leur pureté. À l'exception de Gabriel Gradère [...].116(*) On peut comprendre cela puisque Cullerre précise que l'enfance des héréditaires est fréquemment marquée par certains troubles. En effet,

une marque probante de la nature dégénérative de ces obsessions émotives, de ces impulsions, de ces étrangetés morales, c'est qu'elles se manifestent parfois dès l'âge le plus tendre, et qu'on les a constatées chez des enfants de quatre ou cinq ans.117(*)

Pour La Retraite aux flambeaux, on note quelques analepses qui permettent au narrateur de faire des rétrospections au cours du récit. C'est donc grâce à elles qu'on découvre que, tout comme Gabriel, Ferdinand a eu une enfance et une jeunesse difficiles ; puisqu'à quatorze ans [il était] au turbin.118(*)

Mais les analepses deviennent plus visibles dans le récit dès Juillet 1947, deux années après l'occupation allemande. C'est la période où le narrateur revient sur les événements de cette sombre nuit qui a particulièrement marqué les mémoires et la vie des Bringuet. Désormais, il ne voit plus les choses du même oeil, et comme ce matin, c'est le Doubs qu'il voit. Pas celui de ses journées de pêche. Le Doubs d'une nuit où un gamin vêtu de noir est parti au fil de l'eau.119(*) C'est le moment où affluent tous les souvenirs, même ceux de la période d'avant-guerre. Ces rétrospections du narrateur et quelquefois du personnage traduisent le trouble psychologique et le remords dans lesquels Ferdinand s'éternise. Sa vie semble maintenant se trouver derrière lui, car il vit quasiment dans le passé. Le plus troublant comme le dit Jean Zin, est que dans de pareilles situations, la perte de la force vitale s'accompagne d'une perte de la joie et de l'envie de vivre ; comme si on était poussé à se diriger soi-même vers sa tombe.120(*) Ainsi deux ans après, à la vue des lampions de la retraite aux flambeaux, il revit les images de la guerre et de l'assassinat de Klaus.

La matérialisation de ces réminiscences dans les deux récits est faite par l'alternance du style direct et du style indirect. L'écriture est soutenue par des temps verbaux exprimant l'antériorité : le passé composé, l'imparfait, le passé simple, temps par excellence de l'expression de la rétrospection. En outre, l'utilisation de certains verbes portant en eux-mêmes le sémantisme de remémoration, vient river le clou sur l'intention qu'a l'auteur de faire un rappel sur la vie de ce personnage. C'est le cas des verbes pronominaux se souvenir ou se rappeler : Je me souviens de votre regard lors de mon dernier voyage121(*).  Je me rappelle ce jour d'été : la porte s'ouvrit.122(*)

Les choix stylistiques qui présentent les analepses dans le corpus font découvrir l'effacement régulier quoique temporaire, du présent de narration au profit de l'imparfait ou du passé composé de l'indicatif. C'est le retour sur des événements passés qui multiplie et renforce les analepses des récits, tout en permettant au lecteur de découvrir et comprendre grâce à son passé, les origines de la dégénérescence morale du personnage. Cependant cet être fictif ne vit pas uniquement dans le passé ; il lui arrive aussi de se projeter dans l'avenir, d'où la présence des prolepses dans les récits. Ils sont le moyen par lequel le personnage ou le narrateur fait des projections dans un futur proche ou lointain ; mais ces cas de figures n'abondent pas dans les deux romans étudiés.

Dans l'oeuvre de Mauriac, Gabriel Gradère s'imagine que l'abbé Forcas pourrait détruire son cahier sans le lire, alors il essaie de convaincre ce précieux confident de sa sincérité : Je vais m'efforcer d'atteindre la limite extrême de la sincérité [...] : j'éviterai toute complaisance, je n'appuierai pas, je laisserai entendre ce qui est indicible.123(*)

Dans le cas du deuxième texte, il arrive plus rarement que le narrateur ou le personnage prononce des paroles proleptiques ou prophétiques : Le temps s'est figé. Cette nuit chargée de rumeurs sourdes va durer l'éternité autour d'eux et du bloc de tendresse douloureuse qu'ils sont devenus.124(*)

La suite de l'analyse découvre la présence abondante de repères temporels que constituent les dates. Celles-ci montrent un souci de précision et de vraisemblance des auteurs. Le roman de Mauriac fait l'évocation de dates successives ; celles-ci semblent être une chronologie événementielle. Les années 1913, 1914, 1915, rappellent à Gabriel des événements particuliers de sa vie. Même si Mauriac pense que l'âge qu'on a ne signifie rien125(*), il donne néanmoins tout au long du récit, celui de son personnage. C'est ainsi qu'on peut voir des expressions telles que : À treize ans, dès l'âge de quinze ans, l'année de mes dix-sept ans, un étudiant de dix-huit ans, à cinquante ans bientôt.

Le même phénomène est visible chez Clavel où l'on a aussi des repères temporels : Juillet 1947, le 14 juillet, À quatorze ans, un homme de soixante et onze ans, Il avait douze ans, ça fait deux ans.

De toute évidence, repères temporels et analepses se trouvent à profusion dans ces deux récits ; bien que ce ne soit pas le cas des prolepses. Ces données sont significatives et tout comme la durée, elles permettent de découvrir et d'emboîter certains éléments aux événements passés de la vie du personnage.

Parlant de la durée ou vitesse narrative, elle peut être entendue comme le rapport entre le temps que nécessiterait le déroulement réel d'un récit et le temps par lequel il est représenté dans le roman, avec toutes les variations rythmiques et stylistiques que cela comporte. Genette la définit comme suit :

On entend par vitesse le rapport entre une mesure temporelle et une mesure spatiale (tant de mètres à la seconde ; tant de secondes par mètres) ; la vitesse du récit se définira par le rapport entre une durée, celle de l'histoire, mesurée en secondes, minutes, heures, jours, mois et années, et une longueur, celle du texte, mesurée en lignes et en pages.126(*)

Les intrigues connaissent effectivement des variantes sur le plan de la vitesse ; ce qui entraîne la distinction de plusieurs cas de figures. Le récit peut connaître des pauses, des accélérations ou des résumés selon le rythme impulsé par l'intrigue, d'où la circonscription de notre étude autour de ces trois notions.

La pause est une suspension du temps qui se réalise lorsqu'au temps discursif ne correspond aucun temps fictionnel. Elle a de manière générale une fonction de présentation. C'est elle qui renseigne sur tout ce qui se rapporte aux personnages, comme on le voit dans Les Anges noirs où l'on découvre Gabriel écrivant sa confession. La pause livre même des descriptions de l'espace où se déroule l'action. Elle se retrouve en outre dans les réflexions d'ordre général, comme dans cette occurrence où Clavel, impuissant face à tous les fauteurs de guerre, constate :

 

 Il n'y a rien à dire : c'est la guerre que les peuples ont acceptée comme une fatalité. La guerre que certains peuples ont voulue de toutes leurs forces. La guerre que quelques hommes ont refusée sans rien pouvoir faire pour lui barrer la route. 127(*)

La pause agit donc comme une photographie, un arrêt sur image qui permet de s'imprégner pleinement d'une information et de tous les détails y afférents. Elle est l'occasion où le récit connaît quelques ralentissements. C'est aussi le moment pendant lequel on peut voir le narrateur reprendre son souffle pour repartir de plus belle.

L'accélération de l'intrigue est exprimée à travers l'ellipse qui peut se matérialiser par des repères temporels ou par les trois points à des fins diverses. Dans les deux textes, Mauriac et Clavel en font un usage récurrent pour laisser au lecteur, le soin de deviner la suite d'une phrase, ou pour marquer un souci de pudeur comme dans ce propos que tient Gabriel à son fils : Eh bien mon vieux, comme la p... n'est pas arrivée le jour où il l'attendait, il s'est mis dans la tête [...] que je l'ai supprimée !128(*), [...]  - Je m'en f... ! 129(*)

Contrairement au roman de Mauriac, celui de Clavel ne donne pas à voir une grande occurrence de formules elliptiques ; mais il y en a une qui exprime particulièrement un très grand saut dans le temps : Juillet 1947. L'histoire connaît en effet un effacement de presque trois ans pendant lesquels, le narrateur ne donne plus aucune nouvelle, ni de ce village dans le Jura, ni de Ferdinand et de ses compagnons. Le narrateur passe du lendemain de cette nuit cauchemardesque de l'été 44 à l'après midi du 14 juillet 1947, journée de la retraite aux flambeaux qui donne son titre à l'oeuvre. Le 14 juillet est historique et mémorable pour les Français, puisque cette date rappelle la prise de la Bastille. Ce jour qui est généralement un moment de réjouissances populaires, sera malheureusement le moment où cette tragédie, débutée deux ans plus tôt, va connaître son acmé : c'est le jour où Ferdinand Bringuet trouve la mort.

Le résumé ou sommaire quant à lui condense des années entières en quelques phrases. Gabriel en fait un grand usage dans sa confession, et c'est aussi ce que fait le narrateur de Clavel lorsqu'il relate le passé du jeune soldat Nazi : 

Il s'appelait Klaus Bürger. Il était de Hambourg. Il avait douze ans lorsque son père, fonctionnaire du parti, l'a inscrit aux jeunesses hitlériennes. [...]

Un jour, Klaus est parti pour la guerre. Il a connu les camps d'entraînements, les neiges immenses de la Russie, les sables du désert, le soleil de la côte d'Azur, les bons vins du Rhône.

Il a tué sans jamais éprouver le moindre pincement au coeur. [...] À présent il est mort. 130(*)

Ainsi, la vitesse narrative présente les différents mouvements du récit. Ces changements de vitesse marqués par la pause présentatrice et descriptive, par l'ellipse ou par le sommaire, permettent non seulement de rendre vivant le récit, mais aussi de tenir le lecteur en haleine en imaginant le trouble dans lequel peut être le personnage décadent. Cette analyse permet de voir comment s'organise la temporalité interne dans notre corpus. Seulement, il n'y a pas que la temporalité interne qui intervienne. La temporalité externe se meut elle aussi.

* 113 R. Bourneuf et R. Ouellet, L'univers du roman, op.cit., p.129.

* 114 G.Genette, Figures III, op.cit., P.79.

* 115 F. Mauriac, L.A.N., p. 12.

* 116 M. Vounda Etoa, François Mauriac et l' Ecriture : Essai d'analyse de l'intertexte biblique dans sept de ses romans, op.cit., p. 372.

* 117 A. Cullerre, La dégénérescence héréditaire, op.cit.

* 118 B.Clavel, R.A.F., p.20.

* 119 Ibid., pp.104.

* 120 J. Zin, La dégénérescence de l'homme, in http//www.wikipédia.org. du 27 avril 2008.

* 121 F. Mauriac, L.A.N., p.5.

* 122 Ibid., p. 9.

* 123 F. Mauriac, L.A.N., p.7.

* 124 B. Clavel, R.A.F., p.40.

* 125 F. Mauriac, L.A.N., p.26.

* 126 Gérard Genette, Figures III, op.cit., p. 123.

* 127 Ibid., p. 99.

* 128 F. Mauriac, L.A.N., p. 218.

* 129 Ibid., p. 204.

* 130 B. Clavel, R.A.F., p.99.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore