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Dégénérescence morale: Une étude comparative de Gabriel Gradère et De Ferdinand Bringuet dans Les Anges Noirs de François Mauriac et La Retraite aux Flambeaux de Bernard C lavel

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par Virginie Blanche NGAH
Université Yaoundé I - Maà®trise en Lettres Modernes Françaises (Option Littérature) 2007
  

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V-2- Gradère et Bringuet, quels rapports avec la nature ?

Parler de la nature revient à parler de Ce monde odorant, plein de bêtes et d'astres, et qui ne sait pas qu'il existe des êtres sauvés et des êtres perdus.163(*) En effet, la nature ne se soucie pas des antécédents des uns et des autres ; elle est comme une mère accueillant chacun de ses enfants quelque soit son crime. Par sa discrétion et sa sollicitude, la nature est un abri. Et Alfred de Vigny semble penser que tout personnage, après avoir été rejeté par la ville ou par ses semblables, ne peut trouver refuge qu'au sein de la nature. Elle sait réconforter sans poser de questions. C'est dans ce sens qu'on peut lire ce conseil à Eva :

Si ton coeur gémissant du poids de notre vie,

Se traîne et se débat comme un aigle blessé, [...]

Pars courageusement, laisse toutes les villes; [...]

La nature t'attend dans un silence austère.164(*)

Le thème de la nature-refuge semble avoir été repris par Mauriac ; raison pour laquelle, après avoir reçu des menaces d'Aline, Gabriel Gradère quitte la ville de Paris pour trouver refuge à la campagne de Liogeats. 

L'univers naturel de la Province, avec ses cours d'eau, ses bois sauvages, ses grands pins, ses prairies, ses parfums, ses animaux et ses landes est le seul lieu où Gabriel se sent en sécurité, dans cet univers...cette matière qui ne nous juge pas, qui agit sur nous pourtant, qui éveille des regrets, des attendrissements, quoi que nous ayons commis.165(*) Quelquefois, assis sur un pin abattu, il vit des moments divins où innocent comme un renard, comme une fouine166(*), il peut se fondre dans ce monde et s'assimiler à un animal sauvage. Gabriel a toujours aimé la nature ; il s'y réfugiait déjà étant enfant, lorsqu' avec les filles Du Buch il s'amusait à jouer à colin-maillard. D'ailleurs les seuls souvenirs qui lui ont paru agréables, les seuls moments où il a été heureux sont ceux pendant lesquels il pouvait écouter l'eau courir sur les cailloux, et ceux qu'il passait avec Mathilde au Jouquet qu'il décrit comme un abri pour chasser les palombes. Il s'y plaît parce qu'il croit que : [Ses] actes qui ne [l'avaient] pas marqué au visage, [...] n'avaient pas non plus marqué [son] âme.167(*) Tout ceci montre combien Gabriel vit en harmonie avec la nature dont il apprécie les propriétés bienfaisantes ; et les lieux qu'il mentionne, ont pour lui une valeur inestimable. Cet isolement au sein de la nature est apprécié des êtres normaux aussi bien que de certains déséquilibrés mentaux, chez qui c'est une manie :

De très bonne heure, ils s'abstraient du milieu ambiant et vivent isolés dans la contemplation de leurs pensées et dans l'étude de leurs sensations. À force d'interroger et de contempler leur propre personnalité, ils finissent par en vicier les éléments et par sombrer dans l'égoïsme, l'excès d'orgueil ou l'hypocondrie.168(*)

Plus que Gabriel, Ferdinand est un amoureux de la nature ; il est vraiment l'ami de la forêt, et on le voit dans son quotidien d'avant la guerre. Sa manie quotidienne est d'ouvrir ses volets avant même de s'habiller, et de se réjouir du spectacle matinal qu'offre la nature. Il possède des arbres fruitiers, s'adonne au jardinage et à la pêche, et préfère passer de longues heures au sein des espaces naturels. Il aime un peu trop la nature et les animaux, et éprouve une sensibilité exacerbée à la souffrance des bêtes de la forêt. C'est ainsi qu'un jour : 

Il avait blessé une biche. Il l'avait entendue pleurer. Il n'avait jamais oublié son regard implorant noyé de larmes. Il avait voulu l'emporter pour la soigner et la sauver. Elle était morte dans ses bras. L'ayant enterrée dans le fond de son jardin, il avait planté un saule pleureur sur la tombe.169(*)

Mais seulement, Cullerre mentionne également que l'amour exagéré des animaux a été signalé comme une des bizarreries de caractère de ces individus170(*).

Bernard Clavel semble faire dans son oeuvre, l'éloge de la nature. Comme le père Dubois dans Les Fruits de l'hiver171(*), Ferdinand est attaché à la terre ; il aime regarder le Doubs, il ne cache pas cet amour qui le lie à la nature, aussi l'entendons-nous avouer : Ces arbres me cachent la forêt, mais ça ne m'empêche pas de les aimer.172(*) De surcroît, il semble vouloir montrer la fidélité et la force de la nature qui malheureusement, subit de nombreuses agressions, à l'instar des pollutions et des déforestations. Aussi reprend-il les propos d'Adeline Rivard : Qui change les cours des eaux, peut tuer la rivière.173(*) Ce qui semble être contradictoire à la pensée de Mauriac qui pense que malgré tout, on ne peut rien contre l'eau vive.174(*)

Au fond, les deux malades partagent à quelques détails près, l'amour pour la nature, avec laquelle ils entretiennent des rapports harmonieux. Même si elle semble renforcer l'introversion chez ces dégénérés, la nature leur est favorable.

IV-3- Gradère et Bringuet : La marche vers Dieu

La nature est donc si apaisante qu'elle semble établir une relation entre ces personnages et Dieu. À propos de leur relation avec Dieu, il convient d'observer dans les textes, les comportements quotidiens et le repli des personnages vers l'omniprésence divine, qui apparaît comme l'Alpha et l'Oméga, le commencement et la fin de toute chose.

Dans Les Anges noirs comme dans toute l'oeuvre de Mauriac, le thème du péché et de la grâce divine est récurrent ; étalé en filigrane, il revient sous des formes et des formulations diverses. Gabriel Gradère ne renie pas l'existence d'un Être Suprême, doté d'une puissance plénipotentiaire, qui seul serait capable de donner à un individu le don de la connaissance. Il le fait d'ailleurs comprendre à l'abbé Forcas dès le début de sa confession. Il croit certes à l'existence de Dieu et à celles des anges qui, comme ce prêtre, voient le Tout puissant face à face175(*), mais ne croit pas en leur puissance de remettre les péchés.

Vraisemblablement, Gabriel a une relation avec Dieu ; cela peut sembler incroyable, mais c'est la réalité ; car comme lui-même le dit, c'est Dieu qui est la source de tout son destin. Le fait même qu'il ait rencontré Adila, cette sainte fille, est déjà un signe de la grâce divine. La bonté de Dieu étant irréfutable176(*), Adila Du Buch semble en être l'image ; parce que Dieu Seul est capable d'aimer si totalement, malgré tout le mal que l'on peut commettre. Cela typifierait le contrat sans conditions qui lie tous les Elus à l'Être Suprême ; d'où le remords dans la conscience de Gradère, et le besoin lancinant d'avoir un  confident angélique et fraternel.

Il se pose donc là un problème de prédestination, car s'il y a des âmes qui sont données au Malin comme le dit le curé, il y a certainement aussi celles qui appartiennent à Dieu. Ce qui signifie en d'autres mots que l'on ne devient pas enfant de Dieu, mais l'on naît en l'étant déjà. Alors, quoi que ces Elus fassent, dégénérés ou non, cela ne change rien à leur destin, à leur vrai visage, comme cela semble être le cas de Gradère. En dépit de tout le mal qu'il a commis, rien n'est venu à bout de ce dessin si pur du front, du nez, de la bouche ; ni le temps, ni les crimes n'ont altéré cette face indestructible.177(*) Et, parce que Gabriel est de ceux- là qui sont donnés à Dieu, rien ne peut changer son destin ; Mauriac peut donc lui faire proclamer : Non je n'avais pas changé : quoi que j'eusse pu accomplir par la suite, je n'avais rien ajouté à mon vrai visage, à mon visage éternel 178(*).

Ce visage éternel semble être une caractéristique chez les enfants de Dieu. Parlant de cette beauté qui devrait être celle du coeur, Gibran ajoute : La beauté est l'éternité lorsque l'éternité se contemple dans un miroir.179(*) Nous voyons comment la description usitée par Mauriac se déploie de façon indicielle pour marquer subtilement la véritable condition de Gradère, celle de brebis de Dieu. Seulement c'est une brebis perdue, et comme l'affirme Marcellin Vounda :

La brebis perdue qui fait du souci au Christ, c'est donc l'homme abandonné sans résistance à ses penchants charnels, livré à la concupiscence et à `` toutes les variétés de mensonge, d'égoïsme, de haine, de luxure. [...] c'est, en fin de compte, le pêcheur qui  ``frénétiquement, va jusqu'au bout de sa folie '' en péchant à visage découvert, sans vergogne et sans scrupule.180(*)

Ce récit conduit donc à la déduction selon laquelle Dieu procure toujours un moyen ou une voie pour sauver Ses enfants, quelque soit la profondeur de leur dégénérescence. Et cet enlisement peut être une voie que Dieu choisit pour l'un et pas pour l'autre. Ainsi cela peut être la dégénérescence morale pour Gabriel, tandis que c'est la sainteté pour Alain Forcas, cet enfant très pur, mais qui [sait] par une connaissance venue de Dieu jusqu'où il était donné à l'homme de s'avilir.181(*) Ces deux voies différentes sont pourvues par le même Dieu pour ramener à Lui ses deux fils : Le premier pour être secouru par le second, et le second pour secourir le premier. De concert avec Jacques Petit, nous croyons qu'un saint dans l'univers romanesque de Mauriac se voit toujours confronté à un criminel dans un diptyque où s'opposent deux types d'anges : le blanc et le noir. Ceux-ci symbolisent la dualité qui existe en tout personnage comme en tout être humain. Il est à la fois ange et bête, comme le reconnaissait l'Apôtre Paul en avouant : Ainsi donc, moi-même, je suis par l'entendement esclave de la loi de Dieu, et je suis par la chair esclave de la loi du péché182(*). Dans le cas présent, l'ange blanc, l'abbé Alain Forcas, n'a pour mission que d'apporter le salut à l'ange noir qui est Gabriel Gradère. Par conséquent, on n'est pas surpris de voir ce moribond condamnable par la justice humaine, être gracié par la justice divine. On voit cet ennemi des âmes183(*) s'endormir dans les bras de Dieu et s'en aller en paix vers le ciel.

À ce propos justement, Luc l'Évangéliste ne dit-il pas qu'il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pêcheur qui se repent, que pour quatre vingt dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de repentance ?184(*) Jankélévitch justifie cette chose en affirmant pour notre gouverne que les mourants, aussi immoraux puissent-ils être, sont toujours sincères dans leurs confessions, parce que

[...] ni la honte, ni la jalousie, ni le ridicule, ni aucun sentiment disjoint n'ont plus de raison d'être - car les choses finies s'annulent auprès de l'Infini ; et c'est une fiction de cet ordre qui nous facilite, lors de la confession, la véracité transparente des aveux.185(*)

Par ailleurs, Ferdinand Bringuet n'est pas moins en relation avec Dieu que ne l'est Gabriel Gradère. Le texte en réalité ne donne pas ouvertement des indices pouvant permettre de répondre à cette préoccupation. Cependant, suite à l'analyse précédente portant sur les rapports entre lui et autrui et entre lui et la nature, nous pouvons affirmer que Ferdinand Bringuet entretient une relation intime avec Dieu. Cela se lit dans sa vie harmonieuse avec son entourage et son environnement. Par essence, Dieu ne sonde que le coeur de l'homme dont le personnage est une image ; et il est souvent dit que la vraie religion c'est la façon de vivre avec son alter ego. Dans cette perspective, l'on peut encore se poser ces questions de Khalil Gibran :

La religion n'est-elle pas dans toute réflexion et toute action sans être réflexion ni action,

Mais un étonnement et un émerveillement qui ne cessent de dessiller et d'écarquiller les yeux de votre âme,[...]

Qui peut séparer sa foi de ses fonctions, ou sa croyance de ses occupations ?

Qui peut étaler les heures devant lui en disant : « celles-ci je les consacre à Dieu, et celles-là je les réserve pour moi ; ceci est pour mon âme et cela pour mon corps » ? [...]

Votre vie quotidienne est votre temple et votre religion.186(*)

On se rappelle qu'au XVIIIe siècle déjà, Voltaire déclarait que le vrai Dieu [...] demande le coeur et l'esprit 187(*) et ne se soucie guère des cultes civiques, politiques et religieux qu'il abandonne aux hommes. Ainsi, en examinant la vie de Ferdinand, tous les témoignages attestent de son intégrité et de sa bonté. Par ailleurs le narrateur l'assimile à un enfant ; et l'on sait qu'il est dit que le Royaume de Dieu appartient à ceux qui ont un coeur d'enfant. De ce fait, il vaudrait mieux écouter le conseil du prophète qui dit comment connaître Dieu:

[...] si vous voulez connaître Dieu, sachez qu'Il n'est point une énigme comme vous l'imaginez pour le plaisir de le deviner.

Regardez plutôt autour de vous et vous Le verrez jouant avec vos enfants.

Regardez le ciel et vous Le verrez marchant dans les nuées, étendant Ses bras dans les éclairs et descendant en gouttelettes de pluie.

Vous Le verrez sourire dans les fleurs, puis Se lever en remuant Ses mains dans les arbres. 188(*)

En considérant la vie de Ferdinand, son interaction avec les autres et la nature, tout porte à croire qu'il n'y a que l'amour qui puisse sous-tendre une telle façon de vivre. Or les Ecritures disent que : Dieu est amour et celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. 189(*) Ce sentiment ne peut mieux transparaître que dans la justesse des actions que le personnage pose au quotidien.

Au total, ce chapitre nous a permis de mettre en lumière les relations harmonieuses qui lient Ferdinand à ses compatriotes. Celles-ci sont opposées à celles qu'entretient Gabriel, parce qu'elles sont spécifiquement conflictuelles à cause de son ambition démesurée manifestée dès son jeune âge.

Pour ce qui est de la nature, on se rend compte que celle-ci leur est propice à tous les deux, du fait qu'elle est aimante et silencieuse. Malgré tout ce que suppose cet isolement au sein de la nature, il y a une relation sentimentale qui les lie. Cette harmonie avec la nature semble entraîner de manière logique une relation intime avec Dieu chez les deux personnages déséquilibrés.

Du point de vue de Mauriac, la fusion du personnage avec Dieu est simplement conditionnée par la prédestination. Pour lui, tout n'est que grâce, cette grâce divine ne dépendant pas de la bonne vie que l'on peut mener, mais uniquement de l'élection de Dieu. Par contre, une autre philosophie sourd en filigrane dans le roman de Clavel pour qui, la vie que l'on mène est l'indice véritable de notre relation avec Dieu. Il est de ceux qui pensent que la vraie religion c'est la vie que le personnage mène avec autrui, car c'est à travers cette vie que s'exprime et se manifeste aussi pleinement la dégénérescence morale.

Cette immoralité qui peut être un legs ancestral, ou l'héritage d'une éducation reçue, se manifeste à travers plusieurs attitudes que l'individu présente. Raison pour laquelle, c'est à travers des variables telles que le costume, le comportement en public ou dans l'intimité, et même le langage usité, que se dénote le déséquilibre mental dont il est sujet.

* 163 F. Mauriac, L.A.N., p.32

* 164 Alfred de Vigny, « La maison du berger » in Les Destinées, Paris, Larousse, 1972, p. 50.

* 165 F. Mauriac, L.A.N., p.59.

* 166 Idem.

* 167 F. Mauriac, L.A.N., pp. 35-36.

* 168 A. Cullerre, La dégénérescence héréditaire, op.cit.

* 169 B. Clavel, R.A.F., p.101.

* 170 A. Cullerre, La dégénérescence héréditaire, op.cit.

* 171 B. Clavel., Les Fruits de l'hiver, Paris, J'ai Lu, 1977.

* 172 B. Clavel, R.A.F., p. 101.

* 173 B. Clavel, Le Carcajou, Paris, Robert Laffont, 1996, p.59.

* 174 F. Mauriac, L.A.N., p.35.

* 175 F. Mauriac, L.A.N., pp. 16.

* 176 M. Foessel, Le Mal, Paris, Hatier, septembre 1999, p.24.

* 177 F. Mauriac, L.A.N., p.236.

* 178 Ibid., p.35.

* 179 K. Gibran, Le Prophète, op.cit., p.67.

* 180 M. Vounda .E., François Mauriac et l' Ecriture : Essai d'analyse de l'intertexte biblique dans sept de ses romans, op.cit., p. 334.

* 181 F. Mauriac, L.A.N., p.5.

* 182 Romains 7 : 25, in La Sainte Bible, Corée 2005, P. 1139.

* 183 F. Mauriac, L.A.N., p.252.

* 184 Luc 15 :7, in La Sainte Bible, op.cit., p. 1043.

* 185 V. Jankélévitch, Philosophie morale, op.cit., p.224.

* 186 K. Gibran, Le prophète, op.cit., p.68.

* 187 A. Lagarde et L. Michard, Coll. Litt. « Lagarde et Michard, XVIII ème siècle », Paris, Bordas, 1989, p. 244.

* 188 K. Gibran, Le prophète, op.cit., p.69.

* 189 1 Jean 4 :16, in La Sainte Bible, op.cit., P. 1246.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote